vendredi 28 mars 2014

ÉCHAUFFEMENTS DE SCHISTIERS

Plusieurs dizaines de terrils 
continuent de brûler en France


La moitié seulement des 800 terrils houillers recensés en France se seraient totalement consumés, selon le géologue minier Yves Paquette. Les plus anciens peuvent contenir suffisamment de houille pour continuer parfois de brûler en profondeur pendant plusieurs décennies. Après un précédent article sur le confinement, voici la suite : les autres moyens de lutter contre les ravages méconnus des feux souterrains.




Ronchamp (Haute-Saône), en 1993 : 
réalisation d'une tranchée coupe-feu pour éviter
la propagation de la combustion à l'ensemble d'un terril à plat 

Cliquer sur les images pour les agrandir. Reproduction interdite




Chaleur, oxygène, combustible… Les trois mots-clés du « triangle du feu » chers aux spécialistes de la lutte contre les incendies. Appliqués à la lutte contre les échauffements de terrils, il s’agit d’évacuer la chaleur emmagasinée dans le dépôt par refroidissement, de contenir voire stopper la combustion en limitant les entrées d’air ou de supprimer le combustible en procédant au défournement des matériaux. Le même principe se décline en plusieurs scénarios retenus selon l’expertise réalisée sur place.
 

Dans le cas du schistier de Simon, à Schœneck, le confinement a été satisfaisant. Le sarcophage a supprimé les émanations de gaz toxiques et les températures ont chuté progressivement. Sur d’autres sites, au lieu d’étouffer, il a fallu défourner, autrement dit évacuer et refroidir par exposition à l’air et à l’eau les produits chauds voire incandescents. Ailleurs on se contente de laisser le site se consumer en contrôlant les accès (risques de brûlures voire d’asphyxie), et en constituant des coupe-feux contre le risque d’incendie du couvert végétal et des massifs forestiers environnants. On peut également contenir la progression de la combustion en réalisant des tranchées coupe-feu.




Au cœur d'une agglomération



Un feu souterrain au centre d’une agglomération ? Difficile à croire… Pourtant, à Decazeville en 1997, les secours ont convergé vers une zone industrielle bâtie sur une plate-forme de remblais houillers et sidérurgiques riches en résidus de charbon ou de coke, grignotée par un feu intérieur. « Ce qui doit faire réfléchir ceux qui seraient tentés de construire des usines ou des lotissements sur les terrils houillers plats » lance le géologue minier Yves Paquette, de l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS créé en 1990, à partir des équipes du CERCHAR, ancien Centre d’études et de recherche des Charbonnages de France).
 
Chaleur, fumées, affaissements. « Une reconnaissance par sondages et prélèvements pour analyses de la susceptibilité des produits à la combustion, dit-il, a révélé les risques sérieux d’extension de l’échauffement à l’ensemble de la plate-forme industrielle récemment réindustrialisée, avec d’importantes conséquences économiques, outre les risques  d’explosion et d’incendie liés à la proximité d’une conduite de gaz ».

Trois mois de terrassement lents et méthodiques dans des matériaux incandescents, d’injections spéciales et de soutènement ont été nécessaires pour traiter et mettre en sécurité le site.







Défournement à Decazeville (Aveyron).



Défournement et bombardiers d'eau

 
Au Nord d’Alès (Gard), l’incendie de la forêt domaniale a provoqué l’entrée en combustion de deux anciens terrils houillers aux portes de la ville en juillet 2004 : le terril de Rochebelle (600.000 mètres cubes) et le mont Ricateau (1,7 million de mètres cubes).
 

Pour éviter l’embrasement généralisé du terril de Rochebelle, très proche de la zone urbaine et qui aurait engendré de sérieuses conséquences environnementales et de sécurité publique, le défournement par terrassement des matériaux en combustion a été réalisé. Il a nécessité de déplacer 220.000 mètres cubes de remblais, dont 60 000 mètres cubes particulièrement chauds, avec des foyers atteignant 500 à 900° C, et de démanteler deux pylônes EDF menacés.
 

