lundi 13 août 2012

DU CHARBON AU SOLAIRE


Saint Nicolas, brillez pour nous !


 En ciblant les énergies renouvelables, un opérateur privé a transformé
en parc solaire les friches d'un puits de mine des HBL sur le territoire de la commune frontalière de Sankt-Nikolaus, en Sarre.
Une telle volonté est apparue dans le bassin houiller lorrain,
sans traduction sur le terrain à ce jour


Le puits "Merlebach-Nord" en territoire allemand, au milieu d'un parc solaire de 2,7 MW


Tandis qu’on en est encore au stade des études et des discussions dans le bassin houiller lorrain, la Sarre a franchi le pas : les abords d'un puits de mine qui battait pavillon français en territoire sarrois jusqu'à l’arrêt de l’exploitation du charbon à Merlebach, en 2003, et vacant depuis cette date, ont été requalifiés en parc solaire. Son raccordement au réseau allemand est effectif depuis deux ans. D'autres effets d'annonce témoignent de la volonté de l'Allemagne d'accroître sa production solaire, notamment sur les friches de ses houillères.

La part des énergies renouvelables dans la consommation allemande a atteint 25%, au cours du premier semestre 2012, selon la fédération des entreprises du secteur de l’industrie énergétique (BDEW). Dans le mix énergétique allemand, le photovoltaïque représente 5,3% et connaît une forte progression, de 47% par rapport à l’année précédente, grâce aux mesures de l’État garantissant un prix avantageux d’achat de l’électricité aux producteurs. Si la part du nucléaire est tombée à 18,2 % en 2011, celle des combustibles fossiles reste la plus élevée, à 62,8% selon  l'ENTSOE (European Network of Transmission System Operators for Electricity). L'abandon de l'uranium passe par le charbon.

La Sarre a fermé sa dernière mine de houille le 30 juin 2012 et avant même de tourner cette page, l'exploitant de référence RAG a fait part de son intention d'investir, à travers une filiale dédiée, de 300 à 320 millions d'euros dans l'implantation de centrales photovoltaïques réparties sur 310 hectares. Leur puissance cumulée, à terme, pourrait atteindre 180 mégawatts.

Pour l'immédiat, l’établissement public sarrois en charge des espaces naturels a affermé les friches jouxtant l’ancien puits Merlebach-Nord exploité par la France à Sankt-Nikolaus / Sarre, à un opérateur privé du Bade-Wurtemberg qui a mis en œuvre quelque 25 000 modules solaires photovoltaïques reliés entre eux. Ils représentent une puissance installée de  2,7 mégawatts. Le contrat assure aux collectivités locales des retombées financières pour plus de 20 ans.

Le site transformé en centrale solaire constitue l'environnement d’un ancien puits de service et d’aérage des houillères de Lorraine… débouchant en Allemagne, qui avait été foncé à partir de décembre 1948 pour atteindre une profondeur d’environ 1.070 mètres. Sa situation géographique résulte de l'accord franco-allemand sur les conditions d’exploitation de la poche du Warndt à partir de la France : l’ amodiation du Warndt de 1924, reconduite après le plébiscite de 1935 et le retour de la Sarre à l'Allemagne. Cette disposition a permis aux sièges de Merlebach, Cuvelette et Sainte-Fontaine, de prolonger leurs galeries sous le territoire sarrois.

Désaffecté depuis l’arrêt de Merlebach et conservé au titre du patrimoine classé, le chevalement de Sankt-Nikolaus marque de sa silhouette le nouveau paysage du parc photovoltaïque. Si le puits a été sécurisé selon les règles, les dispositions prises n'ont pas soustrait les bâtiments aux dégradations. Celles imputables aux voleurs de métaux sont stoppées depuis que les pillards ont été mis sous tension par l’entrée en service des nouvelles installations.

Ce n’est pas, loin s’en faut,  le plus grand des parcs photovoltaïques allemands, le tenant du titre étant celui de Finsterwalde, dans le Brandebourg, avec 80,7 mégawatts, en service depuis octobre 2010 sur une friche d’une exploitation à ciel ouvert de lignite.  Celui de Lieberose, inauguré en août 2009 sur un ancien terrain militaire de l'ex-Allemagne de l'Est, au sud de Berlin, a une surface équivalant à 210 terrains de football. Sa puissance installée de 52,8 mégawatts représente la consommation annuelle de quelque 15 000 foyers.

