vendredi 20 septembre 2013

LE DÉFI DES PME DANS L'EST-LORRAIN


Bassin houiller : « La croissance reviendra »

Un vibrant “Glück auf !” aux anciens mineurs du siège de Merlebach, en ce 20 septembre 2013.  Il y a dix ans, jour pour jour, ils remontaient le “dernier charbon”. Ni fête, ni discours aujourd’hui. Mais une réflexion cruciale sur l'avenir, dans les rangs des décideurs.




L'adieu au charbon, à Freyming-Merlebach, le 20 septembre 2003
 © HBL/Audiovisuel - droits réservés



Les déclarations qu’on aimerait entendre à l’occasion de cet anniversaire, sont celles d'un discours sur un possible retour de la croissance à l'échelle d'un territoire où la destruction des Houillères doit impérativement céder la place à l’innovation. Par un hasard du calendrier, trois jours plus tôt, le 17 septembre, la Conférence des décideurs 2013 de Moselle-Est, sous l’égide de la Chambre de commerce, d’industrie et des services territoriale de la Moselle, et des réseaux de dirigeants locaux et transfrontaliers, a permis d’écouter l’économiste Nicolas Bouzou, invité à Forbach par la CCIT. «-Si vous n’aimez pas la croissance, j’ai une mauvaise nouvelle : le monde va connaître une vague d’innovations-». Tels furent ses premiers mots.

Dans la vision de Joseph Schumpeter, économiste du milieu du XXe siècle, connu pour ses théories sur les fluctuations économiques, la «-destruction créatrice-», correspond au processus continuellement à l'œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d'activité économique conjointement à la création de nouvelles activités. Ainsi fonctionne le monde : la croissance reviendra comme le pendule revient toujours à son point d’équilibre. Jusqu’à preuve du contraire, elle sera bénéfique pour le bassin houiller lorrain.

Alors, qu’est-ce qu’on attend pour porter aux nues les PME est-mosellanes ? Pour canaliser le dynamisme de la région vers les petites et moyennes entreprises appelées à surfer sur la vague de l’innovation qui, selon les affirmations des experts, viendra quoi qu’il advienne ? Portée par les entrepreneurs, l’innovation est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. C’est une constante, assurent les spécialistes.

Selon ce pronostic, le bassin houiller lorrain, au cœur de l’Europe, et depuis longtemps émancipé en termes de relations transfrontalières, redeviendra un pôle de croissance. Avec ces mots à la bouche, on serait loin des effets de langage qui consistent à qualifier la région d’ex-bassin houiller lorrain ou d’ancien bassin houiller lorrain, comme l'ont fait récemment certains documents officiels. Si peu poétiques, ces expressions marquent une volonté de “tourner la page” (expression consacrée) de l’industrie charbonnière. C’est une prise de distance avec le passé pour mieux se positionner face aux urgences françaises. Répudier l’appellation  “bassin houiller lorrain” est cependant une clause de style maladroite qui va contre la nature géologique d’un territoire assis sur des réserves de 630 millions de tonnes de charbon.

L'application du principe de Schumpeter au bassin houiller aboutit à la conclusion suivante : c'est parce que la région charbonnière a vécu la destruction de l’ordre économique antérieur, qu’elle verra naître des activités nouvelles. Lesquelles ?  «-L’Europe redeviendra un pôle de croissance-» a martelé  Nicolas Bouzou. Le monde, selon lui, va connaître «-un tsunami-» avec la montée des NBIC :

- N comme nanotechnologies : c’est la capacité de travailler au niveau du nanomètre (milliardième de mètre), avec une précision quasi atomique ;
- B comme biologie : là, on agit sur le vivant en profondeur, directement sur l’ADN puisqu’on sait lire le génome c’est-à-dire l'ensemble du matériel génétique d'un individu ou d'une espèce codé dans son ADN;
- I comme informatique : la puissance des microprocesseurs double tous les 18 mois ;
- C comme cognition : c’est étude des mécanismes de l’esprit. Elle englobe les progrès dans les neurosciences, mais aussi une compréhension plus abstraite, qui pourrait permettre la création d’intelligences artificielles.

