mardi 11 novembre 2014

CULTURE INDUSTRIELLE

11/11/2014 - Une machine d'exception vient d'être préservée de la casse au musée
de la mine de Petite-Rosselle, au cours de la semaine du 3 au 9 novembre 2014.
La suspension de la décision de détruire une machine d'extraction
à vapeur à la veille de son centenaire, a été prise à la suite des
réactions provoquées par l'entrée en lice des ferrailleurs.
La rediffusion de l'article "De chevaux en chevalements", mis en ligne
pour la première fois le 26 août 2012, paraît opportune dans ce contexte. 

Lire à la suite du premier article
 


De chevaux en chevalements


Disparus de la statistique de l'industrie minérale en 1870, les manèges actionnés par les chevaux pour remonter le charbon et assurer l'exhaure ont été remplacés par les machines d'extraction. Itinéraire, du cheval-crottin au cheval-vapeur...




 


Machine d'extraction à vapeur du puits Gustav II à la mine de Velsen / Grande-Rosselle, Sarre :
vue sur un des deux pistons et la poulie Koepe. Accessible au public.
© Sébastien Berrut – reproduction interdite sans autorisation 



Si, par une pirouette de l’histoire, l’exploitation charbonnière devait reprendre en France alors que l’établissement public Charbonnages de France est dissout, cette reprise serait d’initiative privée et se situerait dans la Nièvre. Le projet visant à valoriser le gisement de Lucenay-lès-Aix et Cossaye, avec des réserves estimées à 250 millions de tonnes dont 60 millions de tonnes économiquement exploitables, était prêt, stoppé par une forte opposition locale relayée par une réponse négative de Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Ecologie au sein du gouvernement  de François Fillon II.

Le projet comprenait  la construction d’une centrale thermique utilisant les techniques du “charbon propre”, appelée à produire entre 500 et 1 000 mégawatts d’électricité par an en brûlant 2 millions de tonnes de houille. Finalement, le charbon restera sous terre. Après quatre années de procédure et d’agitation, les actionnaires de la Société d’exploitation des ressources énergétiques du Nivernais ont jeté l’éponge. Une façon de prendre acte de la décision de rejet du ministre de l’Ecologie annoncée en plein sommet de Copenhague à la fin du mois de décembre 2009. Mais, sait-on jamais, sous l'effet de la tension enregistrée sur le marché des matières premières …

Le pied-de-nez serait d’autant plus appuyé que l’ancêtre de la machine d’extraction a vu le jour dans la Nièvre. En effet, la commune de La Machine doit son nom au baritel, une
machine servant à extraire le charbon, qui y fut installée en 1670. Il s'agissait d'un système de treuils mus par des chevaux, un manège en bois. Les mineurs disaient : «-On va à la machine...-», d'où le nom donné à cette bourgade d'environ 3 800 habitants aujourd'hui. La Machine reçut le statut de commune peu après la Révolution.

«
-L’histoire, pourtant, n’aurait pas été la même sans Louis XIV. Le Roi Soleil avait enjoint à Louvois de consulter les savants pour que l’eau de la Seine puisse remonter la colline de Marly et arriver au château de Versailles. Il s’ensuivit un concours et c’est ainsi que le plus célèbre des ingénieurs de Wallonie de l’époque, Rennequin Sualem (1645-1708), remporta le premier appel d’offres international de l’histoire. Rennequin et Paul Sualem, avec leur beau-frère Gilles Lambotte,  créèrent une puissante machine élévatoire, la fameuse machine de Marly qui assura l’hydraulique somptuaire des fontaines de Versailles et l’eau courante des royales baignoires-».

«
-Après Marly, le ministre de Louis XIV envoya Rennequin Sualem dans la région de Nevers qui disposait d’un gisement houiller en attente d’être exploité. Les ingénieurs belges y construisirent des baritels en 1670 et, en 1689, des machines d'exhaure dans les mines de Decize. Cousin de Rennequin, Daniel Michel associé aux activités de son père, se lança ainsi dans l'exploitation charbonnière dans le Sud Nivernais et dirigea les travaux jusqu'à sa mort, en 1693. Cent ans plus tard, neuf puits de deux à trois cents pieds de profondeur étaient desservis par ces machines à molettes mues par 60 chevaux qui épaulaient le travail de 400 hommes-» [extraits du livre “Les chevaux de mine retrouvés”, S. Post, 2007].

