mercredi 20 mars 2013

CRÉCELLEURS



De Kläbberbùùwe sìnn dòò


Les crécelleurs vont connaître leur quart d’heure de popularité
à partir du Jeudi saint. Accompagnés du crépitement
de leur instrument de sollicitation massive – la crécelle (Kläbberkaschte, en platt, Ratsche, en allemand) – leurs refrains remplaceront les sonneries des cloches
des églises catholiques, les seules à “partir à Rome” jusqu’à Pâques.





 
 

Marianne Haas-Heckel, dans son, livre Les pieds dans le Platt (Ed. Les Amis des Musées et des Arts, Sarreguemines, 2008) consacre toute une chronique à ces ritournelles, propres à l'église catholique. En voici un extrait...
 
Dès le jeudi soir, les Kläbberbùùwe entonnent :
C’est l’angélus, c’est l’angélus, c’est l’angélus du soir !
 
Version en platt :
Naachtklock, Naachtklock, Naa-aachtklock !
 
Et pour annoncer les offices :
C’est le premier coup, préparez-vous !
- C’est le deuxième coup, habillez-vous !
- C’est le troisième coup, venez avec nous !
- L’office va commencer, venez avec nous !
- Venez en marchant ou en boitant !
- Les grabataires, restez chez vous !
 
Version en platt :
- Zùm érschde Mòòl !
- Zùm zwèdde Mòòl !
- Zùm dridde Mòòl !
- Zùm létschde Mòòl !
- Jétz géht de Kirsch òn !
- Wer nìtt laafe kònn, dèr hippt !
- Wer nìtt hibbe kònn, dèr blibbt !
 
De maison en maison,  les crécelleurs recevront, pour finir, des œufs ou quelque argent. Un baromètre de l’attachement à cette pratique en terre de Concordat, où le droit local reconnaît et organise les cultes.
 
Dès le
“retour” des cloches des catholiques, Rosbruck, ma ville d’adoption, et Naßweiler, sa voisine et jumelle sarroise, carillonneront à l’unisson. Deux églises catholiques et une évangélique (le protestantisme n'a pas de pape, ses cloches ne “partent” donc pas à Rome), mettront les paroissiens au défi d’entendre la moindre fausse note !


S.P.

Article publié le 5 avril 2012



Crécelleurs avec leur Ratsche, dans le nord de la Bavière.
ph. Immanuel Giel






L'église catholique de Nassweiler (Sarre),  localité jumelle de Rosbruck (Moselle),
avec Belle-Roche (Cocheren) en arrière-plan. Janvier 2013.




lundi 4 mars 2013

50e ANNIVERSAIRE

La grande grève de 1963


En 1963, le général de Gaulle est de retour au pouvoir depuis cinq ans. Il a ancré les institutions dans la Constitution de 1958, réglé la question algérienne, redressé l’économie. Mais dans les mines, le climat social se dégrade...




L’annonce de la récession charbonnière accentue l’exaspération des salariés au terme d’une longue période revendicative. Une grève s’engage le vendredi 1er mars. Pour l’enrayer, le Premier ministre Georges Pompidou, durant le week-end, obtient hâtivement du Général la signature du “décret de Colombey”, un décret de réquisition, obligeant les grévistes à reprendre le travail le lundi 4 mars. Les mineurs le rejettent et, durant trente-cinq jours, ils défieront le gouvernement. Leur lutte – la dernière grande grève des mineurs – débouchera sur des tables rondes portant sur l’avenir d’un métier et sur celui des régions pour lesquelles la page du charbon va progressivement se tourner.
Entretien, le 20 février 2013, avec Robert Mourer, leader CFTC en pointe dans ce combat, dernier des secrétaires généraux, en Lorraine, des syndicats de mineurs de charbon de 1963.

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- En 1963, la corporation minière entra dans une lutte sans précédent pour mettre un terme à la dégradation des salaires, aux décisions unilatérales des pouvoirs publics et au refus systématique de discuter des revendications des mineurs. Cette grève dura 35 jours (du 1er mars au 5 avril 1963). Quel regard portez-vous, aujourd'hui, sur ces événements ?


- Robert Mourer : Manifestations, meetings et défilés rassemblèrent des dizaines de milliers de participants et jamais il n'y eut à déplorer le moindre incident. Son exemplarité et sa popularité lui valurent de devenir une affaire nationale. Le pays tout entier vibra à l'unisson avec les mineurs. Il suffit de rappeler que les collectes effectuées et les dons versés aux comités de solidarité des bassins ou à d'autres organismes, s’élevèrent à environ 3 milliards d'anciens francs.

Un tel bilan de solidarité est sans précédent dans l'histoire du mouvement ouvrier. La raison de cette popularité ? Tout simplement parce que cette grève générale illimitée fut dégagée de toute arrière-pensée politique et ne visa qu'à défendre la profession, la dignité et l'unité réalisée sur des objectifs strictement professionnels.


- Dans votre livre, vous avez parlé d'une grève propre... 

- Robert Mourer : C’était effectivement une grève propre, marquée par une “union sacrée”. Le courant passait entre nous. C’est difficile à décrire. Un combat unique dans les annales du mouvement ouvrier par son unanimité, mais aussi du fait de la formidable force morale qu’il dégageait, force morale qui tout au long des cinq semaines de grève se substitua à toute violence. En refusant d’obéir à un ordre de réquisition, nous étions dans l’illégalité. Nous ne pouvions laisser aucune place aux dérapages et à la violence.

