mardi 10 juin 2014

TERRITOIRES

Ma Tamise à moi
Dans sa Lettre de mai 2014, l’eurodistrict de Sarrebruck et de l’Est mosellan invite la population à dire comment la Sarre (la rivière transfrontalière) pourrait rendre plus belle la vie. Réminiscences.



Les palplanches de l'ancien port charbonnier 
de Grosbliederstroff. Ph. Jean-François Keller



L’intrigue d’une de mes premières lectures de Graham Greene cheminait le long de la Tamise, laissant entrevoir une famille de poules d’eau qui batifolaient dans le clapotis entre la berge et l’imposante masse métallique d’une péniche amarrée. Cette ambiance, à peine marquée par un souffle de vent, me paraissait si familière.  Combien de fois, en effet, n’avais-je guetté, à travers les roseaux, les foulques macroules au bec surmonté d’un écusson blanc, en compagnie de leurs petits fraîchement éclos, avec leur duvet rouge sur le dessus de la tête ?

La Sarre était ma Tamise à moi. Et sa rive gauche était quasiment déserte, en amont de Grosbliederstroff, lorsque mes parents choisirent la plaine alluviale pour y construire leur maison, à l’écart du bourg. A peine sortie de terre, elle eut pour voisine la centrale thermique des Houillères, édifiée entre 1951 et 1954 par l’entreprise Boussiron, sur les plans de l’architecte Fayeton.

Avant ce grand chantier, l’horizon était libre. J’entends encore un engin mécanique battre les palplanches, un interminable rideau de pieux profilés conçus pour constituer un mur de soutènement au quai du futur port charbonnier. Et je me souviens des grues qu’une violente tempête avait plaquées  au sol. Et plus encore de ce moment d’effroi, lorsqu’un travailleur marocain tomba du haut de la centrale.
 
La rive gauche de la rivière était mon terrain de jeux favori, là où je rencontrai les derniers chevaux de halage et les tracteurs Latil avec leur moteur à bas régime paraissant toujours au bord de l’essoufflement.  Combien de capitaines n’ai-je vu passer aux commandes de leur péniche sur la rivière canalisée ? La Sarre comptait beaucoup dans notre existence.

Mon frère rejoignit la Marine nationale et embarqua, en 1953, sur le ravitailleur de sous-marins «.Gustave Zédé.» en rade de Toulon. C’était un ancien bâtiment allemand qui avait assuré le même service de 1934 à 1947 sous le nom de U-bootbegleitschiff «.Saar.»… ça ne s’invente pas !

A la même époque, j’avais insisté auprès de ma mère pour qu’elle m’achète au PK de Sarrebruck, une casquette blanche à visière, frappée de l’ancre de marine. Haut comme trois pommes, mais des rêves plein la tête. La Sarre, vous dis-je, était ma Tamise. Pour la franchir, il était nécessaire d’emprunter un bac en lieu et place du pont de pierre détruit durant la Deuxième Guerre mondiale. Dire qu’à 18 ans,  Le Républicain Lorrain  me chargera du compte-rendu de l’inauguration, en 1964, d’une passerelle provisoire entre Klein- et Grosbliederstroff, en présence du ministre sarrois de l’Intérieur. Un de mes premiers "papiers".

Le temps a passé. Un pont piétonnier édifié en 1993 et, en amont,  un franchissement routier international, ont encore rapproché un peu plus les deux localités jumelles. Côté français, la centrale thermique a été déconstruite en 1990. Côté allemand, le grand moulin a cédé sa place à une voie sur berge.

Un premier schéma directeur élaboré en 2010 a permis d’enclencher des actions d’aménagement. Une nouvelle phase du projet vise à faire naître des propositions en faveur du développement d’activités culturelles, touristiques et de loisirs le long et autour de la Sarre. La Lettre du mois de mai de l’eurodistrict aborde le sujet et lance un forum. Parmi les premières réactions, celle du vice-président, à Sarreguemines, du Gecnal (Groupement d’étude et de conservation de la nature en Lorraine) :

« Je parcours régulièrement, depuis 40 ans, la Sarre sur mon canoë et mon kayak, je la longe aussi parfois à pied ou en vélo et ce que j’apprécie tout particulièrement ce sont ses paysages » écrit Alain Seitz, sur ce forum. Et d’énumérer : les vastes prairies alluviales inondées en hiver et pâturées en été, parsemées de saules têtards et de peupliers noirs majestueux, les roselières touffues animées des chants stridents de la rousserolle effarvatte, sa ripisylve dense où domine l’aulne glutineux et où tambourine le pic épeiche. Et les berges colorées où l’iris, la balsamine, la salicaire, … rivalisent de beauté.