« Presque quarante ans après la fermeture de sa dernière mine, Alès pensait ne plus jamais avoir à se pencher sur son passé charbonneux. Il n'en est rien » écrit Pierre Daum, l’envoyé spécial de Libération.

« Depuis plusieurs semaines, la ville est en émoi après l'apparition d'un phénomène particulièrement spectaculaire : l'entrée en combustion de deux terrils - l'un immense, l'autre plus allongé - situés en bordure de l'agglomération et devenus, au fil des décennies, partie intégrante du paysage de la commune gardoise. Un paysage certes un peu triste pour le visiteur de passage, mais chargé d'émotion pour chacun des 100-000 habitants, dont tous, ou presque, sont reliés à la mine par au moins un parent. 


« Tout a commencé par un simple feu de forêt, le 26 juillet, enflammant plusieurs sapins qui avaient poussé sur les terrils, raconte Max Roustan, le député-maire UMP d'Alès. Le feu a vite été maîtrisé, et nous ne nous sommes pas inquiétés outre mesure. Trois semaines plus tard, le directeur du centre équestre de Rochebelle (situé au pied du crassier allongé, ndlr) m'appelle pour m'expliquer que les pins du terril en face du centre tombent comme des mouches ».

Que se passait-il ? « Un phénomène impressionnant mais en vérité très classique», répond Yves Paquette, un des rares spécialistes français de la combustion des anciens terrils houillers. Comme tous les crassiers un peu vieux, le terril de Rochebelle est encore riche en charbon. « Lors de son édification, fin XIXe début XXe, on triait le minerai à la main, sans soucis de rendement maximal. Ajoutez à cela une texture granuleuse des dépôts qui laisse passer de l'air, vous obtenez une véritable chaudière. Les racines enflammées des sapins ont joué le rôle de l'allumette, et c'était parti pour une spectaculaire combustion ! »


Cinq foyers se sont ainsi allumés, se propageant en direction du cœur de la colline, là où la densité en résidus charbonneux est la plus forte. En quelques jours, des chaleurs allant jusqu'à 900 degrés ont été atteintes, les températures les plus chaudes se trouvant à dix, vingt ou trente mètres en profondeur. Sans que, dans les premières semaines, un œil non averti puisse se rendre compte d'une anomalie. Fait assez rare cependant : le second terril, dit « de Ricateau » (du nom du premier directeur des houillères des Cévennes nationalisées), constitué entre 1945 et 1965 - à l'époque de la mécanisation du tri, et donc constitué de déchets moins riches en charbon et beaucoup plus fins - a lui aussi commencé à se consumer.


« Au bout de trois semaines, écrit Pierre Daum dans Libé, lorsque l'alerte fut enfin donnée, un vent de panique souffla sur la ville. Quels dangers pour la population représentent les émanations de gaz (principalement du monoxyde de carbone, rapidement toxique voir mortel pour l'homme) issues de ces deux fourneaux géants ? Le 17 août, les autorités font finalement appel à Yves Paquette, qui interrompt ses vacances pour venir sur place. Son verdict est sans appel : oui, le terril de Rochebelle, proche des habitations, constitue un double danger pour les Alésiens ».


À la moindre pluie d’orage, l'eau entrant massivement en contact avec du carbone brûlant peut provoquer une réaction de gazéification convertissant un mélange de monoxyde de carbone CO et de vapeur d'eau H2O en un mélange de dioxyde de carbone CO2 et d'hydrogène H2  qui peut entraîner des explosions avec projections de matériaux (on parle de “gaz à l’eau” ; les explosions de ces poches de gaz étaient qualifiées de “pets de terrils” par les mineurs). Et dès que viendront les premiers froids, une “inversion thermique” peut se produire, qui force le monoxyde de carbone à stagner au-dessus de la ville.