Si les Sarrois paraissent satisfaits de la reconversion de l’ancien secteur minier de Sankt-Nikolaus, ils ne manquent pas de souligner que la Lorraine réalise la plus grande centrale solaire d’Europe sur les 415 hectares de la base aérienne désaffectée de l’OTAN de Toul-Rosière. EDF-Energies Nouvelles loue le terrain à l'État, propriétaire, dans le cadre d'un bail immobilier de 22 ans, pour un loyer annuel estimé à environ 1 million d'euros.

L'installation d'une puissance de 143 mégawatts en Meurthe-et-Moselle, soit l’équivalent de la consommation d’une ville de 62 000 habitants, doit se dérouler en deux temps : en 2012, puis en 2013. L’énergie produite sera revendue à EDF. « Les retombées pour les collectivités locales doivent être d'environ 1,3 million d'euros par an » a déclaré le porte-parole d’EDF-EN.

La localisation en Lorraine de ce projet de 434 millions d’euros a de quoi surprendre. Pourquoi construire une telle centrale dans cette région et non dans le sud de la France, plus ensoleillé ? 

Pour deux raisons, a expliqué le chargé de mission auprès du président d'EDF-Energies Nouvelles. Tout d’abord, « il est rare de trouver des friches d'une telle surface et nous avons immédiatement saisi l'opportunité ». Ensuite, le manque d’ensoleillement est compensé par les nouveaux tarifs définis par le gouvernement. « Le manque d'ensoleillement en Meurthe-et-Moselle ne devrait pas poser de souci important, puisque le département bénéficie d'un bonus de 18% par rapport au département de base ». Le parc lorrain sera financièrement rentable grâce au taux majoré appliqué au tarif de rachat de l'électricité dans les départements peu ensoleillés par rapport à ceux où le soleil est plus généreux.

C’est, au contraire, le nouveau tarif de rachat de l’électricité solaire fixé à la baisse en 2010, par le gouvernement Fillon, qui aurait fait capoter le dossier phare du photovoltaïque dans le bassin houiller lorrain. L’équation financière et le mode opératoire ont fait échec l’ébauche de ferme solaire de Freyming-Merlebach, qu’une régie intercommunale aurait été appelée à gérer. Mis en veilleuse mais pas abandonné, le projet pourrait réapparaître sur d’autres bases. Ainsi, l’ancienne carrière des HBL, sans préjudice pour la beauté du site, verra-t-elle peut-être un jour fleurir les panneaux bleu ciel.

Aurait-il  fallu, comme à Toul, l’énergie à revendre d’une Nadine Morano pour brancher les investisseurs sur les terrils que l’industrie minière a laissés derrière elle en Moselle ?

D’autres friches des HBL, notamment le terril Wendel qui domine le musée de la mine de  Petite-Rosselle, seraient candidates pour entrer dans la boucle du photovoltaïque. Une production qui peut s’appuyer sur un consensus, mais resterait infinitésimale à côté des  5 200 mégawatts de puissance installée de la centrale nucléaire de Cattenom. Celle-ci permet d’économiser 12 millions de tonnes de charbon par an, soit l’équivalent de ce fut la production annuelle des HBL au début de la décennie 1970. La comparaison rend compte de la stratégie française du passage de la houille au nucléaire pour satisfaire ses besoins en électricité.

Du charbon au solaire, les miroirs renvoient pour l’instant, l’exemple de Sankt-Nikolaus, un îlot du réseau européen interconnecté, sous l’œil ironique du saint patron de la Lorraine. Saint Nicolas, brillez pour nous !


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



Données RTE, filiale d’EDF, extraites du rapport sur "le bilan électrique français 2010".


Contractuellement la France exporte moins d’électricité vers l’Allemagne qu’elle n’en importe

Les chiffres de RTE, filiale d’EDF, portant sur les échanges contractuels entre la France et l’Allemagne bousculent les idées reçues. Selon ces données, la France exporte moins d’électricité vers l’Allemagne qu’elle n’en importe. Ce qui donne des arguments aux partisans de la sortie progressive du nucléaire en France, d’autant plus que le ministère allemand de l'Environnement – qui a choisi cette voie dès 2002 – s’est réjoui que le pays ait pu exporter de l'électricité l’hiver dernier, alors que huit de ses dix-sept réacteurs nucléaires sont arrêtés depuis la catastrophe de Fukushima.

