dimanche 13 mai 2012

À HOMBOURG-HAUT

Chevaux des bois


La journée consacrée à l'utilisation de chevaux en exploitation forestière, à Hombourg-Haut, le samedi 9 juin, n'aura rien d'anodin. C'est le signe d'une évolution.
Capable de remplacer le tracteur, le cheval lourd a le sabot léger, comparé aux grosses roues des engins mécanisés qui tassent la terre, support de vie... qui doit rester vivante. En forêt, il retrouve une place qu'il avait perdue.



L'occasion m'étant offerte de souligner la qualité du magazine Sabots,
voilà qui est fait ! La photo de couverture (traîne directe en simple)
est de Jean-Léo Dugast, qui sera présent à Hombourg-Haut, le 9 juin.


 
 

Solide, intelligent, docile et non-polluant, le cheval de trait «est une solution d’avenir» selon le fondateur de la Société hippomobile de technologie et d’expérimentation du Sud-Est (Hippotese) qui, depuis 1980, promeut le développement de la traction animale moderne. Pour faire reconnaître l’énergie animale comme énergie renouvelable, ses partisans forment les chevaux, améliorent le matériel, mettent en réseau les nouveaux acquis et conseillent ceux qui veulent se convertir à cette activité, souvent isolés et en proie à un déficit de savoir-faire, la culture animale ayant été vaincue, dans ce domaine, par la motorisation dans l’après-Seconde Guerre mondiale.
 

Mais soyons réalistes : le cheval de trait, ringard par excellence dans la décennie 1970, ne remontera pas tout à fait la pente. « Allez expliquer à ceux qui ont trimé dans les champs derrière leur cheval que le tracteur n’est pas la solution idéale » rétorquent beaucoup d’agriculteurs. 

N’empêche. Comme les énergies fossiles s’amenuisent, il va falloir, à l’avenir, privilégier une production agroalimentaire de proximité. Trouvera-t-elle dans l’énergie animale une réponse aux coûts de production et de transports ? Certains en sont persuadés, rappelant qu’un cheval (achat, harnais, entretien) coûte 9 400 euros par an contre 13 700 euros pour un camion classique. Bilan carbone deux fois plus faible et bilan  sonore appréciable dans notre environnement bruyant. Une vingtaine de villes françaises l’ont compris, qui bichonnent aujourd’hui leurs chevaux territoriaux, avec un atout inattendu : les gens adorent  "leur cheval". Ainsi, on parle beaucoup du cheval urbain, parce que c’est un cheval visible, un cheval-vitrine.

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20 % de la forêt française... 
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«Mais qui se soucie de celui des forêts, des vignes, des maraîchages ?»  martèle le photojournaliste spécialiste de l’animal, Jean-Léo Dugast, dans Paris-Match. Surnommé le "poète du débardage", Jean-Léo Dugast sera présent à Hombourg-Haut et sa venue en Moselle a une signification.
 

La manifestation proposée aux professionnels et au public, dans la forêt de la Papiermühle n’a rien d’un divertissement. Portée conjointement par l’Office national des forêts, la Fédération européenne du cheval de trait pour la promotion de son utilisation (FECTU), l’université de la Sarre et la municipalité de Hombourg-Haut, elle plongera le visiteur au cœur du métier d’exploitant forestier à l’aide de chevaux. Une manifestation vedette du «Warndt  Week-end» de l’Eurodistrict SaarMoselle, une région transfrontalière où les pros, qu’ils soient français ou allemands, partagent le même état d’esprit.
 

En France,  sur un total de 34,5 millions de mètres cubes de bois débardés par an,
50 000 mètres cubes le sont au moyen du cheval, soit 0,15 % du volume total, selon une estimation de l’Union des associations des 9 races françaises de chevaux de trait, France Trait. Elle recense environ 40 débardeurs français en 2005 pour environ 12 équivalents temps plein (car beaucoup sont pluriactifs). On estime à 450 le nombre de débardeurs potentiels en France. Ce qui amène France-Trait à dire qu’il existe un véritable marché, particulièrement dans les zones difficiles d’accès pour des raisons techniques. Avec une vraie politique durable de la forêt, au moins 20 % de la surface forestière française serait « débardable » à cheval.  


