mardi 24 juillet 2012

FACE AU MONOXYDE DE CARBONE


À la merci du canari mineur


 Il fut une époque, l’oiseau prenait la cage et descendait dans la mine avec les “gueules noires” pour y chanter à longueur d’abattage. Qu’il s’interrompe, qu’il défaille, signifiait danger ! Son rôle : détecter la présence de monoxyde de carbone, ennemi invisible et mortel.





 


Dans Disappearing Britain , une série de portraits consacrée
aux « tribus » britanniques en voie de disparition,
le grand photographe londonien Zed Nelson, a tiré le portrait
de pêcheurs, de mineurs, de vétérans de la Seconde Guerre mondiale,
de chasseurs de renard du Duke of Beaufort...
Dans le Yorkshire, les « gueules noires » de Maltby Colliery ont
posé à la sortie de la mine. L’un d’eux tient une cage à canari,
un moyen traditionnel de détecter les gaz dangereux. 
© By courtesy of Zed Nelson- droits réservés.



Passant par hasard le long de la devanture, j’ai hésité avant de pousser la porte de l’oisellerie, place Sainte-Marthe, à Stiring-Wendel. Mais, après coup, je me réjouis d’avoir adressé la parole à son propriétaire pour  le questionner… ni sur le plumage, ni sur le ramage, dans le piaillement des volières, au milieu de sacs de graines et de produits de confort pour la gent ailée.

Sa réponse me coupa le sifflet tant elle fut spontanée :

Oui, bien sûr,  je connais l’histoire des canaris-mineurs !
Mais ne croyez pas, comme la plupart des gens, qu’on s’en servait pour détecter  le grisou… C’est la présence du monoxyde de carbone qui était visée…


Les débuts de l’amélioration génétique des canaris issus de la souche sauvage capturée au XIVe siècle aux îles Canaries, coïncident avec le développement considérable aux XVe et XVIe siècles,  des mines polymétalliques du continent. La production croissante de celles-ci entraîna le problème posé par le renouvellement de l’air sur des distances accrues entre la surface et les fronts de taille, les galeries pouvant s’enfoncer  de « cinq cents pas » (925 mètres) sous terre, dans  l’Erzgebirge, selon Agricola, dans son De Re Metallica.

Pour conduire l’air là où il était nécessaire, les mineurs surent très tôt mettre en place des mécanismes et des structures. Les traces archéologiques les plus fréquentes de l’époque de la Renaissance, sont celles d’un aménagement de la circulation de l’air par un conduit sous un faux-plafond ou par une galerie secondaire. Des machines ont existé, telles  que les soufflets de forge utilisés pour ventiler la mine. Mais, c’est dans l’organisation même de la mine, avec ses puits et ses galeries, dans un aménagement fixe, que résidait l’essentiel des possibilités d’aérage des travaux souterrains.

Dans les houillères, si le rayon d’action des puits ne dépasse pas 300 mètres au début du XIXe siècle, on pourra aller chercher la houille à 1 500 et 2 000 mètres des puits, dès 1850. Avec comme corollaire l’obligation de renforcer  l’aérage. Car dans les mines de charbon, aux périls rencontrés précédemment s’ajoute le grisou. On a tous  en mémoire l’effroyable mission des pénitents, ces condamnés qui descendaient la nuit, quand la mine était vide, revêtus d’une cape en cuir mouillée, rampant le bras tendu, prolongé par un bâton à l’extrémité duquel il y avait une flamme… pour allumer les poches de méthane au péril de leur vie !

Le grisou est évoqué dans la littérature minière dès 1796 et c’est en 1817 que Humphry Davy invente une lampe de sûreté pour les mineurs anglais. Plus tard, « l'utilité d'une mesure plus précise du grisou a fait apporter à la lampe de sûreté à toile métallique des modifications (...) pour la transformer en un grisoumètre portatif » (Haton de La Goupillière, Exploitation mines, 1905). Le premier détecteur basé sur la combustion catalytique du grisou sur un fil de platine a été mis au point en 1900, perfectionné dans les années 1950 par le CERCHAR (Centre d'études et de recherches des Charbonnages de France), pour aboutir à la série des Verneuil 52 couramment utilisés dans les mines françaises jusqu'à leur fermeture. En parallèle,  la surveillance générale s’est appuyée sur la télégrisoumétrie, système doté d’alarmes automatiques.

La légende prétendant qu'on emportait jadis des oisillons dans des cages pour détecter le grisou doit rendre sceptique : pour remplacer l'oxygène de l'air et provoquer l’asphyxie, il est nécessaire que le grisou atteigne une concentration de 30%,  auquel cas il est déjà trop tard, les teneurs limites d’inflammabilité et d’explosion étant  beaucoup plus basses… 




Une cage parmi le matériel d’intervention des sauveteurs :
la poignée est une bouteille d’air comprimé 
pour la survie de l’oiseau-sentinelle

 

Le mineur partage donc sa vie souterraine avec un autre ennemi invisible et mortel : le monoxyde de carbone produit par l’oxydation des poussières de charbon. Comme en certains endroits  l’aérage ne règle pas tout, la solution du canari-sentinelle s’impose alors pour détecter le CO, une pratique encore en vigueur en 1987 dans le nord de l’Angleterre et dans le Pays de Galles, lors d’exercices de sauvetage.

