samedi 14 janvier 2012

ROULAGE


"Les chevaux de mine retrouvés" :
un livre-patrimoine




 

Voilà un sujet que la littérature minière a laissé en friches. Sylvain Post publie le premier livre complet sur l'utilisation du cheval au fond des mines de charbon.
Trois ans d'enquête à travers toute la France
lui ont permis de passer au crible les références historiques
les plus sérieuses et de réunir des illustrations d'époque.
Cet ouvrage inédit raconte pourquoi la machine à vapeur était interdite aux mineurs de fond et comment, pendant un siècle et demi,
les chevaux, ânes et mulets tirèrent le progrès… qui leur disputa
la place avant de la conquérir.
L'auteur créé un lien avec le présent et propose au lecteur de descendre dans la mine technologique du XXIe siècle, pour y croiser le dernier roulage moderne.
Un bel hommage est rendu aux éleveurs des trois races de chevaux que les compagnies minières préféraient pour leur « cavalerie souterraine » :
l'ardennais, le trait du Nord et le trait breton.

Le roulage au fond de la mine apparut comme une question cruciale lorsque les inventions de Newcomen et surtout de Watt entraînèrent progressivement les rouages de l'activité humaine. Après l'arrivée de la première machine de Newcomen en France, en 1733, les progrès les plus appréciables arrivèrent soixante-dix ans plus tard, avec une évolution de cette première source d'énergie d'origine mécanique.

Toutefois, dans les mines de charbon, la machine à vapeur se heurta à un handicap insurmontable et resta « sur le carreau », cantonnée au « jour » (traduisez : à la surface), pour l'extraction et le pompage. Car son emploi au « fond » s'avéra impossible. Personne ne se serait aventuré à lancer sur les rails du fond de la mine un moteur thermique à combustion externe, crachant la fumée dans le circuit d'aérage, avalant l'oxygène de ce milieu ventilé, défiant le grisou…

Devant la montée en puissance des usines à haute température, l'extraction de houille, dopée par la machine à vapeur qui fonctionnait elle-même au charbon, s'accéléra. Et cette accélération posa aux compagnies minières un délicat problème pour l'acheminement de la production, en bas, au cœur même de la mine. Il leur fallut dépasser les limites de la force musculaire de l'homme pour répondre à l'augmentation croissante de la demande en combustible.

 
La solution à la fois souveraine et paradoxale consista à mobiliser une « cavalerie souterraine » de 10 000 équidés pour évacuer le charbon du lieu d'abattage vers le puits qui mène au jour. Paradoxale, car la traction animale surgit tout droit de l'ère préindustrielle. Elle appartenait au vieux monde. N'empêche qu'elle devint, pour plus d'un siècle, une des pièces maîtresses de la course au rendement.

C'est en 1821 que le premier cheval fut introduit dans un puits de mine à Rive-de-Gier (bassin de la Loire), les suivants à Saint-Etienne et Firminy en 1824, à Blanzy en 1829, à Anzin en 1847. Parallèlement, en France, on comptait encore 111 machines à molettes mues par les chevaux en 1853, contre 476 machines à vapeur. La statistique de l'industrie minérale française n'en donna plus trace à partir de 1870.

 
Le rayon d'action des puits ne dépassait pas 300 mètres au début du XIXe siècle, ce qui autorisait le maintien du portage à dos, du traînage et du roulage à bras. Le portage disparut totalement en 1850. L'extension de la mine et l'accélération des travaux réclamèrent d'autres moyens. L'universalité de traction animale souterraine s'imposa et on put, dès lors, aller chercher le charbon à 1 500 et 2 000 mètres du puits et, par conséquent, réduire avantageusement le nombre de ces puits.

Dans la majorité des mines françaises, la cavalerie souterraine enchaîna de nouveaux rythmes sur les voies principales de traînage et de roulage du « fond ». Utilisé pour des parcours de plus de 100 mètres, le cheval développait un effet utile équivalant à celui de 3 ou 4 hommes employés au même travail et le prix de revient de la tonne transportée sur un kilomètre s'en trouva divisé par 3.
 
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le cheval resta le meilleur moyen de transport dans les grandes voies du fond. Mais en 1908, une étude montra que dans un travers-banc de 1200 m, à double voie et à roulage d'un bout à l'autre, l'emploi de locomotives permettait une économie de 50%, amortissement, entretien et personnel compris. L'emploi des chevaux de fond s'affirma, néanmoins, comme un modèle dominant jusqu'aux années 1920, décennie au cours de laquelle les locotracteurs se généralisèrent progressivement et reléguèrent l'animal hors du grand roulage. Les convoyeurs à bande apparurent et se développèrent.

 
Ce n'est qu'en 1969 que le dernier cheval remonta définitivement. En raison de sa souplesse d'utilisation, on utilisa ce dernier dans des conditions difficiles, notamment pour la mise en exploitation de nouveaux quartiers dont on ne pouvait pas préjuger la richesse et qu'il fallut reconnaître et exploiter sans trop dépenser d'argent. La mauvaise galerie creusée pour la circonstance, de pente inégale et équipée d'une voie de fortune, était naturellement le lot du cheval-mineur. 

 
 
Mythe et réalité

 

 Que Germinal, en 1885, décrive une mine se refermant sur les chevaux comme un tombeau n'a rien de choquant. Que l'opinion, aujourd'hui encore, soit presque unanime à penser que ces animaux ne revoyaient jamais le jour et qu'ils mouraient aveugles est beaucoup plus surprenant. Aussi peut-on se demander d'où vient cette croyance qui ne prend pas en compte l'introduction, vers 1920, de cages assez grandes pour accueillir un cheval. Et d'oublier qu'en 1936, les chevaux de mine obtinrent deux semaines de pâture, lorsque les mineurs eurent droit à leurs premiers congés payés. Le malentendu vient de loin.

