vendredi 28 février 2014

CARRIÈRE DE FREYMING-MERLEBACH

25 000 panneaux photovoltaïques
sans faire monter la tension

La création d’un parc solaire de onze hectares et demi dans la carrière de Freyming-Merlebach a obtenu, en août 2013, l’avis favorable du commissaire-enquêteur chargé de recueillir les observations de la population. Celle-ci ne s’est pas mêlée du dossier, jusque-là. Le permis de construire a été délivré.



La centrale photovoltaïque serait implantée sur le « terril du Warndt » réaménagé,
que l'on aperçoit en haut à gauche sur cette vue aérienne datant de 2004.

© Photo Charbonnages de France – soumise à autorisation



Le projet d’installation de 25 000 panneaux solaires  dans la carrière de Freyming-Merlebach a obtenu l’avis favorable du commissaire-enquêteur chargé de l’enquête préalable à la délivrance du permis de construire sollicité par la communauté de communes de Freyming-Merlebach. Ce n’est alors qu’une étape, mais elle est essentielle, même si le rapport de l'enquête publique, daté du mois d'août 2013, précise que le nom du futur exploitant n'est pas connu. Ce sera sans doute un consortium privé. La consultation s’est déroulée du 11 juin au 10 juillet, et si la procédure visant à porter le dossier à la connaissance du public a été respectée, elle aura également permis de prendre le pouls de la population vis-à-vis d’un projet de centrale photovoltaïque qui va modifier la physionomie d’une partie d’un site remarquable, tant vanté par l’office de tourisme. Il s’agit d’un secteur de biodiversité où nichent de nombreuses espèces dont certaines sont protégées, comme le pélobate brun et le grand-duc d’Europe. Le permis de construire a été délivré le 6 septembre 2013.
 
Pour un coût estimé de 12 millions d’euros, il est question de mettre en service des panneaux solaires de technologie à silicium polycristallin sur
une étendue capable de satisfaire la consommation annuelle de 2 100 foyers, soit 6 300 à 8 400 habitants. Le discours économique essaie de se concilier les thèses environnementales. «-La carrière est inscrite en ZNIEFF [comprendre : zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique] et nécessite un entretien important pour maintenir les milieux ouverts. Sans entretien, font remarquer les promoteurs, le site est voué à un état de friches et de boisements incompatibles avec les besoins des espèces animales remarquables recensées sur le site-». Et de conclure que le projet de centrale photovoltaïque «-maintiendra un milieu favorable à la petite et à la moyenne faune ainsi qu’aux reptiles et batraciens-».

La surface herbacée retenue couvre onze hectares et demi. Elle est limitée au nord et à l’est par les falaises, à l’ouest par un plan d’eau naturel et au sud par une zone boisée et un ancien terril. Les zones humides seront préservées, assurent les auteurs du projet. Aucun nivellement du sol n’est prévu-; le parc photovoltaïque suivra le terrain naturel et son raccordement au réseau ERDF s’effectuera par une liaison souterraine. Quant aux oiseaux l’avenir dira si ce gigantesque miroir traité antireflets, va les effaroucher ou pas. Les travaux sont prévus en dehors des périodes de végétation, de migration ou de nidification, après le 15 août.

Au titre des inconvénients du projet, le volet paysager arrive en premier ligne. Mais la communauté de communes de Freyming-Merlebach se veut rassurante : les photomontages fournis à l’occasion de l’enquête publique de juin-juillet 2013 permettent, selon elle, «-de constater que les installations sont exposés à la vue depuis les abords immédiats du site; elles seront a priori peu visibles depuis le belvédère de Freyming-». C’est le point d’observation favori des visiteurs au sommet de la falaise du Warndt, sur la frontière entre la France et l’Allemagne.

