mercredi 5 novembre 2014

COMMÉMORATIONS

Les racines sarro-lorraines
du président Eisenhower



Toussaint et fête des morts, une seule fête en deux pensées, marquent l’entrée dans le mois des commémorations. Les vieux cimetières  sont chargés d’histoire. Celui de Karlsbrunn, à deux pas de Freyming-Merlebach, raconte que le premier enterrement en 1725,  fut celui d’un enfant d’Anna et de Johann Nicol Eisenhauer. À une semaine de l'élection présidentielle américaine, retour sur les racines ancestrales du trente-quatrième président des États-Unis.


Réédition - première mise en ligne le 1.11.2012





Est-ce un dialogue intérieur sur la mort, la grande question de chacun, qui m’a fait pousser la grille du vieux cimetière protestant de Karslbrunn à l’approche de la Toussaint ? Au risque de friser l’hérésie, car la communauté évangélique ne prie que Dieu, ni la vierge Marie, ni les saints.

Pour être sincère, j’ai enjambé les chemins de la foi et m’en absous, avec une autre idée en tête, celle de vérifier une information en rapport avec la généalogie.


Les frondaisons d'un jaune dor ont enluminé cette quête « …en ce moment de l’automne où il est clair que tout se défait, et que rien ne s’annonce encore » écrivait le philosophe Alain. « Tout s’efface, mais tout n’est pas effacé ; ces feuilles retournent aux éléments, mais elles signifient encore ce qu’elles furent ». Ceux qui reposent dans cette nécropole n’ont rien gardé au creux de la main. De ce qu’ils ont transmis, de grandes destinées ont pu naître et il est naturel que le regard du commun des mortels se porte vers eux.

- Ne cherchez pas, vous ne la trouverez pas…

Comme si elle venait de lire dans mes pensées, une dame m’avertit que les plus vieilles sépultures, les plus modestes, sont retournées à l’état de nature. L’apparence de la tombe des ancêtres du 34e président des
États-Unis d’Amérique se réduit à ce que l’on voit. Plus rien.

Trois siècles nous séparent de la fondation du village de Karlsbrunn avec l’installation d’une verrerie en 1717, au cœur d’une région boisée, au sol pauvre et de peuplement ténu, à deux pas de Freyming-Merlebach et Rosbruck. Johann Erhard Rupp, sous-directeur de l’école latine de Sarrebruck, veillait alors sur le salut des âmes. Le premier enterrement dont il eut la charge fut celui d’un enfant d’Anna et de Johann Nicol Eisenhauer, au cimetière protestant en 1725.


Cette information présenterait en soi peut d’intérêt s’il ne s’agissait pas des ancêtres de Dwight D. Eisenhower (1890-1969)
.

Vers 1723, parti de la Verrerie Sophie, dans le pays de Forbach, Johann Nicol Eisenhauer vint s’installer à Karslbrunn, comme “Holzhauer” (bûcheron) et “Pottaschbrenner” (potassier). Il fallait deux stères de bois pour fabriquer un kilo de verre et dans l’alchimie du verre, pour la fusion du sable, on utilisait un alcali qui se trouve dans la cendre de bois brûlé avec de la fougère, appelé “pottasche”. Ainsi, Johann Eisenhauer se partageait entre la cognée et le brasier. Un homme de la forêt, alors que son nom peut se traduire par
marteleur, ouvrier de fonderie, ou “forgeron”. En lettres de feu.

- Sa famille  figure au registre de l’
Église protestante de Karslbrunn jusqu’en 1741, année où il émigra avec sa femme et leurs sept enfants.

