vendredi 7 septembre 2012

CULTURE MINIÈRE

Raoul Briquet, tribun du casse-croûte


Voici la double origine du mot “briquet”, le nom donné indifféremment au casse-croûte du mineur et à la pause sur le tas. Et comment les compagnies minières ont été amenées à l’inclure dans le temps de travail effectif …


 
© Charbonnages de France/Audiovisuel




Le temps d’une pause, voilà  l’histoire du “briquet”. Je la raconte à ma manière, avec le risque d’être contredit,  car une tranche de légende s’est glissée dans le casse-croûte du mineur. Mais finalement, personne ne m’en voudra : pour le prix d’une version, en voici deux…

Sur les blogs très actifs de mes amis Ch’tis, les propos sont chaleureux à l’égard de feu Raoul Briquet, député socialiste de la deuxième circonscription d’Arras. Ils sont prompts à lui attribuer la paternité du mot briquet parce qu'il a obtenu du gouvernement que soit imposée aux compagnies minières une
pause casse-croûte payée sur le temps de travail.

La paternité du nom se discute, mais le fait d’avoir eu gain de cause a valu son heure de gloire au député Briquet. Sa victoire est venue conforter l’appellation donnée par les mineurs à ces vingt minutes de répit, qui leur permettaient de reprendre des forces ! L'épisode, en tout cas, apporte de la saveur à la tradition minière...

Car le casse-croûte du mineur a une connotation particulière, quel que soit le bassin minier. Mineur à Merlebach, mon père, au retour du poste du matin, rapportait systématiquement un bout de pain qui avait pris le goût de la mine, pas franchement désagréable. C’était un bout de pain mis de côté pour le cas où le poste subirait une prolongation. Je n’ai jamais vu mes parents jeter du pain. S’il en restait, c’était pour les lapins. Chargé de le leur apporter, je me surprenais à grignoter ce quignon en cours de chemin, l’imagination vagabonde… Comme pour entrer en communion avec la mine dont ce bout de pain sec  me transmettait le goût.
 
J’appris bien plus tard, que tous les gosses de mineurs faisaient de même, guettant chaque jour la musette du père : dans le Nord, terre de colombophilie, on appelait “pain d’alouette” ce restant de casse-croûte imprégné du mystère de la mine. En Lorraine charbonnière, c’était le “Haasebrot”, le pain des lapins, en francique rhénan, la langue du porion mosellan.
 
Le souci de l’épouse était de disposer toujours d’un pain de trois livres (le “Dreipenner” en Moselle, qui permettait de faire de belles tranches), de lard, de pâté et surtout de la très populaire saucisse de viande ficelée en rond appelée “Lyonner”  (prononcez : “Lyona”). On alternait avec les incontournables  saucisses à tartiner, “Schmeerwurcht” et  “Lewerwurcht” ou encore avec le lard grillé et les tartines de saindoux.
 
Certains préféraient les sardines, les pilchards, le thon ou les rollmops. Fromage et fruits du verger complétaient le contenu de la musette appelée “Hawersack” (littéralement : “sac d’avoine”, par analogie avec le sac fixé à l’encolure des chevaux, contenant une ration de fourrage). Il ne fallait surtout pas oublier la gourde en alu (“Kafféblech” en Moselle, “boutlot” dans le Nord), remplie de café très allongé, ou selon le cas, d’un mélange de café, de chicorée et de malt torréfié.
 
Après cette digression − qui nous aura appris au passage que “le briquet”  du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine s’appelait “le pain”  à Montceau-les-Mines et “le cabas” à La Mure, dans l’Isère − revenons à Raoul Briquet. 


Né en 1875 à Douai (Nord), tué pendant la première guerre mondiale, en 1917, lors de l’explosion d’une bombe à retardement déposée par l'ennemi dans la salle d'honneur de l'hôtel de ville de Bapaume (Pas-de-Calais), il fut député de 1910 à 1917.

Avocat, docteur en droit, juriste distingué, Raoul Briquet, inscrit très jeune au parti socialiste S.F.I.O., fut choisi comme conseiller par le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais. Spécialiste du droit ouvrier, il fut présenté par M. Raoul Jay, professeur à la Faculté de droit de Paris, au Collège libre des sciences sociales où il entra comme professeur.

