jeudi 9 août 2012

CHEVAUX DE TRAIT


Ma rencontre avec Elsa


Dans un sabir improvisé, j’essayai de calmer le jeu, au moins le temps
de prendre une photo. Je compris, ce jour-là, que l’homme
pouvait “ parler cheval ”




J’ai envie de vous raconter ma rencontre avec Elsa, il y a sept ans jour pour jour… à Thumeries, une localité qui rime avec Béghin et sucrerie, chez mon ami Joseph. Un homme délicat et à la fois dur au travail qui évita de me dire, lorsque je pris rendez-vous, qu’il venait d'avoir un ennui de santé. Qu'il acceptât de me rencontrer en pareilles circonstances ne fit que renforcer ma gratitude. Lors des préparatifs de mon livre Les chevaux de mine retrouvés , cet éleveur de “ trait du Nord ”, connu jusqu’à la Porte de Versailles, devint assurément un interlocuteur privilégié.

Après un bref échange autour d’une toile cirée et un café, nous voici sur le chemin de terre bordé de buissons blanchis d’aubépines,  pour rejoindre l’enclos des chevaux. Pêle-mêle, nous parlâmes  des mutations de notre société, de la  transmission des exploitations familiales et aussi de la réussite de l’industriel Ferdinand Béghin,  né à Thumeries comme le cinéaste Louis Malle, neveu du précédent.

Impatient, je hâtai le pas, l’appareil photo débarrassé de son étui, sans m’apercevoir que je distançai Joseph. Il n'avait pas encore retrouvé son rythme habituel. Imprudent, me voici seul de l’autre côté de la barrière. Joseph leva les bras : 

      - Attention ! Je ne sais pas comment Elsa va réagir…

Trop tard, les poulains vinrent sur moi, m’auscultèrent de la tête aux pieds et s’attardèrent à brouter le bas de mon jeans. Qui aurait pu m’empêcher de leur caresser l’encolure ! Elsa m’avait vu avant que je ne croise son regard. Elle sembla acquiescer. J’eus tout le mal du monde à prendre la photo. Un vrai carrousel. Dans un sabir improvisé, j’essayai de calmer le jeu, au moins le temps d’appuyer sur le bouton. Je compris, ce jour-là, que l’homme pouvait “parler cheval”. Et pourquoi  la majorité des gens disent aimer le cheval sans même l’avoir approché.

Elsa avait 13 ans, pesait 900 kilos, et mesurait 1 m 63 au garrot. Au-delà des mensurations, ce qui m’intéressait surtout c’est la naissance de ses jumeaux en mai 2005, événement rare dès lors que les poulains arrivent à survivre tous les deux.

Avec Joseph, la discussion porta sur l'apprentissage des jeunes chevaux :
      
    - Pour le débourrage au collier, je ne les entreprends jamais avant 18 mois et je les dresse à la voix quand ils sont mûrs, à 4 ans.

Le  dressage commence par un exercice simple.
     
    -  La première séance se passe plus ou moins bien. Une fois le collier placé, le poulain doit avancer à côté d'un cheval expérimenté, le cheval de main.

On lui fait tirer un traîneau ou une traverse de chemin de fer. Le poulain entend le tohu-bohu et perçoit la résistance de la charge… Il s’agite. Mais le jeune cheval est lié au palonnier de son aîné et ne rencontre, de sa part, qu’indifférence et constance, tandis que son maître tient sans équivoque un cordeau de rappel. Aucune confusion ne vient s’immiscer dans le scénario . Les choses se calment d’elles mêmes. 
L'attitude du conducteur est déterminante. A lui d'instaurer une relation hiérarchique. Le cheval est né avec une compréhension instinctive de ce principe : le charretier doit être le numéro un, il doit être le numéro deux.

     - Le cheval doit craindre son conducteur, pas en avoir peur. Dresser n’est pas "casser". Une domination douce ainsi qu'une façon cohérente de le manier lui commanderont de respecter son conducteur. En contrepartie, le cheval doit sentir qu'il est en sécurité avec lui. Le poulain entend  tous les ordres, poursuivit Joseph.

Au bout de quelques mois il sait parfaitement ce que l'on attend de lui. A deux ans, le temps est venu de le faire travailler seul, avec un cordeau de rappel. Autrefois, tous les chevaux travaillaient tous les jours. C'était un avantage, car un cheval c'est comme un sportif, il lui faut de l'entraînement : de la musculature et du souffle, de l'épaule pour tirer.

Le trait du Nord a été choisi pour la mine en raison de son caractère et de sa taille : carré, puissant, très rassemblé, bien membré, le rein court, la tête basse et l’épaule droite du tractionneur.

    - C'est la force tranquille. Sa qualité première est d'être docile, d'une bravoure exceptionnelle et d'une incroyable intelligence. Il ne se distrait pas. Bref, c'est un cheval "bien dans sa tête". Vous lui faites voir les choses une fois, c'est enregistré.
Il sait.

Elsa, la mère courage des jumeaux, l’année même de leur naissance, avait fait forte impression lors d’une compétition d'attelage. Bien qu’elle ne fût pas conduite par son éleveur, mais par un meneur de concours, elle avait triomphé aux épreuves de maniabilité. En digne représentante de la race des chevaux de mine.


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur








1 commentaire:

Denis T. a dit…

Bel article Sylvain, ta passion se partage !