vendredi 3 février 2012

MINES MÉTALLIFÈRES DU WARNDT

L'azurite de Lorraine
sous le ciel de Venise

Le minerai de cuivre du duché de Lorraine obtint ses lettres de noblesse lorsqu'il passa du statut de roche à celui de pigment pour les peintres de la Renaissance italienne. La «poudre bleue» au XVIe siècle, contribua au prestige de la cour de Nancy.


La mine de cuivre de Longeville-lès-Saint-Avold en 1977. © Photo Serge Kottmann 


 
Cuivre, argent, plomb… De SAINT-AVOLD à la frontière de SARRELOUIS, de FALCK à FORBACH, pas moins de 28 mines métallifères, en grande majorité abandonnées et inaccessibles aujourd’hui, constituent une étonnante fresque de la préhistoire industrielle du bassin houiller lorrain. Un chapitre particulièrement bien étudié par Jacques Kunzler, de Saint-Avold, membre, entre autres, de la Société d'histoire et d’archéologie de Lorraine et du comité de gestion de la Réserve naturelle volontaire de Longeville-lès-Saint-Avold. Dans cette localité, l’homme a laissé d’anciens travaux miniers, dont les plus remarquables concernent une mine de cuivre exploitée de 1858 à 1864. D'une mine voisine on sortait le minerai de plomb jusqu'en 1882. 

Azurite de Longeville-lès-Saint-Avold, 1981.


Des arrêtés sont venus encadrer l'accès aux galeries à partir de 1984. Il y a une trentaine d'années – alors que l’ancienne mine de cuivre était encore ouverte aux archéologues, spéléologues, géologues, mais également au pillage –  la malachite et l’azurite apparaissaient en petits amas dispersés verts et bleus  formant, avec l’ocre jaune et rouge, des jeux visuels très élaborés sur l’écran granuleux de leurs parois de grès.  Une roche soumise à la circulation des solutions géothermales, riches en métaux dissouts. Le minerai de cuivre s’est formé quand ces solutions sont remontées à la surface, et en s'amalgamant avec d'autre métaux, ont précipité en se déposant en veine à travers les terrains. Le cuivre, dans un tel scénario, est généralement apparu à l’état de sulfure. Au cours de milliers d'années, l'air ou l'eau a fini par pénétrer et oxyder le minéral. Les sulfures de cuivre peuvent être oxydés. Par des solutions acides, le soufre et le fer sont remplacés par des carbonates et hydroxydes.


Malachite de Longeville-lès-Saint-Avold, 160 mm. (1981)


Ainsi, la malachite (verte) et l’azurite (bleue) sont des carbonates de cuivre, de formule Cu2(CO3)(OH)2 pour la première et Cu3(CO3)2(OH)2  pour la deuxième. Instable à l'air libre, l’azurite se transforme en malachite par un phénomène de pseudomorphose.
 

À Longeville-lès-Saint-Avold, le minerai était exploité dans les grès du Trias inférieur, au niveau des couches dites intermédiaires, minéralisées en cuivre d’origine hydrothermale.  Les galeries et salles occupent un rectangle de 300 mètres sur 150, dimensions qui en font la plus grande mine de cuivre fermée du Warndt . Son architecture se présente tantôt sous forme de chambres et piliers, tantôt sous forme de galeries basses et étroites.

Après un premier traitement sur place, le minerai était expédié pour y être fondu, à LINZ-AM-RHEIN, ville de RHÉNANIE-PALATINAT distante de 240 kilomètres.   Lorsque la teneur descendit à 0,25 %, la mine ferma en 1864. Pour mémoire, c'est en 1858 que la découverte du bassin houiller lorrain fut proclamée urbi et orbi, soit quarante ans après le fonçage du premier puits qui devait atteindre le charbon, à Schœneck.

Mais la fin de l’exploitation du minerai de cuivre dans la région du Warndt ne saurait éclipser ses débuts. L’évocation la plus étonnante de l’azurite de Lorraine renvoie quatre siècles en arrière, vers une époque où les maîtres de la peinture italienne se procuraient dans l’ancien Duché de Lorraine la « poudre bleue » qui servait de base à certains coloris. Ce  pigment était utilisé dans les ateliers de la Haute Renaissance, celle qui fait référence aux arts de la Rome papale, de Florence et de la République de Venise entre 1500 et 1530. Ses figures de proue en sont Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci et Titien.


Antoine de Lorraine dit le Bon


Des documents peu connus des archives de Nancy font état du mouvement de surprise qu’a eu le jeune prince Antoine de Lorraine, fils de René II,  petit-fils de René d'Anjou, lorsqu’en 1507, au cours d’un voyage en Italie du Nord, des marchands rencontrés au hasard de la route, lui dirent que le chargement de leurs bêtes de somme était composé d’azurite extraite en Lorraine allemande, qu’ils allaient livrer aux grands peintres de Venise.
 

Dès son retour à Nancy, Antoine de Lorraine, élevé à la cour du roi de France Louis XII et qui ne connaît pas encore toutes les ressources de sa province, demande à son éducateur de lui faire découvrir les « mines d’azur » du duché.

