lundi 21 avril 2014

BASSIN HOUILLER LORRAIN


Des raisons de zapper l'UNESCO


 Comparaison n'est pas raison. Il serait illusoire d'imaginer l'inscription du bassin houiller lorrain au Patrimoine mondial par l'UNESCO, à l'heure actuelle, en se référant au classement récent du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais et des sites miniers wallons parmi les merveilles du monde...
( Publié le 7.07.2012 - mis à jour le 19.07.2013 )




Petite-Rosselle : la reconstitution du fond... à la surface.
 © Photo Wolfgang Staudt, Sarrebruck, sur Flickr


 
Le Nord - Pas-de-Calais partage une même fraternité de métier avec le bassin houiller de Lorraine. Mais là, son destin vient  de bifurquer. Porté au pinacle pour avoir su défendre le traitement patrimonial et mémoriel de son territoire, prenant en compte les vestiges d’une industrie éteinte depuis 1990 et les pratiques sociales qui se sont instaurées au fil du temps. L’esprit-mine y demeure très vivant et sert de ressort à « la volonté d'un nouveau développement s'appuyant sur la force d'une mémoire ».

S’agissant du patrimoine matériel – fosses, chevalements, terrils, corons, cités pavillonnaires, hôtels de ville, écoles, maisons d’ingénieurs, maisons syndicales, dispensaires, salles des fêtes, églises,  temples, presbytères, gares, haltes ferroviaires, postes d’aiguillage, monuments aux morts,  étangs d’affaissement, stades… – un classement signifie "on ne touche plus à rien" sans préalablement se reporter aux prescriptions culturelles onusiennes !

Et c’est, peut-être, la première des raisons pouvant inciter le bassin houiller lorrain à ne pas manifester le désir, à ce jour, d’être labellisé par l’UNESCO. Trop de choses restent en chantier.

Qu’observe-t-on en Moselle charbonnière ? En premier lieu, les conséquences de l’arrêt progressif des mines,  avec les fermetures successives de Merlebach (2003) et de La Houve (2004), la disparition des HBL et la dissolution des Charbonnages de France (2007). Un désengagement massif pouvant être considéré comme brutal au regard d’un  siècle et demi d’une activité qui a marqué, sous toutes ses coutures, le sol et les mentalités.

Cette fin programmée s’est accompagnée de la mise en œuvre rapide d’une politique de déconstruction des sites miniers, doublée d’une politique de construction d’une image-témoin savamment orchestrée par les HBL elles-mêmes.

L'«écriture» du passé mono-industriel a abouti à faire du carreau de Petite-Rosselle l’étendard de l’histoire charbonnière mosellane.  Pour autant, il ne fait pas partie du réseau européen des musées du charbon et aucun de ses représentants ne siège au Comité français d’histoire industrielle (1).


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Évolution en cours
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Le seul musée du charbon de Moselle s’appelle jusqu’alors «La Mine» sous-titrée «Carreau Wendel».  Il sera rebaptisé «Parc Explor Wendel» pour la globalité du site de 150 hectares. Dans ce périmètre, le parcours souterrain, à faible profondeur, qui recrée l’ambiance de travail du fond,  s’appellera désormais «La Mine Wendel» et le cœur du musée «Les Mineurs Wendel». Celui-ci va s’ouvrir au public dans sa livrée définitive. Sa réalisation aura coûté 4,3 millions d’euros.

Une nouvelle dotation budgétaire de 812 000 euros a été affectée au musée à la fin du premier semestre 2012, afin de mener des travaux d’urgence qui consolideront les édifices les plus endommagés. Ce qui fait dire au président du syndicat mixte en charge de la gestion du site, que les installations (lavoirs, ateliers, décanteurs…) seront conservés en totalité. Rude programme. Car les bâtiments périphériques, notamment les extensions d'après-guerre directement lisibles par l'importance et l'homogénéité des volumes simples et rigoureux de fer et de briques rouges, trop longtemps  restés ouverts au vandalisme et soumis aux infiltrations, nécessiteront un traitement de choc étalé sur des années. Pour quel usage ? La question arrive trop tôt.

Parallèlement, un inventaire doit permettre d’entamer une rigoureuse sélection des innombrables objets, plus ou moins volumineux, en stationnement anarchique entre l’entrée du site et le parcours de représentation du fond. On conservera tout ce qui est unique et présente un intérêt historique. Il y aura forcément de la mise à la ferraille.


Il  reste un angle mort concernant  le réseau ferroviaire et la collection de locomotives industrielles du Carreau Wendel. Cette dernière sera-t-elle conservée ou pas ? Les pro-chemin de fer disent que le transport de la houille est un thème majeur de l’histoire charbonnière. Leur argument consiste à souligner que les voies ferrées (la ligne Metz-Forbach-Sarrebruck est un bon exemple) ont été posées pour le charbon, ses producteurs et leurs clients. Ainsi s’expliquent les liaisons ouvertes pour desservir la sidérurgie, les soudières, les salines… Leur mise en place raconte le désenclavement des puits et le maillage multimodal du territoire : routes, rail, voie navigable.

On ne peut objecter que le «service chemin de fer» des HBL ne soit pas un sujet de premier plan. Et comme pour lui faire écho,  le «grand roulage» de La Houve, au fond de la mine, a été le plus impressionnant du monde, avec 40 kilomètres de voies électrifiées, des trains de 200 tonnes tractés par des locos alignant 300 chevaux.

Un autre thème mériterait d’être promu, celui de la technologie mise en œuvre pour l’abattage du charbon dans les « dressants », les veines inclinées à plus de 60 degrés. La maîtrise de leur exploitation a valu à Merlebach une réputation planétaire et la venue de délégations de spécialistes de tous les continents.  Foin des superlatifs. La «mise en objets» de la mémoire du bassin houiller lorrain est en train de se faire. Une situation trop évolutive pour briguer le label de l’UNESCO. Prématuré.


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Échec à l'union 
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Malgré la lourde réhabilitation en cours, tous les efforts engagés à Petite-Rosselle n’ont pas suffi à drainer le public attendu sur le musée, qui peine encore à fonctionner.  Il rencontre une difficulté récurrente à stabiliser son équipe scientifique et culturelle. Et sans jouer les Cassandre, le budget de fonctionnement de ce lieu de mémoire et d’animation sera de taille, alors que le bassin houiller lorrain est soumis à l’épreuve des pénuries.
 
Démographie en déclin, tissu productif en profonde mutation, chômage massif chez les jeunes, persistance de populations défavorisées. Malgré le "Pacte charbonnier" qui a assuré la paix sociale en donnant un revenu de remplacement aux effectifs dégagés par les mesures d’âge avant et lors de la fermeture des HBL, mais qui n’a pas comporté de volet industriel. Cependant, il serait injuste de ne pas saluer les apports de réalisations récentes, telles que l’Eurozone Forbach-Sarrebruck, la Pépinière d’entreprises, le Technopôle Forbach-Sud, l’Europarc Forbach-Nord. L’écart par rapport aux besoins reste toutefois énorme.

L’arrondissement de Forbach devrait perdre 17.000 habitants (soit 10% de sa population actuelle) à l’horizon 2030. Selon une étude de l’INSEE, il est le seul dans le département de la Moselle à avoir connu une hémorragie entre 1999 et 2008 (-5.700 habitants, soit -3%). Cette baisse a fait suite à celle de même ampleur observée lors de la décennie précédente. La Communauté de communes de Freyming-Merlebach a subi la plus forte baisse absolue et relative de population : 3.500 habitants perdus en neuf ans (soit -9%).
 
Dans ce contexte, un jeune sur quatre ne trouve pas de travail dans le secteur et plus d’un cinquième de la population vit avec moins de 949 euros par mois.

C’est donc bien sur sa capacité à sauver la région du marasme que la classe politique sera jugée. Les collectivités locales sauront-elles toucher les dividendes d’un tourisme industriel qui n’a pas encore tenu ses promesses ?  En attendant, elles gagneront plus à développer d’arrache-pied un projet de redressement économique à la hauteur des enjeux. Dans un climat apaisé. Ce qui passe pour un vœu pieux face aux 10 intercommunalités que compte le bassin houiller lorrain. On est loin d’une démarche unitaire en direction de l’UNESCO.

