samedi 7 avril 2012

MÉTALLOS DE FLORANGE



Le fer de la Tour Eiffel


Partis le 28 mars de Moselle, les salariés de l'aciérie ArcelorMittal ont terminé leur «marche de l'acier», vendredi 6 avril, en arrivant à Paris. En neuf jours, les marcheurs au nombre d'une vingtaine, ont donc parcouru plus de 300 kilomètres pour finir, symboliquement, sous la Tour Eiffel. Ils ont rappelé que les poutrelles et autres pièces du monument de la Capitale avaient été produites en Lorraine. Commentaires





«Défendre leurs emplois auprès des populations», expliquaient les métallos de Moselle au moment de leur départ. Un objectif visiblement atteint, pour Edouard Martin, délégué CFDT. «L'idée était de nous battre pour sauver notre usine en danger et des milliers d'emplois. On a eu un vent de sympathie extraordinaire et on s'est rendu compte que notre combat dépassait largement les frontières de Florange, ce fleuron de l'industrie», a t-il déclaré à son arrivée.
 
Après la fermeture de Gandrange, en 2009, Florange est devenu un symbole et un enjeu, alors que la campagne présidentielle bat son plein. En engageant leur bras de fer pour préserver le maintien du site et les quelque 2 500 CDI, dont plusieurs centaines sont aujourd'hui en chômage partiel, les syndicats avaient promis de faire de Florange «le cauchemar du gouvernement» si les deux hauts-fourneaux de l'aciérie, en sommeil depuis plusieurs mois, n'étaient pas remis rapidement en route. Cette mise en veille, «l'arrêt de mort du site» selon eux, n'est que temporaire assure ArcelorMittal et due à la demande mondiale d'acier en berne.

Au-delà de ce combat, l’actualité permet d’évoquer le gisement ferrifère lorrain qui renferme encore presque autant de minerai qu’il en a produit.

Mais d’abord une précision. Comme l'ont indiqué les métallos de Florange
, les éléments de la Tour Eiffel ont été fabriqués en Lorraine, en Meurthe-et-Moselle plus précisément, car la Moselle, après son redécoupage, se trouvait rattachée à la Prusse à l’époque de la construction (1887-1889) de la Dame de fer du Champ de Mars

Conséquence de la défaite française lors de la guerre de 1870-1871, le traité de Francfort (10 mai 1871), modifia profondément les frontières de la Moselle. Celle-ci fut  amputée de l’arrondissement de Briey, tandis que ceux de Sarrebourg et de Château-Salins lui furent rattachés. Ce traité façonna profondément l’identité de la Moselle et son particularisme.

La production des mines de fer mosellanes bénéficia donc à la Prusse. C’est le bassin de Nancy, resté à la France, qui produisit le minerai dont sont issues les poutrelles du monument. Les 6 millions de visiteurs qui escaladent annuellement la Tour Eiffel ne savent pas forcément que celle-ci a été construite, non pas en acier au sens actuel, mais en fer puddlé provenant des usines de Pompey (Meurthe-et-Moselle).
 

Ça ne change rien au combat des métallos... Mais rappelle au moins une chose : si la géologie ne connaît pas les découpages politiques, la stratégie des États intègre les richesses du sous-sol !

Le bassin ferrifère lorrain a livré son minerai pendant un siècle et demi. Sur 1 700 kilomètres carrés ont été extraits 3,1 milliards de tonnes de minette (1,2 milliard de mètres cubes), laissant de multiples cavités (40 000 km de galeries ont été tracés) partout où les mines n’ont pas été volontairement effondrées.

De la frontière belgo-luxembourgeoise jusqu’à Nancy, avec une discontinuité à hauteur de Pont-à-Mousson, le gisement ferrifère lorrain s’étend sur 120 km du nord au sud. Sa largeur est de 30 km au maximum. Il affleure au bord de la vallée de la Moselle ou de ses affluents de la rive gauche, et plonge vers l’ouest pour atteindre 260 m de profondeur à la limite de la zone concédée.

Au Jurassique, le fer transporté sous forme dissoute dans la mer qui recouvrait la Lorraine jusqu’aux reliefs émergés des Vosges et des Ardennes, précipita en oxydes et forma une quantité incalculable de petits grains appelés « oolithes ». Ces grains s’accumulèrent en lits successifs, noyés dans un ciment calcaire ou siliceux. Ainsi naquit la « minette lorraine », il y a environ 180 millions d’années, donnant une formation ferrugineuse d’une puissance moyenne de 30 m. Dans cette épaisseur, on compte jusqu’à 12 couches différentes dont les quatre principales sont exploitables et atteignent 2,4 à 7 m d’épaisseur.

Minerai dont la teneur en fer dépasse rarement 34 %, la « minette lorraine » contient beaucoup de phosphore qui rend le fer cassant. Mais voilà qu’une méthode mise au point par Sidney Thomas et Percy Gilchrist, en Grande-Bretagne, entre 1874 et 1880,  permit d’épurer plus complètement les fontes phosphoreuses. Ce procédé d’aciérie venu d’Outre-Manche, donna une valeur inespérée à la minette lorraine. Les détenteurs des premières concessions, accordées en 1834, purent traiter de plus grandes quantités de ce minerai pauvre mais abondant, évoluer vers l’entreprise capitaliste et la production de masse.