« J’adore aussi, écrit encore Alain Seitz, y observer le peuple de la rivière : le magnifique martin pêcheur, le discret chevalier guignette, le rare chevalier cul-blanc de retour de migration, l’élégante bergeronnette des ruisseaux, le farouche rat musqué, le surprenant cincle plongeur… J’y guette également impatiemment le castor qui depuis quelques années nous laisse des indices de son retour tant attendu. J’y compte les oiseaux d’eau hivernant à la mauvaise saison dans le cadre du programme wetlands… J’y recense les derniers courlis cendrés qui survolent au printemps les prairies inondées entre Alsace et Lorraine ».

Considéré comme un auxiliaire nécessaire à la restauration écologique et à la vie sauvage des cours d'eau, le castor européen est bien présent. Discret, il sest signalé par des traces de coupe d'arbres et d'écorçage, sur les rives de la Rosselle et de la Blies, deux affluents de la Sarre. Des castors ont été signalés également en aval de Sarrebruck, issus de réintroductions effectuées en Allemagne.

« Bref vous l’aurez compris, ajoute notamment Alain Seitz, ce que nous les amoureux de la nature apprécions c’est une Sarre sauvage, préservée du bétonnage et des alignements d’arbres exotiques, c’est une Sarre libre qui coule dans un écrin de verdure où s’exprime au maximum la biodiversité….».

Beaucoup privilégient les atouts naturels de la « Bande bleue » SaarMoselle. Dautres, comme certains pêcheurs, sémeuvent du retour du castor ou dautres encore des incertitudes qui ont plané sur la navigation. Toute la crédibilité du programme en faveur de la Sarre se jouera donc dans la capacité à préserver les secteurs sauvages de la rivière, à veiller à la qualité environnementale de son parcours urbain, et à concilier les activités que son attractivité suscite.

 S.P.


Lien externe :
- L'avenir de la "Bande bleue" SaarMoselle

 





 La Sarre sauvage. Ph. Jean-François Keller




L’œuvre du castor. Ph. Serge Kottmann




Héron. Güdingen. Ph. SP



Cormoran. Grosbliederstroff. Ph. SP



Foulque macroule. Grosbliederstroff. Ph. SP





Cliquer sur l'image ci-dessus pour l'agrandir



En aval de Welferding. Ph. JF Keller



Grosbliederstroff. Ph. SP



Grosbliederstroff. Ph. SP



Güdingen. Ph. SP


Sarrebruck. Ph. SP









9 commentaires:

Sylvain Post a dit…

Sur le forum de l'Eurodistrict, Alain Seitz, vice - président du GECNAL/Sarreguemine a formulé les propositions suivantes :
" Nous proposons donc de favoriser dans les aménagements futurs l’épanouissement de cette biodiversité (dans l’esprit des bandes bleues et vertes développées par le Grenelle de l’environnement) en :
- protégeant les biotopes remarquables du linéaire de la rivière (roselières, berges de nidification, arbres remarquables…).
- proposant avec les acteurs de terrain (VNF, agriculteurs…) un plan de gestion du lit majeur de la rivière compatible avec les inondations (priorité aux pâtures qui empêchent l’érosion liée aux crues, fauche tardive des abords du chemin de halage, etc….).
Une telle démarche nous paraîtrait pertinente dans la perspective d’une valorisation touristique franco allemande à long terme du linéaire Sarre."

Sylvain Post a dit…

Loin du concept abstrait d’une Union européenne trop éloignée de ses citoyens, l'eurodistrict SaarMoselle favorise la coopération transfrontalière sur le terrain. Il cherche à convaincre (mais n'y parvient pas encore) à travers des actions au niveau régional, espaces de vie et d'emploi des citoyens. Parmi les projets déjà mis en œuvre, certains concernent la santé et les transports. Il en est ainsi des TER cadencés entre Forbach et Sarrebruck ou du Tram-Train entre Sarrebruck et Sarreguemines. C’est l’Eurodistrict qui a fédéré toutes les énergies pour sauver l’écluse de Güdingen, que l’administration allemande avait envisagé de remplacer par un barrage, condamnant ainsi la navigation vers le réseau fluvial français.
Officiellement créé le 6 mai 2010, en présence de représentants de haut rang des Etats français et allemand, l’Eurodistrict SaarMoselle entend répondre à la mobilité des populations et à faciliter la vie quotidienne des habitants. Cela n’a pourtant pas empêché la Moselle à accorder 31,6 % de ses suffrages au parti le plus europhobe, plaçant le Front national en tête des élections européennes du 25 mai 2014…

Anonyme a dit…

Il ne suffit pas d'avoir raison pour convaincre...