Devant un public de dirigeants d’entreprises et de quelques trop rares politiques (le monde économique a besoin des politiques), Nicolas Bouzou a conseillé la relecture de Darwin, le naturaliste anglais dont les travaux sur “l'évolution des espèces” ont révolutionné la biologie. «-Remplacez, dit-il, le mot “espèces” par PME. La leçon de Darwin est la capacité de saisir les changements et de s’y adapter-».

En d’autres termes, les petites et moyennes entreprises qui s’adaptent le mieux sont celles qui multiplient les adaptations. Et il est plus facile d’être une PME qu’une grande entreprise. À ces dirigeants qui font la richesse du tissu économique renouvelé, de savoir prendre la vague et de surfer sur l’innovation. Il leur appartient de faire apparaître les forces de la Moselle-Est, où l’on garde en mémoire l'esprit d'innovation qui soufflait dans les bureaux d'études des Houillères et des industries connexes au profit du développement de technologies de pointe.

À la place des HBL, les NBIC ? Alors que les perspectives d’un retour à la croissance demeurent extrêmement fragiles, c'est un discours très optimiste, mais préférable à un éloge passéiste des “Trente glorieuses” (1945-1973) qui n’inspirerait que vague à l'âme et nostalgie.


S.P.



L'avertissement de Jacques Attali


«-Quand, dans trois ou quatre ans au plus tard, la croissance mondiale reviendra, nous ne serons pas à même d'en profiter. Faute de compétitivité, de produits nouveaux, d'adaptation aux changements, du fait de notre crispation sur les rentes, le basculement du monde vers le Pacifique et l'Afrique nous laissera à l'écart de la prospérité du reste de la planète-», avertit Jacques Attali dans son dernier livre Urgences françaises [Fayard, 2013, p. 128]. Selon lui, «-Comme souvent, nous serons une nouvelle fois les derniers à rejoindre le cycle haussier, et les premiers à plonger dans la récession suivante. Le chômage ne se réduira pas, sinon par la manipulation des statistiques et par le jeu de la démographie-». Piètre consolation : nous ne serons pas les seuls à être emportés dans cette récession : toute l'Europe le sera avec nous, estime Jacques Attali.

Souvenons-nous que la Chambre de commerce, d'industrie et des services territoriale a appelé Jacques Attali au chevet du département de la Moselle. Exprimant son inquiétude sur l’ampleur des difficultés socio-économiques auxquelles la Moselle doit faire face, le président de la chambre de commerce et d’industrie insiste, dans le magazine de la CCIT, «-sur la nécessité et l’urgence d’un sursaut collectif de l’ensemble des acteurs publics-».

Les travaux de réflexion de la CCIT, qui est auprès des pouvoirs publics le représentant des intérêts généraux des entreprises des secteurs de l’industrie, du commerce et des services, ont pris la forme d’un diagnostic prospectif du territoire assorti de propositions d’actions. A l’initiative de son président, un comité d’experts présidé par Jacques Attali s’est réuni à Metz à la mi-mai afin
«-d’identifier les grands projets, ceux dont l’effet levier sur le développement du territoire est de nature à permettre à la Moselle de retrouver le chemin de la croissance-».

Quant au gouvernement, précise le président de la chambre de commerce, d'industrie et des services dans le magazine du mois de juin 2013, il a décidé de mettre en œuvre en Lorraine, dans le cadre d’un contrat particulier État-Région Lorraine 2014 / 2016, un pacte de compétitivité régionale
«-afin de répondre à l’importance de l’enjeu. Celui-ci est en cours d’élaboration – il sera finalisé dans les toutes prochaines semaines – à partir des contributions des différents acteurs publics du territoire, dont celle de notre CCIT, qui a été établie en tenant compte des douze recommandations stratégiques pour la Moselle de Jacques Attali et des experts qu’il a rassemblés autour de lui-».


Aucun commentaire: