mercredi 10 septembre 2014

CENTENAIRE DE 1914-1918

Comment les houillères de Lorraine ont
continué de produire au cœur du conflit


Éloignés des zones de combats de la Grande Guerre, les sièges d’extraction de Lorraine n’ont pas été dévastés par les bombes. Les mines, maintenues en activité sous la dictature militaire allemande, ont produit 12 millions de tonnes de charbon. Robert Mourer, ancien leader syndical CFTC et auteur de livres, en particulier sur l’histoire du mouvement ouvrier, retrace ces années noires.





- Depuis deux générations, la Moselle était allemande lorsque la Première Guerre mondiale éclata. Dix-huit puits de mine – parmi les plus importants – avaient été foncés entre 1872 et 1909, alimentant notamment  l’effort de guerre du complexe militaro-industriel prussien. Lorsque la loi martiale fut imposée à l’Alsace-Moselle en 1914, qu’est-ce qui changea pour les mineurs de charbon ? On sait que 380.000 Mosellans et Alsaciens furent envoyés, pour la plupart, sur le front russe par Berlin. Comment les mines de charbon mosellanes parvinrent-elles à maintenir leur activité durant le conflit ?


- Robert Mourer : Le rappel de la première annexion de la Moselle à l’Allemagne me paraît indispensable, en effet. Après 1870, dans nos régions frontalières,  le monde du travail fut marqué par les traditions du mouvement ouvrier allemand dans lequel il se développa ainsi que par la législation allemande. L’histoire des mineurs de charbon lorrains et l'évolution sociale fut souvent très mouvementée dans ce contexte particulier. La déclaration  de Pierre Moinaux en dit long sur la portée et la compréhension de l'histoire : «-En fait, aucune étude sur l'Alsace et la Lorraine ne devrait paraître qu'accompagnée d'un croquis schématique illustrant bien la situation géographique de ces pays avec frontière d'annexion et zone linguistique. Sinon, tout est sujet à malentendus-».

À la veille de la guerre de 1870, l’industrie minière était en pleine croissance dans le département de la Moselle. Les recherches de houille, stimulées par le voisinage du fer, avaient poussé les puits d’extraction jusqu’aux environs de Saint-Avold. Quoique l’exploitation ne fût encore qu’à ses débuts, déjà 2.400 ouvriers travaillaient à Petite-Rosselle, L’Hôpital et Carling au sein des trois principales sociétés.  En 1902, le bassin houiller lorrain disposait de 16 puits, 70 machines à vapeur et utilisait 227 chevaux.  Le fonçage des 18 puits de mines entre 1872 et 1909, illustre l’effort de développement de la production entrepris avant le déclenchement de la Grande Guerre.





Le puits Vuillemin à Petite-Rosselle (Moselle), quatre ans avant le déclenchement de la Grande Guerre.
On notera le "Vais bien. Salut cordial !" en français, sous l'en-tête Klein-Rosseln in Lothringen,

le nom Petite-Rosselle sous l'Annexion. 
Crédit photo : Coll. Marcel Gangloff


À l’examen des conditions économiques, sociales et syndicales de l’époque, on comprend mieux le contexte très particulier dans lequel vécurent pendant un demi-siècle nos provinces coincées, comme elles le furent, entre deux législations radicalement différentes et partiellement inappliquées. Le mouvement ouvrier dans les mines de charbon lorrain, dans cette situation «-entre deux chaises-», subit des répercussions sociales dommageables au regard des autres régions minières de l’Empire allemand.

Après l'annexion, le droit de réunion continua d'être régi par la loi française du 6 juin 1868, interdisant les rassemblements en plein air et l’organisation de cortèges publics. Les autorités devaient être préalablement saisies de tout projet de réunion, qu'il soit d'ordre religieux ou politique.  La répression était de règle pour empêcher tout mouvement ouvrier associatif. En 1874, le conseil de guerre de Strasbourg condamna neuf ouvriers mineurs de Petite-Rosselle à des peines privatives de liberté. La compétence de la juridiction militaire perdurera jusqu'en 1881.

La loi du 14 juillet 1905 sur les délégations ouvrières, applicable dans les mines allemandes, y compris les mines sarroises, laissa les entreprises minières d'Alsace-Lorraine durant plusieurs années  hors de son champ d'application. La situation fut ressentie par les mineurs lorrains comme une injustice flagrante. Les délégations ouvrières subirent toutes sortes de chicaneries. Le journal des syndicats chrétiens "Der Bergknappe" faisait état d’un genre de "terrorisme" comparable à celui que l'on observait habituellement à l'occasion des campagnes d'élections politiques. Plus grave encore était le fait que les élections se déroulaient dans l’enceinte de la mine sous l’œil vigilant des représentants de la direction.

La Grande Guerre fut un ouragan sur le paysage lorrain. Les longues années d’inquiétude et d’appréhension devant les risques d’un embrasement mondial, pesèrent comme un cauchemar (Alpdruck) sur l’industrie en général et les houillères en particulier. La pénurie de charbon et de coke qui apparut aussitôt, fut essentiellement provoquée par l’absence de matériel de transport ferroviaire. Ces difficultés, ajoutées au manque cruel de main-d’œuvre, empêchèrent l’industrie d
atteindre ses objectifs.

Le manque de personnel, la défection d’un matériel roulant indispensable, les difficultés techniques multiples, perturbèrent fortement la marche des chantiers d’abattage du fond. En ce début du conflit mondial, le syndicalisme en Alsace-Moselle était, tous syndicats confondus, relativement faible en comparaison des puissantes organisations ouvrières allemandes. Tout au long du conflit mondial, les syndicats durent restreindre fortement leur champ d’activités, veillant surtout à la sauvegarde des avantages acquis.

Le lundi 3 août 1914, la presse régionale publia l’ordre de la mobilisation générale signé par le général-commandant du 21e Corps d’Armée allemand, fixant la première journée d’appel sous les drapeaux au 2 août 1914.

Par un avis à la population mosellane diffusé le 14 août 1914, le préfet de Metz somma les entreprises de la région de maintenir leur activité coûte que coûte, malgré les départs massifs de personnel pour l'armée. Les autorités communales, les bureaux d’emploi et de travail  doivent alors recenser tous les personnels non soumis aux obligations militaires afin de les utiliser comme force de travail dans les entreprises qui manquent d’effectifs. La population du bassin houiller lorrain connaîtra ses premières vicissitudes lorsque dans la nuit du lundi 10 août, un avion français lâcha huit bombes sur la gare de L’Hôpital.

La guerre va imposer à la Lorraine l’état de siège et la dictature militaire. Les autorités civiles et militaires appliquèrent dès le 1er août 1914, les mesures prévues en cas de guerre : suspension des libertés individuelles, des droits de réunion et d’association, de la liberté de presse. La population urbaine souffrit beaucoup de la hausse des prix et des restrictions ; dans les campagnes repliées sur l’autosuffisance, les livraisons obligatoires, les réquisitions des troupes de passage, les contrôles vexatoires engendrèrent un mécontentement latent.


Sous la férule militaire



Dès le mois de juillet 1914, le ministère d’Alsace-Lorraine diffusa, sur décision impériale de la région militaire du 21e corps d’Armée la proclamation suivante : «-Le pouvoir exécutif sera dorénavant placé sous mon autorité-».   Le 31 juillet 1914, le commandant général du 21e corps d’Armée décréta l’interdiction des rassemblements en plein air. Les réunions en salle nécessitèrent une autorisation préalable spéciale du préfet (Landrat) ou du directeur d’arrondissement (Kreisdirektor), du directeur de la police et du  commandant de la place.

Les conditions de vie se dégradèrent au fur et à mesures des restrictions imposées à la population durant ces années noires : baisse de la production des biens de consommation, accroissement de la durée du travail, hausse des prix. Les syndicats durent fréquemment faire des démarches  pour obtenir des sursis d’appel, des retours au foyer, des réquisitions sur place afin de garantir aux populations le minimum de services indispensables à la vie quotidienne. Pour lutter contre la vie chère, on constitua des sociétés municipales qui vendent à prix coûtant.