En Lorraine, en tout cas, la doctrine de l’Office national des forêts, énoncée par Jean-Pierre Renaud, directeur territorial de l’ONF, est claire. Dans le manuel d’utilisation de la traction animale en débusquage forestier, qui vient tout juste de sortir, l’enjeu de la protection des milieux arrive en tête.

Ce type d’intervention, en complémentarité des engins, constitue une alternative aux solutions intégralement mécanisées. Car, lorsque ces dernières sont mises en œuvre simultanément par le même engin motorisé sur des sols sensibles et de surcroît en période de sensibilité accrue (sol frais à humide), les dégradations physiques peuvent être importantes. Et une météo changeante laisse peu de marge à la conservation de l’intégrité du sol lors de l’utilisation classique d’engins lourds.

Le compactage, l’orniérage ou le scalpage (arrachage des couches superficielles) du sol peuvent avoir des conséquences directes sur le système racinaire des végétaux, notamment la mortalité des plus petites racines dont la fonction est d’assimiler l’eau et les éléments nutritifs. Le compactage du sol fait craindre un engorgement du sol et un dysfonctionnement biologique par asphyxie.

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Double défi 
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« La Lorraine, souligne Jean-Pierre Renaud, présente plus du tiers de ses sols classés en sensibilité forte, corrélés à des enjeux de production élevés. Ce double défi peut être relevé grâce au strict respect de règles fixées aux entreprises ainsi qu’au développement de techniques innovantes (…). Couplée aux techniques modernes de la mécanisation, la traction animale permet d’apporter dans un certain nombre de situations spécifiques, des solutions économiques viables et conformes aux engagements de gestion durable… ».

Pour Jean-Pierre Masseret, président de la Région Lorraine, qui souhaite mobiliser les communes forestières et les propriétaires privés en faveur de la traction animale, cette «technique soutenable, pleine d’avenir (…), n’est ni un acte humanitaire pour sauver quelques emplois, ni un moyen folklorique de faire plaisir au grand public, il est une des techniques de débusquage de la sylviculture moderne. Il y va de la qualité des sols forestiers. Dans le contexte incertain du changement climatique, les forêts auront plus que jamais besoin de sols intacts».

L’ensemble de l’écosystème forestier profite, en principe, du respect de ce « mince épiderme vivant qu’est le sol ». L’image est de Christian Apffel, agent patrimonial ONF qui veille attentivement à la valorisation des 350 hectares de la forêt communale de Hombourg-Haut,  classée forêt de protection, écocertifiée PEFC (Program for the Endorsement of Forest Certification
), gérée par l’ONF, et qui a opté pour le cheval de trait depuis 1997. Elle fait partie des plus grandes parmi les 460 forêts communales de Moselle, elle est la deuxième du bassin houiller.

Dans un secteur de cette forêt périurbaine, on est  en présence d’un peuplement à valeur partiellement dormante, d’environ 40 ans, où l’épicéa commun est largement majoritaire, à côté du pin sylvestre, du mélèze, du hêtre et du bouleau. La mobilisation, au moyen du cheval, de chablis d’épicéas dispersés dans ce secteur qui présente des pentes à 40 %, s’apparente à celles couramment rencontrées dans le massif vosgien et dans les Vosges du Nord.

L’engagement des chevaux de trait lors des opérations de bûcheronnage et de débusquage simultané des bois est particulièrement adapté à ce type de chantier où la mécanisation est inenvisageable en raison de la configuration des lieux et de la dispersion des produits : la maniabilité du cheval facilite le passage à travers le peuplement et réduit les déplacements improductifs. 

Ailleurs dans la forêt communale de Hombourg-Haut, le cheval est parfois utilisé sur des reliefs qui ne posent aucun problème à la mécanisation, mais dans le but de ne pas tasser le sol, en gardant à l’esprit que la nappe phréatique sous-jacente a besoin de l’eau du ciel !


