mardi 1 octobre 2013

TROP D'IMPÔT TUE L'IMPÔT

RAS-LE-BOL FISCAL
Que n'ont-ils relu Vauban !

Trop d’impôt tue l’impôt, c’est ce que soulignait déjà le stratège de Louis XIV dans sa proposition de Dîme royale. Relecture édifiante, face au ras-le-bol fiscal de ceux qui subissent les hausses d’impôts et la surprise fiscale de ceux qui se découvrent contribuables depuis cette année…





La Dîme royale a été écrite au château de Bazoches (Nièvre) 


La majorité des Français ne croit pas à une “pause fiscale” après les couacs du gouvernement sur le sujet, selon un sondage réalisé par BVA pour I Télé, CQFD et Le Parisien auprès d'un échantillon représentatif d'un millier de personnes. Sept personnes interrogées sur dix ne pensent pas que la promesse faite par François Hollande sera tenue, selon ce sondage paru le 21 septembre. « Les Français apparaissent incrédules, non seulement sur le calendrier mais sur la possibilité même que cette pause survienne », explique BVA. Le président de la République avait assuré que le temps était venu de faire une “pause fiscale”, mais dans la foulée, son Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait reconnu qu'elle ne serait effective qu'en 2015.

À cette incrédulité s’ajoute un sentiment d’injustice. Huit personnes sur dix trouvent que le système fiscal français est injuste. « Les Français de gauche comme de droite le pensent majoritairement (61% à gauche, 94% à droite) et, si, l'on s'intéresse aux revenus des ménages, toutes les tranches éprouvent ce sentiment », détaille le sondage. BVA souligne que c'est en particulier le cas pour les personnes gagnant entre 2.500 et 3.500 euros par mois qui sont concernées, c'est-à-dire le cœur de la classe moyenne.


À l’époque de l’année  où les feuilles tombent, le dossier fiscal «-est en train de pourrir la vie de la majorité au pouvoir-», écrit Nicolas Beytout dans un édito particulièrement incisif  du journal libéral L’Opinion du 19 septembre : «-Comme une malédiction des débuts de mandat, le dossier fiscal est en train de devenir le boulet du quinquennat. Qu’ils baissent les impôts, comme Jacques Chirac avec l’impôt sur la fortune en 1986 et Nicolas Sarkozy avec son bouclier fiscal, ou qu’ils les augmentent comme la gauche aujourd’hui, nos gouvernants se retrouvent vite enfermés dans un piège redoutable : une fois enclenchée, la mécanique fiscale devient très difficile à contrôler. Et ses conséquences politiques sont dévastatrices-».

Entre 1,2 million et 1,6 million de foyers supplémentaires vont payer l'impôt sur le revenu en 2013, soit une augmentation de 10%, indique ce quotidien, en précisant que les classes populaires seraient touchées en priorité avec un effet en cascade «
-dévastateur-» : «-lorsqu'un foyer bascule dans l'impôt sur le revenu du fait d'une augmentation de son revenu fiscal de référence, il devient éligible à une douzaine de nouvelles taxes" (redevance audiovisuelle, taxe d'habitation...)-».

Pour sa part, Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, signe dans Le Monde daté du 20 septembre, une tribune signée «
-Ras le bol du “ras-le-bol fiscal”!-». «-Entre 2000 et 2010, les baisses d'impôts ont atteint 120 milliards d'euros, selon Gilles Carrez, député UMP. Elles n'ont eu aucun effet sur la croissance et ont mis à terre les finances publiques, écrit-il. La majorité précédente a attendu 2011 pour changer de cap, supprimer le bouclier fiscal et élever les impôts. La gauche au pouvoir n'a fait que poursuivre le mouvement. En 2012 et 2013, les augmentations de prélèvements ont atteint 50 milliards, dont 30 milliards pour le budget de l'Etat ». « C'en était déjà trop, résume Louis Maurin. À la fin de l'été, la réception des feuilles d'impôt sur le revenu a servi de support à la construction de l'opération “ras-le-bol fiscal”, lancée par le ministre de l'Économie Pierre Moscovici. Il aurait passé ses vacances à entendre ses proches se plaindre. Il a provoqué un concert médiatique anti-impôts-»…
 

Résoudre les injustices

 

Que n’ont-ils (nos gouvernants) relu les mémoires de Vauban sur la Dîme royale où le bâtisseur de fortifications  préconise l'égalité devant l'impôt. Il propose à Louis XIV une audacieuse réforme fiscale pour tenter de résoudre les injustices sociales et les difficultés économiques des «
-années de misère-» (1692,1693 et 1694), années épouvantables de disette alimentaire de la fin du règne du Roi Soleil.