En 1902-1903, il y traita “La formation du droit ouvrier” et en 1911-1912, développa “La crise et les tendances du droit ouvrier”: le code du travail; sources et conflits du droit ouvrier; la lutte contre le paternalisme; le syndicalisme et l'ordre public; la protection et l'organisation du travail; l'assurance sociale ; l'actionnariat ouvrier et le pacifisme social ; producteurs et consommateurs, la coopération ; conceptions juridiques nouvelles; l'avenir du droit ouvrier et le socialisme.
 
Comme député, il se fit entendre à différentes reprises à la tribune, sur les sujets qui étaient de sa compétence ou intimement liés à ses convictions.
 
L’histoire voudrait donc que l’on donnât son nom au “briquet”. Seul ennui : Emile Zola avait déjà utilisé ce terme dans « Germinal » en 1885, dans le passage suivant :
« Devant le buffet ouvert, Catherine réfléchissait. Il ne restait qu’un bout de pain, du fromage blanc en suffisance, mais à peine une lichette de beurre ; et il s’agissait de faire les tartines pour eux quatre. Enfin, elle se décida, coupa les tranches, en prit une qu’elle couvrit de fromage, en frotta une autre de beurre, puis les colla ensemble: c’était le « briquet », la double tartine emportée chaque matin à la fosse. Bientôt, les quatre briquets furent en rang sur la table, répartis avec une sévère justice, depuis le gros du père jusqu’au petit de Jeanlin ».

Il faut donc admettre, sans faire injure à l’honorable parlementaire, que le nom donné au casse-croûte du mineur pût avoir une autre origine. Pour certains, le mot “briquet” remonterait aux années 1800 et proviendrait d'un surnom de boulanger : briquet serait un pain court en forme de brique.  Cette version expliquerait l’emploi qu’en fit Zola, alors que Raoul Briquet avait à peine 10 ans !
 
L’auteure Marianne Haas-Heckel, dans un recensement systématique des mots français d’origine francique relevés en 2007 dans le Dictionnaire Robert de la langue française et dans le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, note que les termes  “briche” et “brike” en vieux français, qui avaient cours avant le XVIe siècle : «manger des briques (des miettes), n’avoir rien à manger»,  sont à rapprocher de l’ancien francique “brëchen” (en allemand “(zer)brechen”  ).
À Sarreguemines, “brèsche” s’emploie encore pour “briser”, “casser en morceaux”.

La spécialiste du francique rhénan considère que l’allemand “Brocken” (morceau, bouchée, fragment…) est un substantif proche de briquet. Pour d’autres, le mot “brique” provient du néerlandais et signifie “morceau”… « Un briquet, c’est donc "un petit morceau", disent les tenants de cette définition. D’où les sens dérivés : “briquet” qui désigne aussi un chien de chasse de petite taille ou encore un sabre à lame courte utilisé dans l'infanterie napoléonienne, le sabre briquet ».

Comme Marianne Heckel-Haas, les mêmes nous renvoient à l’anglais “to break” et  à l’allemand “brechen”, qui signifie rompre ou briser.
 
Sans être iconoclaste, “briser” me va très bien comme  synonyme de “faire briquet”. Car la pause dans certaines branches d’activité professionnelle se nomme “la brisure”.
 
«La qualification juridique de la brisure, ai-je lu dans une convention collective à propos de la pause, dépend des modalités de prise de celle-ci. Ainsi, lorsque cette brisure est incluse dans l'amplitude journalière de travail, elle constitue du temps de travail effectif. A l'inverse, cette brisure incluse dans l'amplitude journalière de travail est exclue du temps de travail effectif lorsque les salariés peuvent quitter le lieu d'exercice du pouvoir hiérarchique de l'employeur, pendant cette brisure».
 
Certes, le briquet existait avant le député Briquet. Mais comment le parlementaire aurait-il pu défendre le casse-croûte du mineur, sinon sous son patronyme : où est le problème ? Et si, à présent, on faisait “un break ”… 


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur








dimanche 2 septembre 2012

CHEMIN DE FER DES HOUILLÈRES

Un avenir “duraille”


Les défenseurs du chemin de fer industriel seront bientôt fixés sur la part que le musée Wendel entend accorder à cette thématique. C’est en septembre que
le comité technique chargé de faire l’inventaire des éléments stationnant
dans l’espace muséographique doit rendre ses conclusions. 
Quid des pantographes baissés et du “Picasso” remisé ?