Si l’économie et l’écologie se synchronisent, rendant le compromis viable, la traction animale est bienvenue et présente la vertu d’une «pédagogie parlante» du développement durable. Une panacée ? «Il faut être conscient que dans bien des cas le cheval ne peut pas valablement intervenir et que d’autres solutions de respect de la forêt peuvent être mise en œuvre» observe prudemment Christian Apffel.
 
En tout cas, les efforts de communication ont fait naître une nouvelle attitude au sein du public. Son regard sur la forêt a changé. Les visites guidées proposées par l’Office de tourisme de la communauté de communes de Freyming-Merlebach, à Hombourg-Haut, attirent du monde et donnent aux participants le sentiment de voir des choses que d’autres ne voient pas. Ce qui conforte la municipalité dans sa volonté de valoriser son patrimoine naturel sur tous les plans. 
 
Comme une suite logique donnée à la coopération avec l’ONF en termes de gestion proprement dite du peuplement forestier, le temps est venu, pour la ville, de voir plus loin : des aménagements d’accueil ont été réalisés par elle à l’entrée du massif, à l’intention de sa population et des visiteurs. Ici, bucolique rime avec politique.
 
Pour les élus locaux la lisière du bois n’est pas l’horizon. Ils s’inscrivent résolument dans le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) du Val de Rosselle, qui prévoit des retombées en faveur du bassin houiller lorrain pris dans son ensemble. Ce qui les intéresse, au-delà de la valeur paysagère de leur forêt, ce sont les convergences  entre les riches heures de l’histoire de Hombourg-Haut,  pittoresque cité médiévale fortifiée, sa vie culturelle et la dimension "nature" à laquelle tous les décideurs semblent souscrire.



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur





PROGRAMME DU SAMEDI 9 JUIN
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Pour le public :

11 h 30 : conférence sur "Le réchauffement climatique et la forêt" (Dr René Gruber, chimiste, professeur émérite de l'Université de Lorraine), à la Papiermühle.

14 h 30 : au départ de l'Office de tourisme, visite "La forêt de la Papiermühle se dévoile" avec Alfred Berlocher, professeur de sciences de la vie et de la Terre et guide de l' O.T. Équipements et chaussures de marche adaptés à la météo. La visite du chantier de débardage au cheval est incluse dans le circuit. Participation sur inscription à l'Office de tourisme (tél. 03 87 90 53 53).

15 h à 17 h : démonstration en continu de débardage au cheval (sur le site fléché depuis le parking). Commentaires d'un professionnel. S'adresse à tout public.

15 h :  réunion transfrontalière (voir ci-après).
 

L'ouvrage de Jean-Léo Dugast...
... et les chevaux de mine





















Exposition de photos de Jean-Léo Dugast, à la Papiermühle, sur l'utilisation actuelle des chevaux de trait en forêt. Seront aussi visibles des photos sur l'utilisation des chevaux dans les mines. Un stand de librairie présentera les ouvrages "Forces de la nature - Chevaux débardeurs des forêts de France" de Jean-Léo Dugast et "Les chevaux de mine retrouvés" de Sylvain Post (présence de l'auteur, dédicace).

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Pour les  professionnels, élus, organismes divers, associations, qui seront accueillis par Mme Anne-Laure Julien, adjointe au maire, la journée commencera à 9 h 30 et sera marquée par diverses interventions :

- De 1977 à 2012, la traction animale complémentaire des machines forestières en forêt communale de Hombourg-Haut ... (M. Marcel Bergmann, adjoint au maire)

- Débardage-cheval-environnement : des professionnels de la forêt offrent des solutions techniques... (M. Biocalti, chef d'entreprise)

- Le certificat "Information nature", une action de pédagogie du développement durable (M. Bergmann)

- Présentation du "Manuel d'utilisation de la traction animale en débusquage forestier" de l'ONF Lorraine (M. Ch. Appfel, agent patrimonial Onf)

- Protéger les sols et réduire l'énergie appliquée à l'écosystème : deux motivations majeures... (G.J. Wilhelm, premier adjoint au maire de Blieskastel, directeur du service Aménagement et Production de la direction centrale de l'administration forestière de Rheinland-Pfalz

