samedi 28 juillet 2012

MUSÉE WENDEL

Dans la logique des HBL


 Superbe vitrine pour l'après-mine, le site muséographique de Petite-Rosselle bénéficie d'un regain d'activité avec l'ouverture d'une nouvelle tranche. Elle complète la représentation du « fond », à faible profondeur, ouverte aux visiteurs depuis 2006. À présent, le musée devra se montrer capable de création de valeur et de retombées pour l'économie locale.




  
Le carreau Wendel. Au premier plan, la mine-image © CdF
 


Petite-Rosselle, 24 juillet 2012.

Regarde, Nathalie, ils présentent même une Motobécane utilisée par les gardes des HBL, avec l’uniforme, la plaque et l’arme de service. Trop beau !
 
Cool, ce papy ! Le superlatif qu’il vient d’emprunter au langage de sa petite-fille, prononcé d’une voix habituée à dominer le bruit des machines, ricoche dans mon oreille et m’attendrit.
 
Un autre, en t-shirt, bermuda et sandales :
 
Hé ! T’as vu ? Ce sont des photos de la colonie de vacances des Houillères, à Cannes  La Bocca. Dommage qu’ils n’aient choisi que celles-là…
 
Le regret de cet ancien des Houillères qui retrouve soudain son adolescence, rencontre l’acquiescement muet de son épouse. Une visite réjouissante. Le musée veille sur nos émotions. On s’y retrouve pour passer la journée en famille, prendre un bain dans le passé et en rapporter quelques souvenirs personnels.
 
Deux dames sur leur trente-et-un papotent, alternativement en français et en platt, la langue du porion mosellan. Elles entament une rétrospective à la vue d’une machine à coudre mécanique, comme chaque
bonne ménagère en possédait une. Encore un peu, l’odeur moite de la lessiveuse envahirait l’endroit. Rituel du lavage des bleus de travail au fouloir à ressort, dans l'eau bouillante savonneuse.
 
Le mineur était l’ouvrier le plus propre du monde ! Réflexion qui surgit au milieu des bains-douches, détournés en salle de musée, tout comme la “salle des pendus”. Tous à poil. De quoi cimenter chaque jour un peu plus la cohésion des “gueules noires” qui rentraient  au bercail propres comme un sou neuf. D’infimes particules de houille dans la peau, incrustées dans le fragile contour des yeux. Le fameux regard charbon, mesdames !

À l’écart des bains douches, une leçon de géologie. Que faut-il comprendre ? En tout cas, on pourrait s’offusquer du texte consacré à la genèse du charbon. Le mot  “arbre” utilisé pour qualifier des spécimens de la flore du Carbonifère, semble relié à un morceau de tronc de Sigillaire. Or, il s’agit-là du fossile d’un cryptogame  vasculaire arborescent, dont le tronc était constitué de faisceaux de vaisseaux…
 
Les premiers arbres  –  ancêtres des conifères – avaient, quant à eux,  un tissu ligneux et cellulaire qui différait entièrement de celui des plantes cryptogames vasculaires. Celles-ci  prédominaient dans la forêt houillère et c’est essentiellement à partir de la masse de ces cryptogames que les amas de charbon se sont  formés. Plutôt que d’arbres, il serait donc plus heureux de parler de plantes arborescentes (“tree-like” en anglais). Et de mentionner les “fougères à graines” spécifiques au gisement sarro-lorrain. En allant au plus simple, le musée semble compter sur la maturité culturelle qu’il faut espérer du public.
 
Un peu plus loin, une application multimédia aide à comprendre le talent des ingénieurs du Premier Empire lorsqu’ils divisèrent la Sarre en cinquante concessions, présentées feuille à feuille dans l’atlas des réserves charbonnières du département sarrois, à la demande de Napoléon Ier. Promesse d’une industrie florissante sur la rive gauche du Rhin. Promesse d’un prolongement des veines de houille sous le territoire de la Moselle-Est, sous-sol encore terra incognita à cette époque.
 