« Le préfet accepte alors la proposition de Paquette de “défourner” Rochebelle » ajoute Pierre Daum. « Jusqu'à fin décembre, cinq énormes Caterpillar vont découper par tranches horizontales le terril, en commençant par le haut, jusqu'à atteindre les foyers de combustion. Un travail de déplacement de montagnes impressionnant pour les habitants, qui doit être conduit avec une grande maîtrise pour assurer la sécurité des opérateurs et limiter les inévitables panaches de poussières chaudes dans l'air. Les autorités sanitaires ont alors ordonné le transfert d'une clinique avoisinante, ce qui a rajouté aux inquiétudes de la population… »

 
Yves Paquette explique que le chantier a été remodelé de manière à assurer la stabilité des pentes, la gestion des eaux de surface, la protection des sols de l’érosion ainsi que l’insertion paysagère. Une surveillance en continu de la qualité de l’air a été mise en place sur le site durant les travaux. L’embrasement du second site (Mont Ricateau) n’a, quant à lui, pu être stoppé malgré une ultime tentative d’extinction par arrosage massif à l’aide de bombardiers d’eau. Le défournement du site ayant été jugé trop coûteux au vu des enjeux, il a été décidé, après avoir mis en place les mesures de sécurité nécessaires (clôture et déboisement partiel du site, réalisation d’une ceinture coupe-feu périphérique) de le laisser se consumer sous la surveillance de l’Office national des forêts, gestionnaire du site.





 Le site de Rochebelle et sa forêt domaniale aux portes d'Alès (Gard).

© Photo aérienne Orengo





Défournement du terril de Rochebelle par l'entreprise régionale Jouvert TP.



Ultime tentative d'extinction des foyers du terril du Ricateau
par les bombardiers d'eau, en 2004.




Terril du Ricateau en janvier 2010, lors d'une inversion thermique matinale. 




Le drame de Calonne


Une tragédie s’est abattue sur Calonne-Ricouart, dans le Nord, le 26 août 1975, avec l’écroulement d’un pan de terril en combustion en cours d’exploitation. Il ne subsiste aujourd’hui de ce terril que l'assise, sur 11,34 hectares. À l’origine, le "6 d’Auchel" était conique et culminait à 92 mètres.

L’épandage dynamique des produits chauds a causé la mort de six personnes et détruit 42 maisons. Un lecteur de La Voix du Nord déclare à l’époque : « Depuis peu, pour alimenter les chantiers des travaux publics, le terril a été mis en exploitation. Camions et bulldozers attaquent le terril par la base et creusent une énorme excavation. Après quelques jours de pluie, le beau temps est revenu et, le 25 août, le travail reprend.


Pourtant, au cours de la nuit, le quartier va connaître l'enfer. Il est une heure du matin, lorsque l'on entend un chuintement, puis un sifflement. Les maisons se mettent à trembler. Des cailloux de plusieurs tonnes sont projetés à quelque 200 mètres. Le bulldozer a fait un bond de 250 mètres et se retrouve dans un jardin de la rue de Liévin. Une voiture a été soulevée et est retombée sur le toit, 20 mètres plus loin.


Les jardins, les fleurs, les arbres, tout est noir. La rue du Mont Saint-Éloi a disparu sous une couche de poussière de 30 à 50 centimètres, qui brûle les pieds à travers les semelles des chaussures et des bottes. L'air est suffocant… » 

 
Interrogé sur les causes de la rupture du terril de Calonne, Yves Paquette répond : «Le témoignage du lecteur cité est des plus clairs : l’exploitation du pied de terril l’a tout bonnement déstabilisé… En fait, on a sous-cavé le pied de terril et provoqué le glissement de la masse instable de la portion de terril rouge sur la discontinuité entre les matériaux rouges agglomérés en ceinture du dépôt  (zone ventilée) et les matériaux schisteux imbrûlés à cœur et demeurés sans trop de cohésion».
La thèse de l'explosion a été évoquée lors du procès mais pas retenue précisément. Ne revenant pas sur la chose jugée, le géologue se félicite de la promulgation, en 1976, de la loi sur les études d’impact : «Elle a été la bienvenue en réaction aux dérives industrielles de l’époque».




Vue du terril en exploitation avant rupture, sous-cavage du pied de terril.
 



Vue du terril après rupture.
 


Le terril "6 d'Auchel" après l'écroulement
et l'épandage dynamique du flanc de terril exploité en combustion.
  