Faymoreau, une mine du Bas-Poitou, connut deux situations opposées, au cours de la décennie 1920 : certaines bêtes revoyaient régulièrement le jour, d'autres pas. C'est la dimension des cages qui déterminait la remonte ou leur maintien dans l'écurie du fond.

 
D'une manière générale, dès que les cages purent accueillir les animaux, les compagnies minières ordonnèrent la mise à l'herbe systématique de ces « moteurs animés ». Car le transport du charbon était extrêmement dépendant de l'énergie animale jusqu'à l'arrivée de l'air comprimé, des moteurs diesel et de l'électricité. D'où l'importance d'avoir des chevaux bien nourris et en bonne santé, capables d'exprimer tout leur potentiel. Ils faisaient partie du fonds de commerce. Ne croyez donc pas la légende selon laquelle, les chevaux de mine dépérissaient et mouraient fatalement dans les ténèbres.

« La fosse Delloye comptait une trentaine de chevaux. Un tiers de leur effectif remontait le samedi pour redescendre le lundi. Chaque bête revoyait donc le jour une à deux fois par mois, l'objectif étant de les maintenir en bonne forme » confirme Jean Jedrejewski, un ancien électromécanicien des Houillères du Nord-Pas-de-Calais, devenu guide au Centre historique minier de Lewarde.

« Les chevaux faisaient partie du capital de la compagnie. En 1960, les Houillères se plaignaient souvent de la flambée des prix que les acheteurs allemands, avec leur mark fort, provoquaient sur le marché du cheval de trait. La hiérarchie se montrait très attentive au sort des bêtes : il y a des galeries où tout allait bien, puis une heure après, un coup de charge avait déformé les terrains, provoquant des dégâts. L'ingénieur se dépêchait de venir. Il se préoccupait des hommes, certes, mais il avait une sollicitude particulière pour les chevaux ».

En Lorraine, Benno Niedzielski se souvient de Félix « un cheval trapu, à petits pas vifs. Jamais au trot. « La vitesse est l'ennemi du poids lourd » disait un manuel. Le développement du machinisme et l'augmentation du nombre d'ouvriers aboutirent forcément à une accélération du trafic. Un surcroît d'effort fut exigé des chevaux, par une multiplication et surtout un allongement des trains. Le cheval est intelligent. Il savait compter et apprécier l'effort de traction nécessaire au démarrage et sa capacité à réaliser cet effort. Félix devait avoir 5 ans. Il remontait tous les 8 mois et il était heureux grâce à la relation de confiance avec son conducteur-».

Y a-t-il eu des cas de maltraitance ? Sans doute. Le pire est arrivé à la veille de la Première Guerre mondiale et lorsque le krach de 1929 vint ébranler le monde occidental. Les mineurs répercutaient sur les chevaux la pression qu'eux-mêmes subissaient. La Tribune Républicaine de Saint-Etienne s'en fit l'écho. Alerté par la SPA, Raymond Poincaré, Président du Conseil, ordonna une enquête. Et la surexploitation des chevaux cessa. 

 
 
Les éleveurs au charbon
 


Il y a trente-huit ans à peine, on vit sans regrets les chevaux quitter la mine. Aujourd'hui, aucune des races auxquelles la plupart ont appartenu ne manque à l'appel. Le Trait du Nord, l'Ardennais et le Trait Breton étaient les favoris des houillères, bien qu'à la fin du XIXe siècle, on ait recensé pêle-mêle à Anzin, des Brabançons, des Ardennais et des chevaux de petite taille, de race pyrénéenne ou russe.

Pour constituer la cavalerie souterraine les éleveurs mirent tout leur savoir-faire au service de la cause et parvinrent à proposer le cheval dont l'industrie (et l'agriculture) avaient besoin. Ce qui fait dire à l'écrivain rural Marcel Mavré : « La confusion est grande : on entend fréquemment dire que la mécanisation a tué le cheval de trait. C'est une erreur. Le cheval de trait contemporain, fort, solide, vif et docile à la fois, a été créé en fonction de la mécanisation-». Les lourdes charges auxquelles il fut attelé, ne pouvaient pas être tractées par le cheval de la première moitié du XIXe siècle, bien trop léger pour ce genre de besogne. Il fallait donc le forcir sans lui faire perdre son bel influx ».
 
Un cheval de 500 kilos pouvait fournir un effort de 70 kilos. Une berline pleine de 800 kilos, dans les meilleures conditions nécessitait un effort de 3,2 kilos pour être tirée. Dans ce cas, le cheval était capable de tirer 21 berlines, soit un convoi de 16,8 tonnes. En pratique, les rames pouvaient être composées de 5 à 20 berlines. Elles en comportaient généralement 12.

On l'oublie souvent : la première voie ferrée fut posée, il y a un plus d'un siècle et demi, pour des convois tirés par le cheval. Le silence retomba en 2001, sur le dernier grand roulage, celui de La Houve, en Lorraine, avec ses trains de 200 tonnes circulant à 500 mètres sous terre, tractés par des locos de 300 CV, dans des galeries aux allures de métro parisien. L'année de la plus forte production, 3 millions de tonnes furent ainsi acheminées par environ 15 800 convois. Un tel trafic nécessitait une organisation sans faille, avec l'obsession d'éviter le «-manque à vide-». Une expression du temps des chevaux. 



Publié le 14.01.2012 - mis à jour le 16.04.2013

Source : site Internet des Charbonnages de France repris par le BRGM






1 commentaire:

gab a dit…

super bouquin. beaucoup d'émotion et de tendresse derrière ce metier difficile et rude de «méneu d'quévaux»

Gab (la France Agricole)