mercredi 22 février 2012

LÉON  IX, ÉVÊQUE LORRAIN DEVENU PAPE


Papautages à Dabo


La Lorraine revendique le lieu de naissance de Bruno d'Eguisheim-Dabo devenu pape sous le nom de Léon IX. L'Alsace cherche à faire pencher la crosse de son côté. Le Vatican a accordé sa bénédiction aux deux territoires. À la satisfaction des offices de tourisme



 
 

Mon incurie vis-à-vis de Rome me laisse sans voix sur la lignée des successeurs de saint Pierre, à l’exception des trois ou quatre derniers papes. Je le confesse : jusqu'à la semaine dernière, je ne connaissais pas Léon IX, revendiqué comme «le pape lorrain» par la paroisse de Dabo. Lacune en partie comblée depuis une escapade dans le pays de Sarrebourg.
 
Dabo est réputé en Moselle pour son rocher, le panorama qui s'étend à 360° sur les Vosges gréseuses, et au-delà, vers l'ouest, le plateau lorrain jusqu'à la côte de Moselle, et vers l'est, la plaine d'Alsace. Et pour sa chapelle saint Léon IX qui le coiffe.
 
Bis repetita, la statue de Bruno d'Eguisheim-Dabo, devenu saint Léon, qui domine le paysage n’est qu’un pâle exemplaire à côté de celle de l’église paroissiale, au centre de la bourgade dont les rues, vues d'en haut, dessinent une croix de saint André. Et là, on ne badine plus. Au pied du monument une plaque précise qu’ « Ici est né le 21 juin 1002, le grand pape lorrain St Léon IX, fils de la comtesse Heilwige de Dabo et du comte Hugues IV (…). En souvenir du millénaire de sa naissance». C’est gravé dans le marbre et signé «Les habitants de Dabo».
 
Ce serait une bénédiction pour la commune, si  une autre vox populi ne revendiquait pas la même chose. Au sud-ouest de Colmar, Eguisheim, l’un des « Plus Beaux Villages de France » (marque déposée), présenté comme le berceau du vignoble alsacien, célèbre également saint Léon. Statue similaire. Et une indication martelée sans ambages : « le fils du comte Huges IV et de Heilwige, fille du comte de Dagsbourg-Dabo, est né en 1002, à Eguisheim »-!
 
Daboisiens et Eguisiens sont donc divisés sur la question et les monographies en nombre viennent alimenter la controverse.


Sous le titre  « Un pape alsacien : Léon IX d'Eguisheim », Prosper Alfaric, professeur d'histoire des religions à la faculté des Lettres de Strasbourg, en 1933, s’émerveille : «Entre tous les Alsaciens de marque, le pape Léon IX occupe une place d'honneur. Il compte parmi les plus grands que le Moyen Âge ait connus, et l'Église l'a inscrit au catalogue de ses saints. Il a joué en divers pays un rôle de premier plan (…). Par une chance assez rare (…) un de ses familiers, le lorrain Wibert, nous a laissé une narration détaillée de sa vie, dont un premier livre fut rédigé, du moins en partie, avant sa mort, un second quelques années après (…).

Celui qui devait être le pape Léon IX naquit, nous dit Wibert, le 21 juin de l'an 1002, «sur les terres de la douce Alsace». Le même biographe donne à entendre que ses parents habitaient le château d'Eguisheim, celui sans doute dont trois grandes tours se voient sur un piton des Vosges, au sud-ouest de Colmar. Son père, Hugues, appartenait à la puissante famille des comtes d'Alsace. Il était cousin du duc Conrad de Franconie, qui allait bientôt devenir empereur d'Allemagne. 

«Teuton de nationalité, dit Wibert, il maniait fort bien la langue de son pays, en même temps que le latin», c'est-à-dire le roman. Sa mère, Helwige, était une «latine». Entendons par là qu'elle était d'un pays où l'on parlait le roman, non l'allemand. Mais elle pratiquait le même bilinguisme ».


Dabo, Eguisheim, Walscheid...
 
À Walscheid, en Moselle, pittoresque village situé dans la vallée de la Bièvre environné de montagnes couvertes de forêts, à 15 kilomètres au sud-est de Sarrebourg, on est tout aussi catégorique : « Léon IX est né à Walscheid le 21 juin 1002 dans le château du Durrenberg ».
 
