CHEMIN DE FER DES HOUILLÈRES
Les défenseurs du chemin de fer industriel seront bientôt fixés sur la part que
le musée Wendel entend accorder à cette thématique. C’est en septembre que
le comité technique chargé de faire l’inventaire des éléments stationnant
dans
l’espace muséographique doit rendre ses conclusions.
Quid des pantographes
baissés et du “Picasso” remisé ?
Un fourgon à l'agonie, sous le lavoir à charbon
Le malaise persiste au sujet de la collection ferroviaire du musée de la mine, à Petite-Rosselle. «Sur le projet visant à présenter grandeur nature
les trains de l'ère du charbon, les portes se sont refermées. Et il est
normal que l'on projette des interrogations sur cette évolution de la
culture technique et industrielle pour en situer les enjeux » écrivions-nous
au mois de mars. La phrase peut être reprise mot à mot, aujourd'hui, alors
que la tension est montée d'un cran depuis l'annonce d'un inventaire qui
devrait déboucher sur un choix entre ce qui doit être gardé, vendu ou mis à
la casse.
Une rumeur s'est propagée selon laquelle le musée pourrait se séparer de voitures du “Gauzug”, l'emblématique train des mineurs en stationnement sur le
carreau Wendel. L'idée a germé depuis qu'un acteur du tourisme ferroviaire dans l'estuaire de la
Gironde, l'association du “Trains
des Mouettes”, s'est déclaré prêt en 2011, selon certaines sources, à réimplanter des voitures du “Gauzug” en Aquitaine.
Ainsi a été rompu le silence qui entourait cette question depuis un an : « Ces voitures ont été
construites au début du siècle dernier spécialement pour les Houillères de
Petite-Rosselle, viennent de rappeler les opposants à leur dispersion. Se séparer de ce patrimoine unique condamnerait
définitivement la possibilité de faire revivre ce mode de transport
populaire ». La nervosité devrait retomber, la démarche n'ayant pas abouti.
Au
fil des jours, des bribes d'information affleurent dans l'actualité. Et en
attendant le résultat de l'inventaire engagé cet été par le musée, avec l'appui d'un
comité technique composé de onze personnes, rien ne peut être affirmé définitivement. Un retournement est toujours possible.
Manque de
bras
Cependant, les réactions se multiplient. Parfois vives, à l'exemple
du commentaire déposé par Yvan Montazel : « Je ne reviendrai pas, dit-il,
sur l'imbrication historique de la mine et du chemin de fer, la nier serait
une imbécilité, ne pas en tenir compte une faute impardonnable et ne pas
conserver le matériel ferroviaire serait un acte de vandalisme.
Je ne
connais pas la situation administrative du musée Wendel de Petite-Rosselle
mais je suppose cependant qu'il s'agit d'un musée contrôlé donc relevant
d'une collectivité territoriale ayant, je crois, obtenu l'appellation "Musée
de France" ce qui implique nécessairement qu'un "Projet scientifique et
culturel" ait été établi et qu'un inventaire des collections existe,
l'appellation "Musée de France" garantissant la pérennité des
collections.
Si le matériel ferroviaire ne figure pas dans cet
inventaire parce qu'il n'appartient pas au musée, il est certain que son
avenir peut poser problème sur un plan administratif et budgétaire » estime
Yvan Montazel. « En effet, ajoute-il, si la définition des musées établie
par "l'International Council of Museum" (ICOM) en fait des institutions
permanentes sans but lucratif, il est bien évident que les musées doivent
rechercher une part de plus en plus importante d'autofinancement ce qui
n'est pas facile même en y développant l'aspect marketing.
Dès lors,
la solution concernant le matériel ferroviaire non inscrit à l'inventaire du
musée serait dans le maintien "in situ" sous l'égide d'une structure
associative indépendante de la direction du musée mais ouvrant en étroite
synergie avec celui-ci. Ce partenariat libérerait le musée d'une charge
qu'il ne peut assumer et s'appuierait sur un bénévolat qui existe déjà
depuis longtemps comme cela existe ailleurs: chemins de fer touristiques,
associations restaurant des locomotives, musées ferroviaires... »
Le
problème est clairement posé. Accaparés par l'activité du musée,
les gestionnaires du carreau
Wendel, ne peuvent pas monter dans tous les trains à la fois. Et il ne reste
plus grand monde à vouloir s'occuper des locomotives industrielles. Avec
quel objectif_? Cela demande du savoir-faire, de la créativité, de
l'opiniâtreté... à un moment où beaucoup estiment que le devoir de mémoire est
accompli, les communes ayant transformé suffisamment de berlines en bacs à
fleurs et placé de locotracteurs aux ronds-points.
Quant aux
bénévoles qui s'activaient à une époque autour de l'atelier ferroviaire de
Petite-Rosselle, ils ne sont plus là. D'autres vocations prendront-elles le
relai ?
