mercredi 22 février 2012

LÉON  IX, ÉVÊQUE LORRAIN DEVENU PAPE


Papautages à Dabo


La Lorraine revendique le lieu de naissance de Bruno d'Eguisheim-Dabo devenu pape sous le nom de Léon IX. L'Alsace cherche à faire pencher la crosse de son côté. Le Vatican a accordé sa bénédiction aux deux territoires. À la satisfaction des offices de tourisme



 
 

Mon incurie vis-à-vis de Rome me laisse sans voix sur la lignée des successeurs de saint Pierre, à l’exception des trois ou quatre derniers papes. Je le confesse : jusqu'à la semaine dernière, je ne connaissais pas Léon IX, revendiqué comme «le pape lorrain» par la paroisse de Dabo. Lacune en partie comblée depuis une escapade dans le pays de Sarrebourg.
 
Dabo est réputé en Moselle pour son rocher, le panorama qui s'étend à 360° sur les Vosges gréseuses, et au-delà, vers l'ouest, le plateau lorrain jusqu'à la côte de Moselle, et vers l'est, la plaine d'Alsace. Et pour sa chapelle saint Léon IX qui le coiffe.
 
Bis repetita, la statue de Bruno d'Eguisheim-Dabo, devenu saint Léon, qui domine le paysage n’est qu’un pâle exemplaire à côté de celle de l’église paroissiale, au centre de la bourgade dont les rues, vues d'en haut, dessinent une croix de saint André. Et là, on ne badine plus. Au pied du monument une plaque précise qu’ « Ici est né le 21 juin 1002, le grand pape lorrain St Léon IX, fils de la comtesse Heilwige de Dabo et du comte Hugues IV (…). En souvenir du millénaire de sa naissance». C’est gravé dans le marbre et signé «Les habitants de Dabo».
 
Ce serait une bénédiction pour la commune, si  une autre vox populi ne revendiquait pas la même chose. Au sud-ouest de Colmar, Eguisheim, l’un des « Plus Beaux Villages de France » (marque déposée), présenté comme le berceau du vignoble alsacien, célèbre également saint Léon. Statue similaire. Et une indication martelée sans ambages : « le fils du comte Huges IV et de Heilwige, fille du comte de Dagsbourg-Dabo, est né en 1002, à Eguisheim »-!
 
Daboisiens et Eguisiens sont donc divisés sur la question et les monographies en nombre viennent alimenter la controverse.


Sous le titre  « Un pape alsacien : Léon IX d'Eguisheim », Prosper Alfaric, professeur d'histoire des religions à la faculté des Lettres de Strasbourg, en 1933, s’émerveille : «Entre tous les Alsaciens de marque, le pape Léon IX occupe une place d'honneur. Il compte parmi les plus grands que le Moyen Âge ait connus, et l'Église l'a inscrit au catalogue de ses saints. Il a joué en divers pays un rôle de premier plan (…). Par une chance assez rare (…) un de ses familiers, le lorrain Wibert, nous a laissé une narration détaillée de sa vie, dont un premier livre fut rédigé, du moins en partie, avant sa mort, un second quelques années après (…).

Celui qui devait être le pape Léon IX naquit, nous dit Wibert, le 21 juin de l'an 1002, «sur les terres de la douce Alsace». Le même biographe donne à entendre que ses parents habitaient le château d'Eguisheim, celui sans doute dont trois grandes tours se voient sur un piton des Vosges, au sud-ouest de Colmar. Son père, Hugues, appartenait à la puissante famille des comtes d'Alsace. Il était cousin du duc Conrad de Franconie, qui allait bientôt devenir empereur d'Allemagne. 

«Teuton de nationalité, dit Wibert, il maniait fort bien la langue de son pays, en même temps que le latin», c'est-à-dire le roman. Sa mère, Helwige, était une «latine». Entendons par là qu'elle était d'un pays où l'on parlait le roman, non l'allemand. Mais elle pratiquait le même bilinguisme ».


Dabo, Eguisheim, Walscheid...
 
À Walscheid, en Moselle, pittoresque village situé dans la vallée de la Bièvre environné de montagnes couvertes de forêts, à 15 kilomètres au sud-est de Sarrebourg, on est tout aussi catégorique : « Léon IX est né à Walscheid le 21 juin 1002 dans le château du Durrenberg ».
 
L’Office de tourisme rappelle opportunément qu’au cours du XIXe siècle éclata une polémique sur le lieu de naissance de saint Léon, « querelle savamment entretenue par les défenseurs de Dabo, l'abbé Klein et ses successeurs, ainsi que les partisans d'Eguisheim, le chanoine Hunkler et le père Brucker ».


Et de tenter une explication : « Ce problème, pas encore résolu et qui risque fort de ne jamais l'être d'une façon irréfutable, repose sur une imprécision de Wibert : ''Saint Léon IX, dit-il, est né " in dulcis Elisatii finibus ". Mais comme le fait remarquer l'abbé Martin, "fines" dans le latin classique signifie tout ensemble : frontière et territoire. Alors : Dabo ou Eguisheim ? Si Wibert a voulu dire territoire, c'est à Eguisheim, s'il a voulu dire limite, c'est à Dabo.
 
Si on considère que Wibert écrivait de Toul, mais non d'Alsace, on peut comprendre que Léon IX était né sur la limite de l'Alsace par rapport au diocèse de Toul. Alors il s'agit de Dabo.
«C'est ainsi que l'ont compris les Bollandistes : Henschenius en 1675 parle de Dagsbourg. Les historiens alsaciens Schoepflin et Grandidier opinent pour Dabo. Et puis Wibert mentionne plusieurs fois le château d'Eguisheim sans pour autant faire allusion au lieu de naissance de saint Léon».

Bref, à Walscheid on est persuadé que le futur pape Léon IX a été baptisé dans la chapelle dite Saint Léon, sur la montagne de Saint Léon, à Walscheid. « S'il a été baptisé là, c'est qu'il était né là, dans le burg de ses parents qui englobait la chapelle, car alors la règle était de baptiser les enfants le jour-même de leur naissance »... Donc à Walscheid.

 
Pourtant, d'après la majorité des historiens et autres sachants (archéologues spécialistes de l'Alsace, ou des constructions castrales; Monique Goulet, la plus grande spécialiste de la "Vita leonis", la biographie du pape), il semble peu probable que le pape soit né à Walscheid. Tout porterait à croire, d'après la
"Vita" ou les dernières découvertes archéologiques, que le château de montagne d'Eguisheim soit le meilleur candidat. Une allégation qui ne va pas plaire aux Daboisiens-!
 
Mais la question du lieu de naissance de Léon IX a-t-elle un si grand intérêt ? Ne doit-on pas s’intéresser davantage à ce qu'il a réalisé-?

Durant les cinq années de son pontificat, il ne passa que neuf mois à Rome.  Le plus souvent en voyage à travers l’Europe, il engagea l’Église dans une profonde réforme politique et théologique à l’issue de la période la plus sombre du Moyen Age : affirmation de la suprématie pontificale, restauration de la discipline au sein du clergé (opposition au concubinage des prêtres), refus de la vie de cour, condamnation des « simonies » (achat ou vente de charges ecclésiastiques)...

Il présida de nombreux conciles, fit sentir le poids de l'autorité romaine, tenta de mener une politique cohérente face aux Normands et aux Byzantins, réforma la vieille chancellerie pontificale. Il lança ainsi, dans le respect de l'autorité impériale, la réforme de l'Église qui deviendra ensuite la réforme grégorienne.
 
Saisissant le prétexte du millénaire de sa naissance, un colloque réuni à Strasbourg en juin 2002, a fait le point sur les origines, la personnalité, l'action et l'entourage de ce pape, ainsi que sur les sources, narratives, diplomatiques, épistolaires, nécrologiques, archéologiques et autres, de l'histoire de son pontificat.


Sagesse pontificale
 
Alors d’Alsace ou de Lorraine ? Adressant une lettre au cardinal chargé de la Culture, le pape Jean-Paul II écrit, le 13 juin 2002 : « Voici mille ans, le 21 juin 1002, naissait en Alsace Brunon d’Egisheim-Dabo, qui deviendra Pape en 1049 sous le nom de Léon IX. À l’occasion du millénaire de sa naissance, qui est célébré en ces jours dans les trois diocèses de Strasbourg, de Metz, de Nancy et Toul, et que vous allez présider comme envoyé spécial, je m’unis par la pensée et la prière aux fidèles rassemblés autour de leurs pasteurs ».
 
Pour  le Vatican, Léon IX est donc né en Alsace. Mais dans sa grande sagesse, Jean-Paul II accorda la bénédiction apostolique aux trois diocèses. N’empêche que saint Léon est plus lorrain qu’alsacien. Il avait été confié dès l’âge de 5 ans à l’évêque de Toul et il fut lui-même évêque de ce diocèse lorrain durant une vingtaine d’années avant d’être intronisé à Rome pour cinq ans.  Alors, alors…
 
Et il porte bien la croix de Lorraine, non ? 

Eh bien, regardez de plus près la croix de Léon IX. Elle a trois croisillons au lieu de deux. Renseignements pris, la croix de Lorraine à double traverse est celle des archevêques et des patriarches de Jérusalem. La troisième traverse signale la fonction papale. Il ne faut donc pas la considérer simplement sous l'angle d'une symbolique régionale… D’autant moins que la croix de Lorraine n’a pas toujours été lorraine. Elle a été introduite par le duc d'Anjou lorsqu’il devint duc de Lorraine par son mariage avec Isabelle, en 1431. C’est pourquoi on l’appelait auparavant croix d’Anjou.
 
Finalement, elle est de chez nous, sans être de chez nous ? Avec tout ce charivari, je trouve prudent de ne pas le répéter aux Alsaciens… 


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur





Le rocher de Dabo coiffé de la chapelle Saint Léon IX. Février 2012.
© Sylvain Post




Le rocher de Dabo vu depuis le Backofenfelsen (altitude 732 m). Décembre 2012.
© Sylvain Post




Le rocher de Dabo vu depuis La Hoube. Août 2013.
© Sylvain Post







mercredi 15 février 2012

CARBONIFÈRE DE LORRAINE

Les premières graines

Des « fougères à graines » ont existé à côté des fougères à spores 
au Carbonifère, il y a 300 millions d’années.
Leurs fossiles ont attisé les débats dans le monde scientifique,
un sujet qui refait surface en 2004, avec
la parution de «L’Herbier de pierre», ouvrage consacré
à cette flore engloutie et dont la sortie est signalée
par le magazine «Sciences & Avenir».


Ovule de fougère (42 mm), des Houillères de Lorraine, à Merlebach (57). - Coll. S. Post
 
 

Pour plus de 5 000 mètres de sédiments, l’épaisseur cumulée des bancs de charbon est de 100 mètres en Lorraine. Après la fermeture de toutes les mines, le sous-sol mosellan contient encore 630 millions de tonnes de charbon. L’étendue des réserves de charbon témoigne de l’abondance de la végétation à partir de laquelle elles se sont formées. Et si la documentation paléontologique est loin d’être exhaustive, elle montre néanmoins que les végétaux actuels sont le résultat d’une très longue série de transformations dont on peut retracer le cheminement grâce aux fossiles.
 
Au Carbonifère en Lorraine cinq embranchements existent :
 
- Les lépidophytes : lépidodendrons et sigillaires en constituent les représentants.
- Les arthrophytes (syn. articulées) : un groupe qui n’est plus représenté aujourd’hui que par les prêles et dont les individus atteignaient la taille d’un arbre.
- Les filicophytes : les fougères.
- Les ptéridospermophytes : longtemps confondus avec les fougères, car ils sont pourvus de frondes ; ils se reproduisent cependant par graines et peuvent atteindre une hauteur de 10 mètres.
- Les cordaïtophytes : gymnospermes primitives arborescentes.
 
Ces ptéridospermophytes témoignent d’une étape capitale de l'évolution des plantes, celle qui porte sur les éléments de reproduction et de dissémination. Grâce à l’avènement de la graine, ceux-ci seront désormais protégés, pourvus de réserves et comporteront une ébauche complète de jeune plante.
 
On s'est longtemps étonné de trouver des empreintes de plantes classées comme fougères et ne présentant jamais de sporanges.  Ce n'est qu'après 1900 qu'intervint une découverte décisive : certaines graines devaient incontestablement être rattachées à ces végétaux constituant un groupe à part.
 
Dans leur ensemble, ce sont des graines relativement grandes, à symétrie radiaire et ornées de trois côtes longitudinales (Trigonocarpus) ou encore ailées, avec une carène longitudinale très marquée, souvent associées à Linopteris ou à Paripteris (Hexagonocarpus). D’autres graines généralement de petite taille, parfois garnies de deux lignes longitudinales suivant lesquelles elles se fendent lorsqu'elles sont écrasées, sont attribuées aux Sphenopteris (Nudospernum). 


Certains auteurs, n'y ayant jamais observé d'embryons, ont préféré parler d'ovules correspondant à un macrosporange entouré de téguments, mais l'examen des empreintes et des moulages pierreux sans structure ne permet pas de résoudre le problème. Le pragmatisme l’emporta. On continue ainsi de parler de «fougères à graines».


Ovule de Ptéridospermophyte, Westphalien C, région de Liévin (62).
Coll. Bruno Vallois

















Neuropteris ovata de Lorraine
















Particulièrement répandues
dans le bassin houiller lorrain,
elles représentent plus de la moitié
des espèces répertoriées.
La large extension de l’une d’elles -  Neuropteris ovata, décrite par Hoffmann - facilement identifiable, a été proposée comme espèce guide en 1963, au Ve congrès international du Carbonifère, pour la base du Westphalien D.
Elle apparaît en relative abondance, jusqu’au conglomérat de Holz (1).


Cette histoire nous enseigne que certains groupes de végétaux ont exploré toutes les possibilités d’une certaine organisation pour retourner ensuite à l’immobilité relative ou absolue, et quelquefois disparaître entièrement. C’est le cas de l’expansion soudaine de ces fougères à graines. Et de leur disparition aussi radicale. Une notoriété gagnée pour un avenir perdu.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



Coupe partielle Ouest-Est du gisement lorrain. Cliquer sur l'image pour l'agrandir. © Joël Lorique


(1) Le conglomérat de Holz se situe à la base de l'étage Stéphanien, en discordance sur les assises successives de l'étage Westphalien. Le bassin lorrain est le seul bassin houiller français d'importance où se trouvent superposés des terrains d'âge westphalien et stéphanien. En d'autres termes, le gisement s'est constitué pendant le Carbonifère supérieur et le Permien inférieur, sur une durée d'environ cinquante millions d'années, approximativement de -320 à -270 millions d'années.

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vendredi 3 février 2012

MINES MÉTALLIFÈRES DU WARNDT

L'azurite de Lorraine
sous le ciel de Venise

Le minerai de cuivre du duché de Lorraine obtint ses lettres de noblesse lorsqu'il passa du statut de roche à celui de pigment pour les peintres de la Renaissance italienne. La «poudre bleue» au XVIe siècle, contribua au prestige de la cour de Nancy.


La mine de cuivre de Longeville-lès-Saint-Avold en 1977. © Photo Serge Kottmann 


 
Cuivre, argent, plomb… De SAINT-AVOLD à la frontière de SARRELOUIS, de FALCK à FORBACH, pas moins de 28 mines métallifères, en grande majorité abandonnées et inaccessibles aujourd’hui, constituent une étonnante fresque de la préhistoire industrielle du bassin houiller lorrain. Un chapitre particulièrement bien étudié par Jacques Kunzler, de Saint-Avold, membre, entre autres, de la Société d'histoire et d’archéologie de Lorraine et du comité de gestion de la Réserve naturelle volontaire de Longeville-lès-Saint-Avold. Dans cette localité, l’homme a laissé d’anciens travaux miniers, dont les plus remarquables concernent une mine de cuivre exploitée de 1858 à 1864. D'une mine voisine on sortait le minerai de plomb jusqu'en 1882. 

Azurite de Longeville-lès-Saint-Avold, 1981.


Des arrêtés sont venus encadrer l'accès aux galeries à partir de 1984. Il y a une trentaine d'années – alors que l’ancienne mine de cuivre était encore ouverte aux archéologues, spéléologues, géologues, mais également au pillage –  la malachite et l’azurite apparaissaient en petits amas dispersés verts et bleus  formant, avec l’ocre jaune et rouge, des jeux visuels très élaborés sur l’écran granuleux de leurs parois de grès.  Une roche soumise à la circulation des solutions géothermales, riches en métaux dissouts. Le minerai de cuivre s’est formé quand ces solutions sont remontées à la surface, et en s'amalgamant avec d'autre métaux, ont précipité en se déposant en veine à travers les terrains. Le cuivre, dans un tel scénario, est généralement apparu à l’état de sulfure. Au cours de milliers d'années, l'air ou l'eau a fini par pénétrer et oxyder le minéral. Les sulfures de cuivre peuvent être oxydés. Par des solutions acides, le soufre et le fer sont remplacés par des carbonates et hydroxydes.


Malachite de Longeville-lès-Saint-Avold, 160 mm. (1981)


Ainsi, la malachite (verte) et l’azurite (bleue) sont des carbonates de cuivre, de formule Cu2(CO3)(OH)2 pour la première et Cu3(CO3)2(OH)2  pour la deuxième. Instable à l'air libre, l’azurite se transforme en malachite par un phénomène de pseudomorphose.
 

À Longeville-lès-Saint-Avold, le minerai était exploité dans les grès du Trias inférieur, au niveau des couches dites intermédiaires, minéralisées en cuivre d’origine hydrothermale.  Les galeries et salles occupent un rectangle de 300 mètres sur 150, dimensions qui en font la plus grande mine de cuivre fermée du Warndt . Son architecture se présente tantôt sous forme de chambres et piliers, tantôt sous forme de galeries basses et étroites.

Après un premier traitement sur place, le minerai était expédié pour y être fondu, à LINZ-AM-RHEIN, ville de RHÉNANIE-PALATINAT distante de 240 kilomètres.   Lorsque la teneur descendit à 0,25 %, la mine ferma en 1864. Pour mémoire, c'est en 1858 que la découverte du bassin houiller lorrain fut proclamée urbi et orbi, soit quarante ans après le fonçage du premier puits qui devait atteindre le charbon, à Schœneck.

Mais la fin de l’exploitation du minerai de cuivre dans la région du Warndt ne saurait éclipser ses débuts. L’évocation la plus étonnante de l’azurite de Lorraine renvoie quatre siècles en arrière, vers une époque où les maîtres de la peinture italienne se procuraient dans l’ancien Duché de Lorraine la « poudre bleue » qui servait de base à certains coloris. Ce  pigment était utilisé dans les ateliers de la Haute Renaissance, celle qui fait référence aux arts de la Rome papale, de Florence et de la République de Venise entre 1500 et 1530. Ses figures de proue en sont Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci et Titien.


Antoine de Lorraine dit le Bon


Des documents peu connus des archives de Nancy font état du mouvement de surprise qu’a eu le jeune prince Antoine de Lorraine, fils de René II,  petit-fils de René d'Anjou, lorsqu’en 1507, au cours d’un voyage en Italie du Nord, des marchands rencontrés au hasard de la route, lui dirent que le chargement de leurs bêtes de somme était composé d’azurite extraite en Lorraine allemande, qu’ils allaient livrer aux grands peintres de Venise.
 

Dès son retour à Nancy, Antoine de Lorraine, élevé à la cour du roi de France Louis XII et qui ne connaît pas encore toutes les ressources de sa province, demande à son éducateur de lui faire découvrir les « mines d’azur » du duché.

Nicolas Volcyr de Seroncourt organise un voyage à Vaudrevange (aujourd’hui Wallerfangen), qui était au  temps de l’indépendance du Duché de Lorraine, chef-lieu de la Lorraine allemande, près de Sarrelouis. Volcyr va avec le jeune prince sur les hauteurs du Limberg, du Blauberg et du Humberg et lui montre ces mines en pleine exploitation. Il explique que les Romains les avaient  ouvertes pour en extraire le minerai de cuivre. Ils les délaissèrent ensuite et ce n’est qu’au XVe siècle que l’exploitation fut reprise.
Les ducs de Lorraine employaient des maîtres mineurs du Thillot, voire du Tyrol, ainsi que des spécialistes de l’affinage qui devaient enseigner leurs secrets aux femmes engagées à cet effet.



Azurite de Lorraine, 4 mm. Photo Jean-Marc Johannet ©

La "poudre bleue" servait de pigment



Les tanneurs de Wallerfangen fabriquaient du cuir blanc spécial et faisaient coudre des sacs pour le transport de la « poudre bleue ». La cour de Nancy aimait en faire cadeau aux princes voisins, les comtes de Luxembourg, aux archevêques électeurs de Trèves et à d’autres. En 1598, une commande particulière fut passée pour le palais ducal de Nancy, en vue de la décoration de la salle des Cerfs.
 

Le manège des chariots d’azurite de Wallerfangen s’arrêta dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Quant à la mine de Longeville-lès-Saint-Avold, elle témoigne de la maîtrise de l'art du mineur de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans les galeries taillées à la pointerolle, à la massette et au pic, où le minerai et les stériles étaient bruyamment recueillis, rien n'interrompt le silence depuis trente ans, de mi-octobre à mi-mai. Pour le bien-être des chauves-souris. Sans concession.
  

Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur


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Espaces protégés.- Sévèrement règlementées, les anciennes mines métallifères du Warndt font l'objet d'un suivi régulier, car diverses espèces  de chauves-souris les ont colonisées. On ne peut pas y pénétrer sans guide. Les gîtes d’hibernation placés sous la protection de la loi, se répartissent en deux secteurs :
- Le secteur Hargarten-Falck-Dalem, qui regroupe les mines de Béring, de la Petite-Saule, de la Grande-Saule, Saint-Jacques, Saint-Nicolas, ainsi que les plus petits
ouvrages de Dalem. À ces anciennes mines de cuivre et de plomb, s’ajoutent les tunnels désaffectés de Hargarten-aux-Mines.
-Le secteur Saint-Avold-Longeville-lès-Saint-Avold, qui regroupe la Réserve naturelle volontaire de Longeville-lès-Saint-Avold avec les deux mines du Haut-Bois et du Castelberg, et la mine du Bleiberg à Saint-Avold.
- À ces deux secteurs, s’ajoutent la carrière souterraine de Théding et un ancien souterrain militaire dans la forêt de Forbach.

Des visites sont organisées pendant la période dite "verte" dans les deux mines de la Réserve naturelle volontaire de Longeville-lès-Saint-Avold et dans la mine du Bleiberg, à Saint-Avold, tandis que la période dite "rouge" est réservée aux inventaires et aux suivis scientifiques. Ainsi, il n'est pas fait obstacle à leur intérêt historique, archéologique et géologique, pas uniquement chiroptérologique.

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Le portrait d'Antoine de Lorraine dit le Bon, par Hans Holbein le Jeune, est daté de 1543.
Photo de la Gemäldegalerie, Berlin

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jeudi 2 février 2012

MONDE SOUTERRAIN

La face cachée des arbres

Dans l’obscurité d’une caverne aucune plante
capable de photosynthèse ne peut pousser.
Pourtant, dans les environs de Sarreguemines,
des racines se développent dans le noir…


C'était en 1963... à 17 ans, mon premier article sur les racines.
 
 
À part des spéléos, qu'y a-t-il de vivant sous terre ? Dès qu'il fut constaté que le monde souterrain était peuplé, il devint indispensable de faire un tri pour ne pas se prendre les pieds dans la biosphère. En spéléologie, la méthode la plus pratique distingue trois catégories de «-cavernicoles-» : les trogloxènes, les troglophiles et les troglobies.
 

Les premiers sont des animaux qui utilisent le monde souterrain au cours d'une partie de leur existence pour des raisons particulières à chaque espèce. Par exemple, pour hiberner, pour estiver ou tout simplement pour s'abriter. Ces animaux peuvent utiliser d'autres lieux en l'absence de cavités. De plus, ils n'effectuent pas leur cycle complet de reproduction sous terre : même les espèces de chauves-souris qui utilisent les grottes pour hiberner, s'accouplent à l'extérieur à une autre période de l'année.
 

Les deuxièmes sont des animaux adaptés à la vie souterraine. Au cours de l'histoire de leur lignée, la variabilité génétique a introduit des caractères les rendant plus aptes que d'autres à vivre sous terre. On cite l’exemple de l’escargot Oxychilus dont l'espèce troglophile est carnivore grâce à une enzyme capable de digérer les carapaces des insectes, à la différence de leurs cousins du dehors.
 
Enfin, les troglobies sont les véritables cavernicoles. Lointains descendants d'animaux de surface, ils s'en sont depuis tellement éloignés physiologiquement et morphologiquement qu'ils ne peuvent plus survivre à l'extérieur. Leur développement dépend du monde souterrain auquel ils sont inféodés. Ce sont surtout des invertébrés: insectes, crustacés, mollusques, vers, unicellulaires.
 
Il n'existe pas d'herbivores troglobies puisqu'il n'y a pas de végétation chlorophyllienne dans l'obscurité totale. D’où la question : comment expliquer la présence de racines au plafond de certaines cavités, naturelles ou artificielles, plongées dans le noir ? Une telle curiosité s’est présentée aux spéléos il y a une cinquantaine d’années, dans une ancienne carrière souterraine ouverte dans le calcaire coquillier (Muschelkalk), dans les environs de Sarreguemines.


 
 

En 1976, même intérêt au sein de l'équipe de naturalistes conduite par Serge Kottmann.



Propriété privée d’accès interdit, cette carrière désaffectée s’étend sur environ 7 hectares et une profondeur de 500 mètres dans la colline. L’aération était assurée par une machinerie et un puits débouchant dans la forêt. Plusieurs milliers de civils y avaient trouvé refuge après l’année 1942 de sinistre mémoire, lors des bombardements et jusqu’à la libération de Sarreguemines (du 5 au 10 décembre 1944) par les troupes américaines. Un hôpital de campagne avec douze lits et une unité chirurgicale avaient été aménagés dans les galeries. Il y eut huit décès de mort naturelle et deux tués près de l'entrée, et huit naissances. Entre Noël 1944 et le Nouvel An, l'armée américaine évacua les derniers 2 800 réfugiés de cette « ville souterraine ».
 

Après la guerre, l’exploitation souterraine de calcaire pour l’industrie céda le pas au champignon de Paris. Milieu favorable à cette culture, car il réunit dès qu’on y pénètre profondément, les caractéristiques physiques principales des cavernes en milieu karstique : absence de lumière, humidité élevée et relativement constante, température presque invariable. Cependant, l'obscurité absolue entraîne l'absence complète de végétaux verts capables de photosynthèse. Or, il était difficile de contester l’appartenance des racines « cavernicoles » à une plante vivant à la lumière du jour et présentant une surface d'échange  pour la fonction chlorophyllienne.
 
 

Géotropisme en sous-sol


© Ph. Serge Kottmann, 1976.
 
 

L’énigme de ces racines très ramifiées et de très petit diamètre, présentant une croissance en longueur active, ne pouvant pas vivre seulement d’air et d’eau fraîche, fut vite résolue. Le plus remarquable est leur croissance relativement vigoureuse dans ce milieu apparemment coupé du monde extérieur. C’est précisément cette impression de rupture avec l’extérieur qui pouvait induire en erreur. Pas de doute, les racines des cavernes observées sous diverses latitudes sont attribuées aux arbres poussant quelques mètres ou dizaines de mètres au-dessus. La face cachée des arbres, en quelque sorte.
 

Les sciences du vivant nous ont appris qu’une racine prendra  toujours une position verticale et s’enfoncera de haut en bas. C’est le géotropisme positif, loi naturelle qui oblige toute racine à se diriger vers le centre de la Terre. Avec deux exceptions : quand il y a un obstacle, la racine s’appuie dessus et si la résistance est trop forte elle contourne l’écueil, pour reprendre ensuite sa position verticale. Et si la racine veut atteindre une zone humide, elle peut prendre une direction oblique.
 

Dans la colline dominant la Sarre, les diaclases du massif de calcaire ont permis aux racines de la carrière souterraine de traverser la roche entre la surface et la cavité. Parvenues dans la grotte remplie d'un air saturé en humidité, certaines ont développé un chevelu caractéristique au niveau de la voûte, tandis que d’autres ont poursuivi leur croissance jusqu’à atteindre le sol.
 

Pétrifiées par l’eau de ruissellement chargée de carbonate de calcium, ces colonnes mi-pierre, mi-végétal, rendent compte de la puissance expansive de la nature. Quasi-stalactites depuis des décennies et pour longtemps.


Sylvain Post, avec Serge Kottmann
Photos réalisées avec l'autorisation du propriétaire de la carrière souterraine





La crevette cavernicole Niphargus

Des crevettes aussi... 
En 1976, des  crevettes cavernicoles dépigmentées mesurant tout au plus dix millimètres, ont également été observées dans le ruisselet qui parcourt la carrière souterraine. Elles ont pour nom Niphargus
Ces petits carnassiers opportunistes peuvent vivre en se nourrissant d’argile et survivre dans des conditions extrêmes en dehors de l’eau mais en milieu humide. Comme les zones de leur habitat sont très cloisonnées et dispersées, il existe un grand nombre d’espèces de Niphargus.