La percée des ingénieurs belges en France est le témoignage d’une évidente avance technique. Leur réputation s’était forgée sur les berges de la Meuse impétueuse. Maçons et terrassiers avaient appris à estimer les pentes et les chutes, à construire écluses, bassins de retenue, brise-glace et dispositifs d'arrêt des matériaux charriés par le courant. Pour transformer l'énergie hydraulique en travail à partir d’une machinerie en bois, des charpentiers avaient installé des roues, des pignons démultipliant le mouvement ou le renvoyant à angle droit, et des arbres à cames pour transformer le mouvement alternatif en mouvement rotatif. La présence de nombreux gîtes métallifères dans la vallée de la Meuse (blende, pyrite, galène, schistes alunifères…) et le charbon exploité depuis le XIIe siècle, sinon plus tôt, avaient fait des mineurs belges des précurseurs.




Illustration extraite du livre “La vie souterraine”
de Louis Simonin, 1867

 

L’extraction par puits et machines à molettes était générale au XVIIIe siècle dans les régions minières de l’époque, en France. Les molettes étaient en fonte ou formées de voussoirs en bois serrés par deux plaques de tôle boulonnées. Les châssis des molettes reposaient sur des traverses horizontales assemblées avec les montants et arc-boutés par des bras de force. L’assemblage comportait l’arbre vertical du tambour.
 
L’antique machine à molettes, encore majoritaire dans tous les bassins miniers vers 1820, aura tendance à disparaître rapidement au profit des machines à vapeur de rotation. La statistique de l’industrie minérale française n’en fera plus état à partir de 1870 [L’évolution technique des houillères françaises et belges 1800-1880”, Thierry Veyron , Ed. L’Harmattan, 1999].

Les chevalements métalliques avec leurs grandes molettes ponctuent, à présent, la ligne d’horizon de tous les pays miniers. Dans le bassin houiller de Lorraine, cinquante-huit puits sont foncés et autant de chevalements construits. Il en restait moins de la moitié à quelques années de la fin programmée des HBL. Une petite dizaine ont été classés ou inscrits. Cette évolution donne toute son importance au livre “Les chevalements de Lorraine” [ P-C Guiollard, T. Janssen, T. Klassen, J-C Rohr, J. Urek, Ed. P-C Guiollard, 2001]. 




Réminiscences


 La vue des molettes en mouvement m’a toujours inspiré un sentiment assez indéfinissable, entre l’effroi et la fascination. J’entendais mon père et mes oncles dire «-Glück Auf-!-»… À tout homme qui descendait dans la mine l’ouvrier adressait ce salut du métier qui pourrait se traduire par «-Bonne remonte-!-». Comme pour conjurer la mort.

Pierre Hamp, dans son livre des années trente sur les mineurs dit quelque chose de terrible :  «
-Le public ne s’émeut que si les cadavres sont nombreux le même jour. Six mineurs tués chaque semaine, 310 au total pour l’année sur l’effectif de 307 480, cela ne trouble pas l’opinion. Il faut dix morts à la fois, au même lieu, pour qu’on achète les journaux du soir-».
 
Le 26 mars 1925, à Merlebach, le bassin houiller est affecté par une catastrophe. Au puits Reumaux, trois mois après sa mise en service, une défaillance provoque la chute de la cage contenant 79 hommes en deux planchers et entraîne dans la mort 56 d’entre eux.

L’application la plus assidue à éviter les accidents empêchera par la suite qu’un tel cauchemar ne se reproduise.

Combien de fois ai-je relu Pierre Hamp pour revivre dans ma tête les quelques occasions qui me furent offertes de prendre la cordée avec les mineurs, dans le cadre de ma profession ?  [“La France travaille – Les mineurs”, Ed. Horizons de France, 1932 ; “Gueules noires”, Gallimard, 1938] :

«
-Au jour, le machiniste d’extraction commande le mouvement dans le puits. C’est un train vertical, marchandises et voyageurs. Les bennes du combustible circulent à soixante-dix kilomètres à l’heure au milieu de la course. La cage des hommes ne doit pas dépasser dix mètres à la seconde, cela fait trente secondes pour la hauteur de la Tour Eiffel, une minute et demie pour atteindre le fond d’un puits de 900 mètres. Aux accidents d’explosion, il faut ajouter ceux du transport. Les repères mesurés sur le déroulement du câble, indiquent au machiniste la hauteur de la cage dans le cuvelage. Il la dépose à l’endroit exact avec la même justesse délicate que pour placer un verre de cristal sur une table-»...
 