Signe de cette prodigieuse expansion, le nombre de mineurs passa de 7 000 en 1890 à 35 000 en 1913. La Lorraine comptait alors une cinquantaine de mines de fer à flanc de coteau, quelques minières à ciel ouvert et 28 mines à puits. En 1960, la production culmina à 63 Mt pour se maintenir autour de 50 Mt jusqu’en 1974, quand arrive le choc pétrolier.

Moyeuvre, la dernière mine de fer française en Lorraine  ferma en 1993. Restait alors, côté français, une dernière mine sous direction luxembourgeoise. Le 30 juillet 1997, les 140 mineurs d’Audun-le-Tiche effectuèrent l’ultime descente. Point final pour l’exploitation du gisement lorrain. La lutte des métallos, elle, continue.



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur

Crédit photo : http://ensemblepourgandrange.blogspot.fr/
Les passages concernant l'exploitation du fer en Lorraine sont extraits du livre "Les chevaux de mine retrouvés"



Redécoupage des frontières départementales lors de l'annexion (source : Wikipédia)

2 commentaires:

Denis J. a dit…

Le contexte de la construction de la Tour Eiffel
Vous faites bien de rappeler le contexte de la construction de la Tour Eiffel. Dans une France aux prises avec des difficultés politiques et économiques, et encore marquée par le souvenir de sa défaite face à l’Allemagne en 1870, s’imposait l’idée d’une Exposition universelle capable de restaurer son prestige au regard du monde entier. Prévue à Paris en 1889, année du centenaire de la Révolution française, l’Exposition fut tout entière dévolue au fer, dominée par la tour haute de trois cents mètres dessinée par Maurice Koechlin et construite par Gustave Eiffel, de 1887 à 1889, en fer puddlé de Lorraine.

Sylvain Post a dit…

Laminé, Montebourg était prêt à s’en aller
Lu dans « Libé », le 2 décembre 2012

Le ministre du Redressement productif, dont la proposition de nationalisation de Florange n’a pas été retenue, a menacé samedi de quitter le gouvernement.
Florange était un dossier politiquement explosif. A tel point que l’avenir des derniers hauts fourneaux de Lorraine a failli faire éclater le gouvernement.

De sources concordantes, Arnaud Montebourg a menacé François Hollande de démissionner, lors de leur entretien de samedi matin à l’Elysée. La veille au soir, le ministre du Redressement productif avait été sèchement désavoué par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, sur son projet de «nationalisation temporaire» de Florange. «Je lui ai dit [au président de la République, ndlr] que si rien n’était fait avant ce soir pour réparer les dégâts sur cette question de nationalisation, je ne resterai pas au gouvernement, et la dislocation va commencer. Il m’a demandé de n’en rien faire», a indiqué hier Arnaud Montebourg à Libération. Il est finalement resté. Mais vu la tension entre Jean-Marc Ayrault et son ministre, le Château a passé son samedi à éviter la rupture. «Depuis vingt-quatre heures, on cherche à ramener de l’ordre et de la sérénité au sein du gouvernement», confie-t-on à l’Elysée.

«Pas vraiment réussi». Tout a commencé vendredi. Le matin, Arnaud Montebourg apporte les croissants aux syndicalistes CFDT qui campent devant Bercy. Il leur dit que l’idée de nationaliser le site, afin de forcer Mittal à passer la main à un repreneur, est toujours sur la table. De sources proches du dossier, le ministre sait pourtant que l’objectif des négociations marathon avec Mittal, qui se tiennent depuis mercredi à Matignon, est de pérenniser l’emploi et une partie du site. Et que la nationalisation n’est plus qu’un moyen de pression, qui ne serait utilisé qu’en dernier recours. Ayrault y est totalement opposé. Il est furieux que Montebourg continue à entretenir le doute. Mais l’intéressé pense que Mittal ne lâchera rien. Et que l’Elysée peut donc encore arbitrer en sa faveur.

En début de soirée, Ayrault veut en finir. Alors que l’accord n’est pas totalement finalisé, l’exécutif interrompt les négociations. A 20 heures, les journalistes sont convoqués. Aucun ministre n’est prévenu. A 21 heures, le Premier ministre annonce qu’il n’y aura «pas de plan social» à Florange. Et tacle sévèrement Montebourg : la «nationalisation» n’est «pas efficace» face à un problème de «débouchés» ou de «compétitivité».

Dans son bureau, François Hollande regarde Jean-Marc Ayrault à la télé avec son secrétaire général, Pierre-René Lemas, son conseiller économique, Emmanuel Macron, et son conseiller politique, Aquilino Morelle. La charge contre Montebourg est jugée trop violente. «Ce n’était vraiment pas un exercice de communication réussi», dit un proche du chef de l’Etat. Hollande décide qu’il doit voir Montebourg dès le lendemain. Morelle file dîner près de Bercy avec celui dont il a dirigé la campagne pendant la primaire socialiste. Le ministre, qui a lui aussi regardé Ayrault à la télé, n’a pas encore pris conscience du désaveu qu’il vient de subir. Sa préoccupation, c’est de connaître les détails de l’accord, qu’il n’aura que le lendemain.

Sa colère éclate le samedi matin. D’autant plus que des proches d’Ayrault ont dit à la presse que le repreneur potentiel de Florange n’était «pas crédible». Dans le bureau de Hollande, il menace de rendre son tablier si deux conditions ne sont pas réunies : il faut «réhabiliter le repreneur» et le «principe de la nationalisation temporaire». «Ce n’était pas une question personnelle. Derrière ce dossier, il y a des gens», dit le ministre à Libération(...)