L'INTERVIEWER INTERVIEWÉ
Interview sur France 3 Lorraine-Champagne-Ardenne, en 2008
Comment l’idée d’écrire « Les chevaux de mine retrouvés » vous est-elle venue ?
Huit
personnes sur dix affirment que les chevaux de mine terminaient leur
vie au fond et qu’ils mouraient
aveugles. Une poétesse prise de compassion pour ces animaux a
bénéficié d’une bourse de la vocation. Et très récemment j’ai pu lire
dans un livre que «ces chevaux naissent et vivent dans les
profondeurs», alors que la plupart des chevaux de fond étaient
châtrés et que l’on préférait les hongres aux juments. J’ai senti que le
mythe s’est substitué à la réalité.
En effet, on dit généralement que ces chevaux ne remontaient jamais. Vrai ou faux ?
Faux.
Mais le discours doit rester nuancé. En 1920, dans une même région,
certains chevaux revoyaient
régulièrement le jour, d’autres pas. C’est la dimension des cages
qui déterminait la remonte ou leur maintien au fond. Dès que les cages
ont pu accueillir les animaux, les compagnies minières ont
généralement ordonné la mise à l’herbe régulière de ces « moteurs
animés ». Car le transport souterrain du charbon était extrêmement
dépendant de l’énergie animale avant l’arrivée de l’air
comprimé, des moteurs diesel et de l’électricité. D’où l’importance
d’avoir des chevaux bien nourris et en bonne santé, capables d’exprimer
tout leur potentiel. Ne croyez donc pas la légende
selon laquelle les chevaux de mine dépérissaient et mouraient
fatalement dans les ténèbres. En 1936, lorsque les ouvriers ont obtenu
leurs premiers congés payés, les chevaux ont bénéficié de deux
semaines de pâture supplémentaires.
Mais au temps de Zola les chevaux restaient au fond…
Difficile
d’être plus catégorique que Louis Simonin lorsqu’il affirme en 1867,
dans «La Vie souterraine», «qu’une fois entrés dans la mine les chevaux n’en sortent plus».
C’est l’auteur le plus cité, repris et adapté de la littérature minière.
Il était à la fois ingénieur de l’Ecole des mineurs de
Saint-Etienne et écrivain aux avant-postes de la révolution
industrielle. Il a influencé le roman d’Emile Zola paru dix-huit ans
plus tard, en 1885. Que «Germinal» décrive une mine se refermant
sur les chevaux comme un tombeau n’a rien de choquant. Que
l’opinion, aujourd’hui, soit presque unanime à penser que ces animaux ne
revoyaient pas le jour est beaucoup plus surprenant. L’aventure
a commencé comme Simonin l’a décrite, mais elle n’a pas continué sur
cette lancée.
Comment expliquez-vous que le malentendu persiste ?
Zola
a du génie. Avant d’écrire son roman qui synthétise le discours de la
classe ouvrière, les convulsions
sociales et politiques, la répression de la grève, la catastrophe
finale, l’auteur de «Germinal» a procédé à des repérages. Zola a une
méthode d’approche du réel. C’est un artisan acharné du
détail, un orfèvre en la matière. Chaque détail est exact et
vérifiable. Il garantit au lecteur le respect de la vérité. D’où
l’impact de son roman. Il suffirait pourtant de se souvenir qu’il
s’agit d’un roman daté de 1885, alors que l’histoire est une marche
inéluctable. Puis, le film de Claude Berri, en 1993, qui s’inscrit
plutôt dans le cinéma réaliste, est venu consolider
l’impression que «Germinal» a si fortement laissée, plus proche
des convictions que de la réalité.
Pourquoi publier, en 2007, « Les chevaux de mine retrouvés » ?
Les
Charbonnages de France, créés en 1946, l’année de ma naissance,
cesseront d’exister juridiquement le 31
décembre 2007. En faisant le bilan des livres publiés à l’occasion
de la fermeture de la dernière mine de charbon française en 2004, je me
suis aperçu que les chevaux de mine ont été évoqués de
manière anecdotique. Aucun auteur ne s’est éternisé sur le rôle
déterminant de la «cavalerie souterraine» que l’industrie a mobilisée à
partir de 1821, pour en faire une des pièces maîtresses
de la productivité jusqu’à la décennie 1920-1930. Le dernier cheval a
été remonté en 1969. Sans un livre dédié entièrement à ces merveilleux
compagnons du mineur, la vérité ne risquait pas
d’éclater au grand jour.
