samedi 14 janvier 2012

L'INTERVIEWER INTERVIEWÉ

Interview sur France 3 Lorraine-Champagne-Ardenne, en 2008

 
Comment l’idée d’écrire « Les chevaux de mine retrouvés » vous est-elle venue ?
Huit personnes sur dix affirment que les chevaux de mine terminaient leur vie au fond et qu’ils mouraient aveugles. Une poétesse prise de compassion pour ces animaux a bénéficié d’une bourse de la vocation. Et très récemment j’ai pu lire dans un livre que «ces chevaux naissent et vivent dans les profondeurs», alors que la plupart des chevaux de fond étaient châtrés et que l’on préférait les hongres aux juments. J’ai senti que le mythe s’est substitué à la réalité.

En effet, on dit généralement que ces chevaux ne remontaient jamais. Vrai ou faux ?
Faux. Mais le discours doit rester nuancé. En 1920, dans une même région, certains chevaux revoyaient régulièrement le jour, d’autres pas. C’est la dimension des cages qui déterminait la remonte ou leur maintien au fond. Dès que les cages ont pu accueillir les animaux, les compagnies minières ont généralement ordonné la mise à l’herbe régulière de ces « moteurs animés ». Car le transport souterrain du charbon était extrêmement  dépendant de l’énergie animale avant l’arrivée de l’air comprimé, des moteurs diesel et de l’électricité. D’où l’importance d’avoir des chevaux bien nourris et en bonne santé, capables d’exprimer tout leur potentiel. Ne croyez donc pas la légende selon laquelle les chevaux de mine dépérissaient et mouraient fatalement dans les ténèbres. En 1936, lorsque les ouvriers ont obtenu leurs premiers congés payés, les chevaux ont bénéficié de deux semaines de pâture supplémentaires.
 
Mais au temps de Zola les chevaux  restaient au fond…
Difficile d’être plus catégorique que Louis Simonin lorsqu’il affirme en 1867, dans «La Vie souterraine», «qu’une fois entrés dans la mine les chevaux n’en sortent plus». C’est l’auteur le plus cité, repris et adapté de la littérature minière. Il était à la fois ingénieur de l’Ecole des mineurs de Saint-Etienne et écrivain aux avant-postes de la révolution industrielle. Il a influencé le roman d’Emile Zola paru dix-huit ans plus tard, en 1885. Que «Germinal» décrive une mine se refermant sur les chevaux comme un tombeau n’a rien de choquant. Que l’opinion, aujourd’hui, soit presque unanime à penser que ces animaux ne revoyaient pas le jour est beaucoup plus surprenant. L’aventure a commencé comme Simonin l’a décrite, mais elle n’a pas continué sur cette lancée.

Comment expliquez-vous que le malentendu persiste ? 
Zola a du génie. Avant d’écrire son roman qui synthétise le discours de la classe ouvrière, les convulsions sociales et politiques, la répression de la grève, la catastrophe finale, l’auteur de «Germinal» a procédé à des repérages. Zola a une méthode d’approche du réel. C’est un artisan acharné du détail, un orfèvre en la matière. Chaque détail est exact et vérifiable. Il garantit au lecteur le respect de la vérité. D’où l’impact de son roman. Il suffirait pourtant de se souvenir qu’il s’agit d’un roman daté de 1885, alors que l’histoire est une marche inéluctable. Puis, le film de Claude Berri, en 1993, qui s’inscrit plutôt dans le cinéma réaliste, est venu consolider l’impression que «Germinal» a si fortement laissée, plus proche des convictions que de la réalité.

Pourquoi publier, en 2007,  « Les chevaux de mine retrouvés » ?
Les Charbonnages de France, créés en 1946, l’année de ma naissance, cesseront d’exister juridiquement le 31 décembre 2007. En faisant le bilan des livres publiés à l’occasion de la fermeture de la dernière mine de charbon française en 2004, je me suis aperçu que les chevaux de mine ont été évoqués de manière anecdotique. Aucun auteur ne s’est éternisé sur le rôle déterminant de la «cavalerie souterraine» que l’industrie a mobilisée à partir de 1821, pour en faire une des pièces maîtresses de la productivité jusqu’à la décennie 1920-1930. Le dernier cheval a été remonté en 1969. Sans un livre dédié entièrement à ces merveilleux compagnons du mineur, la vérité ne risquait pas d’éclater au grand jour.
 