- La traction animale en Europe : situation et perspectives (Pit Schlechter, président de la Fédération européenne du cheval de trait pour la promotion de son utilisation, FECTU)

- Présentation du programme de traduction de documents de traction animale forestière, réalisé par des étudiants de master traduction de A. Wurm, institut de linguistique appliquée, traduction et interprétariat, Université de la Sarre

- Une intervention du Dr Scharnhölz, président de l'Interessengemeinschaft Zugpferde- IGZ

11 h 30 : conférence sur "Le réchauffement climatique et la forêt" (Dr R. Gruber, chimiste, professeur émérite de l'Université de Lorraine)

15 h à 17 h : réunion transfrontalière sur la traction animale forestière : informations, échanges de vues et discussion. S'adresse à toute personne ayant un intérêt pour le sujet. Lieu : restaurant de la Papiermühle.


Hombourg-Haut © photo Christian Bernd


lundi 7 mai 2012

MONS 2015

Van Gogh chez les mineurs


L’un des peintres les plus connus au monde a vécu parmi les « gueules noires » des houillères belges, dans le Borinage. Il en est reparti deux ans plus tard, pour lier son destin à la peinture. En accédant au titre de Capitale européenne de la culture en 2015, Mons se souviendra des débuts de Van Gogh, venu comme évangéliste dans les mines.


 
 


Si Vincent Van Gogh, fils d’un pasteur protestant, est né en 1853 dans le Sud des Pays-Bas, c’est le Borinage qui correspond au lieu de naissance de l’artiste. En 1869, à l'âge de 16 ans, Vincent Van Gogh quitte la maison familiale et devient apprenti chez Goupil & Cie à La Haye, filiale fondée par son oncle Hein. Cette firme internationale vend des tableaux, des dessins et des reproductions. Il  refuse de voir l’art comme une marchandise et abandonnera cette voie pour se tourner vers la religion.

Le soutenant dans son désir de devenir à son tour pasteur, sa famille l'envoie en mai 1877 à Amsterdam. Il se prépare pour l'université et étudie la théologie avec son oncle Johannes Stricker, théologien respecté, mais il échoue aux examens et  retourne au domicile familial. Il suit des cours pendant trois mois à l'école protestante de Laeken, près de Bruxelles, échoue à nouveau et abandonne ses études pour devenir prédicateur laïque. Début décembre 1878, Vincent Van Gogh obtient une mission d'évangéliste en Belgique, auprès des mineurs de charbon du Borinage, dans la région de Mons.

Plusieurs études documentées par l'abondante correspondance de Van Gogh, permettent de connaître avec précision cette période. Plus de huit cents lettres écrites à sa famille et à ses amis, dont six cent cinquante-deux envoyées à son frère Théo. Il lui écrit ceci, en novembre 1878 :

«…Il y a au sud de la Belgique, en Hainaut, dans les environs de Mons, jusqu’à la frontière française, même bien au-delà, une région appelée le Borinage où se trouve une drôle de population d’ouvriers qui travaillent dans les nombreux charbonnages. J’ai entre autres trouvé ceci à leur sujet dans un manuel de géographie :
 

Les Borains (habitants du Borinage, pays au Couchant de Mons) ne s’occupent que de l’extraction du charbon. C’est un spectacle imposant que celui de ces mines de houille ouvertes à 300 mètres sous terre, et où descend journellement une population ouvrière digne de nos égards et de nos sympathies. Le houilleur est un type particulier au Borinage; pour lui le jour n’existe pas, et sauf le dimanche, il ne jouit guère des rayons du soleil. Il travaille péniblement à la lueur d’une lampe dont la clarté est pâle et blafarde, dans une galerie étroite, le corps plié en deux, et parfois obligé de ramper ; il travaille pour arracher des entrailles de la terre cette substance minérale dont nous connaissons la grande utilité, il travaille enfin au milieu de mille dangers sans cesse renaissants mais le porion belge a un caractère heureux, il est habitué à ce genre de vie, et quand il se rend dans la fosse, le chapeau surmonté d’une petite lampe destinée à le guider dans les ténèbres, il se fie à son Dieu Qui voit son labeur et Qui le protège, lui, sa femme et ses enfants. Ses vêtements se composent d’un chapeau de cuir bouilli, d’une veste et d’un pantalon de toile.
Le Borinage se situe donc au sud de Lessines où l’on retrouve les carrières de pierre. J’aimerais tant y aller comme évangéliste… »
(Extrait de la lettre 148 à Théo, écrite en néerlandais, datée 13-16 novembre 1878).
  