   
Un fourgon à l'agonie, sous le lavoir à charbon



Le malaise persiste au sujet de la collection ferroviaire du musée de la mine, à Petite-Rosselle. «Sur le projet visant à présenter grandeur nature les trains de l'ère du charbon, les portes se sont refermées. Et il est normal que l'on projette des interrogations sur cette évolution de la culture technique et industrielle pour en situer les enjeux » écrivions-nous au mois de mars. La phrase peut être reprise mot à mot, aujourd'hui, alors que la tension est montée d'un cran depuis l'annonce d'un inventaire qui devrait déboucher sur un choix entre ce qui doit être gardé, vendu ou mis à la casse.

Une rumeur s'est propagée selon laquelle le musée pourrait se séparer de voitures du 
Gauzug, l'emblématique train des mineurs en stationnement sur le carreau Wendel.  L'idée a germé depuis qu'un acteur du tourisme ferroviaire dans l'estuaire de la Gironde, l'association du Trains des Mouettes, s'est déclaré prêt en 2011, selon certaines sources, à réimplanter des voitures du Gauzug en Aquitaine.

Ainsi a été rompu le silence qui entourait cette question depuis un an : « Ces voitures ont été construites au début du siècle dernier spécialement pour les Houillères de Petite-Rosselle, viennent de rappeler les opposants à leur dispersion. Se séparer de ce patrimoine unique condamnerait définitivement la possibilité de faire revivre  ce mode de transport populaire ». La nervosité devrait retomber, la démarche n'ayant pas abouti.

Au fil des jours, des bribes d'information affleurent dans l'actualité. Et en attendant le résultat de l'inventaire engagé cet été par le musée, avec l'appui d'un comité technique composé de onze personnes, rien ne peut être affirmé
définitivement. Un retournement est toujours possible.

 
Manque de bras

 

Cependant, les réactions se multiplient. Parfois vives, à l'exemple du commentaire déposé par Yvan Montazel : « Je ne reviendrai pas, dit-il, sur l'imbrication historique de la mine et du chemin de fer, la nier serait une imbécilité, ne pas en tenir compte une faute impardonnable et ne pas conserver le matériel ferroviaire serait un acte de vandalisme.

Je ne connais pas la situation administrative du musée Wendel de Petite-Rosselle mais je suppose cependant qu'il s'agit d'un musée contrôlé donc relevant d'une collectivité territoriale ayant, je crois, obtenu l'appellation "Musée de France" ce qui implique nécessairement qu'un "Projet scientifique et culturel" ait été établi et qu'un inventaire des collections existe, l'appellation "Musée de France" garantissant la pérennité des collections.


Si le matériel ferroviaire ne figure pas dans cet inventaire parce qu'il n'appartient pas au musée, il est certain que son avenir peut poser problème sur un plan administratif et budgétaire » estime Yvan Montazel. « En effet, ajoute-il, si la définition des musées établie par "l'International Council of Museum" (ICOM) en fait des institutions permanentes sans but lucratif, il est bien évident que les musées doivent rechercher une part de plus en plus importante d'autofinancement ce qui n'est pas facile même en y développant l'aspect marketing.

Dès lors, la solution concernant le matériel ferroviaire non inscrit à l'inventaire du musée serait dans le maintien "in situ" sous l'égide d'une structure associative indépendante de la direction du musée mais ouvrant en étroite synergie avec celui-ci. Ce partenariat libérerait le musée d'une charge qu'il ne peut assumer et s'appuierait sur un bénévolat qui existe déjà depuis longtemps comme cela existe ailleurs: chemins de fer touristiques, associations restaurant des locomotives, musées ferroviaires... »

Le problème est clairement posé. Accaparés par l'activité du musée, les gestionnaires du carreau Wendel, ne peuvent pas monter dans tous les trains à la fois. Et il ne reste plus grand monde à vouloir s'occuper des locomotives industrielles. Avec quel objectif_? Cela demande du savoir-faire, de la créativité, de l'opiniâtreté... à un moment où beaucoup estiment que le devoir de mémoire est accompli, les communes ayant transformé suffisamment de berlines en bacs à fleurs et placé de locotracteurs aux ronds-points.

Quant aux bénévoles qui s'activaient à une époque autour de l'atelier ferroviaire de Petite-Rosselle, ils ne sont plus là. D'autres vocations prendront-elles le relai ?

Tachée de sueur et de cambouis, mais dans le plus bel enthousiasme à ses débuts, l'aventure associative qui a permis de constituer la collection ferroviaire du carreau Wendel  a mal fini. Un clash a tout mis par terre et, à moins d'un miracle, les volontaires qui servaient de locomotive à cette activité ne la remettront pas sur les rails. Il y a donc là, pour l'instant, un vide qui rend les choses impossibles. Par souci de ne pas entacher trop l'image du musée de Petite-Rosselle personne n'en parle ouvertement. Nous n'en dirons pas davantage. Courage, fuyons !