La proposition de Vauban, appuyée sur une étude minutieuse de l’économie, des provinces et de la situation démographique du royaume supprime d’un seul coup «-la taille, les aydes, les doüanes d’une province à l’autre, les décimes du Clergé, les affaires extraordinaires et tous autres impôts onéreux et non volontaires et diminuant le prix du sel de moitié et plus, produiroit au Roy un revenu certain et suffisant, sans frais, et sans être à charge à l’un de ses sujets plus qu’à l’autre, qui s’augmenteroit considérablement par la meilleure culture des terres…-».

Son projet efface tous ces impôts que le système féodal avait accumulés sur les populations rurales en faveur des nobles et des prêtres. La dîme royale ferait disparaître en même temps le privilège qui permettait aux classes dites supérieures de ne pas contribuer aux charges de l'État. On imagine leur enthousiasme à la lecture de ces propositions !

Vauban recommande au roi un système plus équitable, celui d’un impôt unique payable par tous. Pour Louis XIV le défi est de taille. Il est surtout vivement contesté par les privilégiés. Le roi fera mettre la Dîme royale au pilon, au motif que le texte a été publié sans autorisation. Si Vauban n’est ni inquiété, ni disgracié par son souverain, deux arrêts du Conseil d’État, en février et mars 1707, prononceront la saisie de l’ouvrage.

À Bazoches, dans le Morvan, une commune connue pour le château du même nom où a résidé Vauban, la vitrine d’une bibliothèque présente un livre d’époque ouvert sur une préface expliquant «
-le dessein de l’auteur-» et donnant l’abrégé de la Dîme royale.

Vauban, à la fois ingénieur, architecte militaire, urbaniste, hydraulicien et essayiste, est en avance sur son siècle. Son discours, dit-il, «-... n'est fait que pour inspirer, autant qu'il m'est possible, la modération dans l'imposition des revenus de Sa Majesté-». Il commence donc «-par définir la nature des fonds qui doivent les produire tels que je les conçois.  Suivant donc l'intention de ce système, ils doivent être affectés sur tous les revenus du royaume, de quelque nature qu'ils puissent être, sans qu'aucun en puisse être exempt, comme une rente foncière mobile, suivant les besoins de l'Etat, qui serait bien la plus grande, la plus certaine et la plus noble qui fût jamais, puisqu'elle serait payée par préférence à toute autre, et que les fonds en seraient inaliénables et inaltérables-». Et Vauban d’insister : «-Il faut avouer que si elle pouvait avoir lieu, rien ne serait plus grand ni meilleur ; mais on doit en même temps bien prendre garde de ne la pas outrer en la portant trop haut...-»

En une phrase d’une réelle modernité : il ne faut toucher aux impôts qu’avec une main tremblante. Vauban demande que toutes les personnes qui habitent le royaume supportent les charges publiques, en proportion de leurs revenus, sans distinction de classes. Prenant comme principe l'égalité de tous les Français devant l’imposition unique, son projet d’administration fiscale repose sur une double base
-: la propriété foncière et immobilière (on lève un dixième, un quinzième ou un vingtième des revenus, suivant les lieux et les circonstances) et les revenus du commerce et des manufactures (sur lesquels on prélève une certaine somme). Puis, viennent quelques impôts complémentaires, ceux que Vauban propose d'établir sur les titres de noblesse, sur la dorure des habits, sur les pierreries, sur les objets de luxe... Le nouveau système diminuerait de plus de moitié les charges qui pesaient sur le peuple, et les revenus de l'État se trouveraient considérablement augmentés.

Comme il fallait s’y attendre, la Dîme royale mécontenta les privilégiés et les fermiers généraux qui bénéficiaient de l'affermage des différents impôts existants. Des exemplaires du livre interdit circulèrent sous le manteau et à la mort de Louis XIV, le marquis d'Argenson, président du conseil des finances sous la Régence (période instaurée au décès du Roi Soleil), tenta de remettre à l’ordre du jour la fiscalité proposée par Vauban, mais il fut obligé d’y renoncer devant une nouvelle bronca des plus fortunés.

La Dîme royale est un texte fiscal dont le célèbre économiste austro-américain du XXe siècle Joseph Schumpeter dira qu’il «
-atteint des sommets rarement égalés-». Vauban avait pressenti qu'il ne fallait pas «-porter la dîme trop haut-». Trop d’impôt tue l’impôt. N’est-ce pas la clameur qui domine le brouhaha actuel ?

Ce tumulte, qui ne règle rien, ajoute au mécontentement que chacun semble mâchonner dans son coin. La cote de popularité du président de la République vient de chuter de cinq points, à 23-% en septembre.  «
-Nul besoin d’être grand clerc pour percevoir qu’aujourd’hui le pays se trouve, à nouveau, au bord de grandes secousses-» avertit Jacques Attali dans son dernier livre Urgences françaises [Fayard, 2013, p. 116-118] renvoyant aux réformes manquées, aux frustrations et peurs diverses.

La France s’installe dans un déni de réalité, selon lui. Les jeunes commencent à comprendre «
-qu’ils auront à payer la triple dette que leur laisse la génération triomphante des baby-boomers : la dette publique qu’il faudra rembourser; leurs retraites qu’il faudra financer; et le dérèglement climatique qu’il faudra supporter. Quand ils prendront vraiment conscience que les hommes politiques de tous les partis ont servi, et servent encore, avant tout les intérêts de ces générations bénies des cieux, quand ils réaliseront que les syndicats servent d’abord les intérêts de ceux qui ont un emploi, les jeunes ne se contenteront pas d’un vote de protestation : ils quitteront le pays ou descendront dans la rue-»… Ce sont les contribuables de demain.



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



Publié le 26 septembre 2013



Liens externes :

- L'Opinion
- Le Monde



Dans l'intimité de Vauban

C'est à Bazoches que Vauban écrivit l'audacieuse " Dîme Royale " dont la diffusion fut aussitôt interdite. Constamment sur les routes ou au travail, il n'a guère pu goûter la vie de famille dans son château du Morvan (photos personnelles).











3 commentaires:

Patricia Moreau a dit…

Vauban est surtout connu comme architecte et grand bâtisseur du Soleil. Peut-être que nos gouvernants n'ont même pas lu " la Dîme royale ", texte avant-gardiste déjà en son temps, mais gênant pour les classes privilégiées qui n'ont pas envie de perdre leurs privilèges ! Alors on pratique la politique de l'autruche, comme au temps de Louis XIV. Quand il s'agit d'argent, tous les coups sont permis... et les caisses de l'état sont vides, en France. Soixante années de gaspillage et de gestion aléatoire, c'est beaucoup, en termes de temps et d'argent.
Louis XIV a réunifié la France, il en a fait un état militairement solide. Mais à sa mort, le pays était au bord de la banqueroute. Des obsèques discrètes, dans l'indifférence générale. Un peuple soulagé... en quête d'une France meilleure, et surtout plus juste.
Trois siècles plus tard, le pays a changé, évolué. L'injustice sociale et fiscale demeure. Nos scientifiques et nos chercheurs quittent le pays, découragés, désabusés. Nos jeunes sont désenchantés. Ils nous reprochent de leur laisser en héritage un avenir incertain. Une planète souillée. Profils bas, visages sombres. La sinistrose est de mise, et point de solution en vue.
France, qu'as tu fait de tes lumières et de tes talents ?

Anonyme a dit…

Très intéressant ce parallèle de 3 siècles d'écart: les pensées respectives ne semblent pas si différentes...
Qui sont les privilégiés d'aujourd'hui assez influents pour déterminer l'action de l'Etat?
Peut-être y a t'il une piste dans un rapport sénatorial d'il y a 2-3 ans: 50% des PME paient l'impôt sur les sociétés. Mais seulement 5% des grandes sociétés implantées en France paient ce même impôt!
Christian



Sylvain Post a dit…

AFP, lundi 14 octobre 2013.- Les Français ne rejettent pas dans leur majorité le principe de l'impôt mais trouvent qu'ils en paient trop, selon un sondage Ipsos Public Affairs publié lundi par Le Monde, BFMTV et la Revue française des Finances publiques.

Selon cette étude d'opinion, une majorité de Français (57%) estime qu'il s'agit d'un acte citoyen de payer ses impôts, notamment l'impôt sur la fortune (ISF), l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu ou encore les taxes sur l'alcool ou le tabac.
Ces personnes estiment également que les impôts permettent de maintenir un service public significatif ou un haut niveau de protection sociale mais 25% jugent qu'aucune de ces raisons de les justifient.

Pour les 43% restants, payer ses impôts n'est pas un acte citoyen et plusieurs catégories de prélèvements comme la TIPP, la CSG ou encore les droits de succession apparaissent injustifiées.

Même si une majorité accepte le principe des impôts, 72% les jugent trop élevés et pesant trop sur les classes moyennes. De plus, 74% estiment qu'ils contribuent plus au système qu'ils n'en retirent d'avantages.

Sondage réalisé du 7 au 10 octobre 2013 auprès de 967 personnes interrogées par internet selon la méthode des quotas, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.