Descente au fond


Sa traversée du Borinage commence à Pâturages (commune de Colfontaine) en 1878. Il y est accueilli par un pasteur qui l'installe chez un colporteur au 39, rue de l'Église. Il part ensuite pour Wasmes (Colfontaine), dans une maison qu’il jugera trop luxueuse.  Van Gogh choisit de vivre comme ceux auprès desquels il prêche, partageant leurs difficultés jusqu'à dormir sur la paille au fond de la maison du boulanger. Il consacre tout aux mineurs et à leurs familles.

«Il se sentait tenu d'imiter les premiers chrétiens, de sacrifier tout ce dont il pouvait se passer, et il voulait être plus dépouillé que la plupart des mineurs à qui il prêchait l'évangile » écrit le pasteur Bonte à l’académicien Louis Piérard (1886-1952), journaliste, écrivain et homme politique, auteur de "La vie tragique de Vincent Van Gogh". Le religieux ajoute « que la propreté hollandaise avait été aussi régulièrement abandonnée; le savon était délaissé comme un luxe coupable, et notre évangéliste, s'il n'était pas couvert d'une couche de charbon, avait ordinairement la figure plus sale que celle des charbonniers. Ce détail extérieur ne le préoccupait pas ; il était absorbé par son idéal de renoncement, il montrait d'ailleurs que son attitude n'était pas du laisser-aller, mais la pratique fidèle d'idées qui gouvernaient sa conscience. »

Vincent Van Gogh va même jusqu'à descendre à 700 mètres au fond de la mine. Extraits d’une lettre à Théo, datée d’avril 1879 :

« Il n’y a pas longtemps, j’ai fait une excursion fort intéressante, j’ai notamment passé 6 heures dans une mine. Et encore, dans une des mines les plus vieilles et les plus dangereuses des alentours, nommée Marcasse. Cette mine a une très mauvaise réputation par suite des nombreux accidents qui s’y produisent, soit à la descente, soit à la remonte, soit à cause de l’étouffement ou des explosions de grisou, ou l’eau souterraine, ou l’effondrement d’anciennes galeries, etc. C’est un endroit sombre, et à première vue, tout dans son voisinage a un aspect sombre et funèbre. »

« …Nous descendîmes jusqu’à 700 m dans les coins les plus cachés de ces enfers…
A la faible lumière d’une petite lampe, un ouvrier en vêtement d’une toile grossière, sale et souillé comme un ramoneur, est occupé à enlever du charbon à coups de pioche. »
 
«… La descente dans une mine est une chose terrible, dans une espèce de panier ou de seau, on descend dans un puits, mais alors un puits de 500 à 700 m de profondeur, de sorte que regardant du fond en haut, on aperçoit le jour de la grandeur d’une étoile au ciel à peu près».

« …Certains ouvriers travaillent dans les maintenages, d’autres chargent le charbon dans des petits charriots qui sont transportés sur des rails comme pour un tramway, ce sont surtout les enfants qui font cela, aussi bien des garçons que des filles. On y trouve aussi une écurie là-bas, à 700 m sous terre, avec quelque 7 vieux chevaux qui transportent de plus grandes quantités vers l’accrochage, l’endroit où elles sont tirées vers le haut…».



Il soigne les grands brûlés


Lors d'un coup de grisou, Vincent Van Gogh porte secours aux victimes. L’académicien Louis Piérard en parle dans son ouvrage "La Vie tragique de Vincent Van Gogh" : « 1879 : année tragique : une épidémie de fièvre typhoïde (la sotte fièvre) survint et puis la grande catastrophe endeuilla le pays (coup de grisou de l’Agrappe, à Frameries). Vincent se dévoua sans compter pour soigner les blessés et les malades et les brûlés du grisou, au visage noir et boursouflé».