En amont de ce morcellement se situe la suppression de la redevance minière, échéance pour laquelle les communes ont été incitées à rassembler leurs forces. Elles ont préféré les micro-zones à un regroupement plus homogène. Situation complexe qui amène des tensions, chacun ayant tendance à voir midi à sa porte.  Passons  sur le dernier dossier qui fâche : la carte hospitalière où les antagonismes des villes de la Moselle-Est apparaissent au grand jour. Le PTU (plateau technique unique) devait faire de Freyming-Merlebach un pôle hospitalier de premier ordre. La controverse rebondit alors que le débat semblait clos…

D’autres lignes de fracture risquent d’apparaître. Après les élections législatives de 2012, il sera intéressant de voir avec quel empressement le député-maire UMP battu de Freyming-Merlebach  joindra sa contribution financière à celle de son rival, le nouveau député PS, maire de Forbach.

Couper les vivres au musée de la mine de Petite-Rosselle ? On n’en est pas là. Mais le recentrage très wendélien et rossellois, plus local que régional, choisi par le musée, comporte le risque de tiédir la détermination des défenseurs de la cause d’un haut-lieu de l’histoire minière désormais très connotée.

Reste que les élus de tous bords continueront de se mobiliser en vue de reconvertir les héritages de la mono-industrie en espaces porteurs de développement. La vallée de la Rosselle, « colonne vertébrale » du bassin houiller, en sera un des principaux chantiers, non seulement côté français, également à l’échelle de l’agglomération transfrontalière «SaarMoselle», l’eurodistrict créé en 2010.

L’un des objectifs, à terme, du « Parc de Développement de la Vallée de la Rosselle » est de donner corps à un arc entre le site du complexe sidérurgique  de Völklingen, inscrit au Patrimoine mondial par l’UNESCO en 1994, et le carreau Wendel, ponctué par le développement d’autres sites décentralisés (carreau de Velsen, carreaux St-Charles et St-Joseph, carreau du Warndt en Sarre, forêt et moulin du Guensbach…). «En vue de favoriser le développement urbain de la commune de Petite-Rosselle dans une optique de mixité des fonctions urbaines, une partie de l'emprise du musée est destinée à l'accueil d'une aire d'extension mixte (activités, logements), à intégrer de façon harmonieuse au site du musée (chemins de promenades et espaces verts)» peut-on lire dans une étude.

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L'abstention l'emporte 
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Après les doutes sur les chances de voir la classe politique renoncer à ses divisions, on constate que la population affiche assez promptement un air désabusé. Voir la campagne électorale atone et les records d’abstention aux dernières élections, dans cette région où le vote conservateur demeure une constante de l’expression politique, même si la gauche socialiste a su y trouver sa place. Cette fois, les deux députés sortants de la droite républicaine ont été éliminés et si les villes ont offert une victoire assez nette aux socialistes, en revanche, la droite nationale s’est définitivement ancrée dans le bassin houiller. Rejet d’un système plus qu’un vote d’adhésion à l’extrême-droite, dit-on le plus souvent.

Désabusée encore, la population n’a pas porté le deuil  après la disparition, cette année, du spectacle-vedette des « Enfants du charbon », une fresque vivante sur laquelle avait pourtant soufflé un vent de louanges. Pour voir réagir la majorité silencieuse, parlez-lui  plutôt de l’indemnisation des dégâts miniers, de la sauvegarde des avantages de l’assurance maladie du mineur, du maintien des cabinets médicaux, que d’une candidature à l’UNESCO.

Si la « déHBLisation » signifie la fin de l’influence des houillères sur le destin de la région, elle provoque en même temps cette forme de blues qui guette les périodes de mutation. Comme la reconversion, particulièrement difficile, qu’a connue le Nord - Pas-de-Calais, terre de Germinal, où les hommes ont construit des montagnes, avec  852 puits et 326 terrils. L’enseignement, au sens propre, est souvent venu du Nord. Pour se projeter dans l’avenir, les Nordistes ont tourné la page quinze ans avant les Lorrains. Et cela fait dix ans que l’association du « Bassin Minier Uni » (BMU) était au charbon pour remporter le titre de « Bassin Minier Unesco » (re-BMU)...