© Les trois documents ci-dessus proviennent des
 Archives Charbonnages de France

  
En 1962, une petite explosion imputable, cette fois, à une poche de gaz mixtes, a été signalée par l’arrondissement minéralogique de Douai, sur un terril plat en échauffement, arrêté depuis de nombreuses années et couvert d’une épaisse végétation. Par place, des fumées apparaissaient. «-Deux chasseurs parcouraient le terril. En descendant le talus, recouvert d’herbe à cet endroit, l’un d’eux fut projeté par une explosion. Grièvement brûlé, il devait décéder.

À l’endroit de l’explosion, un entonnoir de 4 m de diamètre et profond de 0,80 m s’était formé. L’entonnoir ne fumait pas mais on remarquait la présence au fond de fines brûlées. Des cendres grises avaient été projetées jusqu’à une vingtaine de mètres du terril ». 

Le rapport  de l’ingénieur en chef des mines ajoute : « On a supposé qu’une croûte s’était formée en surface. Sous cette croûte, le tassement aidant, de l’air a pu circuler, amenant l’incandescence des produits avec création d’une cavité remplie de gaz pauvres. La victime en sautant a dû percer la croûte, provoquer une venue d’air frais et amener la déflagration ».

 
En France, mais aussi en Belgique, en Hongrie ou aux Etats-Unis, plusieurs cas d'accidents mortels - dus aux émanations de gaz, aux éboulements de flancs de talus chauds en exploitation, ou parfois à des explosions entraînant des projections de particules brûlantes sur des rayons de plusieurs centaines de mètres - ont été recensés depuis les années 60.


Ces ravages méconnus du feu intérieur des terrils ne saurait faire oublier que les quelque 800 terrils houillers recensés en France, dans leur grande majorité ne posent pas de problèmes majeurs. La moitié environ se seraient déjà consumés. Les plus sages restent en l’état, deviennent des zone-refuges naturelles pour la faune et la flore ou accueillent des activités sportives et de loisirs, abritent des vignobles ou connaissent une seconde vie industrielle avec l’exploitation de leurs “schistes rouges”. Quelques dizaines  continuent de brûler “sous contrôle”, souvent sur plusieurs dizaines d'années. Tant pis pour l’effet de serre. La perspective de les supprimer n'a même pas été discutée. L’opération serait trop coûteuse, mais surtout cette idée heurterait la sensibilité des habitants, attachés à cet élément de leur paysage. Les terrils font partie du patrimoine. Ceux du Nord-Pas-de-Calais sont désormais classés par l’UNESCO.



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur
avec Yves Paquette  géologue minier



Publié le 16 octobre 2012
Mis à jour le 30 janvier 2013





La Taupe ( Haute-Loire)

Sous les chaussures de ville... le chaudron du diable ! 




Freyming-Merlebach ( Moselle)

Cette photo aérienne présente un “terril moderne”, celui de Sainte-Fontaine.
Il ne brûlera pas, car les schistes de lavoirs noirs qui le constituent sont incombustibles vu leur texture.
Au contraire, le cœur d’un “terril ancien”, plus au Nord, était lui combustible.
Consumé, il fait l’objet d’une exploitation par Solodet Eurovia de ses schistes couleur terre cuite.

© Photo aérienne Charbonnages de France




Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais)

Comme celui de Sainte- Fontaine, le terril de Loos-en-Gohelle
est complexe avec des dépôts anciens, en pied ou à côté, qui ont brûlé et ont été exploités,
et des parties modernes de schistes de lavoir demeurées noires et imbrûlées.
Le terril de Loos-en-Gohelle est classé au Patrimoine mondial par l’UNESCO.

© Photo Sylvain Beucler, par Wikimedia Commons
  
 


Saint-Etienne (Loire)

Deux terrils signent le paysage stéphanois, 
un patrimoine unique, porteur d'identité pour le
doyen des bassins miniers français.

© Photo Patrice Barrier




L’ancien siège Couriot nouvellement classé à l’inventaire
des monuments historiques  et ses deux « mamelles ».
 



Cartographie des températures de surface en 2002, des terrils de Saint-Etienne
en combustion depuis leur création vers 1940.