Dans ce climat et avec la clarté des objectifs, la grève permit de déboucher sur des résultats à la mesure de l'effort. Elle n’arrêta pas la récession charbonnière, la pression du pétrole dans la politique énergétique étant devenue trop forte. Mais sur deux points au moins, les résultats furent spectaculaires.

Sur le plan des salaires, ce conflit rétablit la politique contractuelle. Au-delà des hausses immédiates, la révolte des mineurs entraîna une réflexion générale qui conduisit le gouvernement à mettre en place de nouvelles procédures de négociations. En second lieu, la grève initia une véritable politique de reconversion.


- Concrètement, quelles furent les principales avancées dans ce domaine ?

Robert Mourer : Le rattrapage des salaires est souvent évoqué comme l’unique revendication à l’origine du déclenchement de la grande grève des mineurs en 1963. Les salaires des mineurs n'avaient bénéficié, au cours des années précédentes, que d'une revalorisation insuffisante au regard de l'évolution salariale générale et un lourd contentieux s’était établi entre les positions syndicales d’une part, les positions des charbonnages et du gouvernement, d’autre part. Le mécontentement des mineurs était manifeste. Mais il faut souligner qu’en toile de fond se profilait l’inquiétude quant à l’avenir de la profession minière à la suite des  mesures de récession annoncées en 1960 par le plan Jeanneney,  ministre de l’Industrie de 1959 à 1962.


Un des grands résultats de la grève fut l’instauration d’une “table ronde” pour débattre des problèmes de la profession, et d’un secrétariat général à l'Énergie créé auprès du ministre de l'Industrie. J’assistais aux nombreuses réunions consacrées à l’avenir de la profession, réunions qui se déroulaient au ministère. Des résultats palpables furent obtenus dans le domaine économique, tels que la revitalisation, en Lorraine, de la région houillère et les travaux de désenclavement de certains secteurs en difficulté. 

Les travaux de la table ronde se prolongèrent durant deux années, ce qui permit d’évaluer dans chaque bassin minier les réserves de charbon, les conditions et les possibilités commerciales d'écoulement, les conséquences sur les effectifs et les moyens de reconversion. 

C'est ainsi que fut mise en place toute une série de mesures, tels que les commissaires à la reconversion dans chaque bassin, des bureaux de développement industriel, une société financière (la SOFIREM) pour prendre des participations dans les activités nouvelles, et c'est à cette époque que fut créée la DATAR (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale), outil principal du développement régional. 

Des réunions périodiques permirent de suivre les actions entreprises. C'est, en tout cas, la grève des mineurs qui, quelques mois après, amena le général de Gaulle, président de la République, à reconnaître les “errements” du gouvernement de l'époque et à dire à son ministre de l'Industrie : « Jeanneney, il faudra s'occuper sérieusement des régions minières ».


- La grève de 1963 a donc ouvert le sillon d’une vraie réflexion sur l’après-mine. Est-ce la vraie portée de ce combat ?
 

- Robert Mourer : La grève des mineurs de 1963 aura eu le grand mérite de poser le problème de l'avenir des régions minières. Elle freina incontestablement la récession et accéléra la ré-industrialisation et la création d'emplois dans la région houillère. Cette grève fut l'un des mouvements sociaux les plus marquants du siècle. Elle fut exceptionnelle par sa durée et son unanimité qui cimentèrent la solidarité entre les différentes catégories du personnel, depuis les ouvriers jusqu’aux ingénieurs.




À 85 ans, Robert Mourer (CFTC), l’un des leaders de 1963,
analyse avec conviction et une grande fraîcheur d’esprit,
le dernier grand combat des mineurs de charbon.

Photo du 20 février 2013.


- Revenons au conflit proprement dit. Il a duré 35 jours et n'a faibli à aucun moment. Pourquoi ?

- Robert Mourer : Le gouvernement ne croyait pas qu’il existait une menace sérieuse de grève générale dans les mines, d’autant plus que les régions s’étaient montrées relativement favorables au pouvoir lors du référendum et des élections législatives des mois d’octobre et de novembre 1962. Quand la grève commença, il douta encore qu’elle pût se prolonger longtemps. Il estima qu’il s’agissait d’une simple démonstration. Les mineurs étaient, en vérité, plus mécontents que ne le pensait le gouvernement.
 

Les ouvriers, employés, cadres et ingénieurs de la mine gardèrent intacte leur entente pendant ces cinq semaines d'une âpre lutte. Un autre allié des mineurs fut l'adhésion de l'opinion publique. En un mot, ce fut une grève populaire du début jusqu'à la fin. En ce début de 1963, il y avait une grande pénurie de charbon. Les météorologues parlèrent de l'hiver le plus rigoureux depuis 1880, en Lorraine. La demande de combustible était de 40 % supérieure à la normale. En raison des grands froids, au début du mois de février, plus d'un million de salariés étaient au chômage forcé dans le pays. Les mineurs, une fois de plus, furent appelés à retrousser leurs manches pour satisfaire à toutes les demandes de combustible. 