Tachée de sueur et de cambouis, mais dans le plus bel
enthousiasme à ses débuts, l'aventure associative qui a permis de constituer
la collection ferroviaire du carreau Wendel a mal fini. Un clash a tout mis
par terre et, à moins d'un miracle, les volontaires qui servaient de
locomotive à cette activité ne la remettront pas sur les rails. Il y a donc
là, pour l'instant, un vide qui rend les choses impossibles. Par souci de ne
pas entacher trop l'image du musée de Petite-Rosselle personne n'en parle
ouvertement. Nous n'en dirons pas davantage. Courage, fuyons !
Ne
faut-il pas s'inquiéter, cependant, d'une possible dispersion de ce
patrimoine ? «La mise au rebut de la collection ferroviaire est extrêmement
regrettable. C'est même un gâchis révoltant, avait écrit en mars Étienne Collart. J'avais visité
le carreau Wendel ainsi que la mine-image Cuvelette et l'aciérie-musée
de Völklingen en 1996, avec le COPEF (Cercle ouest parisien d'études ferroviaires), et à cette occasion nous avions fait un petit tour avec
une rame de deux voitures historiques marquées CCSTI et remorquées
par un locotracteur. Les participants avaient beaucoup apprécié ».
Le plus compliqué sera sans doute de statuer sur le matériel
qui n'appartient pas au musée, mais se trouve simplement mis à sa disposition. « Les efforts soutenus pour faire venir gratuitement la BB 12083 à Wendel ont été
couronnés de succès. Il est hors de question d'admettre la situation de voir
la machine partir à la ferraille ou ailleurs » avertit Martial Alizon, avec
l'espoir d'une action salvatrice.
Comble d'infortune, rien n'est venu
préserver du "pourrissement" certains matériels roulants stationnés sous le
lavoir. À l'exemple de ce fourgon (notre photo), modèle estampillé
Alsace-Lorraine. On peut toujours se défausser sur l'éternel manque
d'argent. Mais là, pour le coup, la facture d'une restauration paraît
rédhibitoire. Pourquoi une telle agonie ?
Éléments essentiels
La
rhétorique du musée de Petite-Rosselle, qui se veut le témoin de l'ère
du
charbon, serait mise à mal par une disparition de l'activité ferroviaire
des
houillères mosellanes. Car le désenclavement des puits de mine par la
voie
ferrée fait partie des fondamentaux de l'histoire industrielle de la
Moselle-Est. C'était bien l'avis des premiers promoteurs du musée
Wendel.
Une note rédigée en 2006 souligne qu' « à un rythme étonnamment
rapide les
traces de l'industrie charbonnière disparaissent du paysage du bassin,
heureusement l'initiative de diverses personnes, attachées à son
histoire et
à son avenir a crée en 1985 un Centre de culture scientifique et
technique du bassin houiller (CCSTI) avec l'objectif de sauvegarder et
de mettre en
valeur des éléments essentiels du patrimoine industriel du bassin
(bâtiments, archives, études humaines, sociales et techniques) et de créer
un tourisme industriel mettant en valeur sites, monuments historiques et
industriels, etc.
L'action du CCSTI a permis notamment de sauver des
collections de matériels miniers en les installant au Conservatoire Minier
de Folschviller maintenant détruit, de promouvoir la création d'un musée
industriel de site au puits Wendel à Petite-Rosselle qui recueillit ces
collections ainsi qu'un important ensemble de matériel ferroviaire
industriel, et de provoquer par des colloques en 1988 et 1993, la sauvegarde
des archives des HBL et des organisations sociales et syndicales du bassin
(...) »
Le chemin de fer, élément structurant du bassin houiller. Avec une
âme de mécanicien et un sens aigu de l'organisation, Serge Kottmann, un des
bénévoles les plus motivés du pôle ferroviaire à l'époque, a rappelé
utilement sur ce blog, que « le chemin de fer a toujours joué un rôle primordial dans le développement des charbonnages et notamment des HBL, en
permettant l'évacuation des produits commercialisés vers la SNCF et en
assurant une logistique interne à l'entreprise (transports de sable, schiste, bois, service magasins, personnels, etc.).
Le parc des
engins moteurs HBL des années 1950 était composé de plus de 80 locomotives à
vapeur ainsi que 2 locomotives électriques, qui progressivement ont fait
place à une diésélisation totale du service Chemin de Fer, pour compter dans
les années 1980 : 57 engins diesels, se répartissant entre locomotives,
locotracteurs et autorails. Le parc des wagons était, quant à lui, composé
de plus de 1 000 wagons de tous types (trémies, tombereaux, citernes,
surbaissés, plats, fourgons, voyageurs, grues, spéciaux). Avec presque 1 500
agents et plus de 500 kilomètres de voies ferrées, le réseau des HBL était
le plus grand chemin de fer privé de France.