Document du Laboratoire national d’essais, LNE 










 

mercredi 19 mars 2014



POLITIQUE-FICTION

Bassin houiller : naissance d'une ville nouvelle

C’est l’heure de vous parler des élections municipales de 2032. Précédées d’un redécoupage, elles vont permettre aux électeurs du 57800 de désigner pour six ans le conseil municipal unique de cette entité nouvelle de près de 20 000 habitants.




Freyming-Merlebach en 1965
 © Gilbert Friderich - droits réservés



Un regroupement de communes autour du même code postal en vigueur depuis soixante ans. Ce que l’administration des PTT, prédécesseur de La Poste avait fait en réduisant les 36 000 communes françaises à 6 300 numéros, le bassin houiller lorrain vient de le vivre, en ce début d’année 2032, autour de l’ancienne métropole du charbon, ville-siège des HBL. Une commune au lieu de cinq, à la suite d'un redécoupage administratif volontaire.

Les élections municipales de 2032 ont été précédées d’un référendum. Pour les habitants de Merosfreybebeco, il avait porté sur une question fermée : «-Etes-vous POUR ou CONTRE le regroupement des communes ayant le même code postal 57800 ?-». Une majorité de «-POUR-» est sortie des urnes électroniques. Les électeurs de Freyming-Merlebach, Rosbruck, Béning-lès-Saint-Avold, Betting et Cocheren auront ainsi à désigner, lors des scrutins des 7 et 14 mars, un conseil municipal unique composé de 33 membres (contre 101 auparavant), 9 adjoints au maire au maximum, qui siègera dans l’ancienne métropole du charbon en son nouvel hôtel de ville inauguré il y a vingt ans.

D’âpres discussions ont encore eu lieu à propos du droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers de pays membres de l'Union européenne aux élections européennes et municipales, un débat qui n’est toujours pas tranché, relancé régulièrement depuis Maastricht (1992). Pour l’essentiel, le code électoral dans le cadre des principes fixés par la Constitution, n’a pas subi de modifications notoires. Le matériel électoral est parvenu aux électeurs par La Poste, encourageant le vote par Internet.


On est parvenu à sécuriser l’expression des suffrages “à bulletin secret” à partir d’un ordinateur ou d’une tablette. Quant à l’éventuel problème de la sincérité du vote, le contrôle est transféré du citoyen à l'État, qui met en place la procédure ad hoc. Dans ce but, une loi a rendu obligatoire la transparence du code source des procédures utilisées pour le vote électronique et les machines à voter. Les centralisations successives des résultats permettent à des personnes physiques de s'assurer que les résultats pris en compte au stade final sont bien ceux qui résultent des dépouillements successifs et de garantir l'électeur contre la fraude électorale.

Déjà, le référendum qui a précédé les élections municipales des 7 et 14 mars 2032, a permis de tester le dispositif en grandeur réelle. On a, toutefois, été incapable de mesurer l’engouement populaire autrement que par le nombre de clics et les réactions sur les réseaux prétendument “sociaux”, chacun étant resté chez soi devant un écran froid. Un service d’aide à la personne a fait ses preuves au domicile des électeurs ou en maisons de retraite.

Néanmoins, l’usage du clavier a remis en question la cartographie des dix intercommunalités du bassin houiller lorrain. Qui se souvient que celles-ci avaient été créées à l’instigation des Houillères du Bassin de Lorraine, aux ordres de l’Etat et tout particulièrement de Bercy ? Ces communautés de communes et communautés d’agglomération, qui s'appelaient à l'origine “districts” et “Sivom”, avaient déplacé le centre de gravité du pouvoir local vers les chefs-lieux et amené les communes à mutualiser des moyens devant la diminution puis la disparition de la redevance minière.

À force de ménager toutes les susceptibilités, les pouvoirs publics avaient fini par admettre – ce qui arrangeait beaucoup de monde
qu’il pût y avoir dix intercommunalités en Moselle charbonnière, situation complexe qui amena des tensions, chacun ayant tendance à voir midi à sa porte. «-Le morcellement du territoire a souvent fait échec à l’union. La région se fait la guerre à elle-même, au lieu de rassembler autour d’une dynamique mobilisatrice de transformation-». C’est une vérité que la classe politique de l’immédiat après-mines n’aimait  pas entendre. De cette situation, certains (pas tous) ont tiré une leçon : les mêmes causes provoquant les mêmes effets, la disparition de l’Etat-providence devait conduire à de nouveaux rapprochements de communes entre 2014 et 2030.