Mais, comparaison n'est pas raison.




Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



Publié le 7 juillet 2012 - mis à jour en septembre 2012 et juillet 2013



(1) Depuis le mois de septembre 2012, le musée de Petite-Rosselle est représenté au sein de ce comité par la responsable de son pôle culture, archiviste de formation et fonctionnaire territoriale. Cette information a l’avantage de répondre à une interrogation formulée dans notre billet du 11 juin 2012, dans lequel nous constations avec raison que le musée du charbon lorrain était absent de cette instance lorsqu'elle a été installée. C’est le Centre historique minier de Lewarde (Nord-Pas-de-Calais) qui apparaît comme le chef de file, en quelque sorte, des musées de la mine français.





Après la fête de 2004, qui avait occasionné pas moins
que la venue d'un ministre, le site de La Houve a été entièrement rasé.
On est dans la logique d'une neutralisation patrimoniale...
 © Photo Charbonnages de France




La façade monumentale de la salle des machines des puits Simon 1 et 2 à Forbach.
Le site "est une verrue au cœur du paysage local", estiment des décideurs locaux
dont l'avis est déterminant. Ils proposent de " procéder au nettoyage complet des lieux et
à leur verdissement" (Le Républicain lorrain du 26.01.2013).
 © Photo Sébastien Berrut



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« Cachez ces gueules noires
que nous ne saurions plus voir »


Les élus de l’arrondissement de Forbach siégeant au SCOT (schéma de cohérence territoriale) ont voté, à la seule exception du maire de Metzing, la suppression d’un panneau d'autoroute présentant le visage  stylisé d’un mineur, sur fond de chevalement et de cité ouvrière, à l'approche de Freyming-Merlebach. Ils n'ont plus envie de le voir et lui préfèrent une image plus attrayante, éventuellement un paysage du Warndt. Exit le bassin houiller ! Un acte involontairement symbolique, dix ans après la fermeture de la mine de Merlebach (septembre 2003) qui a tiré la ville vers le fond.

C’était sans compter avec les internautes. Sur Facebook, la photo du panneau publiée par Le Républicain lorrain (lequel a ouvert le débat avec ses lecteurs), a été partagée plus de 1 000 fois en quarante-huit heures. Les femmes, filles ou épouses d’anciens mineurs, ont été les plus nombreuses et les plus passionnées sur le sujet.

Bel exercice de transparence. La synthèse des réactions a été publiée par le quotidien dès le lendemain, accompagnée d’un “billet” de notre estimé confrère (voir la coupure du RL daté 18.07.2013, ci-après). Il tire un enseignement de ce tollé, après avoir rappelé que le président du SCOT a décidé sur-le-champ de faire marche arrière…

La Fédération des mineurs et sidérurgistes de Lorraine-Sarre-Luxembourg, opposée à l’idée de voir disparaître le fameux panneau, estime pour sa part, que «-le dynamisme économique ne réside pas dans une volonté d’effacer les traces d’un passé dont nous sommes fiers, mais dans des actions efficaces tournées vers le futur, sans renier le passé ».

Enfin,  pour François Belin, ingénieur retraité, ancien patron de la communication des HBL, promoteur du musée de la mine du carreau Wendel, le panneau du mineur de l'autoroute «-donne une image misérabiliste de ce qu’ont été les houillères qui ont fait vivre pendant un siècle et demi notre bassin. C’est du mauvais «-germinalisme-».

Il faut effectivement rappeler par des signalisations cette épopée industrielle menée par des hommes courageux venus de nombreux horizons d’Europe et d’au delà, qui ont mis en œuvre des techniques innovantes et sont parvenus à des résultats exemplaires. Mais il faut le faire dans une forme plus respectueuse de la réalité des entreprises minières mosellanes, et en ouvrant sur les perspectives de réindustrialisation, et de mise en valeur des sites naturels et bâtis de l’ancien bassin houiller.