Face à la situation préoccupante, le syndicat dut faire face à de nombreuses contraintes et suppléer au manque d’encadrement syndical. L'influence des exploitants se trouva renforcée, aussi paradoxal que cela puisse paraître : l
ouvrier récalcitrant était menacé d’un rappel immédiat dans larmée; les employeurs firent largement usage de la menace «-d'un retour à la tranchée-».  Soumis à des normes de rendement inaccessibles, les travailleurs, pour s’en sortir et pour atteindre un minimum de gain, devaient effectuer de nombreux, de trop nombreux postes de travail supplémentaires. Il n’était pas rare que des mineurs effectuent jusqu’à 35 postes en un mois.

Le personnel travaillant à la tâche devait payer lui-même le matériel en explosifs qu’il utilisait lors des tirs pour l’abattage du charbon. Par ailleurs, les exploitants usèrent de la liberté que leur laissait le législateur pour imposer au personnel des retenues de salaires pour l'achat des outils de travail utilisés au fond de la mine.
 

Dans un appel commun diffusé en 1916, les dirigeants syndicaux demandèrent aux travailleurs de «-renoncer à toute action inconsidérée pour ne pas s’exposer à des représailles-». Leur tentation de passer outre était grande, les difficiles conditions de vie et de travail, la rigueur des lois militaires ne faisant qu'accentuer leur mécontentement.


- De fait, les mineurs lorrains se virent confisquer leur destin. Il y eut des résistances, avec comme corollaire la répression. Comment peut-on résumer la situation ?

Robert Mourer : Dès le début des hostilités le ministère de la Guerre se méfia de l’attitude des jeunes soldats alsaciens-lorrains envers l’Allemagne. On s’inquiéta de leur éventuelle désertion. Pour y remédier, les autorités militaires adressèrent des circulaires secrètes aux différents corps d’armée. À la suite de nombreuses manifestations de tendance antiallemande constatées chez les Alsaciens-Mosellans, on projeta de transférer tous les militaires alsaciens-lorrains vers l’intérieur de l’Allemagne ou vers le front oriental.

Au moment du déclenchement des hostilités, de nombreux adhérents et militants syndicaux furent enrôlés de force dans l’armée allemande, considérés contre leur gré comme ressortissant d’un pays d’Empire (Das Reichsland Elsass-Lothringen), ils seront dirigés sur le terrain des opérations militaires. L’occupant n’ignorait pas que, malgré un demi-siècle d'annexion, l’espoir d’un retour à la "mère-patrie" restait vivace dans la population.

De nombreux événements illustrèrent la mentalité de nos compatriotes. Dans la localité minière de Spicheren, vingt-cinq jeunes conscrits dont plusieurs travaillaient aux mines de Petite-Rosselle, manifestèrent leur opposition à l'occupant. Le 12 octobre 1916, ces jeunes gens furent traduits devant le tribunal militaire de Sarrebruck pour s’être parés, le jour de la conscription, de rubans tricolores tout en exhibant les couleurs françaises devant le magasin Schroeder à Forbach. La plupart de ces jeunes, le commerçant Schroeder et son épouse furent condamnés à quatre mois d’emprisonnement ferme.



- Le déménagement en zone française du directeur général des houillères de Petite-Rosselle, qui cherchait en même temps à conserver ses fonctions, a dû provoquer la colère des autorités…

Robert Mourer : Durant la période de tensions qui précéda le déclenchement des hostilités, les premiers signes d’émigration vers d’autres départements français se précisèrent en Lorraine, l'un des départs entraînant des changements dans la direction des mines. Le 1er janvier 1914, Guillaume Simon, directeur aux Houillères de Petite-Rosselle quitta la région pour prendre résidence à Nancy tout en conservant ses fonctions de directeur général. La conduite directe des travaux miniers fut assurée par Julien Prêcheur, directeur commercial et Léon Kremer, ingénieur diplômé, directeur technique. Ces bouleversements dans la structure de commandement des houillères firent l'objet d'un échange de correspondance entre le sous-préfet de Forbach et le préfet de la Moselle.

Les pouvoirs publics marquèrent leur irritation et désapprouvèrent le fait que le directeur général de la plus importante entreprise de la région avec plus de 9.000 ouvriers choisît d’habiter la France. Déjà dès le début de l’année 1912, en rapport avec la détérioration des relations franco-allemandes, on observa un durcissement très net des autorités allemandes.