Avant les législatives de 2012, les élus des intercommunalités (pas tous) s’étaient braqués contre une telle perspective. Et ce sont leurs DGS (directeurs généraux des services) qui furent les premiers à prendre en compte les consignes données à mi-voix par le conseil général de la Moselle. Le maître-mot : synergie... face à l'inéluctable dimunition des dotations budgétaires. La communauté d’agglomération de Forbach, la communauté de communes de Freyming-Merlebach et deux autres “com’com” décidèrent ainsi de jouer le rapprochement.


Un sursaut



Le manque d’argent rend inventif. Dans le même temps, une redistribution territoriale partielle s’est dessinée dans les esprits et les faits, visant à construire un autre modèle au cœur du bassin houiller et à provoquer un sursaut. Arrêter de faire, comme le dit Jean-François Kahn «-la même cuisine, mijotée avec les mêmes ingrédients, sur les mêmes fourneaux, dans les mêmes casseroles, aux mains des mêmes cuistots, répétiteurs fatigués des mêmes recettes…-» [Comment s’en sortir, Plon, 2013].

D’autres changements suivront. Ici et ailleurs. Le changement est affaire de comportements, de modes de vie et de mentalités. À ne pas confondre avec les réformes, les changements, selon Jacques Attali, «-ne font pas l’objet d’une décision institutionnelle, mais de celles, informelles, des individus et des groupes-». L’électorat, insatisfait de l’UMP et du PS, hésitant devant le discours du Modem, méfiant face aux extrêmes, a fini par se lasser du vagabondage d’un parti politique à l’autre, avec une abstention grandissante et néfaste. Le désenchantement et surtout le conflit de générations qui s’est aggravé dix ans après la fermeture des mines, expliquent que les électeurs aient été amenés à déposer la classe dirigeante des années du déclin charbonnier.


Se souvient-on de ces listes de candidats propulsées sur les réseaux sociaux sur le thème : «-Pour une région qui innove, invente, imagine, crée, entreprend-». Certaines sont restées virtuelles. Mais d’autres ont quitté les limbes de l’Internet pour déboucher sur un rassemblement cohérent de toutes les forces qu’une dynamique de revitalisation du bassin houiller lorrain peut fédérer.

Ça ne pouvait plus durer. Happée par le fond,  l’économie n’a pas décollé en quinze ans, faute d’une radicale remise en question. L’impression que de nombreuses zones industrielles ont été construites sur du sable persiste. Si l’on ne peut pas imputer aux politiques la marche des entreprises, il est cependant permis de penser que la région a manqué d’un VRP capable d’aller démarcher des entrepreneurs de la trempe d’un patron de Free, pour les convaincre avec constance et pugnacité d’investir dans la Carbon Valley...

Le fossé des générations s’est creusé entre les jeunes chômeurs et les derniers mineurs légitimement protégés par le Pacte charbonnier qui leur a fourni un revenu de remplacement. Ce qui s’est joué au lendemain de la fermeture des HBL est déboussolant. Les chiffres sont écrasants. Un jeune sur quatre ne trouvait plus de travail et un chômeur sur deux présentait un problème de formation. On ne parle pas que des décrocheurs, mais aussi des bosseurs cherchant à bosser. Beaucoup de familles se sont répété la même phrase : «-Le nôtre (la nôtre) a fait des études. On lui a conseillé de partir à l’autre bout de la France, en Allemagne ou au Luxembourg et de s’expatrier plus loin, si ça ne marche pas-». L’Insee a établi en 2010, que la baisse démographique est due autant au solde migratoire qu’au solde naturel.