L’Office de tourisme rappelle opportunément qu’au cours du XIXe siècle éclata une polémique sur le lieu de naissance de saint Léon, « querelle savamment entretenue par les défenseurs de Dabo, l'abbé Klein et ses successeurs, ainsi que les partisans d'Eguisheim, le chanoine Hunkler et le père Brucker ».


Et de tenter une explication : « Ce problème, pas encore résolu et qui risque fort de ne jamais l'être d'une façon irréfutable, repose sur une imprécision de Wibert : ''Saint Léon IX, dit-il, est né " in dulcis Elisatii finibus ". Mais comme le fait remarquer l'abbé Martin, "fines" dans le latin classique signifie tout ensemble : frontière et territoire. Alors : Dabo ou Eguisheim ? Si Wibert a voulu dire territoire, c'est à Eguisheim, s'il a voulu dire limite, c'est à Dabo.
 
Si on considère que Wibert écrivait de Toul, mais non d'Alsace, on peut comprendre que Léon IX était né sur la limite de l'Alsace par rapport au diocèse de Toul. Alors il s'agit de Dabo.
«C'est ainsi que l'ont compris les Bollandistes : Henschenius en 1675 parle de Dagsbourg. Les historiens alsaciens Schoepflin et Grandidier opinent pour Dabo. Et puis Wibert mentionne plusieurs fois le château d'Eguisheim sans pour autant faire allusion au lieu de naissance de saint Léon».

Bref, à Walscheid on est persuadé que le futur pape Léon IX a été baptisé dans la chapelle dite Saint Léon, sur la montagne de Saint Léon, à Walscheid. « S'il a été baptisé là, c'est qu'il était né là, dans le burg de ses parents qui englobait la chapelle, car alors la règle était de baptiser les enfants le jour-même de leur naissance »... Donc à Walscheid.

 
Pourtant, d'après la majorité des historiens et autres sachants (archéologues spécialistes de l'Alsace, ou des constructions castrales; Monique Goulet, la plus grande spécialiste de la "Vita leonis", la biographie du pape), il semble peu probable que le pape soit né à Walscheid. Tout porterait à croire, d'après la
"Vita" ou les dernières découvertes archéologiques, que le château de montagne d'Eguisheim soit le meilleur candidat. Une allégation qui ne va pas plaire aux Daboisiens-!
 
Mais la question du lieu de naissance de Léon IX a-t-elle un si grand intérêt ? Ne doit-on pas s’intéresser davantage à ce qu'il a réalisé-?

Durant les cinq années de son pontificat, il ne passa que neuf mois à Rome.  Le plus souvent en voyage à travers l’Europe, il engagea l’Église dans une profonde réforme politique et théologique à l’issue de la période la plus sombre du Moyen Age : affirmation de la suprématie pontificale, restauration de la discipline au sein du clergé (opposition au concubinage des prêtres), refus de la vie de cour, condamnation des « simonies » (achat ou vente de charges ecclésiastiques)...

Il présida de nombreux conciles, fit sentir le poids de l'autorité romaine, tenta de mener une politique cohérente face aux Normands et aux Byzantins, réforma la vieille chancellerie pontificale. Il lança ainsi, dans le respect de l'autorité impériale, la réforme de l'Église qui deviendra ensuite la réforme grégorienne.
 
Saisissant le prétexte du millénaire de sa naissance, un colloque réuni à Strasbourg en juin 2002, a fait le point sur les origines, la personnalité, l'action et l'entourage de ce pape, ainsi que sur les sources, narratives, diplomatiques, épistolaires, nécrologiques, archéologiques et autres, de l'histoire de son pontificat.


Sagesse pontificale
 
Alors d’Alsace ou de Lorraine ? Adressant une lettre au cardinal chargé de la Culture, le pape Jean-Paul II écrit, le 13 juin 2002 : « Voici mille ans, le 21 juin 1002, naissait en Alsace Brunon d’Egisheim-Dabo, qui deviendra Pape en 1049 sous le nom de Léon IX. À l’occasion du millénaire de sa naissance, qui est célébré en ces jours dans les trois diocèses de Strasbourg, de Metz, de Nancy et Toul, et que vous allez présider comme envoyé spécial, je m’unis par la pensée et la prière aux fidèles rassemblés autour de leurs pasteurs ».
 
Pour  le Vatican, Léon IX est donc né en Alsace. Mais dans sa grande sagesse, Jean-Paul II accorda la bénédiction apostolique aux trois diocèses. N’empêche que saint Léon est plus lorrain qu’alsacien. Il avait été confié dès l’âge de 5 ans à l’évêque de Toul et il fut lui-même évêque de ce diocèse lorrain durant une vingtaine d’années avant d’être intronisé à Rome pour cinq ans.  Alors, alors…
 
Et il porte bien la croix de Lorraine, non ? 

Eh bien, regardez de plus près la croix de Léon IX. Elle a trois croisillons au lieu de deux. Renseignements pris, la croix de Lorraine à double traverse est celle des archevêques et des patriarches de Jérusalem. La troisième traverse signale la fonction papale. Il ne faut donc pas la considérer simplement sous l'angle d'une symbolique régionale… D’autant moins que la croix de Lorraine n’a pas toujours été lorraine. Elle a été introduite par le duc d'Anjou lorsqu’il devint duc de Lorraine par son mariage avec Isabelle, en 1431. C’est pourquoi on l’appelait auparavant croix d’Anjou.
 
Finalement, elle est de chez nous, sans être de chez nous ? Avec tout ce charivari, je trouve prudent de ne pas le répéter aux Alsaciens… 


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur





Le rocher de Dabo coiffé de la chapelle Saint Léon IX. Février 2012.
© Sylvain Post




Le rocher de Dabo vu depuis le Backofenfelsen (altitude 732 m). Décembre 2012.
© Sylvain Post




Le rocher de Dabo vu depuis La Hoube. Août 2013.
© Sylvain Post







3 commentaires:

Sylvain Post a dit…

"Non" à la proposition Balladur
Lors de la publication du rapport Balladur, en mars 2009, prônant une réduction du nombre des régions, le socialiste Jean-Pierre Masseret et l'UMP Adrien Zeller, qui président alors respectivement la région Lorraine et la région Alsace, cosignent un communiqué pour affirmer leur opposition à "l'idée gratuite" d'une fusion de leurs collectivités.
"La Lorraine a envie de rester la Lorraine, et l'Alsace doit rester l'Alsace."
Habitant chacun à la frontière de leurs deux régions, le "plus lorrain des Alsaciens et le plus alsacien des Lorrains" déclarent qu'ils "n'ont pas besoin de cadre juridique supplémentaire pour se mettre autour d'une table et débattre des problèmes et projets communs à leurs Régions".
"Parmi les nombreuses propositions formulées dans le rapport «dit Balladur», s’il y en a une qui fait la quasi unanimité… contre elle, c’est celle qui prône, dans le cadre de la réduction du nombre des régions, la fusion entre la Lorraine et l’Alsace" écrivent-ils.
"Nos deux régions n’ont pas attendu la publication de telles idées, pour mettre en place, à travers une coopération bilatérale et un travail régulier au sein de l’Association des Régions du Grand Est, des coopérations concrètes, efficaces et adaptées.
C’est ainsi que, dans des domaines aussi divers que la réalisation du TGV, la mise en place du Cancéropôle ou encore la politique du Livre, des actions communes et concrètes ont été réalisées.
Nous avons fait la démonstration qu’il n’y avait, si l’on veut vraiment travailler ensemble, aucune utilité de fusionner, et que l’enjeu n’est pas institutionnel. Ce qui compte c’est, avant tout, de réaliser les projets communs, qui font avancer les deux régions.
La Lorraine doit rester la Lorraine, et l’Alsace doit rester l’Alsace, c’est comme cela que nous nous comprenons et que nous savons conjuguer sereinement nos richesses et nos valeurs pour réussir ensemble".
"Nous tenons à le dire simplement : il vaut mieux arrêter,à nos yeux, tout type de spéculation sur une fusion aventureuse, idée gratuite, qui n’a d’autre intérêt que de faire diversion par rapport aux véritables enjeux de nos régions."

Le communiqué précisait que le président de la Région Lorraine habite Dabo, à 4 km de la limite alsacienne, et que le président Zeller résidait à Saverne, à 5 km de la limite avec la Lorraine.
Adrien Zeller est décédé le 22 août 2009.

Sylvain Post a dit…

Canonisation
Léon IX a été canonisé en 1087 par le pape Victor III. Sa fête est célébrée traditionnellement au jour anniversaire de sa mort terrestre (dite aussi "Naissance au Ciel") le 19 avril. Son corps repose en la basilique Saint-Pierre.

Sylvain Post a dit…

Sommet Mitterrand-Kohl
Le 19 juillet 1983, le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl s’étaient rencontrés à Dabo pour un sommet informel franco-allemand.