On a donc manqué toutes les occasions de rendre hommage à ce compagnon du mineur...
On
peut comprendre que les chevaux de mine n’aient pas été mis en lumière
au cours du dernier tiers du XXe siècle. Ce n’est pas une question de paresse intellectuelle. C’est
l’époque qui voulait cela. En 1960, la direction générale du génie rural
et de l’hydraulique agricole invita à l’abandon des
animaux de trait en agriculture, au profit du tracteur. La même
année, le ministre de l’Industrie annonça le démarrage du processus de
la récession charbonnière. Dans ce contexte, les derniers
chevaux prirent la dernière cordée en 1962, 1965 et 1969 sans
vraiment faire la «une». L’attention était concentrée sur les
questions d’approvisionnement en énergie et sur les investissements
nécessaires pour conduire l’exploitation des houillères à son terme.
On citait plus volontiers les prouesses technologiques des mines
françaises.
Votre livre semble découpé en rubriques à la manière d’un magazine
C’est
un livre de journaliste. J’ai choisi d’approfondir, chapitre après
chapitre, chacun des thèmes qui me
semblaient importants : les races, les conditions de travail, la
prévention du surmenage, l’alimentation, les maladies, les catastrophes.
Cette approche technique permet d’éviter le piège de la
sensiblerie. Je tenais, aussi, à donner leur juste place aux témoins
de l’époque des chevaux de mine. Beaucoup de lecteurs se disent
bouleversés par ces personnages. Les chevaux ont su se faire
une place dans le cœur de ces hommes qui travaillaient durement. Il y
a une communauté de sort entre le mineur et le cheval. Tous ceux qui
témoignent dans mon ouvrage usent des mots de la
fraternité pour décrire leur compagnon à crinière.
N’y a-t-il pas eu de cas de mauvais traitements ?
Le
sort des chevaux de mine s’est trouvé considérablement amélioré à
partir d’une action engagée à Saint-Étienne. En 1914 et en 1928, des scandales avaient éclaboussé
les houillères de la Loire. Le pire est arrivé en période de crises,
lorsque les mineurs ont répercuté sur les chevaux la
pression qu’ils ont eux-mêmes subie. L’affaire fit grand bruit et à
la suite d’une campagne, largement répercutée par la presse, Raymond
Poincaré ordonna une enquête. Le cheval ouvrier obtint le
bénéfice de la loi sur la durée du travail et une répression
efficace des mauvais traitements.
Pour finir, vous avez retrouvé les races des chevaux de mine…
Oui,
d’où le titre : «Les chevaux de mine retrouvés». Emportés dans la
dynamique industrielle, les éleveurs de
l’époque ont travaillé sur les races, pour fournir des chevaux
adaptés aux différentes tâches. Aujourd’hui les fruits de ces sélections
sont inscrits au registre de la diversité des espèces et à
la préservation d’un précieux patrimoine vivant. L’ardennais, le
trait du Nord et le trait breton, jadis favoris des compagnies minières,
appartiennent à notre époque. D’une manière générale, les
chevaux de trait ont la cote, aujourd’hui. Pour preuve les quelque
300 000 spectateurs répartis entre Boulogne-sur-Mer et la Capitale qui
suivent la mythique «Route du Poisson», la plus grande
course d’attelages de chevaux de trait au monde, l’évocation de
l’itinéraire des chasse-marée qui, jusqu’au milieu du XIXe
siècle, avalaient 300 km en 24 heures pour porter le poisson
frais à Paris. Elle attirera plusieurs centaines de chevaux pour sa
neuvième édition, fin septembre 2008. D’autre part, les chevaux de trait
réinvestissent la ville, la forêt, le vignoble. En
Champagne-Ardenne, selon les données établies par l'Observatoire
économique régional du cheval, le chiffre d’affaires généré par la
filière équine est de 171 M€ et le secteur représente entre 1
500 et 2 000 emplois. Le pôle d'excellence rural labellisé à
Montier-en-Der, en Haute-Marne, vise à assurer l'avenir du cheval
ardennais.
On sent bien que le partenariat entre les hommes et les chevaux n’est pas simplement tourné vers le passé. Il
est à nouveau dans l’air du temps.
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