L'OUETTE D’ÉGYPTE S'Y INSTALLE
Une espèce préoccupante dans
la carrière de Freyming-Merlebach
Une espèce préoccupante dans
la carrière de Freyming-Merlebach
Elle n’hésite pas à évincer les autres espèces pour s’assurer un territoire et prolifère rapidement. Les ornithologues veillent au grain.
Existe-t-il un risque de voir les ouettes d’Égypte se multiplier dans la zone naturelle d’intérêt faunistique de Freyming-Merlebach où elles sont présentes depuis deux ans ? Pas pour l’instant. S’ils admettent qu’il s’agit d’une espèce invasive, indésirable en France, des ornithologues considèrent qu’elle peut poser des problèmes dans des contextes particuliers. A Freyming-Merlebach, aucun problème lié à leur comportement vis-à-vis des autres espèces n'a été observé à ce jour dans la carrière. «-Les ouettes n'auront peut-être aucun effet sur les espèces de canards présentes. Elles se cantonnent d'ailleurs plutôt à l'est de l'étang-». Un couple d’ouettes a besoin d’un hectare, alors que la carrière de Freyming-Merlebach s’étend sur 340 ha. Il semble donc y avoir de la place pour tout le monde.
Au début du mois d’avril, Lily et Serge Kottmann, randonneurs et fins connaisseurs du milieu, ont aperçu et photographié deux de ces ouettes d’Égypte, près des plans d’eau de la carrière. «-L’ouette d’Égypte est identifiable par son plumage : elle possède une tête claire avec une nuque un peu plus sombre, et une tache brun-chocolat caractéristique autour de l’œil ainsi qu’à la base du bec. Le dos est marron-grisâtre, le ventre blanchâtre avec une tache marron. L’ouette se distingue également par sa queue noire et ses pattes roses. Elle mesure environ 70 cm pour une envergure de 1,4 mètre et pèse 1,5 à 2,25 kg. Sa longévité est estimée entre 15 et 20 ans-».
L’ouette se définit généralement comme une espèce afro-tropicale, plus précisément soudano-sahélienne : elle est en effet présente sur le continent africain au sud du Sahara et le long de la vallée du Nil. Dans son aire d’origine, elle peut se reproduire toute l’année. En France, des pontes sont observées de mars à mai. La maturité sexuelle est atteinte entre 1 et 2 ans, les pontes sont constituées de 8-9 œufs et l’incubation dure 28 à 30 jours. Les jeunes sont élevés par les deux parents et prennent leur envol à 70-75 jours. Les habitats de reproduction sont diversifiés, généralement à proximité d’un point d’eau, dans des dépressions, sous des buissons ou dans des arbres.
Le couple défend assidûment un territoire d’environ un hectare, évinçant les autres animaux. Il reste fidèle à ce territoire pendant plusieurs saisons. L’ouette est capable de se reproduire rapidement, avec des taux de fécondité élevés et un bon taux de survie. Par conséquent, le potentiel invasif de cette espèce est important. L’agressivité qu’elle manifeste vis-à-vis d’espèces de taille supérieure à la sienne limite la prédation et pourrait être un facteur clé de sa croissance. Herbivore, l’ouette se nourrit d’herbes, de graines, de céréales, mais ne dédaigne pas occasionnellement les grenouilles. «-Même à 40 mètres, elles se sont montrées très agressives quand je les ai photographiées à Freyming-Merlebach-» acquiesce Serge Kottmann.
D’où viennent-elles ? Ce sont les introductions (volontaires ou involontaires) répétées dans plusieurs pays européens qui ont donné lieu à l’installation relativement récente de populations d’ouettes d’Égypte. Ainsi, cette espèce a été introduite en Grande-Bretagne dès la fin XVIIe siècle et son expansion a été significative dès le XIXe siècle. Mais ce n‘est qu’à la fin des années 1980 que sa démographie a explosé, à la faveur d’hivers doux successifs.
En Allemagne, elle s’est installée progressivement depuis son introduction, qui remonte au XVIIIe siècle. Aux Pays-Bas, la population proviendrait quant à elle d’oiseaux échappés de captivité. Après un premier cas de reproduction en nature en 1967 dans ce pays, une accélération s’est opérée à partir d’une nouvelle évasion conséquente en 1981. Ces oiseaux ont essaimé en Allemagne dans les années 1980 et ont récemment commencé à se reproduire. Ces ouettes allemandes et néerlandaises sont à l’origine de l’expansion de l’espèce vers les pays voisins : Belgique et Nord-Est de la France.