Prisonniers russes et
main-d’œuvre féminine



- Des milliers de prisonniers russes arrivèrent en Moselle pour travailler dans les mines. On fit appel, également, à la main-d’œuvre féminine…

Robert Mourer :
La main-d’œuvre féminine fut fortement sollicitée : elle passa de 22 à 35 % des effectifs industriels entre 1913 et 1918. Le manque crucial de main-d’œuvre contraignit les autorités à faire appel aux prisonniers de guerre pour parer au plus urgent. Le rapport de 1914 sur l’activité minière de La Houve fit état de la situation alarmante créée à la suite de l’enrôlement dans l’armée de nombreux  employés et mineurs. La direction déplorait l’absence cruciale d’un personnel formé et qualifié, estimant que l’activité de la houillère pouvait à peine être maintenue.  La production, à l'image de l'hémorragie que connaissait le personnel, chuta de moitié. Ces effets régressifs furent les plus marquants durant les premiers mois de la mobilisation et de la déclaration de la guerre.

Dès le déclenchement des hostilités, le deuxième poste de production fut supprimé en raison du manque de personnel. Le nombre des ouvriers ne représentait plus que 60 % des effectifs de l'année précédente. Le personnel resté disponible pour l'activité minière était constitué surtout par des jeunes, par de très vieux ouvriers ou par des handicapés. La production de houille en 1915 représenta à peine la moitié de celle réalisée en 1913. De nombreuses familles  de mineurs belges vinrent habiter la région de Creutzwald.

L'année 1915 fut la plus difficile pour l’activité ouvrière. Le syndicalisme subit une véritable saignée. Le nombre des adhérents diminua de moitié.  Tous les hommes considérés comme valides partirent pour le front.

Le 1er juillet 1915, Les Petits-Fils de François de Wendel de Petite-Rosselle informèrent le commandement général du 21e Corps d’Armée à Sarrebruck que l'on privilégie pour le travail dans les services du fond, la venue de prisonniers maîtrisant la langue allemande. Une mission de recrutement visita en 1916, les stalags des 16e et 21e corps d’armée en Allemagne et rendit compte aux autorités du résultat de sonenquête. La commission recruta 2.880 prisonniers de guerre russes destinés au travail dans les mines d’Aix-la-Chapelle, de la Sarre et de Lorraine. Le commandement militaire allemand fit prioritairement recenser les prisonniers de guerre russes de profession minière.

En 1915, 3.000 prisonniers russes foulèrent le sol lorrain. Leur nombre fut porté à 6.800 en 1916. Les autorités militaires allemandes furent obligées de démobiliser 400 mineurs autochtones pour les encadrer. Mais en 1917, le rapport de gestion des houillères indiquera que la production charbonnière restait insuffisante,
malgré la venue des travailleurs belges et la mise au travail des prisonniers de guerre russes.

Le patronat minier le fit ouvertement savoir en adressant le 18 avril 1917, par l'intermédiaire de M. Flake, directeur des houillères de Sarre-et-Moselle, une lettre au sous-préfet de Forbach, se plaignant du mauvais rendement obtenu par ce personnel au travail dans les dressants de Merlebach.

Au jour, pour assurer le transport et le criblage du charbon, la houillère dut recourir à une embauche accrue de main-d’œuvre féminine.




Ouvrières au puits Saint-Charles, à Petite-Rosselle (Moselle).
Crédit photo : Coll. Marcel Gangloff



Ouvrières des Ateliers Gouvy, à Hombourg-Haut (Moselle), en 1916.
Crédit photo : Coll. Joseph Zeller



Hommes et femmes, jeunes et anciens travaillent en équipe dans la carrière Simon,
à Forbach, pour produire le sable  envoyé au fond de la mine
pour le remblayage hydraulique
Crédit photo : Coll. Marcel Gangloff



Cantonnement de prisonniers russes à
Stiring-Wendel (Moselle), entre 1914 et 1918.
 