Un des actes les plus critiquables de l’opération table-rase en Lorraine a été le dynamitage, en 1990, des chevalements de Faulquemont dessinés par le célèbre architecte industriel Léon Joseph Madeline. Ont également mordu la poussière, les machines d’extraction et, à l’arrière des deux puits, le bâtiment des chaudières qui produisaient la vapeur à 39 kg/cm2 pour les groupes turbo-alternateurs d’une centrale électrique édifiée dans l’architecture représentative de l’entre-deux-guerres.

Pour revivre tant soit peu l’ambiance d’une descente, la reconstitution du fond à faible profondeur au musée de Petite-Rosselle répond aux attentes. Au contraire, on reste les bras ballants devant le sort réservé par les voleurs de métaux aux machines d’extraction de l'espace muséographique du carreau Wendel.

Si une visite d’une machine d’extraction intacte vous tente, il suffit de passer le pont : allez à la mine de Velsen, à Grande-Rosselle/Sarre. Les vétérans y attendent le public chaque week-end, une main sur le cœur, l’autre sur le pupitre de commande.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur






Dessin extrait de l'Encyclopédie Quillet, 1937. Cliquer sur l'image pour l'agrandir




Machine d'extraction en service à partir de 1900, à Ronchamp (Haute-Saône)




Machine d'extraction de la fosse de Condé-sur-l'Escaut (Nord), en 1953 © Autrot


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Une machine d'exception échappe à la casse



Le 30 octobre 2014, un courriel diffusé par une association sarroise de protection du patrimoine minier, dénonce comme un scandale le projet de mise à la ferraille d'une machine d'extraction du musée de Petite-Rosselle. Il est envoyé aux sociétés d'anciens mineurs du bassin houiller lorrain, alors qu’aucune information concernant ce projet ne filtre côté français.

Le 9 novembre 2014, retournement de situation. Les ferrailleurs, à pied d’œuvre depuis le 3 novembre au musée de Petite-Rosselle, ont pour consigne de ne pas s’attaquer à la machine d’extraction de Klarenthal dont le découpage avait été planifié, selon une source proche de l’opérateur. Ce revirement fait suite à l’émoi suscité par le projet de destruction de ce système datant de 1915, qui fonctionnait à la vapeur, en Sarre, au puits Calmelet du nom d’un ingénieur français de l’ère napoléonienne.

Après la décision d'ajourner la destruction de cette machine d’exception, aucune déclaration publique n’a été faite ni côté français, ni côté allemand. On peut toutefois tirer un enseignement de cet étrange "huis clos" qui révèle que les décisions envisageables pour mettre en valeur un tel équipement investi d’une forte symbolique – le machiniste actionnait le mouvement des cages, assurait la descente et la remontée des hommes, et la sortie de la production – se caractérise en réalité par une incapacité à dégager une action pertinente visant leur conservation. Sur les quatre machines d’extraction en place sur les carreaux Wendel-Vuillemin, aucune n’est accessible au public.

Si les machines d’extraction figurent «
au rang des inventions majeures mises au service du formidable essor de l’industrie minière des XIXe et XXe siècles » comme le souligne dans une étude la chercheure du CNRS Chip Buchheit, elles constituent un patrimoine méconnu et «-insuffisamment considéré
-».

Pourtant, étudiées en tant qu’objets techniques à part entière – composés d’un bâti, d’un moteur, d’un organe d’enroulement guidant le ou les câbles, d’un poste de conduite assurant l’inversion de la marche, de puissants dispositifs de freinage et de plusieurs instruments contrôlant les cordées – les machines d’extraction témo
ignent des grandes étapes de leur évolution technique.

Les équipements établis en Moselle présentent un intérêt particulier du fait du demi-siècle que dura l’annexion allemande (1870-1918), car s’y retrouve, selon Chip Buchheit «
la compétition à laquelle se sont livrés, entre 1902 et 1950, les tenants de l’extraction à vapeur et les promoteurs de l’extraction électrique ».

Les mines de l’ancien Reichsland d’Alsace-Moselle y ont tour à tour connu l’engouement initial des exploitants allemands pour les machines électriques, entre 1902 et 1918, avant de partager l’option "tout électrique" adoptée par les exploitants français au lendemain de l’armistice.