Nicolas Volcyr de Seroncourt organise un voyage à Vaudrevange (aujourd’hui Wallerfangen), qui était au  temps de l’indépendance du Duché de Lorraine, chef-lieu de la Lorraine allemande, près de Sarrelouis. Volcyr va avec le jeune prince sur les hauteurs du Limberg, du Blauberg et du Humberg et lui montre ces mines en pleine exploitation. Il explique que les Romains les avaient  ouvertes pour en extraire le minerai de cuivre. Ils les délaissèrent ensuite et ce n’est qu’au XVe siècle que l’exploitation fut reprise.
Les ducs de Lorraine employaient des maîtres mineurs du Thillot, voire du Tyrol, ainsi que des spécialistes de l’affinage qui devaient enseigner leurs secrets aux femmes engagées à cet effet.



Azurite de Lorraine, 4 mm. Photo Jean-Marc Johannet ©

La "poudre bleue" servait de pigment



Les tanneurs de Wallerfangen fabriquaient du cuir blanc spécial et faisaient coudre des sacs pour le transport de la « poudre bleue ». La cour de Nancy aimait en faire cadeau aux princes voisins, les comtes de Luxembourg, aux archevêques électeurs de Trèves et à d’autres. En 1598, une commande particulière fut passée pour le palais ducal de Nancy, en vue de la décoration de la salle des Cerfs.
 

Le manège des chariots d’azurite de Wallerfangen s’arrêta dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Quant à la mine de Longeville-lès-Saint-Avold, elle témoigne de la maîtrise de l'art du mineur de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans les galeries taillées à la pointerolle, à la massette et au pic, où le minerai et les stériles étaient bruyamment recueillis, rien n'interrompt le silence depuis trente ans, de mi-octobre à mi-mai. Pour le bien-être des chauves-souris. Sans concession.
  

Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur


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Espaces protégés.- Sévèrement règlementées, les anciennes mines métallifères du Warndt font l'objet d'un suivi régulier, car diverses espèces  de chauves-souris les ont colonisées. On ne peut pas y pénétrer sans guide. Les gîtes d’hibernation placés sous la protection de la loi, se répartissent en deux secteurs :
- Le secteur Hargarten-Falck-Dalem, qui regroupe les mines de Béring, de la Petite-Saule, de la Grande-Saule, Saint-Jacques, Saint-Nicolas, ainsi que les plus petits
ouvrages de Dalem. À ces anciennes mines de cuivre et de plomb, s’ajoutent les tunnels désaffectés de Hargarten-aux-Mines.
-Le secteur Saint-Avold-Longeville-lès-Saint-Avold, qui regroupe la Réserve naturelle volontaire de Longeville-lès-Saint-Avold avec les deux mines du Haut-Bois et du Castelberg, et la mine du Bleiberg à Saint-Avold.
- À ces deux secteurs, s’ajoutent la carrière souterraine de Théding et un ancien souterrain militaire dans la forêt de Forbach.

Des visites sont organisées pendant la période dite "verte" dans les deux mines de la Réserve naturelle volontaire de Longeville-lès-Saint-Avold et dans la mine du Bleiberg, à Saint-Avold, tandis que la période dite "rouge" est réservée aux inventaires et aux suivis scientifiques. Ainsi, il n'est pas fait obstacle à leur intérêt historique, archéologique et géologique, pas uniquement chiroptérologique.

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Le portrait d'Antoine de Lorraine dit le Bon, par Hans Holbein le Jeune, est daté de 1543.
Photo de la Gemäldegalerie, Berlin

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4 commentaires:

aiolos a dit…

Magnifique ce bleu, est-ce le peintre nancéen qui peint en bleu " le bleu Majorelle " s'en est inspiré ?

Sylvain Post a dit…

Bleu Majorelle
Merci de ce commentaire qui vient rappeler qu'en 1937, l'artiste Jacques Majorelle a peint son atelier à Marrakech dans ce ton si caractéristique que l'on donnera son nom à cette couleur. Mais par rapport à l'azurite, le "bleu Majorelle" (en RVB : 96 de rouge, 80 de vert et 220 de bleu) est légèrement plus violet... Le mélange de pigments est possible. Et sans précautions particulières, l'azurite (bleue) se transforme en malachite (verte) avec le temps.

Anonyme a dit…

Excellent article. Mais il faut cependant souligner que l'azurite était pour les peintres, à Venise comme ailleurs, un "ersatz" du très coûteux lapis-lazuli qui lui était absolument stable dans le temps et toutes les conditions. Les grands décors consommaient beaucoup de pigments bleus, d'où le développement de l'extraction et du commerce de "l'azur".
Je n'ai pas découvert la "livraison" d'azur en 1598 pour la galerie des Cerfs, avez-vous la référence exacte ? Gaston

Sylvain Post a dit…

Réponse à Gaston :

Cette commande pour le palais ducal a été mentionnée dans un article du Républicain lorrain paru dans les années quatre-vingts. Il faisait référence à "des documents peu connus des archives de Nancy". Reste à savoir s'il s'agit des archives départementales ou des archives de la ville ?
Ces documents, selon le RL, "font état du mouvement de surprise qu'a eu le jeune prince Antoine de Lorraine lorsqu'en 1507 au cours d'un voyage en Italie du Nord, des marchands lui disent que le chargement de leurs bêtes de somme était composé d'azurite extraite en Lorraine allemande, qu'ils allaient livrer aux ateliers des grands peintre de Venise".