B.K. a dit…

La Sarre a été étudiée récemment par un groupe de botanistes émérites, sur une longueur de 10 kilomètres autour de Sarreguemines. Non moins de 35 espèces de plantes à fleurs aquatiques appartenant à 17 familles, ainsi que 4 algues rouges, une éponge… ont ainsi été observées. Parmi cette flore : le jonc fleuri, les ombelles de fleurs rose vif, le plantain d’eau, les verticilles de fleurs lilas pâle, les nénuphars… Le long de la rive droite boisée se trouve aussi la renouée du Japon, qui permet de faire de la « musique verte ».

R.L. a dit…

Sylvain, je me souviens des parties de pêche à l'ablette, au débouché du canal de dérivation de la centrale thermique. L'endroit où les eaux de refroidissement se mélangeaient à celles de la Sarre était particulièrement poissonneux

M. a dit…

Cet article me touche tout particulièrement car j’ai le même ressenti pour notre Sarre, pour moi s’y ajoute la Blies qui fut mon terrain de jeu d’enfance à moi.
J’ai la très nette impression que c’est avec ton cœur que tu as rédigé cet article, pas seulement avec tes souvenirs. Il remonte tant de vécu dans tes descriptions, quelle émotion palpable !
Une fois de plus, toutes mes félicitations pour ce superbe exercice de style.
Tous ceux qui t’auront lu auront désormais un autre regard sur cette Sarre familière faisant partie de notre décor immuable.

R.K. a dit…

La description que vous en faites et faisant appel à vos souvenirs d´enfance, est digne d´une description des décors d´un ouvrage de Marcel Pagnol. Manque juste le chant des cigales ou plutôt le chant du grillon champêtre (Gryllus campestris) et les cliquetis répétés du criquet ensanglanté (Stethophyma grossum) de nos prairies hygrophiles. Toujours plaisir à vous lire.

Sylvain Post a dit…

Merci RK, c'est trop !

Sylvain Post a dit…

Eurodistrict SaarMoselle :
Changement de présidence

Dans un communiqué du 26 juin 2014, l'Eurodistrict SaarMoselle annonce que sa présidence et vice-présidence ont changé conformément à ses statuts (présidence tournante France - Allemagne) : " M. Schuh, maire de Morsbach n'est plus président et Mme Britz, maire de Sarrebruck, plus Vice-présidente du GECT Eurodistrict SaarMoselle depuis le 16 juin.
M. Peter Gillo, directeur du Regionalverband Sarrebrucken a été élu président de l'Eurodistrict SaarMoselle et M. Roland Roth, président de la Communauté d'agglomération de Sarreguemines Confluences, a été élu vice-président de l'Eurodistrict SaarMoselle".

Eurodistrict SaarMoselle
M. Peter Gillo, Président / ou M. Roland Roth, Vice-Président
Talstraße 16
D-66119 Saarbrücken

"Gemäß unserer Satzung teilen wir Ihnen mit, dass sich unsere Präsident- und Vizepräsidentschaft seit dem 16. Juni 2014 verändert haben. Herr Schuh, Bürgermeister der Gemeinde Morsbach ist nicht mehr Präsident und Frau Britz, Oberbürgermeisterin der Landeshauptstadt Saarbrücken, nicht mehr Vizepräsidentin des EVTZ Eurodistrict SaarMoselle.
Herr Peter Gillo, Regionalverbandsdirektor, wurde zum Präsidenten des Eurodistricts SaarMoselle und Herr Roland Roth, Präsident des Gemeindeverbandes Sarreguemines Confluences, zum Vizepräsidenten des Eurodistricts SaarMoselle gewählt".

Eurodistrict SaarMoselle
Bureau de Coopération
Talstraße

Tél : 0049 (0) 681/506-8010
Fax : 0049 (0) 681/506-8020
www.saarmoselle.org