Ce ne sont pas à proprement parler des oiseaux migrateurs. Des études ont révélé que des déplacements de 50 à 100 km sont assez courants, et certains allant de 100 à 200 km ont pu être constatés. Par ailleurs, des couples issus de deux individus de provenance différente (Pays-Bas et Allemagne) se sont constitués. Des juvéniles d’ouettes bagués en Belgique se sont dispersés jusqu’à 300 km.
L’ouette se porte si bien en Europe qu’elle figure en tête de liste des 100 espèces qui présentent le plus haut niveau de préoccupation du point de vue environnemental, sanitaire, social ou économique. Même si l’ouette d’Égypte est relativement sédentaire dans le Nord-Ouest de l’Europe des concentrations élevées d’ouettes à proximité de fermes de volailles peuvent être préoccupantes dans le cadre de mesures sanitaires vis-à-vis de la grippe aviaire ou d’autres maladies pathogènes. En effet, une publication de référence précise que «-l’espèce a été impliquée dans certaines épizooties en Afrique du Sud et est porteuse du virus de la grippe. Cependant, une étude menée dans quatre pays européens ne conclut pas qu’elle présente un haut risque de portage ou de transmission du H5N1-».
Mesures de régulation
En Alsace, les gardes assermentés sont habilités à la capturer ou à la tirer. L’arrivée des ouettes dans les départements du Rhin ne date que de 1971 (hormis quelques mentions isolées au XIXe siècle), mais depuis, les effectifs n’ont cessé de progresser : en 2011, les inventaires menés ont mis en évidence la présence d’une population située entre 50 et 100 couples reproducteurs et entre 450 et 650 individus au total. «-A la suite d’une augmentation exponentielle des populations d’ouettes d’Egypte, des arrêtés de régulation de l’espèce ont été adoptés en 2010 dans le Haut-Rhin et en 2011 dans le Bas-Rhin, indique la Ligue de protection des oiseaux (LPO) d’Alsace. Ces arrêtés visent à limiter les dérangements de l’oiseau sur la faune locale, peu armée pour se défendre contre l’intruse, souvent agressive en période de reproduction-». Les nids utilisés sont ceux de la cigogne blanche, du milan noir ou de la corneille noire, au besoin en évinçant d’abord les occupants.
Cependant, «-l’impact est minimisé par la propension de l’espèce à choisir des sites de nidification peu attractifs pour les espèces indigènes : bassins de récupération des eaux, petits étangs de pêche privés et autres sites artificiels. Mais son agressivité peut poser problème vis-à-vis de l’avifaune indigène, que ce soit lors du choix des nids ou lors de la défense de son territoire. Dans ce cas, il y a une possible interaction négative avec les divers oiseaux d’eau locaux-», estime la LPO alsacienne.
En Allemagne, l’ouette est citée parmi les espèces introduites susceptibles d’impacts écologiques ou économiques, en considérant un niveau de population élevé : recul de la végétation bordant les plans d’eau, destruction des habitats de ponte des poissons, eutrophisation par rejet de fientes des petits plans d’eau avec pour conséquence la perte de leur biodiversité (invertébrés, batraciens…).
Ce sont donc essentiellement le caractère invasif et l’agressivité de l’ouette d’Égypte à l’égard des autres espèces qui peuvent préoccuper les autorités, qui ont dû envisager des mesures de régulation face à la vitesse de propagation de l’ouette d’Égypte : dans les années 2000, la population européenne d’ouettes d’Égypte, estimée à environ 10.000 couples, était cantonnée pour l’essentiel dans les pays frontaliers du Nord et de l’Est de la France. Cette population européenne est estimée en 2010 à 71.000 individus et 15.000 couples.
Impossible de dire d’avance comment sa présence va évoluer dans la carrière de Freyming-Merlebach. On a un recul de deux ans et, en cas de péril, les gestionnaires de la réserve sauraient comment réagir. Mais en l’absence d’enjeu, personne n’a le doigt sur la gâchette.
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
avec Serge Kottmann photo
Sur l'étang du Bischwald...
