samedi 23 février 2013


IL Y A CINQ ANS...
Séisme à la mine


Le 23 février 2008, un séisme de magnitude 4,3 ressenti dans un rayon de 30 kilomètres, provoqua des dégâts matériels à Saarwellingen, près de Sarrelouis. Cette secousse sismique donna au gouvernement du Land, appuyé par Angela Merkel, le prétexte à la fermeture des mines de la Sarre.



Photo symbolique / image d'archives d.r.


« L'exploitation du charbon en Sarre est terminée », affirma Peter Müller quatre jours après l’événement, dans une interview au quotidien Süddeutsche Zeitung mise en ligne le 27 février. « Il n'est pas possible de maintenir une industrie qui met en danger la vie d'autrui », ajouta le ministre-président. 

La décision intervint après le séisme de magnitude 4,3 qui causa de nombreux dégâts un samedi après-midi à Saarwellingen. Selon les experts, la rupture des bancs de grès au-dessus d’anciennes zones d’exploitation, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, avait provoqué le séisme. Le 35e et le plus important de cette année-là. 

Ainsi, la secousse sismique donna au gouvernement du Land, appuyé par Angela Merkel,  le prétexte à la fermeture de la dernière mine de la Sarre, le 30 juin 2012, alors que l’arrêt était programmé pour 2018, au plus tard. Selon les syndicats, 10 000 emplois étaient concernés.





« Un moment de rupture historique », souligna Klaus Brill dans la Süddeutsche Zeitung au lendemain de l’annonce. Dans son analyse, reprise par Courrier International, le 28 février 2008, ce journaliste allemand observa qu’ « il n'est pas si fréquent que les événements que nous vivons, ou du moins dont nous prenons connaissance dans les nouvelles du jour, marquent l'Histoire. Or, dans le cas de la secousse sismique  qui a ébranlé ce que l'on appelle – en Sarre – la veine "Primsmulde", c'est toute une époque qui a sombré dans les puits de la dernière mine de charbon. Cette matière première, qui posa en Sarre, dans la Ruhr et en Silésie les jalons de la révolution industrielle dans l'Allemagne du XIXe siècle, a définitivement vécu comme produit de l'extraction locale. Elle ne sert plus que d'exemple du changement inévitable qui frappe les sociétés modernes ».




L’église de Saarwellingen.
Le 35e séisme de l’année a sonné le glas du charbon sarrois 
Photo DPA


La population locale, exaspérée par les dégâts miniers, approuva largement l’accélération du processus de fermeture des mines de la Sarre. Le 23 février 2008, rassemblés devant leur église endommagée, les habitants de Saarwellingen avaient le visage marqué par l'abattement. Le séisme avait fait tomber de vieilles cheminées à l'extérieur, des horloges ou des tableaux à l'intérieur des maisons.  C’est  l’édifice religieux qui fut le plus touché. 

Pour la Süddeutsche Zeitung, « Un simple tremblement de terre, effet secondaire d’exploitations souterraines, prive de sens tous les nobles efforts entrepris pour sauver les emplois [des mines de charbon] ». « En termes de prix, le charbon allemand n'était plus compétitif sur un marché mondial rendu plus accessible par de nouveaux navires de commerce », note Klaus Brill, ajoutant : « De nouvelles sources d'énergie, comme le pétrole et l'atome, se développèrent. Il était donc évident, pour qui était clairvoyant, que la Sarre et la Ruhr devaient redéfinir leur avenir. À coups de milliards de subventions, on ne pouvait que ralentir la chute de l'industrie du charbon, et on voit aujourd'hui à quel point il était erroné de retarder ce processus ».

Selon le quotidien allemand, « on ne saurait faire l'économie d'une réflexion critique. Il faut se demander s’il n’avait pas mieux valu aider les malheureux qui perdent désormais leur poste en leur conseillant, il y a vingt ans, de trouver un autre travail. Pour cela, il fallait faciliter les possibilités de reconversion, ce qui a été fait en partie. Dans la Sarre, le changement a été mis en branle à l'aide d'énormes investissements financiers. Les prestations de services représentent aujourd'hui la plus grande partie de son activité économique, et le fait que Sarrebruck constitue un pôle d'entreprises de logiciels modernes et d'instituts informatiques de premier rang est clairement une réussite ». 

Pour la Süddeutsche Zeitung, c’est le système des subventions publiques qui doit être fondamentalement repensé : « Ce ne sont pas les milliards de l'Etat, qui proviennent avant tout des impôts payés par les salariés et la classe moyenne, qui sont nécessaires, mais des analyses précises, de bonnes idées et un courage politique. Car tous les milliards de l’État ne parviennent pas à interrompre des processus historiques ». 




Le « coup de charge » mortel de Merlebach


En Lorraine, le  21 juin 2001, peu avant 21 h 55 (heure locale), une secousse sismique de magnitude 3,7 fut ressentie dans le bassin houiller. Elle provoqua d’importants dégâts mais surtout la mort d’un homme de 39 ans, père de trois enfants qui travaillait au fond, à Freyming-Merlebach, entre les étages – 1 250 et – 1 140 m. Huit de ses camarades furent plus ou moins grièvement blessés.



Le sismogramme du 21 juin 2001, à 19 h 55 (temps universel) :
 Merlebach, latitude 49.16 N, longitude 6.82 E,
séisme de magnitude 3,7

Document RéNass


La direction des HBL communiqua sur un coup de charge, phénomène «-habituellement sans conséquence-» qui équivaut à une libération brusque d'énergie accumulée par les contraintes exercées sur les roches. La secousse souleva brusquement le sol de la voie de base de la taille Frieda 5. Une trentaine de mineurs travaillaient dans ce secteur. 

« Les experts ne peuvent dire s’il s’agit d’un tremblement de terre qui a provoqué ce coup de charge ou s’il s’agit d’un phénomène dynamique relativement fréquent qui a provoqué cette secousse » ont écrit la plupart des journaux. L’actualité du jour chassant celle de la veille, les conclusions ultérieures des spécialistes ne furent reprises par aucun média, semble-t-il.

L’événement ne figure pas sur la liste officielle et publique des faux-séismes et des séismes douteux. Il s’agirait donc d’un vrai séisme dont l’épicentre se situait « à cinq kilomètres à l’est du puits », d’après l’Institut de physique du Globe de Strasbourg, et « à quinze kilomètres au sud de Sarrebruck », selon la police allemande.

Le séisme tragique du 21 juin 2001 est celui qui a eu le plus de retentissement au sein de la population. Mais il avait été précédé de deux secousses plus fortes encore, de même magnitude (3,8 précisément), le 1er mai 1986 et le 19 mai 1992, dans le secteur de Freyming-Merlebach. Le premier était un coup de toit minier consigné comme tel sur la main-courante des faux séismes et des séismes douteux. Le second a été attribué à un effondrement minier.

Au total pour Freyming-Merlebach et ses environs, 53 secousses de magnitude égale ou supérieure à 3 ont été enregistrées en 22 ans, entre janvier 1990 et décembre 2012.
Parmi ces phénomènes, il est difficile pour un néophyte de faire la différence entre un séisme d’origine tectonique, consécutif à une fracturation de roches en profondeur sans intervention de l’homme, et un “séisme induit” déclenché directement ou indirectement par des activités humaines ayant modifié le jeu des forces et contraintes géologiques.

La mine est un milieu qui bouge, un chantier nomade où la géologie conserve ses droits : quand on enlève le charbon, les terrains se remettent en place allant jusqu’à provoquer des secousses. Ainsi, des rééquilibrages micro-géologiques très localisés et le plus souvent imperceptibles pour l’habitant, vont de pair avec une activité minière de plus en plus productive et profonde, et le choix délibéré du foudroyage, méthode d’exploitation souterraine la moins coûteuse. Nettement moins coûteuse que le remblayage hydraulique.

L’appellation “coup de charge” (Rockburst en anglais) se réfère elle-même à des manifestations de nature assez différente. Schématiquement : les unes ressemblent à la sismicité naturelle, avec des bruits de craquements ; les autres correspondent à des ruptures brutales du toit, en taille.

Dans ce deuxième cas, « l’augmentation de la portance du soutènement a permis de maîtriser le problème dans les mines européennes de charbon » nous déclarait en 2005 un spécialiste du département géologie, géotechnique et topographie des Charbonnages de France. Mais ce type d’accidents frappe encore des mines, notamment en Inde ou en Australie. Celles exploitées à faible profondeur y sont particulièrement sujettes : le toit peut s’effondrer brutalement sur plusieurs hectares.

Quant au “coup de charge” rappelant la sismicité naturelle, il « est plus spécifique des mines profondes. Il existe effectivement un seuil de profondeur à partir duquel ces phénomènes sont susceptibles de dégénérer : il n’y a plus seulement la manifestation audible ou la secousse, mais le soutènement est endommagé, les terrains se déforment brusquement et sont parfois projetés ». Au temps de l’activité minière, l’épicentre a pu migrer en fonction de la progression des chantiers du fond ou se situer à proximité des failles géologiques connues.

Le spécialiste des Charbonnages estimait  en 2005, que 5 000 événements, pour la plupart de faible magnitude et sans dégâts considérables, ont été enregistrés, en seize ans, par le réseau sismique dans le secteur de Freyming-Merlebach. Il y en a eu d’autres, dont la seule manifestation sensible a été audible.

Le niveau à partir duquel la sismicité est perçue à Freyming-Merlebach varie. Les habitants la ressentent à partir d’une magnitude 2, parfois un peu moins. Les instruments mis en place par l’exploitant la traduisent à partir de 1,3 ou un peu moins parfois, et de 1,5 pour les sismomètres de l’Institut de physique du Globe.

En janvier 2005, deux secousses de magnitude 3,3 et 2,7 ont été ressenties dans les mines sarroises, suscitant des questions de part et d’autre de la frontière.

Est-il possible de dire pendant quelle durée l’événement sismique de Freyming-Merlebach se répétera encore ? « L’activité sismique s’est considérablement ralentie depuis la fin de l’exploitation, assurait ce spécialiste, en 2005. Un événement fort − mais moins que les secousses citées précédemment, très liées à l’exploitation – reste possible, mais paraît peu probable. Nous considérons que de tels phénomènes ne donnent généralement pas lieu à des dégâts en surface. À de simples chutes d’objets parfois ». 



Dispositif levé dans le bassin houiller lorrain 


Un an et demi après ces déclarations, une reprise de la sismicité dans le bassin houiller lorrain a coïncidé avec l’ennoyage des zones d’exploitation des Charbonnages de France. Interrogé sur le sujet,  il y a quelques jours, le BRGM résume la situation. Son directeur pour l’unité territoriale Est (UTAM-Est), Roger Cosquer, qui assure pleinement les fonctions d’opérateur technique de l’après-mine en Lorraine, Alsace et Franche-Comté, explique que « l’ennoyage du fond sur les concessions Sarre-et-Moselle et De Wendel couvrant les sièges de Sainte-Fontaine, Vouters, Reumaux, Wendel et Simon a débuté en juin 2006. Les premiers événements sismiques dus à l’ennoyage se sont produits fin juin 2006 ».

Concernant le suivi de la sismicité durant la montée de l’eau dans les anciennes exploitations, il précise qu’ « un réseau d’écoute sismique qui s’étendait de Hombourg-Haut à Forbach, assurait une surveillance en continu de la sismicité dans les secteurs Est et Centre du bassin houiller lorrain.

Au début du mois de septembre 2007, déclare-t-il, l’ennoyage du fond était réalisé jusqu’à l’étage 826. Les opérations effectuées en aval de cet étage, en particulier sur le “champ de Cocheren”, avaient été à l’origine des « premiers coups de terrain » ressentis par la population. Depuis l’arrêt des exhaures, jusqu’à l’ennoyage de cet étage, 13 événements sismiques dans le secteur De Wendel et Sarre-et-Moselle ont été enregistrés avec une magnitude variant de 1,6 à 2,7. Depuis septembre 2007, aucune secousse n’a été enregistrée, et les événements éventuellement ressentis n’avaient pas pour origine les exploitations du bassin houiller lorrain » assure Roger Cosquer.

Seules les personnes mal informées s’en étonneront : « L’absence totale d’événement sismique depuis cette date, a entraîné le démantèlement de l’ensemble du réseau mi-2009 », à la demande des pouvoirs publics. Mais la levée du dispositif que les Charbonnages avaient mis en place n’a pas entraîné l’abandon de toute surveillance.

En effet, pendant que la mine s’enfonce dans la nuit de son histoire, l’Institut de physique du Globe veille, comme auparavant, sur le territoire. Il le fait à travers le RéNass (Réseau national de surveillance sismique) basé à Strasbourg et qui fédère les réseaux régionaux de surveillance placés sous la responsabilité des observatoires des Sciences de l’Univers et de laboratoires CNRS-Universités.

Les experts se veulent rassurants. Depuis 2009, aucun séisme de magnitude égale ou supérieure à 2 n’a été localisé dans les anciennes mines mosellanes par le RéNass. Et bien que la mission des sismologues de Strasbourg s’arrête à la frontière, ils avaient, comme leurs confrères d’Outre-Rhin, enregistré une succession de cinq séismes de magnitude 2,5 à 3,6 dans le périmètre des dernières mines de la Sarre en janvier 2008. Un mois avant l’événement décisif de Saarwellingen.



Sylvain Post




Les données sismiques de cet article sont issues de la base du RéNass, à Strasbourg, y compris celles
concernant Saarwellingen (Allemagne). Selon le réseau français le séisme sarrois  était de magnitude 4,3
tandis que l’université de Cologne retenait une valeur de 3,8 ± 0,26 (arrondie à 4,0 par la plupart des médias).



Freyming-Merlebach, cœur du bassin houiller lorrain, en 1965.
Photo aérienne Gilbert Friderich



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