Cette alternance des souverainetés explique pourquoi les machines d’extraction électriques les plus anciennes de France se retrouvent aujourd’hui en Moselle et en Alsace, sur le carreau des puits Simon 1 et 2, à Forbach (machines d’extraction datant de 1908 et 1913) et, dans les mines de potasse d’Alsace, au puits Rodolphe 1 de Pulversheim (machine de 1913). Ces équipements doivent être regardés comme un héritage précieux des années allemandes » écrivait en 2007 la scientifique du CNRS.

Sur 15 systèmes d’extraction représentatifs dans le bassin houiller lorrain, 4 remarquables étaient réputés "protégés" en 1998,
selon Chip Buchheit. L'un des quatre (Cuvelette Sud) a pourtant disparu incognito. Il a été fait table rase également de ceux de Reumaux, Vouters, La Houve, De Vernejoul, Marienau… Qui en répond ? Les tenants de la culture scientifique, technique et industrielle sont aujourd’hui ultra-minoritaires face aux muséographes patentés et aux décideurs publics soucieux de réussir avant tout la reconversion des friches industrielles.


 
LES LIMITES DE LA MUSÉOGRAPHIE

 

«
Il n’y aura pas plus de muséographie qu’aujourd’hui à la mine Wendel » a averti le syndicat mixte en charge de la gestion du musée. Ce dernier a atteint un plafond, en termes de dépenses de fonctionnement, selon des déclarations reprises par le journal La Semaine du 19 avril 2014. Le nombre de visiteurs a dépassé 40 000 entrées annuelles, mais le pari culturel devrait s’arrêter là, au profit d’autres pistes plus ambitieuses. Ainsi, un projet dévoilé cette année, décrit ce que pourrait devenir cet ancien espace industriel de 150 hectares, dans vingt ans. Le scénario le plus structurant prévoit la création d’un vaste pôle multi-usage où se côtoieraient des laboratoires de recherche scientifique, de l’hôtellerie, un restaurant, des vastes espaces verts style floralies.

L’idée d’un tel réaménagement repose sur un constat flagrant, visible par chaque visiteur du musée-: aujourd’hui, seuls trois bâtiments sur 22 sont utilisés pour accueillir le public et certains sont en mauvais état. L’objectif est d’implanter des activités nouvelles pour le public le plus large, et de faire en sorte que ces activités drainent un public qui n’a pas pour intention première de venir sur le site pour y découvrir le musée, mais qui y viendrait pour des activités humaines, sociales, économiques et culturelles normales. Une extension de la ville en quelque sorte. « Tout cela combiné doit donner vie au site et garantir la pérennité des bâtiments en place, pour que l’un justifie l’autre
».
 

Ceci nous éloigne des machines d’extraction et engagerait à croire, sans doute à tort, que la destruction de celle de Klarenthal de 1915 visait à faire de la place et un peu de trésorerie.

« Dûment recensées et documentées dans le cadre d’études thématiques, la trentaine de machines d’extraction étudiées [en Moselle et en Alsace] constituaient bien une collection technique d’exception, non seulement pour les spécificités techniques remarquables qu’elles pouvaient présenter, mais aussi parce que tributaires d’une activité réputée définitivement révolue. En aucun lieu on n’a pourtant vu de machine d’extraction sauvegardée pour son seul intérêt » observait Chip Buchheit en 2007. C’est encore plus vrai aujourd’hui.


S.P.




Publié le 11 novembre 2014 


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Un sursis de quelques mois



L’ajournement du ferraillage de la machine d’extraction à vapeur Dingler de 1915 dans l’enceinte du musée de la mine, à Petite-Rosselle, a été confirmé par les dirigeants de l’établissement.

« Nous nous doutions que le ferraillage de cette pièce allait susciter un tollé côté sarrois. Nous avons donc décidé de suspendre sa destruction et entamé des démarches pour la céder, gratuitement, à des associations ou des sites en Sarre. Le problème : c’est que nous n’avons, à ce jour, reçu aucune réponse. Personne n’en veut (…) » a déclaré le président du musée de la mine au Républicain lorrain (éd. du 19/11/2014). Il s’est donné jusqu’au printemps pour trouver un repreneur. Après, « on verra ».

Côté français, aucune association de mineurs ne s’est prononcée publiquement sur le sort de cette machine. Proche du musée, le président de leur fédération s’est également abstenu d’intervenir dans le débat.

Reste un grand absent : le conseil scientifique du musée. Ses principaux représentants avaient eu le projet de présenter sur le carreau Wendel,
il y a quelques années, les différents types de machines d’extraction ayant fonctionné dans le bassin houiller de Lorraine. Ils s’étaient rendus en Sarre pour demander aux Allemands de céder au musée de Petite-Rosselle la Dingler, qui devait trouver sa place à côté de la machine du puits Wendel 2.

Le principe était de présenter une gamme de machines témoignant de leur évolution technologique, afin d’expliquer au public le fonctionnement d’un siège à différentes époques de l’histoire du charbon.

La machine a fait l’objet d’un début de restauration dans le cadre d’un chantier d’insertion. Sa mise en valeur a été abandonnée au gré des changements de direction du musée. Situation irréversible ou pas ? Il sera intéressant de voir si la direction des Affaires culturelles de Lorraine décide d'intervenir. 



 Publié le 20 novembre 2014




La machine d'extraction préservée est la soeur jumelle
de celle présentée à Velsen-Grande-Rosselle/Sarre.




Valorisée par une carte postale ancienne : une machine d'extraction du puits V à Merlebach, fabriquée par l'Allemand Thyssen. Cette machine a disparu. Il a été fait table-rase du bâtiment, préalablement vidé de sa machine de nouvelle génération.
Collection Serge Kottmann



Machine du puits Freyming, également livrée aux ferrailleurs dans le passé.
Collection Serge Kottmann




27/04/2011 | Machine d'extraction (poulie Koepe) du puits Wendel 2, à Petite-Rosselle (Moselle)
 A gauche les instruments pour le machiniste (indicateur de profondeur, tachymètre...)
Le public aura-t-il accès un jour à cette salle des machines et aux trois autres du
site muséographique de Petite-Rosselle ?
Photo Sébastien Berrut- reproduction interdite sans autorisation écrite



La machine d'extraction de Cuvelette Sud, pourtant "protégée", a disparu.
 Photo Serge Kottmann

Publié le 11 novembre 2014


mercredi 5 novembre 2014

COMMÉMORATIONS

Les racines sarro-lorraines
du président Eisenhower



Toussaint et fête des morts, une seule fête en deux pensées, marquent l’entrée dans le mois des commémorations. Les vieux cimetières  sont chargés d’histoire. Celui de Karlsbrunn, à deux pas de Freyming-Merlebach, raconte que le premier enterrement en 1725,  fut celui d’un enfant d’Anna et de Johann Nicol Eisenhauer. À une semaine de l'élection présidentielle américaine, retour sur les racines ancestrales du trente-quatrième président des États-Unis.


Réédition - première mise en ligne le 1.11.2012





Est-ce un dialogue intérieur sur la mort, la grande question de chacun, qui m’a fait pousser la grille du vieux cimetière protestant de Karslbrunn à l’approche de la Toussaint ? Au risque de friser l’hérésie, car la communauté évangélique ne prie que Dieu, ni la vierge Marie, ni les saints.

Pour être sincère, j’ai enjambé les chemins de la foi et m’en absous, avec une autre idée en tête, celle de vérifier une information en rapport avec la généalogie.


Les frondaisons d'un jaune dor ont enluminé cette quête « …en ce moment de l’automne où il est clair que tout se défait, et que rien ne s’annonce encore » écrivait le philosophe Alain. « Tout s’efface, mais tout n’est pas effacé ; ces feuilles retournent aux éléments, mais elles signifient encore ce qu’elles furent ». Ceux qui reposent dans cette nécropole n’ont rien gardé au creux de la main. De ce qu’ils ont transmis, de grandes destinées ont pu naître et il est naturel que le regard du commun des mortels se porte vers eux.

- Ne cherchez pas, vous ne la trouverez pas…

Comme si elle venait de lire dans mes pensées, une dame m’avertit que les plus vieilles sépultures, les plus modestes, sont retournées à l’état de nature. L’apparence de la tombe des ancêtres du 34e président des
États-Unis d’Amérique se réduit à ce que l’on voit. Plus rien.

Trois siècles nous séparent de la fondation du village de Karlsbrunn avec l’installation d’une verrerie en 1717, au cœur d’une région boisée, au sol pauvre et de peuplement ténu, à deux pas de Freyming-Merlebach et Rosbruck. Johann Erhard Rupp, sous-directeur de l’école latine de Sarrebruck, veillait alors sur le salut des âmes. Le premier enterrement dont il eut la charge fut celui d’un enfant d’Anna et de Johann Nicol Eisenhauer, au cimetière protestant en 1725.


Cette information présenterait en soi peut d’intérêt s’il ne s’agissait pas des ancêtres de Dwight D. Eisenhower (1890-1969)
.