Les meilleurs talents s’en vont, la population vieillit. «-En 2040, près d’un Lorrain sur trois aurait plus de 60 ans, contre un sur cinq en 2007. Le passage aux âges avancés des personnes nées entre 1945 et 1965 ne serait pas la cause unique de ce changement de répartition, la baisse des naissances et le départ des jeunes y contribuant également (baisse de 13% des 20-59 ans). La proportion des plus de 80 ans doublerait pour atteindre 10% de la population en 2040-» écrit Pierre-Yves Berrard de l’Insee. L’institut reçoit de nombreuses demandes de la part d’acteurs publics pour évaluer les populations futures, tant au niveau local (conseils généraux et régionaux, agences d’urbanisme…) que national (Conseil d’orientation des retraites…), soucieux de réactualiser les projections de population. L’enjeu est important.

On aurait voulu que l’Insee se trompât en annonçant dès 2010 que l’arrondissement de Forbach allait perdre 17 000 habitants supplémentaires, avec, chaque année jusqu’à 2040, une perte de 0,23% de sa population de 264 000 habitants de 2007. Dans le cas d’une entreprise en difficultés, des départs massifs peuvent la sauver du naufrage. Mais quand ces départs concernent la population active d’une région, c’est tout le contraire. Le passage sous le seuil de pauvreté d’un quart des habitants (comme c’est le cas), accroît le nombre de foyers non imposables, ce qui n’est pas sans effets sur la fiscalité et sur les politiques à conduire.

C’est d’une cure de travail dont le bassin houiller a besoin, non d’une saignée thérapeutique. La génération de 2030 l’a bien compris. Au moins aussi bien que les précédentes, sinon mieux. Elle ne s’en sortira que par l’invention, l’innovation, l’imagination, la créativité… Comme pour faire écho à cette exigence, Jacques Attali avertit en 2013, que «-si nous nous entêtons à ne rien vouloir réformer d’essentiel, si la classe politique [française] persiste à ne pas s’intéresser aux vrais problèmes pour ne penser qu’à sa réélection, si les médias se complaisent à passer d’un scandale à l’autre sans alerter dirigeants et citoyens sur les enjeux essentiels, si le pays continue à s’arc-bouter sur ses rentes, plaçant ses ultimes espoirs dans un hypothétique retour de la croissance mondiale, il restera définitivement enlisé-» [Urgences françaises, Fayard, 2013]. Certes, le bassin houiller n’est pas la France et il ne faut pas charger la mule. Mais tout de même, on peut y réfléchir.

Au fait, la génération 2030 parle-t-elle toujours du «-bassin houiller-» ou cette dénomination  a-t-elle mordu la poussière comme l’auraient voulu les tenants d’une vision plus bucolique qui prônaient l’appellation «-Pays du Warndt-» ? Chacun continue d’avoir conscience qu’il reste 630 millions de tonnes de houille dans le sous-sol lorrain, une raison suffisante pour ne pas s’obstiner à un lavage sémantique cherchant à en effacer vainement la trace.

C’est l’heure de parler des élections municipales des 7 et 14 mars 2032, disions-nous. Rosbruck  et Cocheren quittent avec armes et bagages la communauté d’agglomération de Forbach et perdent leur mairie. Idem pour Béning et Betting. L’histoire ne dit pas ce qu’il en sera des noms de rue après la fusion. On sait, pour l’instant, que chaque ancienne commune gardera provisoirement les siens, avec nécessité de préciser pour le courrier le quartier destinataire de Merosfreybebeco…

Le meilleur est pour la fin : cette fiction de la ville nouvelle est parue vers 1950 dans l’organe officiel des Charbonnages Mineurs de France : «-Nous basons nos prévisions, écrivait le nostradamique chroniqueur des Houillères, sur le fait qu’il faut bien cinquante ans encore pour que toutes les villes et tous les villages de notre agglomération acceptent de ne former qu’une seule grande ville, une capitale de l’Est charbonnier, qui s’appellerait d’un nom bien évocateur : « MEROSSFREYBEBECO » en souvenir de Merlebach, Rossbruck [sic], Freyming, Betting, Béning, Cocheren (…)-». Totalement burlesque ! Mais il est tellement rare que quelqu’un montre un si bel enthousiasme pour l’avenir …



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur




En 2010 :
Freyming-Merlebach comptait 13.229 habitants,
Cocheren : 3.496

Béning-lès-Saint-Avold : 1.238
Betting : 881
Rosbruck : 764
soit 19.608 habitants pour les cinq communes réunies



Freyming-Merlebach. Façade arrière du nouvel hôtel de ville. 


Cliquez sur l'image pour l'agrandir

Freyming et Merlebach ont fusionné en 1971. 
L'agglomération vue depuis Hombourg-Haut.
Au premier plan : l'autoroute
Metz-Strasbourg/Metz-Sarrebruck.



Publié le 9 août 2013




RÉACTIONS


Robert Mourer, ancien secrétaire général du syndicat des mineurs CFTC 
« Dépasser les clivages pour redynamiser

la solidarité active de la région houillère »


Réagissant à l’article, Robert Mourer, ancien secrétaire général du syndicat des mineurs CFTC, écrit : « Cher Sylvain. Ta prospective ne me semble pas être tellement une «-fiction-», mais bel et bien un encouragement à réfléchir sur une situation dont l’après-mine à fracturé d’une manière préoccupante les soubassements : population déboussolée en perte de repères d’avenir, accélération du chômage, fuite des ouvriers et personnels qualifiés, vieillissement de la population avec comme conséquence un déséquilibre générationnel alarmant, etc.

Tes réflexions pertinentes, se projetant sur une période de 20 ans, sont loin d’être une «-politique fiction-», mais la démonstration des préoccupations du journaliste consciencieux et responsable qui, comme toi, a si intensément et durant de longues années partagé la vie et les espoirs de la population minière du pays noir.

La fiction, aussi gratuite qu'elle puisse paraître, est souvent rattrapée par le réel, car c'est dans la réalité historique qu'elle puise ses filons. J'aurais tendance à dire que la fiction crée une ouverture d'esprit, une remise en question de notre réalité considérée comme acquise. Ainsi, elle permet de voir ce qui est fonctionnel ou pas dans la réalité. Enfin, l'on peut aussi dénier le réel en le considérant comme une fiction, notamment lorsqu'il est devenu insupportable à vivre, ce que la situation sociale et économique du bassin houiller lorrain tend à démontrer en mettant en exergue les réalités humaines ; l’accroissement du seuil de pauvreté des familles ouvrières devient très préoccupant.

N’assiste-t-on pas à un singulier ébranlement de la conscience collective minière qui, depuis la disparition de la mines, est plus que fissurée ? La mémoire collective sur le labeur-solidaire des mineurs, si elle perd ses racines, peut avoir des conséquences fâcheuses sur le devenir socio-économique des générations futures. On ne peut que souscrire à ton commentaire si pertinent : «-L’économie n’a pas décollé en quinze ans, faute d’une radicale remise en question. L’impression que de nombreuses zones industrielles ont été construites sur du sable persiste. Si l’on ne peut pas imputer aux politiques la marche des entreprises, il est cependant permis de penser que la région a manqué d’un VRP capable d’aller démarcher des entrepreneurs-».

Le bassin houiller, s’il veut pouvoir panser ses plaies, ne peut se contenter de poser de simples sparadraps sur des blessures en mal de guérison.

Je partage pleinement tes inquiétudes quant à l’absence de mesures qui répondent aux besoins immédiats et futurs. Imaginer des réformes structurelles à long terme est loin d’être une utopie. Il faut cesser avec cette aberration de «-vouloir tirer la couverture à soi-». Attitude égocentrique de certains responsables d’autant plus néfaste que la «-couverture-» est déjà tellement déchirée qu’elle risque de tomber en lambeaux.


Un regroupement pour la mise en place de moyens efficaces et à la hauteur des exigences vitales d’une région, est la condition sine qua non. Une telle restructuration ne doit pas consister à remettre en cause la vocation identitaire des anciennes agglomérations ; autant dans les domaines linguistiques, culturels, associatifs et de coutumes locales, mais responsabiliser tous les acteurs sociaux-économiques et des pouvoirs publics à dépasser les clivages subalternes, d’unir leurs efforts pour redynamiser «-la solidarité active de la région houillère-», si chère aux mineurs et à la population du pays noir. Ce combat est au prix d’une union sacrée entre tous les acteurs qualifiés pour mener à bien un tel grand projet ». (Robert Mourer)

Reçu le 12 août 2013