Van Gogh lui-même évoque la catastrophe dans une lettre à son frère : « …Est-ce que dans le temps je t’ai raconté de ce mineur gravement blessé par suite d’une explosion de grisou ? Dieu merci il est guéri maintenant, il sort déjà et commence à marcher pour reprendre la coutume, ses mains sont encore très faibles et ça durera encore tout un temps avant qu’il sache de nouveau les employer au travail, mais il est sauvé… ».

Autre témoignage recueilli par Louis Piérard : « … Cette même année arriva une explosion de grisou au puits n° 1 du Charbonnage belge où plusieurs ouvriers furent brûlés. Notre ami Vincent n'eut aucun repos : jour et nuit découpant le reste de son linge, pour en fabriquer des grandes bandes avec de la cire et de l'huile d'olives, pour courir aux brûlés de la catastrophe…»

Ce rôle comparable à celui d’un prêtre-ouvrier, effraie le Comité synodal d’évangélisation qui suspend la mission du jeune protestant néerlandais. Van Gogh se rend alors à Cuesmes (Mons), où il s'installe. Toutefois, sous la pression de ses parents, il revient à Etten pour y rester jusqu'en mars 1880. Ses parents sont de plus en plus préoccupés par la crise existentielle de leur fils. Un conflit considérable éclate entre Vincent et son père. Van Gogh se réfugie à Cuesmes, qu’il quittera pour aller séjourner six mois à Bruxelles, y développant son talent artistique naissant.

C’est de l’époque du Borinage que datent ses premières œuvres. "Les bêcheurs, d’après Millet" (1880), "Mineur, la pelle sur l’épaule" - "Femmes de mineurs portant des sacs de charbon" (1882). Sombres et presque monochromes, elles expriment avec rudesse la pauvreté et la misère de ces mineurs auxquels il s'attacha avec une ferveur et une exaltation exacerbées. Accepté comme son premier chef d’œuvre, les "Mangeurs de pommes de terre" sera peint en 1885, aux Pays-Bas.



"Femmes de mineurs portant des sacs de charbon" © Fondation Kröller-Müller


En 1886, Vincent Van Gogh s'installe à Paris et vit avec son frère Théo qui dirige une petite galerie de tableaux. Les couleurs s'éclaircissent. Il sera influencé par Millet, Rembrandt, Frans Hals, Anton Mauve et Eugène Delacroix… Paris est alors à l'apogée de la révolution impressionniste. Van Gogh fréquente Pissarro, Cézanne, Signac, Toulouse-Lautrec, Emile Bernard, explore avec eux les voies d'une nouvelle peinture, le divisionnisme et le cloisonnisme.

«Mais Vincent, tout en étant fasciné par Gauguin, sait qu'il porte en lui un message, un génie qui ne sont qu'à lui» écrira Pascal Bonafoux. Il quitte Paris en 1888 pour Arles et, un an plus tard,  Saint-Rémy-de-Provence.
 
Après avoir rendu visite à Théo à Paris, Van Gogh s'installe à Auvers-sur-Oise, commune rurale du Vexin français, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Paris. Il est alors au sommet de sa maîtrise artistique et son activité est intense. Mais son instabilité mentale reprend. Le 27 juillet 1890, dans un champ où il peint une ultime toile, il se tire un coup de revolver dans la poitrine et meurt deux jours plus tard, à 37 ans, Théo à son chevet.

 
Lettres à Théo


Maison de Cuesmes où Van Gogh séjourna
Van Gogh, lors de son séjour dans la région de Mons, vécut pour moitié dans une maison de Wasmes, pour l’autre dans une maison de Cuesmes. Cette dernière est bien connue depuis sa restauration en 2007. Celle de Wasmes est pour l’instant en mauvais état, mais un accord est intervenu très récemment entre la commune de Colfontaine et ses propriétaires. De telle sorte que les deux viendront s’inscrire pour l’échéance de 2015, dans le projet "Les Routes de Van Gogh", un projet de communication européen initié par la Fondation Van Gogh d’Amsterdam.
 
Les débuts de Van Gogh ont donné lieu à nombre d'écrits : "Vincent Van Gogh au Borinage" de Georges Duez, "Van Gogh chez les gueules noires" de Pierre Secretan-Rollier...

Le spécialiste Pascal Bonafoux, historien de l’art, leur a consacré, en 1998, de très belles pages dans son "Van Gogh", aux éditions du Chêne.

C’est surtout la nouvelle édition exhaustive et agrémentée d'un important appareil critique de la correspondance de Van Gogh qui captive les chercheurs. Sous le titre "Vincent Van Gogh. Les Lettres" (Ed. Actes Sud, 2009), elle a été mise au point par le musée Van-Gogh d'Amsterdam et le Huygens Instituut à la Haye.

Elle comprend de nombreuses reproductions des œuvres d'art de Van Gogh lui-même ou d'un autre artiste qu'il mentionne dans ses lettres. Un travail collectif salué par la critique littéraire. « Une mine fondamentale. Van Gogh épistolier se révèle bien plus érudit et relié à ses contemporains que sa légende d’artiste maudit et solitaire» écrit Sabine Gignoux, dans le journal La Croix.

Un autre travail collectif "Sur les traces de Van Gogh dans le Borinage" (Carnets de Hainaut, Culture et Démocratie, HDC, 2005), est paru avec une préface du sénateur de communauté et député wallon Richard Miller, docteur en philosophie et lettres, sous la plume de Michel Draguet, directeur des musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, docteur en histoire de l’art, et Alexandra Hauquier, historienne de l’art (auteurs), avec le conseil scientifique de Hervé Hasquin et des photographies de Pierre Peeters.

Signe des temps, la Toile et les réseaux numériques font entrer la diffusion de l'info dans une autre dimension, à l'exemple du blog de Filip Depuydt (lien ci-dessous).

La Wallonie espère attirer 300 000 visiteurs au nouveau musée d’Art moderne de Mons, (le BAM) pour l’exposition "Van Gogh au Borinage, la naissance d’un artiste", qui se déroulera de février à mai 2015. Ses organisateurs veulent montrer des facettes peu connues de Van Gogh.

L’exposition préparée avec les grands musées et, en particulier, le musée Van-Gogh d’Amsterdam et la Fondation Kröller-Müller, à Otterlo, réunira une soixantaine d’œuvres. Le Hollandais Sjraar Van Heugten qui travailla longtemps au musée Van Gogh et fut directeur de ses collections ces onze dernières années, en sera le commissaire.

Les spécialistes de Van Gogh disent que le séjour du futur peintre au Borinage peut encore réserver des surprises et mérite l’exposition et les recherches scientifiques qui y seront liées.

«Des documents précieux sur la vie sociale et économique à la fin du XIXe siècle, des photographies, des articles de presse sur le passage de Vincent van Gogh à Mons peuvent sûrement être retrouvés. Cette recherche se penchera aussi sur la connaissance  - voire la reconnaissance  - dont Van Gogh bénéficia en Belgique et plus particulièrement à Mons après sa mort».

Les années au Borinage paraissent donc essentielles pour comprendre Van Gogh. Aspects méconnus de la vie de celui qui signait « Vincent », mort de peine et de misère. Et dont les toiles s’arrachent à prix d’or.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



"Les bêcheurs, d'après Millet" 1880
Mardi 30 avril 2013, au
Centre historique minier de LEWARDE,
à l'occasion de la sortie du livre
de Bruno VOUTERS :
Soirée Van Gogh au fond de la mine
Projection d'un extrait du film "La vie passionnée de Vincent Van Gogh" de Vicente Minnelli, lecture de lettres de Van Gogh par le comédien Fred Personne, interventions de Bruno Vouters et d'autres invités.
Réservation indispensable au 03 27 95 82 96 avant le 26 avril.
CHM de LEWARDE


Jeudi 10 mai 2012, sur "France 5" :
21.40 Sur les traces de Van Gogh, 
entre mythe et vérités
Documentaire de Catherine Aventurier (2012)




Liens externes :