 
Un habitant sur 13 523
a réagi à l'enquête publique

 
Conquise par la beauté sauvage du site, la population ne s’est pourtant pas mêlée du dossier. Un seul des 13 523 habitants de Freyming-Merlebach a noté ses observations sur le registre ouvert en mairie. «-La carrière de Freyming-Merlebach est un site tout à fait exceptionnel dans la région. La nature y a repris ses droits et a permis le développement d’espèces animales et végétales remarquables. Je la parcours depuis de nombreuses années, écrit Jacques Schaaf. Mon souhait de préserver un tel site fait partie de mes préoccupations, ajoute-t-il. Je pense que l’implantation d’une centrale photovoltaïque dans la carrière est une aberration économique et écologique.

Économique-: dans le contexte actuel, de nombreux projets du même type n’aboutissent pas faute de rentabilité. Écologique-: pour respecter l’environnement, des précautions nombreuses et détaillées apparaissent dans le cahier des charges du projet. Sans me prétendre un spécialiste, écrit encore Jacques Schaaf, il est évident que la mise  en route des chantiers entraînera forcément la destruction d’une partie de la faune présente sur le site (espèces protégées ou non).

Mais le plus grave, selon lui, est bien l’impact visuel. La carrière est d’une rare beauté et malgré les efforts de «-maquillage-» prévus (haies vertes) le site sera défiguré-». Il termine par cette remarque-: «-Lors de mes promenades régulières, je constate une augmentation des nuisances-: déchets abandonnés par les pêcheurs et dégradations, feux à proximité de la roselière, nuisances sonores du stand de tir, exercices de plongée dans le grand étang, descente du terril en parapente, chiens se rafraîchissant dans les mares, incursion de motards (carrière de Saint-Avold)… la liste n’est pas exhaustive. Si ces nuisances peuvent en partie être évitées par une surveillance plus régulière et une règlementation plus stricte, l’implantation de la centrale photovoltaïque défigurera la carrière du Barrois pour les prochaines décennies. Et c’est bien regrettable.-» 

À ces regrets s’ajoutent les observations de Serge Khiecik, de Saint-Avold-: «-À propos de l’étude d’impact, écrit ce dernier, le peu de cas qui est fait de l’exceptionnelle beauté de ce site est incompréhensible. L’ensemble formé par les immenses falaises couronnées de forêts, les vastes étendues de steppes, les roselières et les plans d’eau, a un caractère fantastique, unique. Le fait que ce joyau résulte de l’activité humaine n’altère en rien sa valeur. Y établir un complexe industriel est une absurdité, et dans ce document la tentative d’en minimiser l’impact esthétique est grotesque-».

Deux annotations, seulement, sur le registre d’enquête. Est-ce à dire que le silence assourdissant de 99,99% de la population vaut acquiescement ? L’opinion publique n’a peut-être pas dit son dernier mot et la montée d’un phénomène est prévisible à l’approche des élections de 2014. Ici intervient Facebook. Sur la page d’opposition municipale «-Freyming-Merlebach demain-», un internaute fait part de son désappointement : «-Nouvellement propriétaire à la cité Sainte Fontaine, j'ai appris avec effroi il y a peu qu'un permis de construire d'une centrale photovoltaïque de plusieurs dizaines d'hectares [ndla : 11,4 hectares] avait été délivré sur le site de la carrière Barrois-? Et qu'apparemment seules deux personnes sont venues s'y opposer en mairie lors de l'audit public... Je trouve ça déplorable de souiller un site tellement beau...-». Dix personnes approuvent le contenu du message dans les minutes qui suivent. «-En tout cas moi, si pétition il y a, je suis prête à la signer-» s'insurge l’une d’elles. Et l’administrateur de la page d’appeler à la diffusion la plus large et à la multiplication des avis. 

Doit-on s’attendre, sur ce projet photovoltaïque, à ce que les citoyens préfèrent Internet et les réseaux sociaux pour faire entendre leur voix, hors du cadre institutionnel-? Les ressorts psychologiques qui les ont éloignés du registre ouvert à leur intention, semblent témoigner d’un détachement par rapport aux règles démocratiques habituelles. Une attitude désabusée qui imprègne les comportements électoraux lorsqu’elle se traduit par l’abstention. Dans un contexte de désenchantement et de révolte morale--des traits bien identifiés de la société française aujourd’hui--le vide observé lors des permanences du commissaire-enquêteur en charge du projet photovoltaïque n’est-il pas plus signifiant que marginal-?