On a donc manqué toutes les occasions de rendre hommage à ce compagnon du mineur...
On peut comprendre que les chevaux de mine n’aient pas été mis en lumière au cours du dernier tiers du XXe siècle. Ce n’est pas une question de paresse intellectuelle. C’est l’époque qui voulait cela. En 1960, la direction générale du génie rural et de l’hydraulique agricole invita à l’abandon des animaux de trait en agriculture, au profit du tracteur. La même année, le ministre de l’Industrie annonça le démarrage du processus de la récession charbonnière. Dans ce contexte, les derniers chevaux prirent la dernière cordée en 1962, 1965 et 1969 sans vraiment faire la «une». L’attention était concentrée sur les questions d’approvisionnement en énergie et sur les investissements nécessaires pour conduire l’exploitation des houillères à son terme. On citait plus volontiers les prouesses technologiques des mines françaises.

Votre livre semble découpé en rubriques à la manière d’un magazine
C’est un livre de journaliste. J’ai choisi d’approfondir, chapitre après chapitre, chacun des thèmes qui me semblaient importants : les races, les conditions de travail, la prévention du surmenage, l’alimentation, les maladies, les catastrophes. Cette approche technique permet d’éviter le piège de la sensiblerie. Je tenais, aussi, à donner leur juste place aux témoins de l’époque des chevaux de mine. Beaucoup de lecteurs se disent bouleversés par ces personnages. Les chevaux ont su se faire une place dans le cœur de ces hommes qui travaillaient durement. Il y a une communauté de sort entre le mineur et le cheval. Tous ceux qui témoignent dans mon ouvrage usent des mots de la fraternité pour décrire leur compagnon à crinière.

N’y a-t-il pas eu de cas de mauvais traitements ?
Le sort des chevaux de mine s’est trouvé considérablement amélioré à partir d’une action engagée à Saint-Étienne. En 1914 et en 1928, des scandales avaient éclaboussé les houillères de la Loire. Le pire est arrivé en période de crises, lorsque les mineurs ont répercuté sur les chevaux la pression qu’ils ont eux-mêmes subie. L’affaire fit grand bruit et à la suite d’une campagne, largement répercutée par la presse, Raymond Poincaré ordonna une enquête. Le cheval ouvrier obtint le bénéfice de la loi sur la durée du travail et une répression efficace des mauvais traitements.

Pour finir, vous avez retrouvé les races des chevaux de mine…
Oui, d’où le titre : «Les chevaux de mine retrouvés». Emportés dans la dynamique industrielle, les éleveurs de l’époque ont travaillé sur les races, pour fournir des chevaux adaptés aux différentes tâches. Aujourd’hui les fruits de ces sélections sont inscrits au registre de la diversité des espèces et à la préservation d’un précieux patrimoine vivant. L’ardennais, le trait du Nord et le trait breton, jadis favoris des compagnies minières, appartiennent à notre époque. D’une manière générale, les chevaux de trait ont la cote, aujourd’hui. Pour preuve les quelque 300 000 spectateurs répartis entre Boulogne-sur-Mer et la Capitale qui suivent la mythique «Route du Poisson», la plus grande course d’attelages de chevaux de trait au monde, l’évocation de l’itinéraire des chasse-marée qui, jusqu’au milieu du XIXe siècle, avalaient 300 km en 24 heures pour porter le poisson frais à Paris. Elle attirera plusieurs centaines de chevaux pour sa neuvième édition, fin septembre 2008. D’autre part, les chevaux de trait réinvestissent la ville, la forêt, le vignoble. En Champagne-Ardenne, selon les données établies par l'Observatoire économique régional du cheval, le chiffre d’affaires généré par la filière équine est de 171 M€ et le secteur représente entre 1 500 et 2 000 emplois. Le pôle d'excellence rural labellisé à Montier-en-Der, en Haute-Marne, vise à assurer l'avenir du cheval ardennais.
On sent bien que le partenariat entre les hommes et les chevaux n’est pas simplement tourné vers le passé. Il est à nouveau dans l’air du temps.

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