samedi 15 décembre 2012

LES VERRERIES DU WARNDT


Souffleurs d'histoire



Une expo, une chronique et une conférence magistrale. Le cercle d’histoire de Forbach a choisi les verreries disparues du Warndt comme thème dominant de l’année, en ne prenant guère le temps de souffler… Et pour conclure, un invité d’honneur jusqu'au 4 janvier : le Centre international d’art verrier de Meisenthal avec les boules de Noël.





La dernière-née des boules de Noël de Meisenthal
© Guy Rebmeister



Tout juste démontée à l’office de tourisme de Forbach, l’exposition d’objets issus des anciennes verreries du Warndt  vient de céder  la place au Centre international d’art verrier de Meisenthal qui y présente avant les fêtes, la dernière-née des « boules de Noël », Vroum. S’ajoute à ces deux événements successifs, la parution de la revue annuelle du cercle d’histoire « Die Furbacher », avec, parmi les thèmes dominants, de très belles pages sur « Les verreries de Forbach et sa région », signées Raymond Engelbreit, Marcel Gangloff et Joseph Zeller qui font autorité en la matière.

Et voilà qu’à son tour, la conférence d’automne des « Furbacher » vient de remplir l’amphi du siège de la communauté d’agglomération, à  l’occasion d’une « courte histoire racontée » − pour reprendre l’expression de l’orateur lui-même − de «-Nos verreries, filles de la forêt du Warndt-».

Qui a entendu Emile Yax énumérer les quatre verreries artisanales de Forbach (avec  le choix assumé de ne pas traiter le cas de Merlebach, qui justifierait à lui seul une causerie), ne peut que s’interroger sur l’éclosion de cette activité dans le Warndt. La réponse tient en deux mots : la forêt, le sable.


Afin de  valoriser des terres nouvelles, auparavant incultivables, les princes du XVIIe siècle engagent le défrichement. Ils voient d’un bon œil la venue de maîtres-verriers du Saint-Empire, souvent de confession protestante. Vers 1600, l’activité verrière sera même un pivot de l’économie du très catholique duché de Lorraine sous Charles III. 

La première verrerie du comté de Forbach commence à produire des verres et des vitres en 1623. Près de dix ans plus tard, le marchand verrier Gérard de Schöneck vend ses produits jusqu’à Rotterdam.

La Vieille-Verrerie élabore, pour elle-même et pour d’autres,
l’alcali utilisé pour la fusion du sable, qui se trouve dans la cendre de bois brûlé avec de la fougère, appelé “pottasche”. Ce n’est pas un simple détail, mais un élément-clé de l’alchimie du verre connu depuis l’Egypte des pharaons, souligne Emile Yax. L’orateur raconte l’histoire de ces chameliers qui avaient fait un feu sur le rivage d’un lac salé. Ils s’aperçurent au petit matin que le sable s’était transformé en verre. Le natron, substance blanche  évanescente, que l'on trouve au bord de certains lacs, avait joué le rôle de fondant dans la Haute-Egypte.

La civilisation arabe trouvera très logiquement ce fondant dans les algues. Et la forêt du Warndt abondamment peuplé de fougères aigle permettra aux «-Äschenbrenner-» de produire la «-potasse-» voire même d’exporter ces lucratives cendres vers le comté voisin.
 
La deuxième verrerie des environs est fondée en 1718 par le baron suédois et protestant Henning von Strahlenheim, comte de Forbach. Il choisit de valoriser ses quatre mille hectares de forêts de feuillus en développant un gros marché régional de bois de construction et de chauffage. La verrerie dédiée à son épouse sous le nom de Verrerie-Sophie, consomme une part importante de ce bois. Les débuts sont difficiles pour cette manufacture qui doit faire face à des litiges et à l’hostilité des communautés rurales troublées par l’extrême mobilité des souffleurs de verre, des bûcherons et des potassiers venus d’ailleurs. Et les catholiques se montrent méfiants vis-à-vis de leur appartenance, souvent, à l’église réformée.



Le charbon remplace le bois



Une troisième verrerie, la « Christianhütte » est autorisée en 1777, à Schoeneck, par la comtesse de Forbach, épouse de Christian IV, duc de Deux-Ponts. Les Raspiller venus d’Abreschviller, en deviendront totalement propriétaires en 1803 et donneront à l’activité une nouvelle impulsion, en utilisant pour la première fois la houille à la place du charbon de bois. Cette évolution qui donne un verre plus épais, permet de fabriquer la bouteille de champagne et ouvre le débouché des vins effervescents. L’établissement de Schœneck  voit  arriver comme actionnaire un fondé de pouvoir de la verrerie de la Fenne (Sarre) qui prend la qualité d’associé. En plus des vitres, des verres et des bouteilles, cette verrerie artisanale élargit sa gamme aux bocaux de conserve et aux fioles d’apothicaire.

Une quatrième verrerie s’implante à Forbach en 1828 pour produire du verre à vitres, en concurrence avec Schœneck. Elle restera durant douze ans propriété de la famille Couturier, de Neunkirchen, qui passera le manche aux familles Bonvalot et Vallet et se lancera dans la tuilerie.


Si les quatre verreries de Forbach suivent avec succès le passage du bois au charbon, elles n’auront pas la capacité d’investissement nécessaire quand les nouvelles et coûteuses technologies du début du XXe siècle révolutionnent la technique verrière. Sans oublier qu’à la suite de la défaite de 1870 et du rattachement de la région au Reich pour près d’un demi-siècle, une frontière sépare les verreries mosellanes du marché français, tandis que s’accentue la rude concurrence allemande.