Malgré le gel de certaines installations, le programme d'extraction évalué à 1 330 000 tonnes pour janvier fut réalisé et on livra 13 900 tonnes aux foyers domestiques. Le froid ne devait pas désarmer et le mois de février s'annonça plus difficile encore en raison de la fatigue croissante des hommes et du matériel.




Rassemblement  place du Marché à Merlebach, en 1963.
Avec son infrastructure de plus important siège d’extraction charbonnière d’Europe,
Merlebach était un point hautement stratégique du conflit. 
 Archives Le Républicain Lorrain.


- Le jour du rassemblement de Merlebach toute la France charbonnière retint son souffle. Comment cette journée a-t-elle conditionné la suite, à travers le pays ?

- Robert Mourer : Les mineurs lorrains avaient conscience que la prolongation de la grève au-delà de 48 heures reposait sur leur propre détermination, car les travailleurs des autres bassins miniers étaient, le lundi 4 mars, en jour de repos.

C'était donc en grande partie sur les mineurs lorrains que reposa le sort de la grève générale illimitée. La réponse apportée par les travailleurs lors du meeting de Merlebach fut catégorique : «-Personne au travail le lundi 4 mars ! », malgré l'ordre de réquisition décrété par le gouvernement.

Les militants affirmèrent en bloc leur volonté de réagir contre la réquisition. Alors la grève s'engagea. Elle durera 35 jours pour les quelque 200 000 travailleurs des mines du pays, dont 40 000 des Houillères du Bassin de Lorraine.


- Le rôle du personnel des cokeries fut déterminant aussi...

- Robert Mourer : Réquisitionné dès le 1er mars, le personnel des cokeries prit aussitôt les dispositions techniques pour réduire progressivement la marche des fours au minimum possible. Dès le samedi 2 mars, au soir, la police commença à concentrer ses forces sur les points névralgiques du bassin et sillonna la région pour impressionner les mineurs.


La signature du décret portant réquisition de l'ensemble du personnel minier, avec ce déploiement de forces exceptionnel, fut ressentie par les mineurs lorrains comme une insulte.

Durant toute la journée du dimanche 3 mars, les militants, toutes organisations syndicales confondues, se consultèrent pour mettre en place un système renforcé de piquets de grève, afin de déjouer d'éventuelles interventions surprise des forces de l'ordre.

Un “comité central de grève” s’était constitué sous la responsabilité des leaders syndicaux : Kurt WALLICH pour la CGT, Henri RIGAUD pour Force Ouvrière et moi-même pour la CFTC. Le comité établit son siège au Café de la Mairie à Merlebach. Les représentants régionaux des syndicats des Houillères de Lorraine s’y réunirent quotidiennement pour conduire le mouvement dans l'unité la plus totale. La grève fut continuellement organisée, conduite et contrôlée par le comité central.

Lors de la réunion mémorable du dimanche 3 mars, je rappelai les positions et les objectifs de mon syndicat, en déclarant que pour la CFTC il n’y avait plus de recul possible et que la seule réponse à apporter était la grève générale illimitée. Le comité central de grève rejeta unanimement l’ordre de réquisition et demanda aux gueules noires de ne pas se rendre au travail le matin du 4 mars.

Ce dimanche 3 mars fut une véritable “veillée d’armes”, car la grève allait maintenant entrer dans une phase décisive et prendre l’allure d’une épreuve de force entre les mineurs et le gouvernement. Dans la nuit du dimanche 3 mars, d’importantes forces de l’ordre furent mises en place sur le carreau des différents sièges. Les gardes mobiles montèrent une garde vigilante face aux piquets de grèves.

D’impressionnants convois de CRS se trouvèrent positionnés aux portes des villes minières, des cars de gendarmes mobiles venus de tous les coins de la 6e région. Des gendarmes des brigades du secteur furent également mobilisés. Ce fourmillement d’uniformes donna une impression pénible d’état de siège, mais la volonté des mineurs de manifester dans la dignité et d’éviter tout incident, firent que le bassin houiller ne connut pas l’explosion que l’on pouvait craindre.

Avant le meeting de Forbach du 4 mars, d’importantes forces de l’ordre avaient pris position dans les rues du chef-lieu d’arrondissement, dans l’attente du défilé qui allait suivre. La foule immense, estimée à 10 000 personnes, stoïquement rassemblée sur la place du Marché, dégageait l’expression d’une volonté farouche.

Le cartel intersyndical décida de mettre en place, dès le lundi matin 4 mars, des piquets de grève dédoublés et mobiles aux différents points d'accès aux puits, le deuxième barrage se situant plus en retrait des sièges.

Dans le contexte d’une dégradation sociale qui avait commencé bien plus tôt et à la suite de la menace d’une grève illimitée, M. Pompidou, Premier ministre, devait intervenir, le 27 février, à la radio et à la télévision dans une de ses causeries dites “Au coin du feu”. Mais il se rétracta au dernier moment, préférant attendre de voir la tournure qu’allaient  prendre les événements. En revanche, M. Giscard d’Estaing s’exprima trois fois, les jours suivants. La thèse de MM. Pompidou et Giscard d’Estaing était, en résumé, la suivante : «Laissez-nous un peu de répit pour agir sur les prix ».

L’intention du gouvernement, me semble-t-il, était de laisser « s’engager » les mouvements sociaux. Dans le cas où ces mouvements dureraient plus de 24 à 48 heures, alors M. Pompidou aviserait.