Le visiteur est en capacité de feuilleter virtuellement cet atlas en effleurant de ses doigts une grande table numérique. Une jeune  lycéenne en vacances, très tôt tombée dans le maniement de l’iPad et des consoles de jeu, s’énerve, fait valser les folios d’avant en arrière et tourne prestement le dos au précieux document :
 
Je n’y comprends rien à c’truc !...
 
Rien n’y fera. C’est pourtant bien expliqué et hautement intéressant pour un public épris de culture minière. Le caractère transfrontalier du gisement sarro-lorrain est en évidence sur les panneaux qu’il faut prendre le temps de lire. C’est bien la compagnie de Schœneck qui fonça le premier puits dans cette localité, malgré l’opposition de la maison De Wendel. Les maîtres de forges de Hayange,  après le naufrage des pionniers du charbon mosellan, reprendront à leur compte les acquis de cette expérience, y mettront beaucoup d’argent pour passer à la vitesse supérieure et donner le coup d’envoi, en 1856, de l’exploitation industrielle du gisement de l’Est lorrain.
 
Un gamin s’amuse à la vue d’un cuffat, ce tonneau métallique qui servait à remonter les déblais et que les mineurs utilisaient également pour leur propre descente et la
remonte.
 
Mais, comment faisaient-ils pour tenir là-dedans à plusieurs ?
 
Remarque pertinente. Car il devait exister des modèles plus grands que celui de la vitrine, comme le cuffat exposé en bordure d’un parking, à Varsberg, qui a servi lors du fonçage du dernier puits d’aérage des HBL, en 1987, sur le ban communal de Bisten-en-Lorraine.
 
S’il faut quitter le domaine de la géologie, de l’exploration et du creusement des puits pour atteindre celui des modèles technologiques, on est surpris par la mise en vedette d’une locomotive souterraine à air comprimé… Présentation qui relève de l’anecdote, car cette machine à faible rendement n’est pas représentative de la tendance lourde qui consistait à rechercher des solutions industrielles pouvant s’appliquer au transport massif du charbon. La “Dujardin” de 1929 ne saurait éclipser la marche des compagnies vers le “tout électrique”, le transport au fond étant l’une des premières activités à avoir bénéficié de l’utilisation de l’électricité.
 
C’est d’ailleurs  en 1934 que la compagnie Sarre-et-Moselle commença l’électrification de La Houve II. Une expérience révolutionnaire qui nécessita la fabrication d’un matériel antidéflagrant jusqu’alors inconnu en France.

Ultérieurement, le “grand roulage de La Houve” fut le plus impressionnant du monde avec 40 kilomètres de voies électrifiées à cinq cents mètres sous terre. Sans oublier les avancées mises à l’actif du moteur diesel. Ce sont des évolutions que le visiteur de Petite-Rosselle ne perçoit  pas au premier coup d’œil.  
 
L’approche du nouveau musée est avant tout émotionnelle et entrepreneuriale c’est-à-dire largement inspirée d’une partition  orchestrée par les HBL elles-mêmes. En quelque sorte, la grande entreprise nationalisée a écrit son futur passé, effectué son propre tri, fait table rase ici et là,  capitalisant sur le carreau Wendel préservé, avant de disparaître.
À Petite-Rosselle, les héritiers de l’âge d’or du charbon marchent dans les pas de la communication des Houillères du Bassin de Lorraine. Cette orientation semble lisible dans un commentaire glané à l’issue de la première journée d’ouverture :
 
J’ai l’impression d’avoir relu « Mineurs de France », [ndla : le magazine des HBL]. Tout ce que j’ai vu me semble familier…
 
Familier et apaisé, le cours d’exploitation minière est  fatalement taiseux sur les flambées sociales, les multiples conflits, les grandes grèves.

Un universitaire viendrait-il  à Petite-Rosselle pour approfondir l’étude des luttes ouvrières, qu’il serait orienté vers le Centre des archives industrielles et techniques de la Moselle, implanté non pas au musée de la mine, mais à Saint-Avold.
 
Et quiconque voudrait se pencher sur l'aménagement du territoire à partir du désenclavement des puits de charbon par la route, le rail et la voie navigable – un maillage qui a relié entre elles les unités de production de charbon et les usines à hautes températures : hauts-fourneaux,  soudières, salines, plateformes chimiques…– aurait sans doute droit à la même recommandation.
 