Je pense, écrit encore François Belin, que le débat provoqué par cette affaire de panneau est une bonne chose, car il permet de s’interroger avec Paul Fellinger sur les valeurs et les atouts qui doivent entraîner la revitalisation de notre bassin et susciter une prise de conscience générale et la fin de querelles de clochers qui grèvent gravement son avenir-».

Ce n'est pas un changement de panneau qui fera entrer dans une vision plus vertueuse la réflexion sur le développement.





Lire aussi :
- La "déHBLisation" orchestrée par les HBL


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 À 40 KILOMÈTRES DE LÀ…
Un site minier reconverti en parc à thème géologique


A Voelklingen l'acier, à Petite-Rosselle le charbon... Ce binôme est un vœu pieux. En tout cas, cette vision bicéphale est incomplète, car elle doit intégrer un troisième pôle qui monte en puissance : sur l’ancien site minier de  Landsweiler- Reden (circonscription de Neunkirchen-Saar), à une quarantaine de kilomètres de Petite-Rosselle, le parc à thème GONDWANA – Das Praehistorium est une zone muséale expérimentale, qui s'est fixée comme but l’explication de l'histoire de la Terre et l'évolution des organismes. 

Ses promoteurs visent un très large public : «-Nous sommes un institut qui propose un enseignement à la fois éducatif et divertissant. En plus de notre exposition, nous proposons des visites guidées spéciales et des exposés pour enfants et adultes.

Le concept de notre exposition est différent des musées traditionnels. Avec le concours de spécialistes renommés dans les domaines de la biologie/paléontologie , des arts tridimensionnels, de l'architecture et dans le domaine du multimédia , il nous est possible de reconstituer, et ce avec beaucoup de moyens, des paysages préhistoriques qui ne laissent pas indifférents.

Nos paysages sont reliés les uns aux autres par un système de couloirs, dans lesquels se trouvent des informations scientifiques sur la faune et la flore d'antan. Il est même possible de se promener entièrement dans les différents paysages qui sont très détaillés. La biodiversité de la faune et de la flore reflète l’état actuel des connaissances scientifiques.

L'exposition fait appel à nos sens : à côté de la stimulation visuelle, qui se caractérise au travers d'insectes géants, d'amphibiens et de dinosaures, l'on fait appel à l'odorat et à l'ouïe, qui donnent l'impression que l'on se trouve dans un paysage réel, alors qu’il n'existe plus depuis des millions d'années-».

Le Praehistorium est aménagé sur un ancien site minier. «-Nous avons volontairement choisi un emplacement ayant un rapport direct avec notre exposition. Elle se situe à côté d’un terril constitué de grès issu de la mine, dans lequel l'on retrouve des fossiles des forêts carbonifères, que nous avons su reproduire de façon spectaculaire dans notre exposition
-».

Non loin de là se trouve le centre de documentation pour la biodiversité (Zfb), qui donne accès à des collections zoologiques, botaniques et géologiques de la région.

Outre le développement climatique, des paysages et de la biodiversité sur le continent du Gondwana à l’ère primaire, le visiteur a la possibilité de voir les changements survenus dans la région de la Sarre au cours des millions d'années de l’échelle des temps géologiques.





Reconstitution de la forêt carbonifère © Gondwana Praehistorium




mardi 15 avril 2014

L'OUETTE D’ÉGYPTE S'Y INSTALLE

Une espèce préoccupante dans
la carrière de Freyming-Merlebach
Elle n’hésite pas à évincer les autres espèces pour s’assurer un territoire et prolifère rapidement. Les ornithologues veillent au grain.





Existe-t-il un risque de voir les ouettes d’Égypte se multiplier dans la zone naturelle d’intérêt faunistique de Freyming-Merlebach où elles sont présentes depuis deux ans ? Pas pour l’instant. S’ils admettent qu’il s’agit d’une espèce invasive, indésirable en France, des ornithologues considèrent qu’elle peut poser des problèmes dans des contextes particuliers. A Freyming-Merlebach, aucun problème lié à leur comportement vis-à-vis des autres espèces n'a été observé à ce jour dans la carrière. «-Les ouettes n'auront peut-être aucun effet sur les espèces de canards présentes. Elles se cantonnent d'ailleurs plutôt à l'est de l'étang-». Un couple d’ouettes a besoin d’un hectare, alors que la carrière de Freyming-Merlebach s’étend sur 340 ha. Il semble donc y avoir de la place pour tout le monde.