Crédit photo : coll. famille du prisonnier Zalman-Eliokim Usdin


La direction se résigna à surseoir à toute nouvelle embauche de prisonniers de guerre. Mais la position patronale achoppa sur l'intransigeance des autorités militaires allemandes qui imposèrent une production charbonnière maximale en y payant le prix en hommes et en matériels. Le commandement militaire allemand réunit le 7 octobre de la même année, les maires des communes minières de Carling, L’Hôpital et Merlebach au café Burger, à Merlebach, pour discuter des modalités d’emploi des prisonniers russes dans les mines de charbon lorraines. Le 10 octobre 1917, le poste de garde de la gendarmerie de Carling fit état de 200 prisonniers russes, en cantonnement dans la salle du café Knepper, à Carling. Les intéressés étaient affectés à la construction des ateliers mécaniques entre Carling et la ligne de chemin de fer de Creutzwald. La centrale électrique recruta massivement une main-d'œuvre féminine, des hommes âgés et des apprentis.

À la fin de l’année 1917, la mine de La Houve déplora la disparition de 126 membres des effectifs, tombés sur les différents champs de bataille. Des mineurs retraités furent obligés d'assurer le relais pour la continuité du fonctionnement des sections syndicales locales. Certaines d’entre elles, presque entièrement décimées, perdirent jusqu’à 80 % de leurs adhérents après l’appel sous les drapeaux et l'exode massif de jeunes Lorrains vers des départements français. Les mesures drastiques des autorités entravèrent lourdement la liberté syndicale.

À compter du 1er janvier 1917, les cultivateurs n’étaient autorisés à garder sur leur récolte, et pour leur propre consommation, que 100 kilos et 70 livres de pommes de terre. Les autres consommateurs étaient rationnés à 100 kilos et 50 livres. Seuls les travailleurs reconnus comme travailleurs de force, comme les mineurs, pouvaient obtenir une attribution de pommes de terre supplémentaire. Le rationnement des produits alimentaires continua encore durant une longue période après l’Armistice.

Le rationnement, les réquisitions ne touchèrent pas seulement les denrées alimentaires, mais s’étendaient à une multitude de produits de nécessité courante d’origine industrielle. Entre 1914 et la fin des hostilités, l’administration militaire allemande n’eut de cesse de placarder dans les villes et villages les dispositions restrictives de toute nature qui s’accentuèrent au fur et à mesure que la guerre se prolongeait.

On assista ainsi au rationnement et à la confiscation des poils de bêtes, filasse, paille de chanvre, coton, fibre végétale, laine de la tonte des moutons, chutes de laine dans les tanneries, copeaux,  chutes de brins de fil et à l’interdiction de filer et de tisser. A cette liste non exhaustive des confiscations, il faut ajouter celle d’un certain nombre de métaux comme le tungstène, le chrome, le zinc, le cuivre, le laiton, le bandage pneumatique, etc. Le combustible, sévèrement rationné, était cédé à partir de bons de charbon.




- Qu’est-ce que l’histoire du mouvement ouvrier retient particulièrement de ces années noires du charbon sous commandement militaire ?
 
Robert Mourer :
La conséquence de l’enrôlement de centaines de mineurs du bassin houiller lorrain dans l’armée allemande eut de fâcheuses répercussions dans les domaines de la sécurité du personnel, particulièrement pour les mineurs travaillant à front de taille. Mesures drastiques des autorités militaires entravant la liberté syndicale. Interdiction de tout mouvement de grève et de protestation avec menaces de sévères sanctions, voire emprisonnement des meneurs.





La production recule de 3,8 à 2,7 Mt



- Quel est le bilan chiffré de l’activité des mines de charbon mosellanes pour 1914-18-? Dans quel état étaient-elles en 1918, à la suite d’une exploitation à outrance, une compression des investissements et un relâchement vis-à-vis de la sécurité, ce comportement ayant écrasé toute perspective de progrès-?
 
Robert Mourer :
En 1913, à la veille de la guerre, les houillères de Lorraine atteignent un chiffre record de 3.795.932 tonnes de charbon, en augmentation de 7,3 % par rapport à 1912.

L’effectif ouvrier se situe à 16.333 salariés.

En 1914, la production recule à 2.856.780 tonnes, en diminution de 24,8 % par rapport à 1913.

L’effectif chute à 12.132 ouvriers.

En 1915, la production se situe à 1.960.968 tonnes, en baisse de 31,3 % par rapport à 1914.
L’effectif ouvrier est de 16.540 personnes dont 8.339 prisonniers russes.