Est-ce à dire que le musée du charbon lorrain, labellisé “Musée de France”, en soit réduit au rôle de vitrine pour l’après-mine ?
 
Les
fils de mineur ne sauraient critiquer la légitimité du travail mémoriel consacré à l’âpreté et à la portée nationale du travail de leurs pères. On doit au mineur lorrain une indéfectible reconnaissance.  Il n’en demeure pas moins que le nouveau musée est là pour 20, 30, 40 ans… et que sa formule ne pourra pas rester figée. 
 
Se projeter dans l’avenir c’est prendre le chemin de l’évolution, de la diversité des animations, des productions et des échanges sur le thème de la culture minière et de l’énergie. Travailler pour demain c’est  rejoindre l’argument d’une action en réseaux pour renforcer le tourisme industriel et en tirer parti.
 
D’évidence, le site rossellois s’inscrit dans le paysage comme un vecteur de développement local, susceptible de provoquer des effets positifs sur les autres secteurs d’activité et les emplois induits, par l’attraction qu’il suscite.
 
Au-delà du rôle culturel, identitaire et de lien social, le musée du charbon devra se montrer capable de création de valeur. Ce que justifierait l’argent public injecté par millions dans l’image-témoin des houillères disparues.

Avec quelles retombées pour l’après-mine ?



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur
























LUNDI 17 SEPTEMBRE 2012


Inauguration sans la ministre de tutelle


La veille de l’inauguration du cœur de musée « Les mineurs Wendel », L’Est Républicain, de Nancy, soulignait que la ministre de la Culture ne participerait pas à la coupure du ruban (lire ci-après dans les commentaires). Effectivement, l'élue lorraine Aurélie Filippetti n’est pas venue à Petite-Rosselle le 17 septembre. Les efforts de communication pour expliquer son absence n’ont trompé personne.


  
LUNDI 24 SEPTEMBRE 2012


Dernières nouvelles de demain


Attendez-vous à savoir que le 25 octobre prochain, le Comité français d’histoire industrielle, sociale et culturelle de la mine se réunira au musée de Petite-Rosselle, quelques semaines après l’inauguration du « cœur de musée ».
 
Le musée de Petite-Rosselle intègre ce comité et y sera représenté par la responsable de son pôle culture, archiviste de formation et fonctionnaire territoriale. Cette information a l’avantage de répondre à une interrogation formulée dans notre billet du 11 juin dernier, dans lequel nous constations avec raison que le musée du charbon lorrain était absent de cette instance  lorsqu'elle a été installée, l’an dernier.

Créé en  juin 2011, à l’initiative de l’ANGDM (Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs) dans le but de préserver et promouvoir la mémoire industrielle et sociale de la mine en France, le Comité français d’histoire industrielle rassemble les cinq syndicats de mineurs, des représentants des anciennes entreprises minières, du Corps des Mines, de l’Association des communes minières, des archives et des musées, un historien du CNRS et un sociologue.

C’est le Centre historique minier de Lewarde (Nord-Pas-de-Calais)
« qui a été choisi pour les musées de la mine et participera donc aux travaux du comité » peut-on lire dans le numéro de juin-août 2012 du journal d’information du CHM de Lewarde. On appréciera le chemin parcouru entre la nouvelle liste des impétrants et l'affirmation précédente.


Actualisé le 31.10.2012 :

En raison de l'actualité sociale du 25 octobre, journée d'action nationale, la réunion du Comité français d'histoire industrielle prévue à Petite-Rosselle, a été reportée à une date ultérieure.





JEUDI 8 NOVEMBRE 2012


Lewarde : dix-huit spécialistes pour le colloque international “Des machines et des hommes” 


Le Centre Historique Minier du Nord-Pas de Calais à Lewarde consacre sa programmation 2012 au thème de l’évolution des techniques d’exploitation dans les mines de charbon. Il organise, les 19 et 20 novembre, un colloque international dont les objectifs sont de mesurer les rythmes et les formes des innovations.

Les interventions de dix-huit spécialistes français et étrangers permettront de comprendre quelles sont ces innovations, leurs origines, les modalités de leur diffusion et leur mise en œuvre. Ils s’interrogeront également sur la manière dont ces innovations ont été perçues et mises en œuvre par les ouvriers en fonction des contextes économiques, politiques et sociaux. 

Denis Woronoff, professeur d’histoire émérite à l’Université de Paris I - Panthéon – Sorbonne s’est vu confier  l’introduction scientifique.

Communications et débats :

Gérard Dumont, professeur agrégé d’histoire
La fosse Mathilde à Denain, un laboratoire de l’innovation au milieu du XIXe siècle

Pierre-Christian Guiollard, docteur en histoire des sciences et des techniques, chercheur au CRESAT à l’Université de Haute Alsace
1917 et 1945, les deux grandes étapes de la réorganisation et de la rationalisation des infrastructures de production des mines du Nord-Pas-de-Calais

Jean-Philippe Passaqui, agrégé d’histoire, docteur en histoire contemporaine
Les compagnies minières du centre de la France face aux difficultés engendrées par les couches puissantes de houille (1855-1873)

Jean-Louis Escudier, chargé de recherches CNRS
à l’Université de Montpellier I
Le marteau-piqueur : innovation ou régression ?

Yi Xue, directeur adjoint et professeur au département d’histoire minière chinoise, China University of Mining & Technology, Xuzhou, Jiangsu Province, Chine
 
Évolution des techniques dans les mines de charbon en Chine

 Serge Benoît,professeur d’histoire à l’Université d’Evry
L’énergie hydraulique dans les mines

Tomasz Bugaj, ingénieur en industrie, technologie et techniques des XIXe et XXe siècles, Pologne
La galerie Głowna Kluczowa Dziedziczna comme exemple de l’unique projet de génie civil du XIXe siècle

Dr Emdadul Islam, directeur du Birla Industrial & Technological Museum, Bengale Occidental, Inde
Évolution des techniques dans les mines de charbon en Inde

Joël Michel, docteur en histoire contemporaine Mécanisation, qualification et statut social dans les mines de charbon en Europe, 1880-1940

 
 
Ben Curtis, historien, Aberystwyth University, pays de Galles
Accident de travail et technologie d’extraction dans le bassin minier du Sud du pays de Galles, 1880-1947

Alan Murray, Historien et journaliste, Australie
La face cachée du développement économique

Rosemary Preece, conservatrice au National Coal Mining Museum for England, Angleterre
Des mines, des machines et des hommes – la conquête du charbon dans les bassins houillers britanniques

Diana Cooper-Richet, maître de conférences en histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines
Images de l’innovation technique dans la littérature minière en France, dans la seconde moitié du XIXe siècle : l’horizon des lecteurs

Alain Forti, au Bois du Cazier, Belgique
Strangers in the night, des photographes dans la mine !

Luc Rojas, docteur en histoire, Université Jean Monnet de Saint-Etienne
S’inspirer pour innover ou la pratique du voyage d’étude chez les ingénieurs civils des mines du bassin houiller stéphanois (1854-1945)

Gersende Piernas, Chargée d’études documentaires aux Archives nationales du monde du travail à Roubaix
Le Centre national de perfectionnement des cadres (CNPC) des Charbonnages de France et la mise en place d’une formation professionnelle du mineur (1943-1970)

Conclusions du colloque avec Arnaud Berthoud, professeur de philosophie économique émérite de l’Université de Lille I

 





VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012


Rosselle : 30 000e visiteur de l'année


Le 21 décembre 2012, le musée de Petite-Rosselle a validé le 30 000e billet d’entrée de l’année. Pour l’an prochain, l’objectif est de continuer à faire progresser le nombre de visiteurs en le faisant passer à 50 000, pour viser les 100 000 visiteurs à moyen terme, ont déclaré ses responsables à la presse locale. Ils ont annoncé que le musée est désormais au programme de la nouvelle carte de loisirs Freizeitcard 2013, lancée sur le marché par la centrale touristique de la Sarre. 

Le musée de Petite-Rosselle « fera partie des 230 musées français, allemands et suisses présents dans le Museumspass/Pass musées » rapporte le quotidien régional dans son édition du 22.12.2012. 

En 2012, le musée rossellois ne figure pas sur la carte touristique de la "Grande Région" Sarre-Lorraine-Luxembourg-Wallonie, écrivions-nous avec raison au mois de juin, en observant que «-le bassin houiller lorrain ne fait pas partie du réseau européen des musées du charbon-» qui ont décidé de renforcer leur collaboration autour des échanges dans les domaines des recherches scientifiques, des productions culturelles, des pratiques professionnelles mais aussi du tourisme, du marketing et de la communication.

La Lorraine marque ainsi sa différence avec les six musées qui se sont réunis pour fonder la charte de l'Europe des musées de la mine : le Bois du Cazier (Belgique), le CHM Lewarde (France), le Deustches Bergbau-Museum de Bochum (Allemagne), le National Coal Mining Museum for England, à Wakefield (Angleterre), le Centro Italiano della Cultura dell Carbone en Sardaigne (Italie), le musée de la mine Guido de Zabzre (Pologne).


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Carreau Wendel, à Petite-Rosselle : 
un vaste (et lointain) projet de réhabilitation visant
une valorisation économique est annoncé pour
les "coques"en structures métalliques, béton et briques rouges.
 
  
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"Le jour du mineur", documentaire de Gaël Mocaër en avant-première 







Avec l’Association des communes minières de France, présidée par Jean-Pierre Kucheida, député et maire honoraires de Liévin (Nord-Pas-de-Calais), le film-documentaire « Le Jour du Mineur », réalisé par Gaël Mocaër, sera projeté en avant-première en Lorraine au Carreau Wendel à Petite-Rosselle, le jeudi 19 décembre 2013, à 18h30. La projection sera suivie d’un débat avec le réalisateur.

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mardi 24 juillet 2012

FACE AU MONOXYDE DE CARBONE


À la merci du canari mineur


 Il fut une époque, l’oiseau prenait la cage et descendait dans la mine avec les “gueules noires” pour y chanter à longueur d’abattage. Qu’il s’interrompe, qu’il défaille, signifiait danger ! Son rôle : détecter la présence de monoxyde de carbone, ennemi invisible et mortel.





 


Dans Disappearing Britain , une série de portraits consacrée
aux « tribus » britanniques en voie de disparition,
le grand photographe londonien Zed Nelson, a tiré le portrait
de pêcheurs, de mineurs, de vétérans de la Seconde Guerre mondiale,
de chasseurs de renard du Duke of Beaufort...
Dans le Yorkshire, les « gueules noires » de Maltby Colliery ont
posé à la sortie de la mine. L’un d’eux tient une cage à canari,
un moyen traditionnel de détecter les gaz dangereux. 
© By courtesy of Zed Nelson- droits réservés.



Passant par hasard le long de la devanture, j’ai hésité avant de pousser la porte de l’oisellerie, place Sainte-Marthe, à Stiring-Wendel. Mais, après coup, je me réjouis d’avoir adressé la parole à son propriétaire pour  le questionner… ni sur le plumage, ni sur le ramage, dans le piaillement des volières, au milieu de sacs de graines et de produits de confort pour la gent ailée.

Sa réponse me coupa le sifflet tant elle fut spontanée :

Oui, bien sûr,  je connais l’histoire des canaris-mineurs !
Mais ne croyez pas, comme la plupart des gens, qu’on s’en servait pour détecter  le grisou… C’est la présence du monoxyde de carbone qui était visée…


Les débuts de l’amélioration génétique des canaris issus de la souche sauvage capturée au XIVe siècle aux îles Canaries, coïncident avec le développement considérable aux XVe et XVIe siècles,  des mines polymétalliques du continent. La production croissante de celles-ci entraîna le problème posé par le renouvellement de l’air sur des distances accrues entre la surface et les fronts de taille, les galeries pouvant s’enfoncer  de « cinq cents pas » (925 mètres) sous terre, dans  l’Erzgebirge, selon Agricola, dans son De Re Metallica.

Pour conduire l’air là où il était nécessaire, les mineurs surent très tôt mettre en place des mécanismes et des structures. Les traces archéologiques les plus fréquentes de l’époque de la Renaissance, sont celles d’un aménagement de la circulation de l’air par un conduit sous un faux-plafond ou par une galerie secondaire. Des machines ont existé, telles  que les soufflets de forge utilisés pour ventiler la mine. Mais, c’est dans l’organisation même de la mine, avec ses puits et ses galeries, dans un aménagement fixe, que résidait l’essentiel des possibilités d’aérage des travaux souterrains.

Dans les houillères, si le rayon d’action des puits ne dépasse pas 300 mètres au début du XIXe siècle, on pourra aller chercher la houille à 1 500 et 2 000 mètres des puits, dès 1850. Avec comme corollaire l’obligation de renforcer  l’aérage. Car dans les mines de charbon, aux périls rencontrés précédemment s’ajoute le grisou. On a tous  en mémoire l’effroyable mission des pénitents, ces condamnés qui descendaient la nuit, quand la mine était vide, revêtus d’une cape en cuir mouillée, rampant le bras tendu, prolongé par un bâton à l’extrémité duquel il y avait une flamme… pour allumer les poches de méthane au péril de leur vie !

Le grisou est évoqué dans la littérature minière dès 1796 et c’est en 1817 que Humphry Davy invente une lampe de sûreté pour les mineurs anglais. Plus tard, « l'utilité d'une mesure plus précise du grisou a fait apporter à la lampe de sûreté à toile métallique des modifications (...) pour la transformer en un grisoumètre portatif » (Haton de La Goupillière, Exploitation mines, 1905). Le premier détecteur basé sur la combustion catalytique du grisou sur un fil de platine a été mis au point en 1900, perfectionné dans les années 1950 par le CERCHAR (Centre d'études et de recherches des Charbonnages de France), pour aboutir à la série des Verneuil 52 couramment utilisés dans les mines françaises jusqu'à leur fermeture. En parallèle,  la surveillance générale s’est appuyée sur la télégrisoumétrie, système doté d’alarmes automatiques.

La légende prétendant qu'on emportait jadis des oisillons dans des cages pour détecter le grisou doit rendre sceptique : pour remplacer l'oxygène de l'air et provoquer l’asphyxie, il est nécessaire que le grisou atteigne une concentration de 30%,  auquel cas il est déjà trop tard, les teneurs limites d’inflammabilité et d’explosion étant  beaucoup plus basses… 




Une cage parmi le matériel d’intervention des sauveteurs :
la poignée est une bouteille d’air comprimé 
pour la survie de l’oiseau-sentinelle

 

Le mineur partage donc sa vie souterraine avec un autre ennemi invisible et mortel : le monoxyde de carbone produit par l’oxydation des poussières de charbon. Comme en certains endroits  l’aérage ne règle pas tout, la solution du canari-sentinelle s’impose alors pour détecter le CO, une pratique encore en vigueur en 1987 dans le nord de l’Angleterre et dans le Pays de Galles, lors d’exercices de sauvetage.

Gaz hautement toxique, impossible à détecter facilement, "incolore, inodore et sans saveur" comme on l’a appris dans nos cours de chimie, il a une densité très voisine de celle de l'air et se mélange facilement à celui-ci. C'est par l'hémoglobine, qui est le pigment des globules rouges du sang, que l'oxygène contenu dans l'air respiré est transporté vers les différentes cellules du corps pour les oxygéner. C'est cette même hémoglobine qui ramène à l'appareil respiratoire le gaz carbonique produit dans les cellules. L'hémoglobine a cependant une affinité d'environ 300 fois plus grande pour le monoxyde de carbone que pour l'oxygène contenu dans l'air.

Si, par conséquent, il y a du monoxyde de carbone dans l'air respiré, il y aura un lien très fort et stable entre ce gaz et l'hémoglobine pour former ce que l'on appelle la carboxyhémoglobine. Une fois formée, cette carboxyhémoglobine présente dans le sang, réduit la quantité d'oxygène transportée vers les cellules du corps.

À une concentration de seulement 500 ppm (parties par million) de monoxyde de carbone dans l'air respiré, on constate l'apparition de maux de tête sévères, de vertiges et d'une tendance au sommeil annonçant un début d'intoxication. L'impotence musculaire et une paralysie progressive apparaissent lorsque l'individu est soumis à une concentration de 2 000 ppm, suivies d'un coma si aucun secours n'intervient. Par ailleurs la mort est rapide suite à une exposition de quelques minutes à une dose de 5 000 ppm. Cette mort survient lorsque 66% de l'hémoglobine a été transformée en carboxyhémoglobine.


Les détecteurs de monoxyde de carbone proposés aujourd’hui sur le marché, ne réagissent pas à des concentrations inférieures à 100 ppm. Cette limite de sensibilité est nettement au-dessus des concentrations maximales recommandées. 





Au temps de nos grands-pères et arrière-grands-pères, une part d’empirisme était de règle. Et la solution du canari-sauveteur, de pratique courante, pouvait coexister avec des méthodes plus sophistiquées.

L’oiseau a un appareil respiratoire beaucoup plus sensible que l’homme. Il cesse donc rapidement de chanter en présence de gaz délétères et meurt dès l’apparition du monoxyde de carbone. Combien de vies sauvées grâce à lui ? Il n’en sera pas moins le poids-plume de l’histoire charbonnière, car le souvenir du canari-mineur s’est envolé à tire d’aile.

Peu s’en souviennent. Heureusement, des interlocuteurs comme Jonathan Hoy, fils de mineur,  savent en parler. Les connaissances du marchand d’oiseaux de Stiring-Wendel en imposent :

Le canari-mineur que vous évoquez, c’est l’ancêtre du Harz actuel… Le canari de la mine chantait le bec fermé, allant jusqu’à imiter les bruits du fond : les gouttes d’eau qui font «-ploc-!-», les coups donnés dans la veine…


Lors des concours, à l’heure actuelle, si un canari ouvre le bec en chantant, il est éliminé… Les concours de canaris de chant existent en Lorraine et au moins deux clubs sont spécialisés dans cette catégorie : « Le Chanteur Fidèle » de Freyming-Merlebach qui organise ou participe régulièrement à des championnats franco-allemands en collaboration avec le club ornithologique de Sankt-Nikolaus (Sarre) et « Le Harzer Lorrain » de Thionville, un club spécialisé lui aussi.

Le canari du Harz a été obtenu par des accouplements étudiés et sélectionnés, en Allemagne, terre de tradition minière. Le mineur Wilhelm Trute (1836-1889), ouvrier dans les mines d’argent et d’étain,  a été l’un des premiers à améliorer le chant des canaris qu’il élevait. Au cours du XIXe siècle, d’autres familles  en Thuringe, se sont appliquées à raffiner le chant de leur favori pour en faire un virtuose.

Un éleveur réputé réussit à obtenir un oiseau qui enchaînait  trente deux variations dans l’expression de son chant. Puis un autre le surpassa, car ses oiseaux avaient un chant plus doux et profond. Ils chantaient la roulée profonde, la grognée, la tintée profonde, la roulée de clapotis, la flûte, les glous (glou-glou roulé, glou d’eau, glou roulé), la berceuse, le gargouillis, les tintées et les tintées roulées. Cet oiseau fut déclaré Harzer Edelroller, noble rouleur. C’est bien le moins !

Reste donc au bassin houiller lorrain – où les éleveurs sont légion – à offrir un championnat dédié aux descendants du canari-mineur en son nouveau musée. La plume au chapeau ou au casque à la lampe allumée.




Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur






L'oiseau sentinelle.



Grisoumètre VM1 du fabricant Oldham parmi les appareils ayant définitivement remplacé la lampe à flamme ARRAS de type CF après la catastrophe du puits Simon à Forbach en 1985 . Après ce drame, la lampe à flamme fut  interdite d'usage au fond par un décret  ministériel.