De 1989 à 2008, rappelle
Serge Kottmann, les différents administrateurs du musée de la mine du
Carreau Wendel avaient pris la décision de créer, développer et exploiter
une collection ferroviaire industrielle avec comme événement promotionnel
fort, la circulation de trains aux couleurs du musée, dans la vallée de la
Rosselle, jusqu'à Freyming-Merlebach. Ce sont environ 35 000
visiteurs-voyageurs qui ont ainsi découvert le musée et les différents
paysages miniers du secteur.
Durant cette période, la collection
ferroviaire industrielle devint l'une des plus importantes et intéressantes
de France, avec un grand nombre de pièces rares et uniques. Dix huit engins
moteurs (3 locomotives à vapeur, 2 locomotives électriques, 1 locomotive
diesel, 10 locotracteurs et 2 autorails) et plus de 70 wagons de tous types,
afin de pouvoir meubler les voies des énormes lavoirs du musée et de rendre
compréhensible l'expédition quotidienne des 10 000 tonnes de charbon qui
partaient du Carreau Wendel.
A partir de 2009, les nouveaux
administrateurs du musée commencèrent à se désintéresser de ce pan de
l'histoire des HBL, puis ils supprimèrent cette activité au début de 2010. Faut-il
maintenant sérieusement s'inquiéter du devenir de cette collection alors que
les orientations prises pour l'avenir de ce musée n'en tiennent pas compte ?
». On ressent toute l'amertume du propos.
Projet de
ferroutage
L'époque connaît ainsi son lot de manœuvres, d'emportements,
de divisions. Et une bonne nouvelle tout de même. Une lampe va-t-elle passer
au vert à l'autre bout du bassin houiller pour le ferroviaire ? Imaginons un
instant que la Communauté de communes du Pays Naborien parvienne, comme il en est question, à
transformer en terminal de ferroutage les hectares vacants de l'ancienne
"vente au carreau" des HBL à Saint-Avold.
Des pourparlers pourraient déboucher sur la création d'une tête de pont d'une nouvelle "autoroute
ferroviaire" entre la Moselle-Est et le sud de la France, dans le corridor de 1 050 kilomètres passant par la vallée du Rhône où circulent plus de
12 000 camions par jour.
Saint-Avold
deviendrait un point d'embarquement sur des trains spéciaux, de
semi-remorques complets avec leurs chauffeurs. A ne pas confondre avec le transport de conteneurs. La contribution à un meilleur bilan
carbone ne serait pas le seul élément positif. Le fret ferroviaire y
gagnerait aussi, ainsi que les collectivités locales
concernées.
En prime, accroître l'activité ferroviaire sur les friches des HBL ce serait
rappeler un peu plus le métier de mineur-cheminot délaissé, à ce
jour, par le musée.
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
Tourisme industriel : le "Picasso" fait escale du puits Simon en 1998.
Environ 35 000
visiteurs-voyageurs ont sillonné les
paysages miniers par le rail.
Article publié le 2.9.2012 - mis à jour le 8.2.2013
VENDREDI 7 SEPTEMBRE 2012
Les musées miniers renoncent
au ticket
“charbon-chemin de fer”
Une tendance générale se dégage en France : la priorité pour le matériel minier a
pour conséquence un désintérêt pour les collections ferroviaires. Ce désamour
envers les trains du charbon prive les musées de la valeur ajoutée que le
matériel roulant pourrait leur apporter. Petite-Rosselle ne fait pas
exception
Découpage au chalumeau de deux talbots
les 5 et 7 septembre,
au musée de Petite-Rosselle
L’intégrité de la collection ferroviaire du musée de Petite-Rosselle
sera-t-elle préservée ? La question se posait début juillet, à la suite de
l’annonce, dans la presse, d’un inventaire des éléments plus ou moins volumineux
stationnant sur le carreau Wendel. L’objectif affiché était de savoir ce qui
allait être conservé, cédé à des tiers ou mis à la casse.
Deux mois plus
tard, le découpage au chalumeau de deux talbots d’une série de trois vient
d’être entrepris le 5 septembre. Est-ce un mauvais présage pour d’autres
matériels roulants du carreau Wendel ?
À l’issue du grand inventaire estival, le musée de Petite-Rosselle n’a
envoyé aucun signal au sujet de ses intentions. On peut dès lors se demander
pourquoi il a choisi d’annoncer publiquement ce recensement, si c’était juste
un objectif quantitatif. Pour les gestionnaires du carreau Wendel, la direction
des musées de France et la communauté d’agglomération de Forbach, en tout cas,
l’animation ferroviaire ne devient pas un sujet crucial et rien n’indique la
mise sur orbite d’une politique nouvelle en faveur du chemin de fer de la mine.