En 1916, la production remonte à 2.027.688 tonnes, soit un regain de 3,4 % par rapport à 1915.
Les effectifs atteignent 16.679 ouvriers dont 8.072 prisonniers russes.

En 1917, la production se situe à 2.636.806 tonnes, en hausse de  30,1 % par rapport à 1916.
Les effectifs ouvriers atteignent 20.926 personnes dont 10.888 prisonniers russes.

En 1918, la production est de 2.662.051 tonnes, enregistrant un regain de 1,0 % par rapport à 1917.
L’effectif ouvrier est de 23.372 personnes dont 12.292 prisonniers russes.

Les mines de charbon mosellanes ont ainsi produit 12 millions de tonnes de 1914 à 1918. Le détail des chiffres démontre les énormes difficultés engendrées par le conflit mondial et confirment les répercussions néfastes qui pesèrent sur les mineurs : enrôlement dans l’armée, victimes des combats sur les différents champs de bataille, main-d’œuvre de remplacement souvent inadaptée pour les travaux miniers, prisonniers de guerre russes mal nourris, embauche massive d’une main-d’œuvre féminine, problèmes d’insécurité à front de taille en raison des normes de travail insupportables infligées au personnel, longs et répétitifs postes de travail, etc. Se basant sur les suppléments de gains réalisés par l’apport de ce qu’on appellerait aujourd’hui ʺles heures sup.ʺ, le patronat minier en profita pour refuser des augmentations de salaires.

Pendant cette période trouble, le pouvoir d’achat des  familles fondit comme neige au soleil, une dégradation entraînée par une augmentation considérable du prix des denrées alimentaires et autres articles de consommation courante. Les chiffres de production en chute libre confirment d’une manière dramatique les coupes sombres dans les effectifs qui cassèrent littéralement l’équilibre et la pyramide des âges. L’accroissement du nombre de jeunes travailleurs dans les chantiers d’abattage était spectaculaire.
 

Le coût des effets vestimentaires, vêtements de travail et chaussures avait triplé alors que leur qualité s’était détériorée. À court de vêtement pour leurs enfants, de nombreuses familles confectionnaient les chemises à partir de linge usé. La misère avait fait son entrée partout et les mineurs qui avaient de nombreuses bouches à nourrir devaient se soucier pour faire vivre tout ce monde. Toute revendication devait être adressées par l’intermédiaire des syndicats au Commandement général des 21e et 16e Corps d’armée avant d’être soumis à l’administration de guerre (Kriegsamtstelle) qui se trouvait à Sarrebruck.

Les conséquences de la guerre furent dramatiques. Après le conflit, la relance de la production charbonnière s'accompagna d'un effort exceptionnel de recrutement. Le départ des prisonniers de guerre et des ouvriers belges affectés au travail de la mine, le retour échelonné des anciens mineurs enrôlés dans l'armée, furent autant de difficultés qu'il fallut maîtriser au plus vite.



Propos recueillis par Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



Publié le 10 septembre 2014

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- Quel centenaire de 14-18 en Moselle ?
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- Alsaciens et Mosellans mobilisés par le Reich



 



lundi 1 septembre 2014

CHANGEMENT CLIMATIQUE

 Les papillons vont-ils en pâlir ?
Des lépidoptères de moins en moins colorés dans le futur ! C’est ce que prédit une étude menée par l’université de Marbourg (Allemagne). En attendant, 2014 semble une année faste en Moselle-Est. Petit florilège. 



Papilio machaon
 Ph. Sylvain Post


Les insectes virent au clair avec le réchauffement climatique. C’est le magazine Science & Vie (numéro d’août 2014) qui, dans une brève, le révèle à ses lecteurs. Il se réfère à une étude menée par Dirk Zeuss, de l’université de Marbourg (Allemagne). «-En corrélant les teintes de 473 espèces européennes de papillons et de libellules à leur répartition géographique, il a montré que plus la température est fraîche, plus les ailes et le corps des insectes sont foncés, ce qui leur permet de se réchauffer en stockant plus d’énergie solaire. Au contraire, sous les climats chauds, les insectes clairs sont plus abondants-». Or, en comparant des données antérieures à 1988 à celles de 2006, le chercheur a constaté que dans le nord de l’Europe, les libellules deviennent de plus en plus pâles, les espèces claires ayant gagné du terrain avec le réchauffement.