La grande grève des mineurs démarra le vendredi 1er mars 1963. Dès les premières heures de la matinée, les nouvelles qui parvinrent de toutes les régions minières, indiquaient une tendance à la paralysie totale des installations. En Lorraine, la grève fut suivie par 95 % du personnel fond et 60 % pour le jour, chiffres également observés sur les trois postes, le samedi 2 mars.

Durant la journée du samedi 2 mars, des meetings se déroulèrent, le matin à Stiring-Wendel, l’après-midi à Merlebach. Je souligne l’attitude courageuse des ingénieurs, des employés et des cadres qui manifestèrent leur solidarité avec les mineurs. La grève déclenchée, rien ne pouvait plus l'arrêter. La volonté de résistance des mineurs ne fit pas le moindre doute, car aux motifs professionnels qui avaient conduit à la grève, s’ajouta un ressentiment : les mineurs estimaient que le pouvoir leur témoignait un profond mépris. Dans l'après-midi du 2 mars, le meeting de Merlebach rassembla plusieurs milliers de personnes.


“ Je m’en veux d’avoir envoyé un motard le samedi à Colombey sans attendre que le Général revienne le lundi. Le Général est trop honnête et a inscrit à la main le lieu et la date. La presse a mis l’accent sur ce «_décret de Colombey_» saugrenu. Ça a exposé le Général beaucoup plus qu’il n’aurait dû l’être. Ce qui aurait dû être un paraphe de routine a été présenté comme une provocation personnelle du monarque, adressée à la classe ouvrière. Comme un caprice pharaonique. Je ne me le pardonne pas ”
(Georges Pompidou cité par Alain Peyrefitte)


- Avec le « non » des mineurs lorrains à l’ordre de réquisition, le dimanche 3 mars, l’épreuve de force allait dès le lundi 4, s’installer dans la durée. Vous avez parlé de guerre d’usure…

- Robert Mourer : Ce lundi 4 mars 1963, le bassin houiller de Lorraine fut le seul à ne pas être en jour de repos. Toute la France avait les yeux braqués sur lui. Du succès de cette journée essentielle dépendait la suite de la grève sur le plan national.


Que vont faire les mineurs lorrains ? S'opposeront-ils à l'ordre de réquisition ? Dans son communiqué du dimanche 3 mars, le comité central de grève rejeta fermement la réquisition et déclara : « La lutte continue » ajoutant : « Mineurs de Lorraine, les autres bassins ont les yeux fixés sur vous ! Votre volonté de continuer l'action héroïque engagée sera déterminante pour le succès final ! »

La riposte des mineurs fut magistrale. Au poste du matin du lundi 4 mars, 300 travailleurs environ, au lieu de 9 000 d’habitude, étaient en place en Lorraine. Il s’agissait avant tout des équipes de sécurité qui avaient comme mission la surveillance et la sauvegarde de l’outil de travail. Il s’agissait, par conséquent, essentiellement des services de sécurité dont l’organisation fut d’ailleurs assurée et contrôlée durant toute la durée du conflit par le comité central de grève.

À Merlebach, où le déploiement des forces de l'ordre fut exceptionnel, le climat apparut extrêmement tendu. Les pouvoirs publics mesurèrent l'impact que pouvait avoir la grève des mineurs lorrains sur les autres bassins.

Le "Non" des mineurs lorrains à la réquisition retentit comme une gifle à l'adresse du gouvernement qui venait de commettre une faute politique. Leur détermination ouvrit une brèche dans le mur imposé par la réquisition. Nombreux étaient les militants qui, en quittant leur foyer en ce matin du 4 mars 1963, dirent à leurs épouses et aux membres de la famille «Si je suis arrêté, va trouver telle ou telle personne pour qu'elle s'occupe de vous ! ».

Nul doute qu'au soir de cette journée, ce fut un grand soulagement pour les militants : la première manche de cette bataille qui venait de s'engager était gagnée. Il fallut songer à la préparation du lendemain et des jours suivants. Tous avaient acquis le sentiment que la lutte allait exiger de chacun dévouement et abnégation. La presse et la radio firent état de l'épreuve de force engagée entre les mineurs et le gouvernement.

Le mercredi 6 mars, le conseil des ministres se réunit. Chacun s’attendit à ce que le gouvernement tirât la leçon de son erreur. Il n’en sera rien.

Pendant toute cette première semaine, la grève se consolida. Le mouvement prit alors son visage à peu près définitif. Pour la première fois en Lorraine, des femmes prirent une part active dans un tel conflit. Partout, comme piquet de grève, rédactrices de tracts. La tenue de barrages par les femmes – qui n’étaient pas directement visées par l’ordre de réquisition – plaça l
e face-à-face entre les forces de l’ordre et les grévistes dans un cas de figure singulier. Mais cette disposition ne fut pas simplement tactique. L’implication des épouses de militants et de mineurs dans le mouvement tenaient aux raisons profondes qui avaient motivé la grève générale illimitée. Des réunions d’information intersyndicales leur furent destinées spécifiquement. Les femmes apportèrent un remarquable soutien qui fit que cette grève ne ressembla à aucune autre. Qu’il existait un autre style, marqué d’une profonde empreinte de dignité.