Vers 1723, parti de la Verrerie Sophie, dans le pays de Forbach, Johann Nicol Eisenhauer vint s’installer à Karslbrunn, comme “Holzhauer” (bûcheron) et “Pottaschbrenner” (potassier). Il fallait deux stères de bois pour fabriquer un kilo de verre et dans l’alchimie du verre, pour la fusion du sable, on utilisait un alcali qui se trouve dans la cendre de bois brûlé avec de la fougère, appelé “pottasche”. Ainsi, Johann Eisenhauer se partageait entre la cognée et le brasier. Un homme de la forêt, alors que son nom peut se traduire par
marteleur, ouvrier de fonderie, ou “forgeron”. En lettres de feu.

- Sa famille  figure au registre de l’
Église protestante de Karslbrunn jusqu’en 1741, année où il émigra avec sa femme et leurs sept enfants.

L’interlocutrice providentielle ajoute que le 17 novembre 1741, ils débarquèrent à Philadelphie. Une de ces traversées qui pouvaient durer de six semaines à plusieurs mois. Terribles parfois. La même année, un bateau irlandais  débarqua 60 des 106 passagers, les 46 autres étaient morts de faim ou de maladie. Les plus pauvres avaient promis de payer leur voyage en échange d'un service de deux ou trois ans auprès de leurs créditeurs. Face cachée de la
terre promise américaine, terre de liberté et de prospérité. À cette époque, les Allemands constituaient le deuxième groupe le plus important dimmigrés après les Nord Irlandais.

Le nom des ancêtres du président Eisenhower s
écrivait Eisenhauer à l'origine. Venant de la frontière sarro-lorraine ses aïeux sinstallèrent dans la colonie britannique de Lancaster (Pennsylvanie), puis au Kansas en 1892.  
... 



   

...
 
Troisième de sept enfants de David Jacob Eisenhower et de Ida Elizabeth Eisenhower (née Stover), David Dwight Eisenhower naquit le 14 octobre 1890 à Denison au sein d'une famille modeste, de tradition mennonite. La mère de Dwight, Ida Eisenhower, fit  partie des témoins de Jéhovah.

L’éducation du futur président des États-Unis fut fondée sur les valeurs familiales chrétiennes. Il était presbytérien. Ike obtint son diplôme de fin d’études secondaires du lycée d'Abilene à 19 ans, en 1909, et commença à travailler dans une laiterie car ses parents n’eurent pas les ressources financières nécessaires pour l’envoyer à l’université. Il entra finalement à l'université de Kansas City pour préparer une carrière militaire et réussit brillamment ses examens qui le firent entrer d'office à l'académie militaire de West Point.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il fut général cinq étoiles de larmée américaine, et commandant en chef des forces alliées en Europe. Chef détat-major général des forces armées des États-Unis de 1945 à 1948, il assura le commandement suprême des forces alliées en Europe du 2 avril 1951 au 30 mai 1952.
...

 














Pour son blason, Eisenhower choisit l’enclume
rappelant ses racines ancestrales.
Jusqu’en 1794 son nom s’écrivait “Eisenhauer”,

littéralement marteleur”, ouvrier de fonderie, 
proche du “forgeron” qui se dit
 “Schmied” en allemand.

 
...
 
Le général Eisenhower exerça deux mandats, succédant  à Harry  S. Truman et précédant John F. Kennedy à la Maison-Blanche. Ses biographes retiennent en particulier qu’en tant que président des États-Unis il supervisa le cessez-le-feu en Corée, lança la course à l'espace, développa le système des autoroutes inter-états et fit du développement de l'armement nucléaire l'une de ses priorités dans le cadre de la guerre froide avec l'URSS.

Ses descendants furent accueillis chaleureusement à Karslbrunn, le 8 mai 1995. La paroisse leur ouvrit ses registres : le père de Johann Nicol, Johann Friedrich Eisenhauer décédé le 28 février  1729 à Karlsbrunn, est inhumé au cimetière protestant. Et à la date du 30 août 1733 les états paroissiaux mentionnent le baptême de Maria Magdalena Eisenhauer, fille de Johann Nicol Eisenhauer et de son épouse Anna Margaretha Strobel.
À l’âge de 8 ans, elle avait émigré vers le Nouveau Monde avec ses parents.
...
 
Mention du décès de Johann Friedrich Eisenhauer le 28.02.1729


 L’enregistrement du baptême de Maria Magdalena Eisenhauer, le 30.08.1733

...
 