Au début du mois d’avril, Lily et Serge Kottmann, randonneurs et fins connaisseurs du milieu, ont aperçu et photographié deux de ces ouettes d’Égypte, près des plans d’eau de la carrière. «
-L’ouette d’Égypte est identifiable par son plumage : elle possède une tête claire avec une nuque un peu plus sombre, et une tache brun-chocolat caractéristique autour de l’œil ainsi qu’à la base du bec. Le dos est marron-grisâtre, le ventre blanchâtre avec une tache marron. L’ouette se distingue également par sa queue noire et ses pattes roses. Elle mesure environ 70 cm pour une envergure de 1,4 mètre et pèse 1,5 à 2,25 kg. Sa longévité est estimée entre 15 et 20 ans-».

L’ouette se définit généralement comme une espèce afro-tropicale, plus précisément soudano-sahélienne : elle est en effet présente sur le continent africain au sud du Sahara et le long de la vallée du Nil. Dans son aire d’origine, elle peut se reproduire toute l’année. En France, des pontes sont observées de mars à mai. La maturité sexuelle est atteinte entre 1 et 2 ans, les pontes sont constituées de 8-9 œufs et l’incubation dure 28 à 30 jours. Les jeunes sont élevés par les deux parents et prennent leur envol à 70-75 jours. Les habitats de reproduction sont diversifiés, généralement à proximité d’un point d’eau, dans des dépressions, sous des buissons ou dans des arbres.

Le couple défend assidûment un territoire d’environ un hectare, évinçant les autres animaux. Il reste fidèle à ce territoire pendant plusieurs saisons. L’ouette est capable de se reproduire rapidement, avec des taux de fécondité élevés et un bon taux de survie. Par conséquent, le potentiel invasif de cette espèce est important. L’agressivité qu’elle manifeste vis-à-vis d’espèces de taille supérieure à la sienne limite la prédation et pourrait être un facteur clé de sa croissance. Herbivore, l’ouette se nourrit d’herbes, de graines, de céréales, mais ne dédaigne pas occasionnellement les grenouilles. «
-Même à 40 mètres, elles se sont montrées très agressives quand je les ai photographiées à Freyming-Merlebach-» acquiesce Serge Kottmann.

D’où viennent-elles ? Ce sont les introductions (volontaires ou involontaires) répétées dans plusieurs pays européens qui ont donné lieu à l’installation relativement récente de populations d’ouettes d’Égypte. Ainsi, cette espèce a été introduite en Grande-Bretagne dès la fin XVIIe siècle et son expansion a été significative dès le XIXe siècle. Mais ce n‘est qu’à la fin des années 1980 que sa démographie a explosé, à la faveur d’hivers doux successifs.

En Allemagne, elle s’est installée progressivement depuis son introduction, qui remonte au XVIIIe siècle. Aux Pays-Bas, la population proviendrait quant à elle d’oiseaux échappés de captivité. Après un premier cas de reproduction en nature en 1967 dans ce pays, une accélération s’est opérée à partir d’une nouvelle évasion conséquente en 1981. Ces oiseaux ont essaimé en Allemagne dans les années 1980 et ont récemment commencé à se reproduire. Ces ouettes allemandes et néerlandaises sont à l’origine de l’expansion de l’espèce vers les pays voisins : Belgique et Nord-Est de la France.

Ce ne sont pas à proprement parler des oiseaux migrateurs. Des études ont révélé que des déplacements de 50 à 100 km sont assez courants, et certains allant de 100 à 200 km ont pu être constatés. Par ailleurs, des couples issus de deux individus de provenance différente (Pays-Bas et Allemagne) se sont constitués. Des juvéniles d’ouettes bagués en Belgique se sont dispersés jusqu’à 300 km.