Ne faut-il pas s'inquiéter, cependant, d'une possible dispersion de ce patrimoine ? «La mise au rebut de la collection ferroviaire est extrêmement regrettable. C'est même un gâchis révoltant, avait écrit en mars Étienne Collart. J'avais visité le carreau Wendel ainsi que la mine-image Cuvelette et l'aciérie-musée de Völklingen en 1996, avec le COPEF (Cercle ouest parisien d'études ferroviaires), et à cette occasion nous avions fait un petit tour avec une rame de deux voitures historiques marquées CCSTI et remorquées par un locotracteur. Les participants avaient beaucoup apprécié ».


Le plus compliqué sera sans doute de statuer sur le matériel qui n'appartient pas au musée, mais se trouve simplement mis à sa disposition. « Les efforts soutenus pour faire venir gratuitement la BB 12083 à Wendel ont été couronnés de succès. Il est hors de question d'admettre la situation de voir la machine partir à la ferraille ou ailleurs » avertit Martial Alizon, avec l'espoir d'une action salvatrice.

Comble d'infortune, rien n'est venu préserver du "pourrissement" certains matériels roulants stationnés sous le lavoir. À l'exemple de ce fourgon (notre photo), modèle estampillé Alsace-Lorraine. On peut toujours se défausser sur l'éternel manque d'argent. Mais là, pour le coup, la facture d'une restauration paraît rédhibitoire. Pourquoi une telle agonie ?

 

Éléments essentiels
 

La rhétorique du musée de Petite-Rosselle, qui se veut le témoin de l'ère du charbon, serait mise à mal par une disparition de l'activité ferroviaire des houillères mosellanes. Car le désenclavement des puits de mine par la voie ferrée fait partie des fondamentaux de l'histoire industrielle de la Moselle-Est. C'était bien l'avis des premiers promoteurs du musée Wendel.


Une note rédigée en 2006 souligne qu' « à un rythme étonnamment rapide les traces de l'industrie charbonnière disparaissent du paysage du bassin, heureusement l'initiative de diverses personnes, attachées à son histoire et à son avenir a crée en 1985 un Centre de culture scientifique et technique du bassin houiller (CCSTI) avec l'objectif de sauvegarder et de mettre en valeur des éléments essentiels du patrimoine industriel du bassin (bâtiments, archives, études humaines, sociales et techniques) et de créer un tourisme industriel mettant en valeur sites, monuments historiques et industriels, etc.

L'action du CCSTI a permis notamment de sauver des collections de matériels miniers en les installant au Conservatoire Minier de Folschviller maintenant détruit, de promouvoir la création d'un musée industriel de site au puits Wendel à Petite-Rosselle qui recueillit ces collections ainsi qu'un important ensemble de matériel ferroviaire industriel, et de provoquer par des colloques en 1988 et 1993, la sauvegarde des archives des HBL et des organisations sociales et syndicales du bassin (...) »


Le chemin de fer, élément structurant du bassin houiller. Avec une âme de mécanicien et un sens aigu de l'organisation,  Serge Kottmann, un des bénévoles les plus motivés du pôle ferroviaire à l'époque, a rappelé utilement sur ce blog, que « le chemin de fer a toujours joué un rôle primordial dans le développement des charbonnages et notamment des HBL, en permettant l'évacuation des produits commercialisés vers la SNCF et en assurant une logistique interne à l'entreprise (transports de sable, schiste, bois, service magasins, personnels, etc.).

Le parc des engins moteurs HBL des années 1950 était composé de plus de 80 locomotives à vapeur ainsi que 2 locomotives électriques, qui progressivement ont fait place à une diésélisation totale du service Chemin de Fer, pour compter dans les années 1980 : 57 engins diesels, se répartissant entre locomotives, locotracteurs et autorails. Le parc des wagons était, quant à lui, composé de plus de 1 000 wagons de tous types (trémies, tombereaux, citernes, surbaissés, plats, fourgons, voyageurs, grues, spéciaux). Avec presque 1 500 agents et plus de 500 kilomètres de voies ferrées, le réseau des HBL était le plus grand chemin de fer privé de France.

De 1989 à 2008, rappelle Serge Kottmann, les différents administrateurs du musée de la mine du Carreau Wendel avaient pris la décision de créer, développer et exploiter une collection ferroviaire industrielle avec comme événement promotionnel fort,  la circulation de trains aux couleurs du musée, dans la vallée de la Rosselle, jusqu'à Freyming-Merlebach. Ce sont environ 35 000 visiteurs-voyageurs qui ont ainsi découvert le musée et les différents paysages miniers du secteur.