« Les progrès techniques écraseront la verrerie artisanale » conclut Emile Yax, rappelant que «-la soude industrielle remplace la potasse végétale dès le début du XIXe ». Dieuze fabrique la soude chimique. La soudière de Sarralbe, en 1913, développe un procédé plus performant. C’est aussi à Sarralbe que se situe la première cokerie de Lorraine (« et non pas à Carling »…). Une nouvelle révolution avec la verrerie au gaz de cokerie à récupération de la chaleur, extraordinaire en termes de gain énergétique, marque le début d’une concentration industrielle sur les bassins charbonniers. L’artisan verrier du Warndt français a vécu

Un siècle plus tard, c’est sur le gazoduc lorrain en provenance de Russie que s’implantera une grande usine de verre plat en Moselle-Est. On change complètement de dimension avec la venue de Pilkington, le leader mondial du verre plat
le float pour l'automobile et le bâtiment, et d'Interpane, un des grands transformateurs européens.

Réalisée à Seingbouse, sur 43 hectares de la zone d'activités de la communauté de communes de Freyming-Merlebach, cette implantation  aura bénéficié pour son démarrage en 2001 dans une conjoncture difficile, de 18 millions d’euros d’aide de la part des pouvoirs publics et de la Sofirem, filiale financière de Charbonnages de France, pour un investissement d’environ 168 millions d’euros.

Entre temps, le groupe suisse Interpane Glass Industrie AG a repris le contrôle de l'ensemble des installations dont la capacité annuelle est de 250 000 tonnes de verre flotté. Le site produit du verre plat et des vitrages feuilletés de sécurité. Il est également dédié à la fabrication de vitrages à couches tendres, ainsi que de vitrages isolants haute technologie. La production s’élève à environ 10 millions de mètres carrés par an.

Plus aucune trace des anciennes verreries du Warndt, si ce n’est l’appellation des lieux-dits, tels que les quartiers de Vieille-Verrerie à Petite-Rosselle (de même que Potaschbronn sur une feuille cadastrale rosselloise) et Verrerie-Sophie à Stiring-Wendel.

Envers et contre tout.



S.P.


Vient de paraître :
Chroniques  de Forbach et sa région, revue éditée par le Cercle "Die  Furbacher" (116 p., richement documentées et illustrées). Un des thèmes dominants de ce 3e numéro concerne les verreries de Forbach et sa région, du XVIe au XXe siècles.
En vente à l'Office de tourisme de Forbach.


Liens externes :
- Office de tourisme du Pays de Forbach
- Glas- & Heimat-Museum Warndt
- GR-Atlas, l'atlas interactif de la "Grande Région"
- Centre international d'art verrier de Meisenthal
- Les ancêtres d'Eisenhower, bûcherons et potassiers



 




L'emblématique bouteille de Maggi
fabriquée dans le Warndt sarrois
et des bocaux de la Fenne/Saarglas © dr


4 commentaires:

Sylvain Post a dit…

La petite histoire des Boules de Noël de Meisenthal

En 1858 la nature fut avare. La grande sécheresse priva les Vosges du Nord de fruits et le sapin de Noël n'eut donc parure qui vaille. Un souffleur de verre de Goetzenbruck inspiré tenta de compenser cette injustice en soufflant quelques boules en verre. Il déclencha à lui seul une tradition qui traversa les cultures, le monde, l'humanité.
En 1964, la verrerie de Goetzenbruck mettait un terme à la fabrication industrielle des boules de Noël argentées. Depuis 1998, le Centre International d'Art Verrier (CIAV) de Meisenthal, qui a ressuscité et revisité cette tradition, produit selon des rituels ancestraux des boules de Noël en verre. Ainsi la tradition verrière côtoie la création avec une ligne contemporaine de boules allant de Vergo en passant par Hélium (en 2009), ou encore Tilt, Ovni...

Aux modèles traditionnels réédités s’ajoutent année après année des boules contemporaines conçues par des créateurs (artistes, designers) invités à revisiter la tradition. A ce jour une vingtaine de modèles existent dans les 2 collections : la ligne traditionnelle compte des objets directement inspirés de modèles anciens. La ligne contemporaine compte plus de 10 modèles conçus par des designers et artistes contemporains - Andreas Brandolini (D), Italo Zuffi (I), Michel Paysant (F), Jasper Morisson (GB), Judith Sengh et Alex Valder (D), Philippe Riehling (F), V8 designers (F), Mendel Heit (F).. (Voir les modèles du www.ciav-meisenthal.com).

Source : CIAV

Sylvain Post a dit…

Et les cristalleries ?

Notre article est centré sur les anciennes verreries de la région de Forbach et mentionne la présentation dans cette ville des "Boules de Noël de Meisenthal". Cet angle nous fait faire l'impasse sur les cristalleries.On peut le regretter, car elles font aussi notre fierté !

Sylvain Post a dit…

Vous avez dit "float"...

C'est le procédé actuel de fabrication du verre. Schématiquement : issu de la fusion du sable en présence d'un fondant et d'autres composants, le verre fondu "flotte" sur un bain d'étain à 600 degrés (ça n'attache pas !), s'étale sous son poids et, par refroidissement progressif, il est rigidifié, puis laminé entre des cylindres. C'est ainsi que l'on arrive au verre plat. L'explication n'est certes pas très technique, mais elle se veut compréhensible.

Yves D. a dit…

Cet article m'a beaucoup appris. Je note au passage le montant de l'argent public qui a été versé pour l'usine de la mégazone de Freyming-Merlebach. Quelle image on donne au citoyen ( particulièrement aux PME et aux artisans...) en subventionnant les multinationales dans ces proportions, avec nos impôts !