Cependant, la situation est plus complexe qu'il n'y paraît : sous l'angle des “échanges contractuels” d'électricité, le solde entre la France et l'Allemagne est bien importateur en 2010 (comme l'indique notre tableau). Mais sous l'angle des “échanges physiques”, le solde est exportateur.

C'est ce que disent les spécialistes, en expliquant qu'«un flux physique entre la France et l’Allemagne correspond aux électrons qui passent sur les lignes dont les extrémités sont dans ces deux pays. Un flux contractuel correspond à un contrat passé entre un acteur situé en Allemagne et un acteur situé en France, l’énergie correspondant à ce contrat ne passant pas forcément par les lignes d’interconnexions entre la France et l’Allemagne».

En raison de la forte interconnexion des réseaux de transport européens à la frontière Est de la France, cette énergie peut, par exemple, être en partie acheminée par la Belgique, la Suisse ou l’Italie en fonction des contraintes techniques du moment. Selon des experts, «la comparaison frontière par frontière des échanges contractuels et physiques ne signifie donc pas grand chose».

Pour aller plus loin, la question est de savoir si l’électricité importée “contractuellement” d’Allemagne est réellement produite en Allemagne… Elle peut très bien venir de la Suisse, qui importe autant d'électricité qu'elle en exporte et produit autant d'électricité qu'elle en consomme.

Il est donc judicieux de regarder de plus près le “ménage à trois” du couple franco-allemand avec la Suisse et de rappeler au passage qu'en Lorraine, «l'Allemagne a participé pour 5% au coût de construction des tranches 1 et 2 de Cattenom [ndla : la réalisation des quatre tranches a coûté 26 milliards de francs], tandis que la Suisse a signé avec EDF deux contrats de fourniture de courant d'un montant de 4,7 milliards de francs» (Le Républicain Lorrain, 23.05.1986, S. Post).

La Confédération helvétique importe de l'électricité de France et d'Allemagne au meilleur coût (aux heures creuses), grâce à son réseau dense de lignes haute-tension. Dans ces moments-là, elle arrête sa production hydraulique de lac et elle “vit” sur l'électricité importée. Puis, lorsque la demande augmente le matin et le soir, elle cesse les importations et rouvre ses centrales d'accumulation pour revendre au prix fort son électricité de lac qu'elle n'a pas utilisée la nuit... un peu aux Français, aux Allemands, aux Autrichiens et surtout aux Italiens.

Ce “poumon électrique”, comme disent les initiés, joue un rôle déterminant au sein du réseau des pays interconnectés. Et dans ce cas, la distinction entre “échanges physiques” et “échanges contractuels” a du sens.

Mais les deux lectures s'opposent... Pour jauger les capacités de production et les choix stratégiques de la France et de l'Allemagne, les uns n'hésiteront pas à brandir les données “physiques”, dans le but, par exemple, de faire valoir l'efficacité du parc nucléaire français. Les autres soutiendront que les chiffres “contractuels” traduisent les volumes d’énergie achetés/vendus entre les deux pays. Et là, d'aucuns disent que l'Allemagne tire son épingle du jeu malgré sa sortie progressive du nucléaire...

Et si les lobbies nous parlaient simplement de balance commerciale ? Car l'argent reste le commun dénominateur, pour les fournisseurs et les clients.

S.P.



Parc photovoltaïque de l'ancien puits du Warndt, près de Karslbrunn (ph. Serge Kottmann)



jeudi 9 août 2012

CHEVAUX DE TRAIT


Ma rencontre avec Elsa


Dans un sabir improvisé, j’essayai de calmer le jeu, au moins le temps
de prendre une photo. Je compris, ce jour-là, que l’homme
pouvait “ parler cheval ”




J’ai envie de vous raconter ma rencontre avec Elsa, il y a sept ans jour pour jour… à Thumeries, une localité qui rime avec Béghin et sucrerie, chez mon ami Joseph. Un homme délicat et à la fois dur au travail qui évita de me dire, lorsque je pris rendez-vous, qu’il venait d'avoir un ennui de santé. Qu'il acceptât de me rencontrer en pareilles circonstances ne fit que renforcer ma gratitude. Lors des préparatifs de mon livre Les chevaux de mine retrouvés , cet éleveur de “ trait du Nord ”, connu jusqu’à la Porte de Versailles, devint assurément un interlocuteur privilégié.