L’ouette se porte si bien en Europe qu’elle figure en tête de liste des 100 espèces qui présentent le plus haut niveau de préoccupation du point de vue environnemental, sanitaire, social ou économique. Même si l’ouette d’Égypte est relativement sédentaire dans le Nord-Ouest de l’Europe des concentrations élevées d’ouettes à proximité de fermes de volailles peuvent être préoccupantes dans le cadre de mesures sanitaires vis-à-vis de la grippe aviaire ou d’autres maladies pathogènes. En effet, une publication de référence précise que «-l’espèce a été impliquée dans certaines épizooties en Afrique du Sud et est porteuse du virus de la grippe. Cependant, une étude menée dans quatre pays européens ne conclut pas qu’elle présente un haut risque de portage ou de transmission du H5N1
-».


Mesures de régulation


En Alsace, les gardes assermentés sont habilités à la capturer ou à la tirer. L’arrivée des ouettes dans les départements du Rhin ne date que de 1971 (hormis quelques mentions isolées au XIXe siècle), mais depuis, les effectifs n’ont cessé de progresser : en 2011, les inventaires menés ont mis en évidence la présence d’une population située entre 50 et 100 couples reproducteurs et entre 450 et 650 individus au total. «
-A la suite d’une augmentation exponentielle des populations d’ouettes d’Egypte, des arrêtés de régulation de l’espèce ont été adoptés en 2010 dans le Haut-Rhin et en 2011 dans le Bas-Rhin, indique la Ligue de protection des oiseaux (LPO) d’Alsace. Ces arrêtés visent à limiter les dérangements de l’oiseau sur la faune locale, peu armée pour se défendre contre l’intruse, souvent agressive en période de reproduction-».  Les nids utilisés sont ceux de la cigogne blanche, du milan noir ou de la corneille noire, au besoin en évinçant d’abord les occupants.

Cependant, «
-l’impact est minimisé par la propension de l’espèce à choisir des sites de nidification peu attractifs pour les espèces indigènes : bassins de récupération des eaux, petits étangs de pêche privés et autres sites artificiels. Mais son agressivité peut poser problème vis-à-vis de l’avifaune indigène, que ce soit lors du choix des nids ou lors de la défense de son territoire. Dans ce cas, il y a une possible interaction négative avec les divers oiseaux d’eau locaux-», estime la LPO alsacienne.

En Allemagne, l’ouette est citée parmi les espèces introduites susceptibles d’impacts écologiques ou économiques, en considérant un niveau de population élevé : recul de la végétation bordant les plans d’eau, destruction des habitats de ponte des poissons, eutrophisation par rejet de fientes des petits plans d’eau avec pour conséquence la perte de leur biodiversité (invertébrés, batraciens…).

Ce sont donc essentiellement le caractère invasif et l’agressivité de l’ouette d’Égypte à l’égard des autres espèces qui peuvent préoccuper les autorités, qui ont dû envisager des mesures de régulation face à la vitesse de propagation de l’ouette d’Égypte : dans les années 2000, la population européenne d’ouettes d’Égypte, estimée à environ 10.000 couples, était cantonnée pour l’essentiel dans les pays frontaliers du Nord et de l’Est de la France. Cette population européenne est estimée en 2010 à 71.000 individus et 15.000 couples.

Impossible de dire d’avance comment sa présence va évoluer dans la carrière de Freyming-Merlebach. On a un recul de deux ans et, en cas de péril, les gestionnaires de la réserve sauraient comment réagir. Mais en l’absence d’enjeu, personne n’a le doigt sur la gâchette.




Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur
avec Serge Kottmann  photo




Publié le 15 avril 2014

Les données compilées dans cet article
sont issues du n° 296 – 3e trimestre 2012
de « Faune sauvage »





A Freyming-Merlebach, la famille s'est agrandie
Le couple d'ouettes établi dans la carrière de Freyming-Merlebach, photographié avec sa progéniture début juin 2014, par Serge Kottmann.





Sur l'étang du Bischwald...
Atterrissage d'une ouette sur l'étang du Bischwald, à Bistroff (Moselle), photographiée en cinq phases par Olivier Henrion.



... et à Bliesbruck
Une ouette d’Égypte (il y en a plusieurs sur ce plan d'eau) en compagnie d'un cygne, sur l'étang de Bliesbruck (Moselle), proche du Parc archéologique européen, photographiée  par Jean-Marie Guzig.