Les héritiers du président des États-Unis recueillirent pieusement les fac-similés des registres. Émus de retrouver leurs racines dans le Warndt où leurs ancêtres vécurent au rythme d’une économie de subsistance en travaillant pour les verriers. Le souffle d’une histoire bonne à respirer un 1er Novembre.



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur




Remerciements à Mme Siegron Colling, de Karslbrunn
(registres paroissiaux) et à l’ American Heraldry Society,
grâce à Herald Dick Magazine
(blason). 





Le vieux cimetière protestant de Karlsbrunn.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir



Avant Karlsbrunn, Forbach...



Johann Nicol (Hans Nicol ou Nicholas) Eisenhauer, né en 1691 et qui s’était installé à Karslbrunn vers 1723, est considéré sur le sol américain, comme l’aïeul le plus lointain parmi les ancêtres du 34e président des États-Unis.

Doù venait-il ? Des environs de Forbach... Car un an avant l’installation de Johann Nicol à Karlsbrunn (Sarre), naquit à la Verrerie Sophie (Moselle), Joe Petrus Eisenhauer. La naissance  est consignée dans un registre  des archives de la ville de Forbach et le nom des parents y figure : Johann Nicol et Anna Margaretha...  

« Natus et bapotisatus  le 15 mars 1722, à Verrerie-Sophie, fils de l’ouvrier "operarÿ" Potaschenbrenner Jean Nicolas Eisenhauer (né vers 1691 ...) et d’Anne Marguerite Strobel ou (Struvelin) ex Sophihut ... parrain et marraine étant Johannes Petrus Cremer et Sophie Reicherin omnes ex Sophihut » écrit le curé Lommers de Kerbach-Forbach.

Joe Petrus (Jean-Pierre ou John Peter) est le fils du bûcheron-potassier de Karslbrunn. Ses parents quittèrent le pays de Forbach quelques mois après sa naissance pour sétablir près de cette autre verrerie du Warndt.

Deux décennies plus tard ils émigrèrent. Lorsquils embarquèrent pour lAmérique, John Peter avait 19 ans, son père 50.

Larrivée conjointe en Amérique de Hans Nicol Eisenhauer (« first generation in America ») et de son fils (« Hans Nicol and his son John Peter arrived in America in 1741 aboard the Europa ») est attestée par les données généalogiques de la bibliothèque présidentielle d'Abilene/Kansas. Reste à résoudre une difficulté concernant la transcription de l'année de naissance de John Peter qui varie d'un document à l'autre, mais ne semble pas devoir faire échec à la lecture de litinéraire des Eisenhauer. 

Lorsquune délégation américaine des descendants du Royal Deux-Ponts fut accueillie à Forbach, le 25 avril 2012, Raymond Engelbreit, auteur de nombreux travaux historiques, et Joseph Zeller, président du Cercle d'histoire locale de Forbach et environs Die Furbacher, lui confièrent une copie de l'acte de naissance de John Peter Eisenhauer.

Le “Royal Deux-Ponts”, régiment créé à Zweibrücken/Palatinat, au service de la France, composé de Lorrains, Alsaciens, Palatins et Bavarois, avec à leur tête les fils de la comtesse Marianne de Forbach, a participé le 18 octobre 1781 à la victoire de Yorktown, bataille décisive pour l'indépendance des États-Unis. 


Il ny avait pas meilleure occasion pour rappeler que les racines ancestrales de “Ike” se situent des deux côtés de la frontière sarro-lorraine.

Johann Nicol, établi à une époque à la périphérie de Forbach, et son fils John Peter sont les descendants de Johann Friedrich Eisenhauer. C'est à cet aïeul que revient donc la plus haute branche de l’arbre généalogique. Décédé en 1729, il est enterré au cimetière protestant de Karlsbrunn/Sarre. 

Si le lieu de son décès est certain, celui de sa naissance reste inconnu. La trace se perd en l’absence de documents et du fait de l’extrême mobilité des travailleurs du verre il y a trois siècles, un chapitre traité par Raymond Engelbreit dans son mémoire de maîtrise [La Verrerie Sophie. Naissance et évolution d'une verrerie dans le comté de Forbach au XVIIIe siècle. Université de Sarrebruck, 1989].

Il est donc logique que les habitants de Karlsbrunn placent Johann Friedrich Eisenhauer en tête de la lignée familiale du 34e président des États-Unis, en produisant la preuve qu'il repose dans leur cimetière. 