Après un bref échange autour d’une toile cirée et un café, nous voici sur le chemin de terre bordé de buissons blanchis d’aubépines,  pour rejoindre l’enclos des chevaux. Pêle-mêle, nous parlâmes  des mutations de notre société, de la  transmission des exploitations familiales et aussi de la réussite de l’industriel Ferdinand Béghin,  né à Thumeries comme le cinéaste Louis Malle, neveu du précédent.

Impatient, je hâtai le pas, l’appareil photo débarrassé de son étui, sans m’apercevoir que je distançai Joseph. Il n'avait pas encore retrouvé son rythme habituel. Imprudent, me voici seul de l’autre côté de la barrière. Joseph leva les bras : 

      - Attention ! Je ne sais pas comment Elsa va réagir…

Trop tard, les poulains vinrent sur moi, m’auscultèrent de la tête aux pieds et s’attardèrent à brouter le bas de mon jeans. Qui aurait pu m’empêcher de leur caresser l’encolure ! Elsa m’avait vu avant que je ne croise son regard. Elle sembla acquiescer. J’eus tout le mal du monde à prendre la photo. Un vrai carrousel. Dans un sabir improvisé, j’essayai de calmer le jeu, au moins le temps d’appuyer sur le bouton. Je compris, ce jour-là, que l’homme pouvait “parler cheval”. Et pourquoi  la majorité des gens disent aimer le cheval sans même l’avoir approché.

Elsa avait 13 ans, pesait 900 kilos, et mesurait 1 m 63 au garrot. Au-delà des mensurations, ce qui m’intéressait surtout c’est la naissance de ses jumeaux en mai 2005, événement rare dès lors que les poulains arrivent à survivre tous les deux.

Avec Joseph, la discussion porta sur l'apprentissage des jeunes chevaux :
      
    - Pour le débourrage au collier, je ne les entreprends jamais avant 18 mois et je les dresse à la voix quand ils sont mûrs, à 4 ans.

Le  dressage commence par un exercice simple.
     
    -  La première séance se passe plus ou moins bien. Une fois le collier placé, le poulain doit avancer à côté d'un cheval expérimenté, le cheval de main.

On lui fait tirer un traîneau ou une traverse de chemin de fer. Le poulain entend le tohu-bohu et perçoit la résistance de la charge… Il s’agite. Mais le jeune cheval est lié au palonnier de son aîné et ne rencontre, de sa part, qu’indifférence et constance, tandis que son maître tient sans équivoque un cordeau de rappel. Aucune confusion ne vient s’immiscer dans le scénario . Les choses se calment d’elles mêmes. 
L'attitude du conducteur est déterminante. A lui d'instaurer une relation hiérarchique. Le cheval est né avec une compréhension instinctive de ce principe : le charretier doit être le numéro un, il doit être le numéro deux.

     - Le cheval doit craindre son conducteur, pas en avoir peur. Dresser n’est pas "casser". Une domination douce ainsi qu'une façon cohérente de le manier lui commanderont de respecter son conducteur. En contrepartie, le cheval doit sentir qu'il est en sécurité avec lui. Le poulain entend  tous les ordres, poursuivit Joseph.

Au bout de quelques mois il sait parfaitement ce que l'on attend de lui. A deux ans, le temps est venu de le faire travailler seul, avec un cordeau de rappel. Autrefois, tous les chevaux travaillaient tous les jours. C'était un avantage, car un cheval c'est comme un sportif, il lui faut de l'entraînement : de la musculature et du souffle, de l'épaule pour tirer.

Le trait du Nord a été choisi pour la mine en raison de son caractère et de sa taille : carré, puissant, très rassemblé, bien membré, le rein court, la tête basse et l’épaule droite du tractionneur.

    - C'est la force tranquille. Sa qualité première est d'être docile, d'une bravoure exceptionnelle et d'une incroyable intelligence. Il ne se distrait pas. Bref, c'est un cheval "bien dans sa tête". Vous lui faites voir les choses une fois, c'est enregistré.
Il sait.

Elsa, la mère courage des jumeaux, l’année même de leur naissance, avait fait forte impression lors d’une compétition d'attelage. Bien qu’elle ne fût pas conduite par son éleveur, mais par un meneur de concours, elle avait triomphé aux épreuves de maniabilité. En digne représentante de la race des chevaux de mine.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur