jeudi 31 juillet 2014



31 JUILLET 1914 : 
L’ÉTAT DE "DANGER DE GUERRE"
DÉCRÉTÉ PAR L’ALLEMAGNE

 220 000 Alsaciens et Mosellans
seront mobilisés par le Reich
Après des mesures de pré-mobilisation prises en juillet, la mobilisation allemande de 1914 se déroula du 2 au 17 août 1914, comprenant le transport, l'habillement, l'équipement et l'armement de plus de trois millions d'hommes, parmi lesquels les Alsaciens et Mosellans "oubliés de l’Histoire".



Décret du 31 juillet 1914, signé de la main du Kaiser
libellé comme "état de guerre", mais officiellement présenté
comme "état de danger de guerre".
La Constitution de l'Alsace-Moselle est suspendue et
l'état de siège instauré.
 



Les nôtres en Moselle, lors de la mobilisation de 1914, ne revêtirent pas la capote bleu horizon et le pantalon rouge garance du Poilu, mais la tenue Feldgrau du fantassin allemand. La Moselle était une terre allemande depuis plus de quarante ans, soit deux générations. On peut donc comprendre – ce que la France souvent n’a pas compris – que l’écrasante majorité des Alsaciens et Mosellans aient répondu sans état d’âme à l’ordre du Kaiser, respectant le serment de fidélité qu’ils avaient prêté à l’empereur Guillaume II durant leur service militaire. Quelque 3 000 jeunes gens, toutefois, franchirent la frontière pour échapper à l’enrôlement et rejoignirent l’armée française. Mais ils furent 220 000 à être mobilisés par le Reich au début de la guerre, 380 000 en tout jusqu’en novembre 1918. Sur la même période, de 16 000 à 20 000 Alsaciens et Mosellans annexés choisirent de combattre pour la France.

Les hommes partis à la guerre «-parce qu’il faut bien y aller…-», l’espéraient rapide. Pour les paysans, les plus nombreux parmi les incorporés, la question en ce début août 1914, était de savoir si on serait rentré pour la fin des moissons. On est loin d’imaginer le cataclysme à venir, de déchiffrer comme le dit Joseph Zimet, directeur général de la mission du Centenaire, «-les motivations qui poussèrent les peuples les plus avancés de la planète à engloutir leurs ressources morales et matérielles dans un immense brasier qui manqua d’annihiler la civilisation européenne-».

En 1918, il n’y eut pas d’euphorie de la victoire, si l’on en croit le film Apocalypse. La 1ère Guerre Mondiale (mars 2014) d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle. Personne ne nie la réalité des scènes de liesse populaire avec Alsaciennes et Lorraines en costume traditionnel à Metz et Strasbourg fêtant les libérateurs. Les mêmes feront remarquer à la population qu’elle a appartenu au camp des vaincus… La fierté d’avoir gagné domina en France. Et plus encore le soulagement que la guerre fût enfin terminée. Le peuple prit conscience des pertes terribles que le conflit a entraînées. La mort était partout. Chacun avait perdu un proche. Toutes les femmes étaient vêtues de noir. La France, l’Alsace et la Moselle étaient en deuil.

Quand viendra le temps d’ériger des monuments aux morts, ceux des «-provinces recouvrées-» porteront, pour la plupart, l'inscription lapidaire «À nos morts» en lieu et place du traditionnel «-Morts pour la France-». Ce voile pudique recouvre le sacrifice de ces combattants tombés entre 1914 et 1918 pour la Patrie. Mais quelle patrie ? Une situation que les Mosellans connaissent trop bien pour ne pas l’oublier au moment où sonnent les clairons et claquent les drapeaux du Centenaire.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur


[publié le 31.07.2014] 


Articles précédents :
- Risque d'amnésie

- Quel centenaire en Moselle ?





Nouvelles recrues dans l’armée allemande en août 1914
(document Bundesarchiv)




Ordre reçu dans l'arrondissement de Forbach :
se présenter à la gare au 14 e jour qui suivra la mobilisation allemande
du 2 août 1914. Ce Lorrain partira au combat sur le front russe.