Durant cette période, la collection ferroviaire industrielle devint l'une des plus importantes et intéressantes de France, avec un grand nombre de pièces rares et uniques. Dix huit engins moteurs (3 locomotives à vapeur, 2 locomotives électriques, 1 locomotive diesel, 10 locotracteurs et 2 autorails) et plus de 70 wagons de tous types, afin de pouvoir meubler les voies des énormes lavoirs du musée et de rendre compréhensible l'expédition quotidienne des 10 000 tonnes de charbon qui partaient du Carreau Wendel.

A partir de 2009, les nouveaux administrateurs du musée commencèrent à se désintéresser de ce pan de l'histoire des HBL, puis ils supprimèrent cette activité au début de 2010. Faut-il maintenant sérieusement s'inquiéter du devenir de cette collection alors que les orientations prises pour l'avenir de ce musée n'en tiennent pas compte ? ». On ressent toute l'amertume du propos.

 

Projet de ferroutage

 

L'époque connaît ainsi son lot de manœuvres, d'emportements, de divisions. Et une bonne nouvelle tout de même. Une lampe va-t-elle passer au vert à l'autre bout du bassin houiller pour le ferroviaire ? Imaginons un instant que la Communauté de communes du Pays Naborien parvienne, comme il en est question, à transformer en terminal de ferroutage les hectares vacants de l'ancienne "vente au carreau" des HBL à Saint-Avold.

Des pourparlers pourraient déboucher sur la création d'une tête de pont d'une nouvelle "autoroute ferroviaire" entre la Moselle-Est et le sud de la France, dans le corridor de 1 050 kilomètres passant par la vallée du Rhône où circulent plus de
12 000 camions par jour.

Saint-Avold deviendrait  un point d'embarquement sur des trains spéciaux, de semi-remorques complets avec leurs chauffeurs. A ne pas confondre avec le transport de conteneurs. La contribution à un meilleur bilan carbone ne serait pas le seul élément positif. Le fret ferroviaire y gagnerait aussi, ainsi que les collectivités locales concernées.

En prime, accroître l'activité ferroviaire sur les friches des HBL ce serait rappeler un peu plus le métier de mineur-cheminot délaissé, à ce jour, par le musée.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur





Tourisme industriel : le "Picasso" fait escale du puits Simon en 1998. 
Environ 35 000 visiteurs-voyageurs ont sillonné les paysages miniers par le rail.


Article publié le 2.9.2012 - mis à jour le 8.2.2013




VENDREDI 7 SEPTEMBRE 2012


Les musées miniers renoncent
au ticket “charbon-chemin de fer”


Une tendance générale se dégage en France : la priorité pour le matériel minier a pour conséquence un désintérêt pour les collections ferroviaires. Ce désamour envers les trains du charbon prive les musées de la valeur ajoutée que le matériel roulant pourrait leur apporter. Petite-Rosselle ne fait pas exception


Découpage au chalumeau de deux talbots
les 5 et 7 septembre,
au musée de Petite-Rosselle



L’intégrité de la collection ferroviaire du musée de Petite-Rosselle sera-t-elle préservée ? La question se posait  début juillet, à la suite de l’annonce, dans la presse, d’un inventaire des éléments plus ou moins volumineux stationnant sur le carreau Wendel. L’objectif affiché était de savoir ce qui allait être conservé, cédé à des tiers ou mis à la casse.

Deux mois plus tard, le découpage au chalumeau de deux talbots d’une série de trois vient d’être entrepris le 5 septembre. Est-ce un mauvais présage pour d’autres matériels roulants du carreau Wendel ?
 
À  l’issue du grand inventaire estival,  le musée de Petite-Rosselle n’a envoyé aucun signal au sujet de ses intentions. On peut dès lors se demander pourquoi  il a choisi d’annoncer publiquement ce recensement, si c’était juste un objectif quantitatif. Pour les gestionnaires du carreau Wendel, la direction des musées de France et la communauté d’agglomération de Forbach, en tout cas, l’animation ferroviaire ne devient pas un sujet crucial et rien n’indique la mise sur orbite d’une politique nouvelle en faveur du chemin de fer de la mine.