On peut comprendre la discrétion du musée Wendel sur le sort de la
collection ferroviaire, après la flambée de réactions observée en 2010,
lorsqu’un collectif avait fait signer une pétition pour la sauvegarde de
l’intégralité du site et le développement du train touristique des vallées de la
Rosselle et de la Merle. Les politiques étaient montés au créneau pour
désamorcer la polémique et rétablir le dialogue. Depuis, aucune solution n’a
dépassé cette mésentente.
Sans déclencher de levée de boucliers, la flamme du chalumeau a néanmoins
ravivé, cette semaine, les propos des tenants de la culture industrielle : ils
déplorent la mise à la ferraille de matériels représentatifs de la capacité
opérationnelle des lavoirs à charbon de Wendel, d’où partaient environ 10 trains
de 1000 t par jour. Et pour le reste ? D’autres destructions restent possibles.
Rassurante, l’inscription des huit voitures du “Gauzug” sur l’inventaire
du musée, selon une source généralement bien informée, garantirait le maintien
du train des mineurs à Petite-Rosselle. Une inquiétude était née à ce sujet, à
la suite d’une proposition de rachat formulée par un tiers, mais qui s'avèrerait caduque depuis un moment.
L’atelier ferroviaire, devenu un "no man's land" placé sous alarme,
continue d’abriter l’autorail “Picasso”, la vedette d’une expérience de
tourisme industriel avant 2010, et plusieurs locomotives, parmi lesquelles la “CC 14 183”, descendante d’un prototype mis au point sur le réseau HBL à
Faulquemont, une des dernières machines de ce type, arrivée sur le carreau
Wendel en 1998. Elle est mise à la disposition par la SNCF et n’appartient pas
au musée.
Pour ces machines, la situation semble tourner au statu quo et une question
demeure_: à quoi sert de garder des trains... pour ne pas s’en servir ? On a beau
s’évertuer à penser que les dirigeants ont de bonnes raisons d’agir ainsi, la
réponse n’est pas bien loin : la muséographie minière en France, semble traîner
les trains du charbon comme un boulet et serait en mal de projets d’avenir pour
ce matériel roulant, pourtant lié à l’industrie extractive.
Des observateurs qualifiés ont donné un surnom à ce phénomène qui s'apparente en quelque sorte à un fait de société : “les trous
noirs des carreaux miniers”, et montrent du doigt l’écomusée d’Alsace, le centre
historique minier de Lewarde et le musée de la mine de
Petite-Rosselle.
Un groupe qui s’efforce de recenser au plan national le matériel
ferroviaire préservé ou menacé ( portail railfrance.org ), note que le chemin de fer industriel joue parfois un
rôle de second plan quasi anonyme. « Une priorité pour le matériel
minier - certes légitime ! - mais qui aurait pour conséquence un désintérêt
calculé pour certaines collections ferroviaires pourtant aptes à faire vivre
lesdits musées (…) Il est vrai, déclarent-ils, que la passion de la mine et la
passion du ferroviaire sont deux centres d'intérêt assez différents. Pour
autant, que serait la mine sans le rail ? Rien. Sous-entendre aujourd'hui que le
ferroviaire ne présente pas d'intérêt dans une muséographie minière est, très
clairement, une absurdité ».
Selon
les dirigeants du musée de Lorraine qui s'exprimaient sur la question
en 2010, la DRAC et la direction des Musées de France ont demandé « de mettre tous les moyens dans le cœur de musée afin d'en récolter les fruits dès 2012 (...) L'avenir du train est garanti en termes d'animation autour du site. Mais nous ne deviendrons pas un train touristique ». Cette animation, pour autant, n'est pas sur les rails . Mais le musée “Les mineurs Wendel” , superbe galerie de l'âge d'or du charbon est inauguré en grande pompe.
Si le cas de Petite-Rosselle n’est pas isolé, il révèle comment un musée
minier renonce au ticket « charbon-chemin de fer ». Celui-ci n’a plus cours et
sa dévaluation suscite partout la même tension. Les défenseurs du chemin de fer
minier sont nombreux à dire que les musées devraient s’appuyer sur des
partenariats de nature à les libérer d’une charge qu’ils ne peuvent assumer. En
l’absence d’initiatives, la mécanique s’arrête, la gangrène s’installe et, avec
le temps, justifie l’amputation.
S.P.
Le "Gauzug" (train de ramassage des mineurs) figure
dans les réserves du musée.
Intérieur d'une de ses huit voitures, à l'abri dans
l'atelier ferroviaire sécurisé.
Certains, se disant proches du dossier,
affirment en septembre 2012, que la proposition de rachat
formulée par une association est "caduque".
Le syndicat mixte du musée s'abstient de faire toute déclaration.