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François Hollande et Joachim Gauck
au Hartmannswillerkopf, pour le centenaire

 « Forger ensemble une mémoire commune »


C’est en terre alsacienne, à l’occasion de la première commémoration nationale de la guerre de 1914-18, en présence du président François Hollande et de son homologue allemand Joachim Gauck,  qu’on aurait pu s’attendre, le 3 août 2014, à l’évocation liminaire de l’épreuve douloureuse que l’Alsace-Moselle avait traversée à la mobilisation, lorsque les deux provinces avaient vu partir au front 220.000 de leurs ressortissants envoyés au combats par le Reich sous l’uniforme allemand.

La phrase attendue a été prononcée par le président de la République fédérale d’Allemagne. Il a effleuré le sujet en déclarant que les Alsaciens et les Mosellans ont «-le sentiment d’avoir été le jouet des vicissitudes de l’Histoire.-Prendre au sérieux leur épreuve particulière et les souffrances qu’ils ont subies, cela fait partie de notre travail de mémoire et de l’immense œuvre de réconciliation-». «-Nous ne parlons pas la même langue. Mais notre culture politique humaine commune nous unit profondément-», a ajouté Joachim Gauck.

Cent ans jour pour jour après la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France, le chef de l’État français et son homologue allemand se sont pris ostensiblement, et à plusieurs reprises, la main au cours des cérémonies. L’image de leur accolade chargée d’émotion est celle que l’on retiendra de cette commémoration inédite du sacrifice des soldats de la guerre de 14-18.

Dans la crypte du monument national érigé en 1932 au Hartmannswillerkopf (rebaptisé le « Vieil Armand » par les Poilus), les deux chefs d’État se sont recueillis quelques instants devant l'immense bouclier de bronze sous lequel reposeraient quelque 12
.000 soldats inconnus français et allemands, mêlés dans la mort. Sur cette montagne "mangeuse d'hommes", environ 30.000 hommes ont péri dans des combats furieux pour le contrôle d'un piton rocheux qui domine de ses 956 mètres la Plaine d'Alsace.

«-Nos deux nations sont dans le même deuil
-» a déclaré François Hollande. A l’occasion de ces cérémonies, le président français et son homologue ont signé une déclaration commune et posé la première pierre de l’Historial franco-allemand du Hartmannswillerkopf, «-première institution binationale consacrée à la Grande Guerre-».  «-Les terribles combats qui l’ont ravagé (...) ont fait du Hartmannswillerkopf un lieu sacré où s’entretient le souvenir des déchirements du XXème siècle. Par la construction de ce musée unique en son genre, il sera aussi désormais un emblème de l’amitié entre la France et l’Allemagne et un symbole de leur mémoire réconciliée-», souligne la déclaration.

Les drapeaux français et allemands flottent désormais ensemble sur la ligne bleue des Vosges. François Hollande et Joachim Gauck ont donc surtout consacré la réconciliation entre les deux pays, «-la volonté de forger ensemble une mémoire commune-», a déclaré le président français. «-La mémoire de la Grande Guerre n’est plus celle des témoins, a-t-il souligné, mais celle des héritiers-».  «-L'Europe doit ouvrir une perspective de croissance, d'emploi, de solidarité, mais également de culture, d'éducation, de savoir-», a encore déclaré François Hollande. «-Pour y parvenir, beaucoup dépendra de l'amitié entre la France et l'Allemagne-».

Il n'est pas d'usage de commémorer les déclarations de guerre. Il n’est pas d’usage non plus, de prendre à contresens une mémoire réconciliée. Ce que les Alsaciens et les Mosellans devraient pouvoir espérer maintenant, c’est que l’on cesse de dire, depuis Paris et dans le reste de l’hexagone, que leurs fils tombés en 14-18 ne sont pas «-Morts pour la France-». Leur sacrifice fut le passage à cette Europe nouvelle de paix, de liberté et de prospérité pour laquelle vibrent nos deux pays !


S.P. 

[publié le 3.08.2014]