Au début du mois d’avril, Lily et Serge Kottmann, randonneurs et fins connaisseurs du milieu, ont aperçu et photographié deux de ces ouettes d’Égypte, près des plans d’eau de la carrière. «-L’ouette d’Égypte est identifiable par son plumage : elle possède une tête claire avec une nuque un peu plus sombre, et une tache brun-chocolat caractéristique autour de l’œil ainsi qu’à la base du bec. Le dos est marron-grisâtre, le ventre blanchâtre avec une tache marron. L’ouette se distingue également par sa queue noire et ses pattes roses. Elle mesure environ 70 cm pour une envergure de 1,4 mètre et pèse 1,5 à 2,25 kg. Sa longévité est estimée entre 15 et 20 ans-».
L’ouette se définit généralement comme une espèce afro-tropicale, plus précisément soudano-sahélienne : elle est en effet présente sur le continent africain au sud du Sahara et le long de la vallée du Nil. Dans son aire d’origine, elle peut se reproduire toute l’année. En France, des pontes sont observées de mars à mai. La maturité sexuelle est atteinte entre 1 et 2 ans, les pontes sont constituées de 8-9 œufs et l’incubation dure 28 à 30 jours. Les jeunes sont élevés par les deux parents et prennent leur envol à 70-75 jours. Les habitats de reproduction sont diversifiés, généralement à proximité d’un point d’eau, dans des dépressions, sous des buissons ou dans des arbres.
Le couple défend assidûment un territoire d’environ un hectare, évinçant les autres animaux. Il reste fidèle à ce territoire pendant plusieurs saisons. L’ouette est capable de se reproduire rapidement, avec des taux de fécondité élevés et un bon taux de survie. Par conséquent, le potentiel invasif de cette espèce est important. L’agressivité qu’elle manifeste vis-à-vis d’espèces de taille supérieure à la sienne limite la prédation et pourrait être un facteur clé de sa croissance. Herbivore, l’ouette se nourrit d’herbes, de graines, de céréales, mais ne dédaigne pas occasionnellement les grenouilles. «-Même à 40 mètres, elles se sont montrées très agressives quand je les ai photographiées à Freyming-Merlebach-» acquiesce Serge Kottmann.
D’où viennent-elles ? Ce sont les introductions (volontaires ou involontaires) répétées dans plusieurs pays européens qui ont donné lieu à l’installation relativement récente de populations d’ouettes d’Égypte. Ainsi, cette espèce a été introduite en Grande-Bretagne dès la fin XVIIe siècle et son expansion a été significative dès le XIXe siècle. Mais ce n‘est qu’à la fin des années 1980 que sa démographie a explosé, à la faveur d’hivers doux successifs.
En Allemagne, elle s’est installée progressivement depuis son introduction, qui remonte au XVIIIe siècle. Aux Pays-Bas, la population proviendrait quant à elle d’oiseaux échappés de captivité. Après un premier cas de reproduction en nature en 1967 dans ce pays, une accélération s’est opérée à partir d’une nouvelle évasion conséquente en 1981. Ces oiseaux ont essaimé en Allemagne dans les années 1980 et ont récemment commencé à se reproduire. Ces ouettes allemandes et néerlandaises sont à l’origine de l’expansion de l’espèce vers les pays voisins : Belgique et Nord-Est de la France.
Ce ne sont pas à proprement parler des oiseaux migrateurs. Des études ont révélé que des déplacements de 50 à 100 km sont assez courants, et certains allant de 100 à 200 km ont pu être constatés. Par ailleurs, des couples issus de deux individus de provenance différente (Pays-Bas et Allemagne) se sont constitués. Des juvéniles d’ouettes bagués en Belgique se sont dispersés jusqu’à 300 km.
L’ouette se porte si bien en Europe qu’elle figure en tête de liste des 100 espèces qui présentent le plus haut niveau de préoccupation du point de vue environnemental, sanitaire, social ou économique. Même si l’ouette d’Égypte est relativement sédentaire dans le Nord-Ouest de l’Europe des concentrations élevées d’ouettes à proximité de fermes de volailles peuvent être préoccupantes dans le cadre de mesures sanitaires vis-à-vis de la grippe aviaire ou d’autres maladies pathogènes. En effet, une publication de référence précise que «-l’espèce a été impliquée dans certaines épizooties en Afrique du Sud et est porteuse du virus de la grippe. Cependant, une étude menée dans quatre pays européens ne conclut pas qu’elle présente un haut risque de portage ou de transmission du H5N1-».