Il est non moins logique que les Américains choisissent plutôt comme ancêtre le fils  de cet aïeul, puisque les registres de l'immigration disent que c'est Hans Nicol qui a traversé l'Atlantique en premier avec femme et enfants, parmi lesquels John Peter

Et pour Forbach, sarrêter à l'acte de naissance de John Peter, cest réaliser à juste titre que celui-ci, né à la Verrerie Sophie, est le plus proche parent européen direct du général Eisenhower.

Personne n’a tort. À chacun sa raison.


S.P.



L'acte de naissance de 1722, aux archives de Forbach.



Article publié le 25.10.2012 - mis à jour le 31.10.2012 
 

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Une émigration de la misère
 

Dans son Histoire d’un mirage américain au XVIIIe siècle [ Ed. L’Harmattan, 2000 ] Jocelyne Moreau-Zanelli rappelle que l’émigration française aux États-Unis n’a jamais été massive, mais il est quelques moments où elle a été plus considérable, en fonction de conditions spécifiques soit sur le sol national, soit outre-Atlantique. Au XVIIe siècle, c’est la révocation de l’Édit de Nantes qui provoque l’exode de Huguenots vers le Nouveau-Monde. Deux siècles plus tard, la ruée vers l’or déclenche un afflux de toutes parts en Californie.

Pour un Lorrain, choisir l’Amérique comme destination est essentiellement « une émigration de la misère ». C’est l’opinion de Camille Maire, [ L’émigration des Lorrains en Amérique, entre 1815-1870, thèse de doctorat de troisième cycle, Metz, 1980 ], qui met la pauvreté au premier rang des causes de départ. « Les motifs politiques semblent n'avoir guère compté en Lorraine, sauf dans le cas des anabaptistes qui refusent la conscription ».

Selon lui, les émigrants lorrains quittent principalement les cantons germanophones des arrondissements de Sarreguemines et de Sarrebourg, mais aussi de façon plus ponctuelle, ceux de parler français, comme Remiremont, Neufchâteau, Lorquin, et bilingues, comme Faulquemont (« la localité de Many présente le pourcentage d'émigrants par rapport à la population totale, le plus élevé de la Moselle »). Camille Maire estime qu’en Moselle, moins de 3.000 émigrants figurent dans les demandes de passeport entre 1847 et 1869.

Jean Houpert [ Les Lorrains en Amérique du Nord, Ed. Serpenoise, 1983 - Ed. Naaman, 1985 ]  indique également que l'espace linguistique du francique rhénan en Moselle a fourni pendant le XIXe siècle, le plus gros contingent de Lorrains partis rejoindre le Nouveau-Monde « … Jeunes célibataires, jeunes foyers, attirés par des parents déjà émigrés ». 

L’auteur consacre la moitié de son livre à l’immigration pour motif religieux : «Plusieurs diocèses des États-Unis ont reçu le renfort de près de 200 missionnaires de tous ordres et congrégations venus de Lorraine (…), auxquels on peut joindre une centaine de religieuses enseignantes».

La religion a donc pu servir de levier (voir la question du protestantisme) comme vient l’illustrer le cas d’une localité du canton de Grostenquin. Dans son ouvrage Hellimer – 4 000 ans d’histoire, Michel Mann signale qu’une centaine d’habitants de confession israélite ont émigré outre-Atlantique aux XVIIIe et XIXe siècles. « En 1811, la communauté juive d’Hellimer était la plus importante de tout l’Est-mosellan (…) En 1822, une synagogue de style orientalisant sera édifiée et décorée grâce aux dons des juifs émigrés aux Amériques ».

La mémoire collective a pris possession des colons originaires du Pays de Bitche, notamment de Haspelschiedt ou de Schorbach, où des familles ont un
oncle d’Amérique.

À proximité, une localité bas-rhinoise des Vosges du Nord, est fière de Russell L. ( dit Rusty) Schweickart, astronaute de la Nasa, équipier d’Apollo 9... Il est le petit-fils de Jacques, un natif de Lembach qui avait décidé  en 1892 d’aller démarrer une nouvelle vie aux États-Unis.


S.P.





Vient de paraître :
Chroniques  de Forbach et sa région, revue éditée par le Cercle "Die  Furbacher" (116 p., richement documentées et illustrées). Un des thèmes dominants de ce 3e numéro concerne les verreries de Forbach et sa région, du XVIe au XXe siècles.
En vente à l'Office de tourisme de Forbach.