L’interlocutrice providentielle ajoute que le 17 novembre 1741, ils débarquèrent à Philadelphie. Une de ces traversées qui pouvaient durer de six semaines à plusieurs mois. Terribles parfois. La même année, un bateau irlandais  débarqua 60 des 106 passagers, les 46 autres étaient morts de faim ou de maladie. Les plus pauvres avaient promis de payer leur voyage en échange d'un service de deux ou trois ans auprès de leurs créditeurs. Face cachée de la
terre promise américaine, terre de liberté et de prospérité. À cette époque, les Allemands constituaient le deuxième groupe le plus important dimmigrés après les Nord Irlandais.

Le nom des ancêtres du président Eisenhower s
écrivait Eisenhauer à l'origine. Venant de la frontière sarro-lorraine ses aïeux sinstallèrent dans la colonie britannique de Lancaster (Pennsylvanie), puis au Kansas en 1892.  
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Troisième de sept enfants de David Jacob Eisenhower et de Ida Elizabeth Eisenhower (née Stover), David Dwight Eisenhower naquit le 14 octobre 1890 à Denison au sein d'une famille modeste, de tradition mennonite. La mère de Dwight, Ida Eisenhower, fit  partie des témoins de Jéhovah.

L’éducation du futur président des États-Unis fut fondée sur les valeurs familiales chrétiennes. Il était presbytérien. Ike obtint son diplôme de fin d’études secondaires du lycée d'Abilene à 19 ans, en 1909, et commença à travailler dans une laiterie car ses parents n’eurent pas les ressources financières nécessaires pour l’envoyer à l’université. Il entra finalement à l'université de Kansas City pour préparer une carrière militaire et réussit brillamment ses examens qui le firent entrer d'office à l'académie militaire de West Point.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il fut général cinq étoiles de larmée américaine, et commandant en chef des forces alliées en Europe. Chef détat-major général des forces armées des États-Unis de 1945 à 1948, il assura le commandement suprême des forces alliées en Europe du 2 avril 1951 au 30 mai 1952.
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Pour son blason, Eisenhower choisit l’enclume
rappelant ses racines ancestrales.
Jusqu’en 1794 son nom s’écrivait “Eisenhauer”,

littéralement marteleur”, ouvrier de fonderie, 
proche du “forgeron” qui se dit
 “Schmied” en allemand.

 
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Le général Eisenhower exerça deux mandats, succédant  à Harry  S. Truman et précédant John F. Kennedy à la Maison-Blanche. Ses biographes retiennent en particulier qu’en tant que président des États-Unis il supervisa le cessez-le-feu en Corée, lança la course à l'espace, développa le système des autoroutes inter-états et fit du développement de l'armement nucléaire l'une de ses priorités dans le cadre de la guerre froide avec l'URSS.

Ses descendants furent accueillis chaleureusement à Karslbrunn, le 8 mai 1995. La paroisse leur ouvrit ses registres : le père de Johann Nicol, Johann Friedrich Eisenhauer décédé le 28 février  1729 à Karlsbrunn, est inhumé au cimetière protestant. Et à la date du 30 août 1733 les états paroissiaux mentionnent le baptême de Maria Magdalena Eisenhauer, fille de Johann Nicol Eisenhauer et de son épouse Anna Margaretha Strobel.
À l’âge de 8 ans, elle avait émigré vers le Nouveau Monde avec ses parents.
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Mention du décès de Johann Friedrich Eisenhauer le 28.02.1729


 L’enregistrement du baptême de Maria Magdalena Eisenhauer, le 30.08.1733

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Les héritiers du président des États-Unis recueillirent pieusement les fac-similés des registres. Émus de retrouver leurs racines dans le Warndt où leurs ancêtres vécurent au rythme d’une économie de subsistance en travaillant pour les verriers. Le souffle d’une histoire bonne à respirer un 1er Novembre.



Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur




Remerciements à Mme Siegron Colling, de Karslbrunn
(registres paroissiaux) et à l’ American Heraldry Society,
grâce à Herald Dick Magazine
(blason). 





Le vieux cimetière protestant de Karlsbrunn.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir



Avant Karlsbrunn, Forbach...