D'ici là, le ballet coloré des papillons dans les jardins de l’Est lorrain continuera de nous enchanter. Cette dégradation redoutée ne semble pas encore perceptible, à moins que l’œil d’un spécialiste ne permette de la discerner. Mieux
-:-alors qu’en France comme en Europe, les papillons des prairies ont régressé de 50 % entre 1990 et 2011, selon un rapport de l'Agence européenne de l'environnement, on a l’impression que les papillons sont plus nombreux localement en 2014 que les années précédentes, dans le cas d'un biotope favorable.  Dans la durée, cependant, leur régression est indéniable. Elle est due  principalement à la dégradation progressive des écosystèmes, de l'agriculture intensive ou encore du réchauffement climatique. En Grande-Bretagne, environ 70 % de la totalité des espèces de papillons auraient ainsi disparu en vingt ans.

«
-C'est d'autant plus regrettable que la grande diversité et les exigences écologiques variées des papillons leur confère un rôle d'indicateurs de la biodiversité et de la qualité des milieux naturels, et donc de la santé des écosystèmes-» soulignent nombre de scientifiques. La plupart des espèces étant monophages ou oligophages [se nourrissant dun nombre restreint daliments spécifiques, ndla] et étroitement inféodées à des plantes-hôtes sensibles et vulnérables, elles font office d’éminents indicateurs biologiques. En Europe, on utilise en effet les papillons pour évaluer la santé des écosystèmes, en vue de tabler sur leur durabilité. La disparition des papillons ces dernières décennies en dit donc long sur l’état de santé de l’environnement.


Contribuez à leur protection


Le GECNAL du Warndt (Groupe d'étude et de conservation de la nature en Lorraine), sur son site internet, indique que
«-beaucoup de papillons sont en régression dans notre région. On peut néanmoins facilement favoriser la présence des espèces dites "de jardin" dans notre environnement. Pour cela, il suffit de laisser pousser un massif d’orties, de planter un buddleia (arbre à papillons) ou d’autres plantes qui attirent les papillons, et bien sûr de ne pas utiliser d’insecticides !-»

«-La surface des jardins français représente quatre fois celle des réserves naturelles réunies ! Chaque jardinier peut donc contribuer à cette protection-» s’enthousiasme une responsable de l’Observatoire de la biodiversité à l’association Noé Conservation.  Et c’est très en vogue, un peu comme ces «-hôtels à insectes-» qui sont à la mode depuis quelques années !  L’idéal, c’est en effet de laisser pousser un coin de prairie sauvage, que l’on fauchera une ou deux fois par an, après floraison.

Tussilages, coucous, boutons d’or, bleuets, bourraches, bruyères, échinacées, violettes, reines des prés, centaurées, gaillets, linaires, séneçons, œillets, millepertuis… feront le bonheur des lépidoptères en étalant leur floraison  sur plusieurs mois. Au premier rang des plantes favorables à leur présence, les aromatiques, basilic, serpolet, verveine, ciboulette, thym, lavande, romarin…  «-Plus les espèces végétales seront nombreuses, plus les couleurs des ailes qui les peupleront le seront. Car chacun a ses préférences !-» déclare un jardinier militant.

Le fait qu’en quinze ans, la moitié des espèces vivant en Europe ait disparu, rend d’autant plus réjouissant le sentiment d’une présence accrue et plus variée cette année dans le val de Rosselle. Certes, une observation locale limitée à un jardin n’est guère significative. Mais elle rime avec plaisir. Selon certains entomologistes, les papillons ont une mémoire malgré leur courte durée de vie. Ils ont leur rituel  et retournent se poser au même endroit chaque soir. C’est donc l’espoir de les voir revenir chaque jour qui prévaut chez l’observateur.

Dans notre cas, les plus rares, cette année, ont été la Carte géographique - Araschnia levana (rare dans le jardin, mais on en voit un grand nombre à la lisière de la forêt du Warndt), le Machaon, le Citron et le Vulcain. Ces trois derniers affectionnent les buddleias en pleine floraison. La chenille du Machaon raffole de fenouil.