Le comité central de grève eut à examiner les questions les plus diverses : celle de la poursuite du versement des prestations familiales durant le conflit ; il obtint l’assurance de l’union régionale des Sociétés de secours minières que les prestations seraient versées normalement aux ayants droit. Il enregistra la décision du Crédit Mutuel d’accorder des prêts-relais aux mineurs en difficulté pour le remboursement de traites. De même, la situation des jeunes en
“quartier école” ou préparant un CAP dans les centres de formation des HBL fut prise en compte, tout comme la question des jeunes qui revenaient du service militaire et devaient reprendre le travail. Bien d’autres aspects de la vie quotidienne furent examinés, tel que le besoin des boulangers de disposer de combustible pour cuire le pain…

Chaque matin, les militants venaient informer le comité central de la situation de leur secteur et prendre les consignes d'action pour la journée. Les délégués mineurs avaient la responsabilité de la composition des équipes de sécurité indispensables à la sauvegarde des installations du fonds et de la surface. Mais c'est le Comité central de grève qui établissait les "laissez-passer" pour les ouvriers autorisés à faire partie des équipes de sécurité. Le comité s’appuya sur les délégués-mineurs élus, donc légitimes aux yeux des salariés et reconnus par l’administration publique, le service des Mines.




 
Le Café de la Mairie et le siège de la CFTC à Merlebach, aujourd’hui.


- La solidarité gagna toute la France… 

- Robert Mourer : Effectivement, à partir de la deuxième semaine de grève, la grande salle du café de la Mairie devint le siège du Comité de solidarité qui avait pour tâche d'enregistrer et de contrôler les secours financiers récoltés à travers le pays. S’y ajoutèrent des lettres en provenance d’organismes ou de particuliers adressées au service social des HBL, offrant des séjours de vacances aux enfants de mineurs. Une municipalité de Provence se déclara prête à accueillir une quarantaine d’enfants. Un avocat belge proposa l’accueil sous son toit de un ou deux enfants pour la durée du conflit. Le comité les remercia chaleureusement, en répondant que les enfants ne manqueraient de rien. 

Pendant les trente-cinq jours de grève, le café de la Mairie de Merlebach acquit une renommée internationale et le propriétaire de l'établissement eut souvent du mal à rester maître chez lui. La foule des journalistes s'arrachait littéralement le téléphone pour transmettre à leurs rédactions ou aux agences de presse les décisions et communiqués du comité central de grève. 

Ainsi, une vaste campagne de solidarité se développa durant ces cinq semaines de grève, au cours desquelles les mineurs apportèrent la preuve qu'il était pratiquement impossible de mettre en œuvre la réquisition contre une masse importante de grévistes. Ce fut le début d'une guerre d'usure. 

Chaque lundi était considéré comme une journée importante, car le début de la semaine donna, à chaque fois, la mesure de l'esprit de combativité des mineurs. Mais d'une semaine à l'autre, les mineurs poursuivirent leur mouvement avec la même détermination. 

Lors d’un rassemblement, le 10 mars, les mineurs lorrains en grève depuis dix jours tinrent à rendre hommage aux victimes de la mine, voulant ainsi marquer leur lutte d’un moment fort du souvenir.

Le 13 mars, la marche des mineurs de fer sur Paris provoqua une forte impression sur la population de la capitale. Le soir même, le Premier ministre donna une nouvelle causerie  “Au coin du feu” à la télévision. Pour la première fois M. Pompidou reconnut implicitement le bien-fondé de la grève des mineurs. Il annonça plusieurs mesures dont les principales furent : la mise à l’étude, au cours d’une table ronde, de la politique énergétique et la mise en place d’un secrétariat à l’Énergie, la nomination d’une Commission des Sages et la mise à l’étude des problèmes financiers posés dans les entreprises nationalisées y compris la question des tarifs. Pour les mineurs, il n’y avait toujours rien de palpable et d’immédiat.

Le congrès national des Maires de France vota une motion d’approbation et de soutien. Des débrayages eurent lieu, en guise de solidarité, dans différents secteurs, notamment à la SNCF et dans le métro parisien. Les fédérations de cheminots annoncèrent qu’aucun  transport de houille ne sera effectué. Apprenant que chaque nuit, quatre trains entiers de charbon sarrois passaient la frontière, le comité de grève se rapprocha des syndicats de mineurs de la Sarre en vue d’obtenir une action solidaire pour empêcher ce trafic.

Le 15 mars, l’assemblée des cardinaux et archevêques de France marqua son accord avec les évêques d’Arras, de Cambrai et de Metz qui s’étaient déjà exprimés sur la grève des mineurs. M. Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg, qui avait été chef du gouvernement en 1958, sous la présidence de la République de René Coty, puis ministre d’État dans le gouvernement du général De Gaulle en 1958 et 1959, et dans le premier gouvernement de Georges Pompidou en 1962, demanda la convocation du Parlement par une lettre adressée à Matignon.

La date du 18 mars est celle du grand meeting de Forbach. Le 20 mars, le comité central de grève décida de réduire la livraison de gaz sur Paris. La dernière semaine fut particulièrement éprouvante, car le gouvernement misa sur le pourrissement du mouvement. À toutes les manœuvres, à toutes les provocations, les mineurs répondirent avec la même dignité. Je le répète : nous nous étions mis dans l’illégalité, nous ne pouvions laisser la moindre place aux débordements. 