Mesures de régulation
En Alsace, les gardes assermentés sont habilités à la capturer ou à la tirer. L’arrivée des ouettes dans les départements du Rhin ne date que de 1971 (hormis quelques mentions isolées au XIXe siècle), mais depuis, les effectifs n’ont cessé de progresser : en 2011, les inventaires menés ont mis en évidence la présence d’une population située entre 50 et 100 couples reproducteurs et entre 450 et 650 individus au total. «-A la suite d’une augmentation exponentielle des populations d’ouettes d’Egypte, des arrêtés de régulation de l’espèce ont été adoptés en 2010 dans le Haut-Rhin et en 2011 dans le Bas-Rhin, indique la Ligue de protection des oiseaux (LPO) d’Alsace. Ces arrêtés visent à limiter les dérangements de l’oiseau sur la faune locale, peu armée pour se défendre contre l’intruse, souvent agressive en période de reproduction-». Les nids utilisés sont ceux de la cigogne blanche, du milan noir ou de la corneille noire, au besoin en évinçant d’abord les occupants.
Cependant, «-l’impact est minimisé par la propension de l’espèce à choisir des sites de nidification peu attractifs pour les espèces indigènes : bassins de récupération des eaux, petits étangs de pêche privés et autres sites artificiels. Mais son agressivité peut poser problème vis-à-vis de l’avifaune indigène, que ce soit lors du choix des nids ou lors de la défense de son territoire. Dans ce cas, il y a une possible interaction négative avec les divers oiseaux d’eau locaux-», estime la LPO alsacienne.
En Allemagne, l’ouette est citée parmi les espèces introduites susceptibles d’impacts écologiques ou économiques, en considérant un niveau de population élevé : recul de la végétation bordant les plans d’eau, destruction des habitats de ponte des poissons, eutrophisation par rejet de fientes des petits plans d’eau avec pour conséquence la perte de leur biodiversité (invertébrés, batraciens…).
Ce sont donc essentiellement le caractère invasif et l’agressivité de l’ouette d’Égypte à l’égard des autres espèces qui peuvent préoccuper les autorités, qui ont dû envisager des mesures de régulation face à la vitesse de propagation de l’ouette d’Égypte : dans les années 2000, la population européenne d’ouettes d’Égypte, estimée à environ 10.000 couples, était cantonnée pour l’essentiel dans les pays frontaliers du Nord et de l’Est de la France. Cette population européenne est estimée en 2010 à 71.000 individus et 15.000 couples.
Impossible de dire d’avance comment sa présence va évoluer dans la carrière de Freyming-Merlebach. On a un recul de deux ans et, en cas de péril, les gestionnaires de la réserve sauraient comment réagir. Mais en l’absence d’enjeu, personne n’a le doigt sur la gâchette.
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
avec Serge Kottmann photo
Publié le 15 avril 2014
Les données compilées dans cet article
sont issues du n° 296 – 3e trimestre 2012
de « Faune sauvage »
sont issues du n° 296 – 3e trimestre 2012
de « Faune sauvage »
A Freyming-Merlebach, la famille s'est agrandie
Sur l'étang du Bischwald...
Atterrissage d'une ouette sur l'étang du Bischwald, à Bistroff (Moselle), photographiée en cinq phases par Olivier Henrion.
... et à Bliesbruck
Une ouette d’Égypte (il y en a plusieurs sur ce plan d'eau) en compagnie d'un cygne, sur l'étang de Bliesbruck (Moselle), proche du Parc archéologique européen, photographiée par Jean-Marie Guzig.
5 commentaires:
Beau travail de recherche et d'information sur cette espèce préoccupante ou tout simplement "Occupante" de ce bel endroit . Belle photo .
Superbe article en collaboration, merci de l'info en plus du style.
L’ouette d’Égypte (Alopochen aegyptiaca) appartient à la sousfamille des Tadorninés, qui comprend notamment les tadornes.
Le terme « ouette » est un nom vernaculaire ambigu en français qui situe ces oiseaux entre les oies et les tadornes. Les ouettes ne sont donc pas des oies, même si elles leur ressemblent.
Un bel article, instructif et bien documenté ... à défaut d'être sympathiques, elles sont belles, les ouettes d'Egypte, sur cette photo. Merci, ami Sylvain. Félicitations au photographe, au passage.
Superbe article. Merci Sylvain.
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