Johann Nicol (Hans Nicol ou Nicholas) Eisenhauer, né en 1691 et qui s’était installé à Karslbrunn vers 1723, est considéré sur le sol américain, comme l’aïeul le plus lointain parmi les ancêtres du 34e président des États-Unis.

Doù venait-il ? Des environs de Forbach... Car un an avant l’installation de Johann Nicol à Karlsbrunn (Sarre), naquit à la Verrerie Sophie (Moselle), Joe Petrus Eisenhauer. La naissance  est consignée dans un registre  des archives de la ville de Forbach et le nom des parents y figure : Johann Nicol et Anna Margaretha...  

« Natus et bapotisatus  le 15 mars 1722, à Verrerie-Sophie, fils de l’ouvrier "operarÿ" Potaschenbrenner Jean Nicolas Eisenhauer (né vers 1691 ...) et d’Anne Marguerite Strobel ou (Struvelin) ex Sophihut ... parrain et marraine étant Johannes Petrus Cremer et Sophie Reicherin omnes ex Sophihut » écrit le curé Lommers de Kerbach-Forbach.

Joe Petrus (Jean-Pierre ou John Peter) est le fils du bûcheron-potassier de Karslbrunn. Ses parents quittèrent le pays de Forbach quelques mois après sa naissance pour sétablir près de cette autre verrerie du Warndt.

Deux décennies plus tard ils émigrèrent. Lorsquils embarquèrent pour lAmérique, John Peter avait 19 ans, son père 50.

Larrivée conjointe en Amérique de Hans Nicol Eisenhauer (« first generation in America ») et de son fils (« Hans Nicol and his son John Peter arrived in America in 1741 aboard the Europa ») est attestée par les données généalogiques de la bibliothèque présidentielle d'Abilene/Kansas. Reste à résoudre une difficulté concernant la transcription de l'année de naissance de John Peter qui varie d'un document à l'autre, mais ne semble pas devoir faire échec à la lecture de litinéraire des Eisenhauer. 

Lorsquune délégation américaine des descendants du Royal Deux-Ponts fut accueillie à Forbach, le 25 avril 2012, Raymond Engelbreit, auteur de nombreux travaux historiques, et Joseph Zeller, président du Cercle d'histoire locale de Forbach et environs Die Furbacher, lui confièrent une copie de l'acte de naissance de John Peter Eisenhauer.

Le “Royal Deux-Ponts”, régiment créé à Zweibrücken/Palatinat, au service de la France, composé de Lorrains, Alsaciens, Palatins et Bavarois, avec à leur tête les fils de la comtesse Marianne de Forbach, a participé le 18 octobre 1781 à la victoire de Yorktown, bataille décisive pour l'indépendance des États-Unis. 


Il ny avait pas meilleure occasion pour rappeler que les racines ancestrales de “Ike” se situent des deux côtés de la frontière sarro-lorraine.

Johann Nicol, établi à une époque à la périphérie de Forbach, et son fils John Peter sont les descendants de Johann Friedrich Eisenhauer. C'est à cet aïeul que revient donc la plus haute branche de l’arbre généalogique. Décédé en 1729, il est enterré au cimetière protestant de Karlsbrunn/Sarre. 

Si le lieu de son décès est certain, celui de sa naissance reste inconnu. La trace se perd en l’absence de documents et du fait de l’extrême mobilité des travailleurs du verre il y a trois siècles, un chapitre traité par Raymond Engelbreit dans son mémoire de maîtrise [La Verrerie Sophie. Naissance et évolution d'une verrerie dans le comté de Forbach au XVIIIe siècle. Université de Sarrebruck, 1989].

Il est donc logique que les habitants de Karlsbrunn placent Johann Friedrich Eisenhauer en tête de la lignée familiale du 34e président des États-Unis, en produisant la preuve qu'il repose dans leur cimetière. 