On peut comprendre la discrétion du musée Wendel sur le sort de la collection ferroviaire, après la flambée de réactions observée en 2010, lorsqu’un collectif avait fait signer une pétition pour la sauvegarde de l’intégralité du site et le développement du train touristique des vallées de la Rosselle et de la Merle. Les politiques étaient montés au créneau pour désamorcer la polémique et rétablir le dialogue. Depuis, aucune solution n’a dépassé cette mésentente.

Sans déclencher de levée de boucliers, la flamme du chalumeau a néanmoins ravivé, cette semaine, les propos des tenants de la culture industrielle : ils déplorent la mise à la ferraille de matériels représentatifs de la capacité opérationnelle des lavoirs à charbon de Wendel, d’où partaient environ 10 trains de 1000 t par jour. Et pour le reste ? D’autres destructions restent possibles.

Rassurante, l’inscription des huit voitures du Gauzug  sur l’inventaire du musée, selon une source généralement bien informée, garantirait le maintien du train des mineurs à Petite-Rosselle. Une inquiétude était née à ce sujet, à la suite d’une proposition de rachat formulée par un tiers, mais qui s'avèrerait caduque depuis un moment.

L’atelier ferroviaire, devenu un "no man's land" placé sous alarme,  continue d’abriter l’autorail “Picasso”, la vedette d’une expérience de tourisme industriel avant 2010, et plusieurs locomotives, parmi lesquelles la CC 14 183, descendante d’un prototype mis au point sur le réseau HBL à Faulquemont, une des dernières machines de ce type,  arrivée sur le carreau Wendel en 1998. Elle est mise à la disposition par la SNCF et n’appartient pas au musée.

Pour ces machines, la situation semble tourner au statu quo et une question demeure_: à quoi sert de garder des trains... pour ne pas s’en servir ? On a beau s’évertuer à penser que les dirigeants ont de bonnes raisons d’agir ainsi, la réponse n’est pas bien loin : la muséographie minière en France, semble traîner les trains du charbon comme un boulet et serait en mal de projets d’avenir pour ce matériel roulant, pourtant lié à l’industrie extractive.

Des observateurs qualifiés ont donné un surnom à ce phénomène qui s'apparente en quelque sorte à un fait de société : “les trous noirs des carreaux miniers”, et montrent du doigt l’écomusée d’Alsace, le centre historique minier de Lewarde et le musée de la mine de Petite-Rosselle.

Un groupe qui s’efforce de recenser au plan national le matériel ferroviaire préservé ou menacé ( portail railfrance.org ), note que le chemin de fer industriel  joue parfois un rôle de second plan quasi anonyme. « Une priorité pour le matériel minier - certes légitime ! - mais qui aurait pour conséquence un désintérêt calculé pour certaines collections ferroviaires pourtant aptes à faire vivre lesdits musées  (…) Il est vrai, déclarent-ils,  que la passion de la mine et la passion du ferroviaire sont deux centres d'intérêt assez différents. Pour autant, que serait la mine sans le rail ? Rien. Sous-entendre aujourd'hui que le ferroviaire ne présente pas d'intérêt dans une muséographie minière est, très clairement, une absurdité ».

Selon les dirigeants du musée de Lorraine qui s'exprimaient sur la question en 2010, la DRAC et la direction des Musées de France ont demandé « de mettre tous les moyens dans le cœur de musée afin d'en récolter les fruits dès 2012 (...) L'avenir du train est garanti en termes d'animation autour du site. Mais nous ne deviendrons pas un train touristique ». Cette animation, pour autant, n'est pas sur les rails . Mais le musée “Les mineurs Wendel” , superbe galerie de l'âge d'or du charbon est inauguré en grande pompe.

Si le cas de Petite-Rosselle n’est pas isolé, il révèle comment un musée minier renonce au ticket « charbon-chemin de fer ». Celui-ci n’a plus cours et sa dévaluation suscite partout la même tension. Les défenseurs du chemin de fer minier sont nombreux à dire que les musées devraient s’appuyer sur des partenariats de nature à les libérer d’une charge qu’ils ne peuvent assumer. En l’absence d’initiatives, la mécanique s’arrête, la gangrène s’installe et, avec le temps,  justifie l’amputation.

S.P.




 
Le "Gauzug" (train de ramassage des mineurs) figure
dans les réserves du musée.
Intérieur d'une de ses huit voitures, à l'abri dans
l'atelier ferroviaire sécurisé.
Certains, se disant proches du dossier,
affirment en septembre 2012, que la proposition de rachat
formulée par une association est "caduque". 
Le syndicat mixte du musée s'abstient de faire toute déclaration.