Que peuvent, en effet, représenter le pélobate brun et le grand-duc aux yeux d’une jeunesse qui piétine à l’entrée du marché du travail, dans une ville jadis florissante-? La population active à Freyming-Merlebach n’est que de 57,9-% aujourd’hui, un faible taux s’expliquant notamment par un système de préretraite très précoce appliqué lors de la fermeture des mines. Du côté des «-inactifs-» la résignation semble assez forte pour qu’ils ne s’acharnent pas contre un sujet environnemental.  Pour les jeunes et leurs parents, l’essentiel semble ailleurs dans un bassin houiller qui, désormais, ne produit pas assez pour embaucher suffisamment. La centrale photovoltaïque va créer un emploi. Un seul. Ça peut provoquer de l’indifférence.

 
S.P.




« Les installations seront a priori peu visibles depuis le belvédère de Freyming », indique le
 rapport d'enquête. Elles apparaîtraient légèrement dans l'angle supérieur gauche de la photo. Le parc photovoltaïque occuperait 11 hectares et demi des 340 hectares de la carrière, soit un peu plus de 3% de sa superficie.


[Publié le 25 novembre  2013 ]

Lire aussi :

- Carrière de Freyming-Merlebach : la belle reconquise



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Les défenseurs de la nature
ne sont pas hostiles au projet



 Le GECNAL (Groupement d’étude et de conservation de la nature en Lorraine) ne fait pas obstacle au projet d’installation de 25.000 panneaux solaires dans cette zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). Afin de comprendre pourquoi les défenseurs de la nature ne se sont pas montrés virulents vis-à-vis du parc photovoltaïque appelé à occuper 11 hectares et demi sur les 340 hectares de la carrière de Freyming-Merlebach, il paraît intéressant de connaître leur position, en particulier celle des naturalistes connaissant cette carrière et ses espèces, et de recueillir leurs propos.

Pour Jean-Baptiste Lusson et Jacques Kunzler, «-Il est important d’avoir à l’esprit que le projet ne remet pas en cause la présence des espèces remarquables présentes actuellement dans la carrière. En plus, il pourrait permettre le maintien d'espèces de milieux ouverts comme le Crapaud vert, le Crapaud calamite, l’Alouette lulu, la Pie-grièche écorcheur, Lézard agile, Lézard des murailles… en concourant à la gestion d'espaces de pelouses à sol ras ou de mares.

Par contre, déclarent les deux naturalistes, en laissant complètement à l'abandon la carrière (-sans gestion des habitats ouverts-) celle-ci deviendrait une forêt. En laissant ainsi la nature gagner complètement le territoire, on atteindrait un stade de naturalité forestier dans 100 ou 200 ans. Les espèces pourraient être, au final, nombreuses et remarquables. 

Néanmoins, cet état naturel est peu envisageable car la carrière, située dans un environnement périurbain, sera toujours très fréquentée par l’homme et les espèces sensibles au dérangement seront donc absentes (oiseaux et mammifères en particulier).

Ainsi, étant donné cette évolution naturelle des milieux et le contexte périurbain de la carrière, il faut réfléchir à ce que l’on veut conserver, soulignent encore Jean-Baptiste Lusson et Jacques Kunzler :

- les espèces rares des milieux ouverts ;
- ou les espèces forestières plus communes de notre région.

Il faut également savoir, disent-ils, qu’un Plan national d’action pour le Crapaud vert et un Plan national d’action pour le Pélobate brun sont actuellement portés par l'État pour la conservation de ces deux espèces
-». Concernant le Crapaud vert particulièrement, les naturalistes du Gecnal du Warndt posent une remarque de fond : «-L’espèce peut-elle se maintenir de manière naturelle, sans l'intervention de l'homme ? C'est très important car en laissant complètement à l'abandon les sites (sans gestion des habitats ouverts), et donc en favorisant la naturalité, ils deviendront généralement des zones boisées défavorables à l’espèce.