Gaz hautement toxique, impossible à détecter facilement, "incolore, inodore et sans saveur" comme on l’a appris dans nos cours de chimie, il a une densité très voisine de celle de l'air et se mélange facilement à celui-ci. C'est par l'hémoglobine, qui est le pigment des globules rouges du sang, que l'oxygène contenu dans l'air respiré est transporté vers les différentes cellules du corps pour les oxygéner. C'est cette même hémoglobine qui ramène à l'appareil respiratoire le gaz carbonique produit dans les cellules. L'hémoglobine a cependant une affinité d'environ 300 fois plus grande pour le monoxyde de carbone que pour l'oxygène contenu dans l'air.

Si, par conséquent, il y a du monoxyde de carbone dans l'air respiré, il y aura un lien très fort et stable entre ce gaz et l'hémoglobine pour former ce que l'on appelle la carboxyhémoglobine. Une fois formée, cette carboxyhémoglobine présente dans le sang, réduit la quantité d'oxygène transportée vers les cellules du corps.

À une concentration de seulement 500 ppm (parties par million) de monoxyde de carbone dans l'air respiré, on constate l'apparition de maux de tête sévères, de vertiges et d'une tendance au sommeil annonçant un début d'intoxication. L'impotence musculaire et une paralysie progressive apparaissent lorsque l'individu est soumis à une concentration de 2 000 ppm, suivies d'un coma si aucun secours n'intervient. Par ailleurs la mort est rapide suite à une exposition de quelques minutes à une dose de 5 000 ppm. Cette mort survient lorsque 66% de l'hémoglobine a été transformée en carboxyhémoglobine.


Les détecteurs de monoxyde de carbone proposés aujourd’hui sur le marché, ne réagissent pas à des concentrations inférieures à 100 ppm. Cette limite de sensibilité est nettement au-dessus des concentrations maximales recommandées. 





Au temps de nos grands-pères et arrière-grands-pères, une part d’empirisme était de règle. Et la solution du canari-sauveteur, de pratique courante, pouvait coexister avec des méthodes plus sophistiquées.

L’oiseau a un appareil respiratoire beaucoup plus sensible que l’homme. Il cesse donc rapidement de chanter en présence de gaz délétères et meurt dès l’apparition du monoxyde de carbone. Combien de vies sauvées grâce à lui ? Il n’en sera pas moins le poids-plume de l’histoire charbonnière, car le souvenir du canari-mineur s’est envolé à tire d’aile.

Peu s’en souviennent. Heureusement, des interlocuteurs comme Jonathan Hoy, fils de mineur,  savent en parler. Les connaissances du marchand d’oiseaux de Stiring-Wendel en imposent :

Le canari-mineur que vous évoquez, c’est l’ancêtre du Harz actuel… Le canari de la mine chantait le bec fermé, allant jusqu’à imiter les bruits du fond : les gouttes d’eau qui font «-ploc-!-», les coups donnés dans la veine…


Lors des concours, à l’heure actuelle, si un canari ouvre le bec en chantant, il est éliminé… Les concours de canaris de chant existent en Lorraine et au moins deux clubs sont spécialisés dans cette catégorie : « Le Chanteur Fidèle » de Freyming-Merlebach qui organise ou participe régulièrement à des championnats franco-allemands en collaboration avec le club ornithologique de Sankt-Nikolaus (Sarre) et « Le Harzer Lorrain » de Thionville, un club spécialisé lui aussi.

Le canari du Harz a été obtenu par des accouplements étudiés et sélectionnés, en Allemagne, terre de tradition minière. Le mineur Wilhelm Trute (1836-1889), ouvrier dans les mines d’argent et d’étain,  a été l’un des premiers à améliorer le chant des canaris qu’il élevait. Au cours du XIXe siècle, d’autres familles  en Thuringe, se sont appliquées à raffiner le chant de leur favori pour en faire un virtuose.

Un éleveur réputé réussit à obtenir un oiseau qui enchaînait  trente deux variations dans l’expression de son chant. Puis un autre le surpassa, car ses oiseaux avaient un chant plus doux et profond. Ils chantaient la roulée profonde, la grognée, la tintée profonde, la roulée de clapotis, la flûte, les glous (glou-glou roulé, glou d’eau, glou roulé), la berceuse, le gargouillis, les tintées et les tintées roulées. Cet oiseau fut déclaré Harzer Edelroller, noble rouleur. C’est bien le moins !

Reste donc au bassin houiller lorrain – où les éleveurs sont légion – à offrir un championnat dédié aux descendants du canari-mineur en son nouveau musée. La plume au chapeau ou au casque à la lampe allumée.




Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur






L'oiseau sentinelle.



Grisoumètre VM1 du fabricant Oldham parmi les appareils ayant définitivement remplacé la lampe à flamme ARRAS de type CF après la catastrophe du puits Simon à Forbach en 1985 . Après ce drame, la lampe à flamme fut  interdite d'usage au fond par un décret  ministériel.