Le 22 mars, lors d’un nouveau grand meeting qui rassembla 10 000 personnes à Merlebach, aux prévisions défaitistes il fut répondu qu'il y aurait 100 % de NON à la reprise du travail le lendemain. Le retentissement du conflit dépassa les frontières. La plupart des grands journaux du monde consacrèrent aux mineurs français une chronique quotidienne, fréquemment enrichie de grands titres et de photos. 

Dans le magazine Paris Match, le grand reporter Raymond Cartier souligna qu’ « Il y a deux corporations, auxquelles il ne faut pas toucher : les pêcheurs bretons et les mineurs… ». Et il ajouta : « Aujourd’hui encore, aucun métier n’est plus insolite. Les perfectionnements dans les méthodes d’abattage et de transport ne suppriment pas la plongée vertigineuse dans les ténèbres, la privation de soleil, la chaleur, l’humidité, les courants d’air des galeries et des tailles, le travail dans des positions incommodes et pénibles. Les profanes que leur curiosité conduit, de temps en temps, dans les fosses se demandent même si les mines mécanisées ne sont pas encore plus inhumaines que les vieilles mines, avec le vacarme de leurs haveuses et de leurs transporteurs ; les explosions continuelles de l’air comprimé et des flots de poussières encore plus denses, encore plus générateurs de silicose que jadis. Le progrès réduit un effort physique qui donnait à la mine son caractère de bagne, mais le vieux salut des mineurs allemands, «-Glück Auf !-», conserve sa signification émouvante : « le bonheur est en haut ! » (…) C’est la gravité de ces visages qui a frappé le plus dans les meetings de mineurs. L’ordre, le calme, la dignité dont ils faisaient preuve montraient peut-être mieux que leurs slogans, leur détermination… ». 

Devant la farouche détermination des mineurs, les discussions reprirent le 2 avril et durèrent environ dix-neuf heures. Cette fois elles furent décisives. Les mineurs obtinrent une augmentation des salaires de 11% en deux étapes, après évaluation du retard de la profession par un comité de sages. Une table ronde fut instituée, pour débattre des problèmes de la profession, et un secrétariat général à l’Énergie créé auprès du ministre de l'Industrie.

L'influence de la grève dépassa le cadre minier pour toucher l'ensemble du secteur privé où de nombreux accords furent conclus à cette même époque, comportant notamment la généralisation de la quatrième semaine de congés. La reprise du travail, décidée le 4 avril à l'occasion d'un grand meeting qui rassembla plusieurs milliers de mineurs sur la place du Marché à Merlebach, scella à jamais une des plus belles pages d'action syndicale.

Comme ils avaient démarré la grève au premier jour, les mineurs reprirent le travail comme un seul homme ; ils avaient gardé intacte leur unanimité jusqu'au bout. Durant tout le conflit une profonde fraternité avait uni les équipes au sein desquelles dynamisme et expérience s'étaient conjugués pour réaliser une action syndicale authentique qui restera la fierté de ceux qui l'ont vécue. Une lutte acharnée contre la réquisition décrétée par le gouvernement. Tel un hymne à la survie de l’industrie minière, elle symbolisera le soulèvement contre l’arbitraire et gravera une des plus belles pages de l’histoire syndicale. Dès lors, le bassin lorrain ne sortira plus jamais des luttes pour survivre. Mais les pouvoirs politiques, de droite comme de gauche, maintiendront le cap des fermetures.



-Peut-on dire que la grève de 1963 a également été, en Lorraine, une épreuve de vérité pour une région en perte de vitesse ?

- Robert Mourer : Grâce à leur solidarité, leur détermination les mineurs dissipèrent un mythe dans l’opinion publique qui, subitement découvrit que la Lorraine n’était ni la Ruhr ni le Texas, mais une région en perte de vitesse et que, pour la sauver, il fallait créer 100 000 emplois nouveaux à brève échéance afin d’éviter que la Moselle ne devienne le réservoir de main d’œuvre des pays limitrophes.


En refusant de déférer aux ordres de réquisition, les mineurs lorrains, avec leurs camarades des autres bassins miniers, ont défendu l’honneur, la dignité et la liberté de tous les travailleurs. Ils ont déposé l’espoir au cœur de ceux qui souffrent et qui peinent et préservé d’un réveil terrible ceux qui dorment et se sentent à l’abri de toute récession économique.



“ Le bassin houiller n’arrive pas à panser ses plaies (…) Négliger une vision industrielle à long terme revient à ignorer toutes les avancées économiques négociées et acquises dans le cadre des discussions de la « Table Ronde » mise en place après la grande grève des mineurs  de 1963 ” (Robert Mourer)



- En 1994, le « Pacte charbonnier » est signé, donnant un revenu de remplacement aux effectifs dégagés par les mesures d’âge avant et lors de la fermeture des HBL. En revanche, il manque à ce « Pacte charbonnier » un volet industriel adapté à la situation. Aujourd’hui, un jeune sur quatre ne trouve pas de travail dans bassin houiller lorrain et plus d’un cinquième de la population vit avec moins de mille euros par mois. Quel commentaire apportez-vous cinquante ans après la grande grève ? 


 - Robert Mourer : La nécessité d’en faire plus est criante. Qu’en-est-il aujourd’hui des organismes à vocation économique et de ré-industrialisation des régions minières_? Le bilan, plus que triste, est à l’image d’une situation économique et sociale fortement dégradée depuis l’arrêt de l’exploitation charbonnière. 