Il est non moins logique que les Américains choisissent plutôt comme ancêtre le fils  de cet aïeul, puisque les registres de l'immigration disent que c'est Hans Nicol qui a traversé l'Atlantique en premier avec femme et enfants, parmi lesquels John Peter

Et pour Forbach, sarrêter à l'acte de naissance de John Peter, cest réaliser à juste titre que celui-ci, né à la Verrerie Sophie, est le plus proche parent européen direct du général Eisenhower.

Personne n’a tort. À chacun sa raison.


S.P.



L'acte de naissance de 1722, aux archives de Forbach.



Article publié le 25.10.2012 - mis à jour le 31.10.2012 
 

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Une émigration de la misère
 

Dans son Histoire d’un mirage américain au XVIIIe siècle [ Ed. L’Harmattan, 2000 ] Jocelyne Moreau-Zanelli rappelle que l’émigration française aux États-Unis n’a jamais été massive, mais il est quelques moments où elle a été plus considérable, en fonction de conditions spécifiques soit sur le sol national, soit outre-Atlantique. Au XVIIe siècle, c’est la révocation de l’Édit de Nantes qui provoque l’exode de Huguenots vers le Nouveau-Monde. Deux siècles plus tard, la ruée vers l’or déclenche un afflux de toutes parts en Californie.

Pour un Lorrain, choisir l’Amérique comme destination est essentiellement « une émigration de la misère ». C’est l’opinion de Camille Maire, [ L’émigration des Lorrains en Amérique, entre 1815-1870, thèse de doctorat de troisième cycle, Metz, 1980 ], qui met la pauvreté au premier rang des causes de départ. « Les motifs politiques semblent n'avoir guère compté en Lorraine, sauf dans le cas des anabaptistes qui refusent la conscription ».

Selon lui, les émigrants lorrains quittent principalement les cantons germanophones des arrondissements de Sarreguemines et de Sarrebourg, mais aussi de façon plus ponctuelle, ceux de parler français, comme Remiremont, Neufchâteau, Lorquin, et bilingues, comme Faulquemont (« la localité de Many présente le pourcentage d'émigrants par rapport à la population totale, le plus élevé de la Moselle »). Camille Maire estime qu’en Moselle, moins de 3.000 émigrants figurent dans les demandes de passeport entre 1847 et 1869.

Jean Houpert [ Les Lorrains en Amérique du Nord, Ed. Serpenoise, 1983 - Ed. Naaman, 1985 ]  indique également que l'espace linguistique du francique rhénan en Moselle a fourni pendant le XIXe siècle, le plus gros contingent de Lorrains partis rejoindre le Nouveau-Monde « … Jeunes célibataires, jeunes foyers, attirés par des parents déjà émigrés ». 

L’auteur consacre la moitié de son livre à l’immigration pour motif religieux : «Plusieurs diocèses des États-Unis ont reçu le renfort de près de 200 missionnaires de tous ordres et congrégations venus de Lorraine (…), auxquels on peut joindre une centaine de religieuses enseignantes».

La religion a donc pu servir de levier (voir la question du protestantisme) comme vient l’illustrer le cas d’une localité du canton de Grostenquin. Dans son ouvrage Hellimer – 4 000 ans d’histoire, Michel Mann signale qu’une centaine d’habitants de confession israélite ont émigré outre-Atlantique aux XVIIIe et XIXe siècles. « En 1811, la communauté juive d’Hellimer était la plus importante de tout l’Est-mosellan (…) En 1822, une synagogue de style orientalisant sera édifiée et décorée grâce aux dons des juifs émigrés aux Amériques ».

La mémoire collective a pris possession des colons originaires du Pays de Bitche, notamment de Haspelschiedt ou de Schorbach, où des familles ont un
oncle d’Amérique.

À proximité, une localité bas-rhinoise des Vosges du Nord, est fière de Russell L. ( dit Rusty) Schweickart, astronaute de la Nasa, équipier d’Apollo 9... Il est le petit-fils de Jacques, un natif de Lembach qui avait décidé  en 1892 d’aller démarrer une nouvelle vie aux États-Unis.