Même dans 10 ans, le développement de la strate arbustive et d’espèces invasives comme le robinier provoquera la régression de l’espèce sur la zone.-» Jean-Baptiste Lusson rappelle que la présence des «-gros-» sites à Crapaud vert est uniquement liée aux activités humaines, de l'exploitation du charbon en particulier.


« Un moindre mal »
 

Le Gecnal du Warndt a demandé à ce que le projet lui soit présenté le 11 juin 2013 à Creutzwald. A la suite de cette présentation par CdF Ingénierie, un échange de points de vue a eu lieu entre les membres de l'association. Ceux-ci constatent que «
-globalement la carrière est devenue un lieu fréquenté par de nombreux groupes ; par exemple lors de la dernière sortie de l’association sur le site, il y avait présence de plongeurs dans le grand étang !

Il y a eu une course marathon en 2012 et 2013 avec présence de plus de 100 coureurs. Le stand de tir et le club de ball-trap ne sont pas loin ; ce dernier sera à déplacer en cas d’installation de la centrale pour empêcher la chute de disques sur les panneaux-».

Le Gecnal du Warndt note aussi «-le manque de soutien des grandes associations régionales pour la gestion globale de la carrière (carrière côté Saint-Avold et côté Freyming-Merlebach)-». Les membres du Gecnal du Warndt pensent que «-le projet est un moindre mal, car d’une part les mesures associées permettront de gérer le site et d’autre part, la zone étant occupée, cela «-sanctuariserait-» le site pour au moins 30 ans et limitera l’émergence de projets plus impactant ou plus farfelus-».

De plus, les spécialistes du Gecnal confirment que «-le projet ne pose pas de problème de compatibilité légale quant à son aménagement et qu’il ne remet pas en cause la présence des espèces protégées et remarquables. D’ailleurs, un dossier de dérogation a été réalisé par CdF Ingénierie pour la prise en compte des espèces protégées-».

L'association se pose également la question de savoir qui va payer l’entretien des milieux ouverts. «-L'État et les collectivités n’auront certainement pas les moyens financiers pour gérer ces sites en espaces ouverts. Il n’y a, en plus, pas que la carrière de Freyming-Merlebach qui abrite des populations de Crapaud vert. Ainsi, l'évolution naturelle de la carrière aboutira à un couvert forestier dans 20 à 30 ans, défavorable à l'espèce. Malheureusement, la naturalité ne sera jamais atteinte car la carrière restera très fréquentée par l’homme, facteur de dérangement des espèces forestières-».

Quant à l’impact sur le paysage du projet, le Gecnal «-ne se considère pas légitime pour prendre position car ce n’est pas de sa compétence. De plus, la perception paysagère intègre souvent la sensibilité souvent propre à chaque individu-». Ainsi, à l’issue de cette présentation et des échanges qui ont suivi, notamment avec l’appui des naturalistes du Gecnal, l’association «-a décidé de ne pas s’opposer au projet de parc photovoltaïque pour plusieurs raisons :

- le projet ne remet pas en cause la présence des espèces protégées et remarquables;

- le projet n’est pas en infraction avec les lois de protection de la nature en vigueur;

- le projet, non néfaste à la biodiversité concernée, permettra le maintien du Crapaud vert et d’autres espèces remarquables des milieux ouverts peu arbustif;

- en refusant des projets non néfastes aux espèces, particulièrement le parc photovoltaïque dans un secteur du site sans grand intérêt écologique mais contribuant au maintien des milieux ouverts, on se prive d'aides financières et de mesures de gestion-».


[Publié le 5 décembre  2013 ] 



Vue panoramique du secteur concerné par le projet de  parc photovoltaïque (10.12.2013). 
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