Les pouvoirs publics, les gouvernements,  se réveillent quand une situation devient dramatique, et encore… La politique qui doit avoir comme but la gestion de la cité se transforme souvent en luttes électoralistes.  Aucun véritable schéma de relance industrielle n’est sorti du Pacte charbonnier. Le syndicalisme minier doit aujourd’hui dépenser toute son énergie revendicative pour sauvegarder les acquis sociaux et la spécificité du régime minier.

Le bassin houiller n’arrive pas à panser ses plaies. La perte démographique, les problèmes liés au travail frontalier, le vieillissement des populations et surtout la pauvreté croissante augurent mal d’un avenir serein. D’après l’INSEE Lorraine, la part des moins de 20 ans dans l’ensemble de la population du territoire serait réduite à 19.% en 2020. Le taux de chômage de la région se situe à 12,6 % en janvier 2013. C’est un taux moyen. [Ndlr : 25% des jeunes sont sans emploi dans l’arrondissement de Forbach et la moitié d’entre eux n’ont pas de formation, selon les services de l’Etat]. Les indicateurs de pauvreté, de précarité élevée font de ce bassin d’emploi un des territoires les plus défavorisés du département. La création d’entreprises reste peu porteuse d’emplois et la population souffre également d’un déficit de qualification  avec un taux de chômage important des jeunes de moins de 25 ans, et une population de cadres très faible.

Je constate un facteur qui, aux yeux du syndicaliste que je suis, a des conséquences sur l’expression collective efficace, je veux parler de l’impact du syndicalisme ouvrier dans le contexte actuel du bassin houiller. Au temps de l’activité minière, les syndicats des mineurs représentaient une incontestable force capable de peser sur les événements. Dans les années où les Houillères de Lorraine étaient à l’apogée de leurs effectifs, la syndicalisation tournait autour de 50 % pour atteindre plus de 60 % de syndiqués dans les dernières années de l’exploitation minière. Quel contraste avec les 8 % de syndiqués au plan national.

Il est incompréhensible que des organismes à vocation économique restent en sommeil, tels que l’Agence pour l’expansion de la Moselle-Est (AGEME). La coopération entre les acteurs institutionnels, politiques, économiques et sociaux reste une priorité, car le dialogue social est un moteur de réussite de projet local pour l’emploi.

Dans une déclaration qu’il a faite en 1966, Alfred Quirin, ancien secrétaire général de l’Union départementale CFTC de la Moselle disait : « Vouloir aménager la région économique du bassin lorrain, c’est autre chose que de belles études, de bonnes intentions ; c’est réaliser, avant tout, un plan qui garantisse le plein emploi, le meilleur emploi dans les meilleures conditions à la population et l’élévation de son niveau de vie ; c’est accepter la notion de plan, c’est introduire dans nos débats, nos initiatives, une rationalité, un ordre, une discipline. La responsabilité humaine devient alors prévisionnelle. La sécurité de l’emploi de l’avenir est devenue une exigence, partout l’insécurité apparaît aux masses comme une faute des hommes au pouvoir : pouvoir économique, pouvoir politique… »

Dans l’épilogue de mon livre retraçant l’histoire des mineurs de charbon lorrain, je pose la question : « De quoi demain sera-t-il fait ?...Il suffira de faire le tour des sites miniers, de longer les importantes carcasses des nombreuses installations industrielles et de constater que le mouvement de la vie s’est retiré d’elles. Que deviennent les hommes au milieu de cette évolution qui va réduire de façon draconienne le nombre des emplois ?... » Et d’ajouter : « Osons espérer que la fin de l’épopée minière ne se traduise pas par une spoliation de la grande région travailleuse des Houillères du Bassin de Lorraine. Il sera de la responsabilité de tous les acteurs de la vie de l’économie et de la nation pour mettre en œuvre, garder intact et valoriser le potentiel industriel et humain de cette région. Les réalisations devront être à la hauteur des attentes d’une région qui veut pouvoir continuer de vivre. La reconnaissance de l’aventure humaine menée pendant 150 ans par les mineurs est à ce prix ». 

Quelle est aujourd’hui la situation dans cette région depuis la fermeture du dernier puits de mine en 2004 ? L’optimisme n’est guère de mise. Le “Pacte charbonnier” a résolu les problèmes sociaux liés à la fermeture des mines, mais il reste largement insuffisant lorsqu’il traite du volet industriel.

Négliger une vision industrielle à long terme revient à ignorer toutes les avancées économiques négociées et acquises dans le cadre des discussions de la Table ronde mise en place après la grande grève des mineurs  de 1963. Contrairement à des économistes de renom, de l’époque, le syndicalisme minier fut visionnaire en posant avec force la revendication d’une ré-industrialisation des régions minières, alors même que la défense de l’exploitation charbonnière battait encore pavillon.



Propos recueillis par Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur





Photo en tête de l’article :
Monument « À nos mineurs », à Forbach, œuvre de Louis-Robert Muller,

de Saint-Avold, réalisée en 1982. Fondeur : Bronzes Strassacker 68 Heimsbrunn

Publié 4 mars 2013




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POINT DE VUE


Ce qui s'est joué


Le face-à-face entre le pouvoir et les centrales syndicales a-t-il été profitable à la seule corporation minière ? Non. Trois avancées de nature différente en constituent le bilan.

En premier lieu, les dispositions de sortie de crise arrêtées après trente-cinq jours de grève, ont ouvert de nouvelles voies au dialogue social. Résultat majeur qui couronne l’esprit de responsabilité dont les leaders ont fait preuve : Robert Mourer (CFTC), Henri Rigaud (FO) et Kurt Wallich (CGT) en Lorraine, constitués en intersyndicale. Pour mémoire, la CFDT naîtra l'année suivante. Ingénieurs et cadres CGC sont nombreux à avoir mis leur poids dans la balance en 1963. Après le plus dur conflit de la Ve République, « un soulèvement contre l’arbitraire », selon la CFTC, des relations d’un nouveau type se sont instaurées avec les syndicats et les patrons. « Plus de force, plus de luttes stériles », relève l’historien Jean-Baptiste Noé (1), sans préjuger de l'avenir, « mais des tentatives pour se réunir fréquemment, pour organiser des réunions sur les salaires, sur les conditions de travail, pour retirer à l’État la toute puissance des négociations et laisser dialoguer entre eux patronat et syndicats ». Les tables rondes nées de ce combat ont démontré le rôle positif qu’elles ont joué en termes de protection sociale des dernières générations de mineurs. Quant aux stratégies de reconversion des régions minières, elles ne permettront pas de remplacer, à taille équivalente, les emplois détruits. Les chiffres de l’emploi, en particulier chez les jeunes, et la saignée démographique subie par l’arrondissement de Forbach disent clairement, aujourd’hui, que les problèmes sont loin d'être résolus.

En même temps, les événements de 1963 ont renforcé les institutions, montrant
«_quelle était la place du Premier ministre, et comment le gouvernement devait réagir. Elle a aussi permis de consolider Georges Pompidou dans ses fonctions, lui que de nombreux parlementaires voyaient sur le départ_» observe encore JB Noé. Pompidou est apparu comme le successeur possible du Général de Gaulle, ce qu’il est devenu par la suite. L’encre de l’accord de sortie de crise à peine sèche, Georges Pompidou a déclaré dans de son discours à l’Assemblée nationale du 14 mai 1963_: «_…on a, en prolongeant la grève, fait une démonstration redoutable qui est celle de la diminution du rôle du charbon dans la vie économique nationale (…)_». Paraissant mettre ainsi la responsabilité sur le dos des mineurs, il devait s’attendre à une réaction immédiate des syndicats. Ceux-ci ont réfuté l’argument du Premier ministre en soulignant que le contentieux des mineurs ne datait pas de 1963 et que la grève aurait pu s’arrêter beaucoup plus tôt, si le pouvoir avait pris les problèmes à bras-le-corps. De fait, Pompidou n’a jamais lâché la barre : ce que Jeanneney avait annoncé trois ans plus tôt, il l’a réitéré en 1963, en déclarant que la Lorraine devait se préparer à fermer ses mines.

Enfin, l’année 1963 correspond à une révision profonde des priorités de l’économie française. Entre 1962 et 1964 le pétrole supplante le charbon. Le plan d'assainissement des Charbonnages vient limiter la production nationale de houille à 53 millions de tonnes pour 1965 et stopper brutalement la croissance du bassin houiller lorrain.  Si l’État est capable de piloter la baisse de sa politique charbonnière, il n’a, cependant, aucune maîtrise de l’essor des hydrocarbures et de l'évolution du prix du baril. Le danger de la crise pétrolière amorcée en 1973, conduit au choix politique qui fera de la France le pays le plus nucléarisé au monde par rapport au nombre d’habitants. Seule solution à moyen terme
capable de répondre, selon le gouvernement, aux problèmes de prix de revient, de balance des paiements, de sécurité d’approvisionnement et d’indépendance nationale. Dix ans après la grève de 1963, Pierre Messmer, Premier ministre de Georges Pompidou de 1972 à 1974, lancera la construction de treize centrales nucléaires. Cattenom disposera d’une puissance installée de 5 200 mégawatts, soit l’équivalent de la production annuelle des HBL.

L’irrésistible déclin du charbon a donc enveloppé d’une gravité singulière le dernier grand combat historique des mineurs. Le premier grand pas vers leur disparition.         


S.P.



(1) Jean-Baptiste Noé.  L’homme politique face à l’épreuve du changement.
Le Général de Gaulle et la grève des mineurs, mars-avril 1963.
Editions Universitaires Européennes, 2010.



Les dates de fermeture des bassins houillers




© Sylvain Post



Un livre


Mineurs de charbon lorrain - Dans l'histoire d'une région frontalière (1856-2004). L'empreinte du syndicalisme chrétien”, de Robert Mourer (Ed. Faïencité, 2005)
Pour se le procurer : siège de la CFTC - 49, rue Nicolas-Colson 57800 Freymig-Merlebach




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"Tous en grève !" : une grande exposition
à Lewarde (Nord) du 26 septembre au 31 décembre



A l'occasion du cinquantième anniversaire de cette grève qui a marqué l'histoire sociale de la mine, le Centre historique minier de Lewarde (59) a travaillé en collaboration avec l'association Mémoires et cultures pour créer une grande exposition de photographies et d'archives sur tous les aspects de cet événement dans le bassin minier du Nord-Pas de Calais.