S.P.





Vient de paraître :
Chroniques  de Forbach et sa région, revue éditée par le Cercle "Die  Furbacher" (116 p., richement documentées et illustrées). Un des thèmes dominants de ce 3e numéro concerne les verreries de Forbach et sa région, du XVIe au XXe siècles.
En vente à l'Office de tourisme de Forbach. 






 

12 commentaires:

Jean de P. a dit…

Merci Sylvain de cette remontée aux sources sarroises de ce président américain, héros de la 2e Guerre mondiale.

Sylvain Post a dit…

Depuis la mise en ligne de l'article, les racines d'Eisenhower sont devenues sarro-lorraines... grâce à un acte de naissance conservé par les archives de la ville de Forbach. Complément d'information intéressant, qui ne fait pas échec aux recherches précédentes, mais vient les étayer. Une mise à jour a été faite.

Sylvain Post a dit…

...sa dernière demeure

Est-il enterré à Arlington, comme JF Kennedy ? me demande un autre lecteur. Non. Dwight D. Eisenhower est inhumé à Abilene, dans le Kansas, qui devint le foyer de "Ike" lorsque sa famille s'y installa, venant de Denison au Texas, en 1892. Il y suivra l'enseignement des écoles primaire et secondaire de la localité. C'est une ville d'environ 6 500 habitants, au centre des États-Unis.

F. Klein a dit…

Savez-vous qui a été élu au fauteuil devenu vacant à l'Institut de France à la mort du Général Eisenhower ? Le descendant direct des ducs de Lorraine : l'archiduc Otto de Habsbourg, né le 20 novembre 1912 à Reichenau, Basse-Autriche ; décédé le 4 juillet 2011 à Pöcking, Bavière.

Sylvain Post a dit…

Dans les "pages blanches" du téléphone, pour la Lorraine, le nom "Eisenhauer" apparaît 12 fois en Moselle et 1 fois en Meurthe-et-Moselle.

Sylvain Post a dit…

Les communes du Warndt

Le Warndt est situé sur la frontière franco-allemande, partiellement sur le territoire du département de la Moselle et partiellement dans le Land de Sarre. Il compte 47 localités (évitons de dire "communes" car beaucoup font l'objet d'un regroupement) :

-En France (26) : Béning-lès-Saint-Avold, Betting, Bisten-en-Lorraine, Carling, Cocheren, Creutzwald, Diesen, Falck, Forbach, Freyming-Merlebach, Guerting, Ham-sous-Varsberg, Hargarten-aux-Mines, Hombourg-Haut, L'Hôpital, Longeville-lès-Saint-Avold, Merten, Petite-Rosselle, Macheren, Morsbach, Porcelette, Rosbruck, Saint-Avold, Stiring-Wendel, Schœneck, Varsberg.

-En Allemagne (21) : Differten, Dorf im Warndt, Emmersweiler, Fenne, Friedrichweiher, Fürstenhausen, Geislautern, Gersweiler, Großrosseln, Hostenbach, Karlsbrunn, Klarenthal, Lauterbach, Ludweiler, Naßweiler, Schaffhausen, St. Nikolaus, Überherrn, Wadgassen, Karlsbrunn, Werbeln.

M. Bl. a dit…

Cette fois-ci je me sens beaucoup plus concernée par ta recherche, car du côté de mon grand-père paternel il y a plusieurs frangins qui sont partis en Amérique et certains sont revenus.
Continue tes articles. Je les transmets à mes correspondants... jusqu'au Brésil !

R.J. a dit…

Je me suis posé une question : pourquoi la famille Eisenhauer ( à consonance très germanique ) n'a t-elle anglicisé son nom qu'à moitié ? Ce nom aurait dû devenir Ironhower en perdant ce Eisen bien germanique.