Les plus présents : la Petite Tortue ou Vanesse de l'ortie, le Myrtil et le Tristan, talonnés  par la Mégère, le Demi-deuil et le Paon du jour. Ils butinent avec prédilection les rudbeckias et la verveine de Buenos-Aires.

Cet inventaire non exhaustif (la Piéride du chou est laissée volontairement de côté, très abondante et peu photogénique) se caractérise par une certaine diversité : la proximité de la forêt du Warndt, dont la lisière se trouve à trois cents mètres, explique la variété des individus. Ces derniers, pour la plupart, affectionnent l'orée du bois où ils sont les hôtes des herbes folles, des orties et des ronces. Lorsqu’ils s’aventurent jusqu’aux jardins, leur préférence va à la sauge, aux verveines, au chardon, à la cardère sauvage et aux rudbeckias jaunes qui s’harmonisent à merveille, pour certains,  avec la teinte fauve de leurs ailes. Plus pâles, moins attractifs... Profitons de leurs couleurs "grand teint" avant que le dérèglement climatique, inéluctable, ne les fasse passer au soleil.



 S.P.


Deux sites de référence :
- Noé Conservation

- Museum national d'histoire naturelle

 


Machaon ou Grand porte-queue Papilio machaon sur un buddleia.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Paon du jour Aglais io sur une cardère sauvage.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Paon du jour Aglais io sur des asters, au mois d'octobre.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Mégère Lasiommata megera,
sur une verveine de Buenos-Aires. Un ocelle à l'apex des ailes antérieures,
alors que les ailes postérieures sont en damier marron terne et beige
avec une ligne d'ocelles clairs pupillés de noir . Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Demi-deuil Melanargia galathea,
sur un chardon bleu.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Tristan Aphantopus hyperantus,
sur une fleur de rudbeckia. Reconnaissable à ses ocelles
entourés de jaune sur fond brun velouté.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Myrtil Maniola jurtina (mâle).
Le mâle est marron clair avec un ocelle noir centré de blanc à l'apex de l'aile antérieure.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Amaryllis Pyronia tithonus (femelle).
 Peut être confondu avec Myrtil Maniola jurtina.
Pour identifier Amaryllis, se fier au double point blanc de son ocelle à l'apex des ailes antérieures.

Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Amaryllis Pyronia tithonus, en prairie et lisière de forêt.
 L'Amaryllis ressemble fort au Myrtil. La différence la plus visible est la présence
d'un ocelle supplémentaire sur le recto des ailes postérieures. 
Ocelles doublement pupillés sur les antérieures.
Rosbruck juillet 2014. Ph. S. Post.



 «Carte géographique»  Araschnia levana,
en lisière de forêt.
Rosbruck juillet 2014. Ph. S. Post.



 «Carte géographique»  Araschnia levana 
Effets optiques des rayons obliques du soleil de la mi-journée. Couleurs naturelles.
Deuxième génération de l'année (vol de mi-juin à septembre).
Rosbruck 30 août 2014. Ph. S. Post.



 Vulcain Vanessa atalanta,
Les ailes fort abîmées, posé sur
une balsamine sauvage de l'Himalaya...
plantée dans le fond du jardin !
Rosbruck juillet 2014. Ph. S. Post.




Tircis  Parargo aegeria 
Papillon des lisières, chemins forestiers, clairières...
Ocelle noir pupillé de blanc aux ailes antérieures.
Bande formée de taches centrées, chacune, par un ocelle noir sur les postérieures.
Le coloris est plus foncé dans le nord-est de la France,
plus clair généralement pour la génération estivale, dans le sud de la France.
La variation intervient au stade chrysalide en fonction de la température ambiante

Rosbruck août 2014. Ph. S. Post.



 Robert-le-Diable  Polygonia c-album,
en lisière de forêt.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Citron Gonepteryx rhamni,
sur une fleur de buddleia.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Petite tortue ou Vanesse de l'ortie  Aglais urticae,
sur une sauge.
Rosbruck 2014. Ph. S. Post.



Diminution régulière des populations de papillons de prairies en Europe.
Source : Agence européenne de l'environnement