Sylvain Post a dit…

En 1741, on est en présence d'une émigration de la misère, à la différence d'une émigration pour motifs politiques. La famille Eisenhauer a emporté au bout de ses semelles son bagage linguistique et surtout le fol espoir de connaître outre-Atlantique une vie meilleure. On imagine une telle rupture, l'immersion du jour au lendemain dans un environnement social où l'accent des groupes irlandais s'est trouvé mêlé à toutes les consonances trahissant l'origine des nouveaux venus.

On parlera au XIXe siècle du "melting pot" pour décrire la manière selon laquelle des sociétés à la base hétérogènes apprirent à vivre ensemble en dépit de leurs différences culturelles et religieuses. Se combinant, elles tentèrent d'abandonner graduellement leurs caractéristiques propres pour adopter une forme finale uniforme hybride, distincte de chacune des racines d'origine.

La famille Eisenhauer ne semble pas avoir rencontré d'emblée un besoin impérieux de transformer son nom en Eisenhower, changement qui n'est intervenu qu'en 1794, soit cinquante ans après l'arrivée de ses premiers représentants à Philadelphie, en provenance de la frontière sarro-lorraine. Seule la prononciation "hauer"-"hower" a joué, sans volonté farouche de renier les origines. Il existe de nombreux cas semblables, comme Weinstein devenu Weinsteen. Parmi bien d'autres.

F. Klein a dit…

J'ai appris avec plaisir que "Pottaschbrenner" se traduit par "potassier". Il fallait deux stères de bois pour fabriquer un kilo de verre et dans l’alchimie du verre, pour la fusion du sable, on utilisait un alcali qui se trouve dans la cendre de bois brûlé avec de la fougère, appelé "pottasche".

Savez-vous que le nom Eschenbrenner (littéralement "obtenteur de cendres") est assez répandu en Moselle-Est, en particulier dans le pays des cristalleries des Vosges du Nord ?

Sylvain Post a dit…

à propos de la traduction de "Eisenhauer"

Un lecteur m’a fait remarquer que "forgeron" se traduit "Schmied" en allemand, d'où les patronymes : Schmidt, Schmitt. Il a raison.

Alors quelle traduction privilégier pour "Eisenhauer" ? "Hauer" renvoie au métier de piqueur dans le cas de la houille : c'est un mineur de charbon travaillant à l'abattage. "Eisenhauer" désignerait donc un mineur de fer, sachant que le minerai de fer était ramassé et extrait dans le massif du Warndt au XVIIIe siècle, notamment à Freyming-Merlebach, sous la forme d’hydroxyde de fer contenu dans les roches gréseuses ?

"Eisenhauer" pourrait aussi se traduire par "marteleur" : c’est la fonction d’un ouvrier de fonderie. De quoi s’agit-il ? On sait que le monoxyde de carbone, produit par le charbon de bois, vient réduire le minerai. Dans le bas du fourneau s'accumule un solide spongieux, composé de métal et de scorie, que l'on appelle "loupe". Cette loupe est d'abord nettoyée et éventuellement séparées en morceaux de qualité comparables. Elle est ensuite travaillée par martelage répété, afin de retirer la scorie et de rendre le métal aussi homogène que possible…

Marteleur battant le fer ? Les marteleurs ont généralement pour emblème le marteau. Or, Eisenhower lui-même, pour son blason, a choisi l'enclume, et non pas le pic, ni le marteau. Le synonyme de "forgeron" n’est donc pas inapproprié. Il a le mérite d’être compris de tous. Sans croiser le fer.

Après ça, vous me direz que les lecteurs ne sont pas perspicaces !

B.P. a dit…

A la fois historique et poétique car Sylvain sait jouer sur les évocations visuelles et la mémoire contextuelle qui dure le temps d'une lecture. Et toujours ce léger inattendu qui tient en haleine avant d'entrer dans le vif de l'exposé.