vendredi 16 novembre 2012

DITES-NOUS POURQUOI...

Forbach honore le “Royal Deux-Ponts”



Glorieux régiment créé à Zweibrücken (Palatinat) pour servir la France, le “Royal Deux-Ponts” embarqua pour l’Amérique du Nord en 1780, avec le corps expéditionnaire du lieutenant général  de Rochambeau lors de la guerre d’indépendance des États-Unis.  Sa conduite héroïque  a été présentée par Raymond Engelbreit, devant les membres du Cercle d’histoire locale de Forbach et sa région (“Die Furbacher”). Trois questions à l’auteur.





Des deux côtés de l'Atlantique, une même ferveur pour perpétuer
le souvenir du “Royal Deux-Ponts” : drapeaux et uniformes
bleu et or du régiment, lors du 225e anniversaire de
la bataille de Yorktown, Virginie, en 2006. La délégation française était
conduite par le Colonel André Mudler, président de l'amicale
Royal Deux-Ponts/99e et 299e R.I. basée à Lyon,
dernière garnison de l'héritier du Royal Deux-Ponts.




-  Quel rapport faut-il voir entre Forbach et le “Royal Deux-Ponts” ?

Raymond Engelbreit : C’est  le vicomte Guillaume de Forbach qui apporta au roi de France Louis XVI la signature de la reddition des Anglais, à l’issue de la guerre d’indépendance américaine.  Ce qui permit à la France de reconnaître l’avènement des États-Unis d’Amérique.

Certains pensent que s’intéresser à l’histoire locale est vieux jeu. Ils ont tort. Nos racines montrent souvent que notre région d’Alsace-Lorraine a mêlé son nom aux plus belles épopées de la Vieille Europe et du Nouveau Monde. Et nous pouvons en être fiers.

Une de ces pages a été écrite par le “Royal Deux-Ponts”, un régiment de soldats frontaliers, presque tous bilingues, qui ont forcé l’admiration des Américains. Le 18 octobre 1781, ils ont été les artisans de la victoire de Yorktown, décisive pour l’indépendance américaine.


À leur tête, il y avait les fils de la comtesse Marianne Camasse de Forbach, le comte Christian et le vicomte Guillaume de Forbach  Deux-Ponts. 

Depuis cette victoire, une amitié indestructible unit les Américains à la France -  amitié que sont venus sceller cette année à Forbach, une quarantaine de citoyens américains, descendants de ces alsaciens et mosellans  ayant combattu à Yorktown.



-  Le duc de Deux-Ponts Christian IV eut le coup de foudre pour Marianne Camasse lorsqu’il la vit danser sur la scène de l’opéra de Mannheim. Lui était prince et protestant, elle roturière et catholique. Voulez-vous esquisser rapidement ce qu’il advint de ce conte de fée…

Raymond Engelbreit : Marianne et Christian ont eu 3 enfants nés hors mariage : Christian né en 1752, Guillaume en 1754,  et Caroline en 1756.  Ils n’eurent aucun droit à la succession du duché. Mais Christian IV, duc de Deux-Ponts, mit tout en œuvre pour garantir des ressources suffisantes à Marianne et à ses enfants. Il acheta la moitié du comté de Forbach à Marianne ainsi que le château construit par Stralenheim (aujourd’hui château Barrabino).


Marianne fut anoblie et devint comtesse de Forbach. Christian IV abjura  la religion protestante et leur mariage officiel  eut lieu en 1757, à Deux-Ponts. 

Comme Christian IV avait les faveurs de la Pompadour, il effectua des séjours fréquents à Versailles. Marianne, jalouse, lui reprocha alors ses absences prolongées. Le duc décida donc  de l’introduire à la cour. Ils logeaient rue Royale à l’Hôtel Deux-Ponts.

Marianne était dame de palais de la reine Marie Leszczyńska, épouse de Louis XV. Elle entretint des relations avec les célébrités à la mode : le conteur Grimm, le musicien Glück, Diderot, l’abbé Fréron. Elle se lia d’amitié avec Benjamin Franklin. 

En 1774, Louis XV meurt à Versailles de la petite vérole.  Christian est très affecté.  Le couple se retire à  Zweibrücken.  Puis c’est le fatal et imprévisible accident de chasse : le duc court un gros cerf.  La bête se retourne vers les chasseurs, s’élance vers lui et l’éventre.  C’est son neveu Karl August qui lui succédera  à la tête du duché.  Marianne se retirera  à Forbach.





La comtesse de Forbach entourée de ses deux fils.
Le duc de Deux-Ponts n'est pas présent lors de
la réalisation du tableau. Il est néanmoins introduit dans la scène
par le truchement d'un portrait que présente
un personnage au fond, à droite.
Œuvre de J. Christian von  Mannlich.



  
- Revenons au “Royal Deux-Ponts”. Quel fut le principal fait d’armes de ces Lorrains, Alsaciens, Palatins et Bavarois sur le sol américain ?

Raymond Engelbreit : Guillaume, vicomte de Forbach Deux-Ponts, dans ses mémoires “Mes campagnes d’Amérique” a laissé une relation détaillée de la prise de la redoute 9 et des 120 défenseurs britanniques et hessois, à Yorktown, par le Royal Deux-Ponts et le Gâtinais.

L’opération était synchronisée avec celle des Américains de La Fayette contre la redoute 10 et devait débuter à un signal convenu : le soir à 6 h 30, après un silence d’un quart d’heure de toutes les batteries,  après  deux coups de bombes et d’obus de la première parallèle.

Une section de pionniers équipés d’échelles, de fascines et de haches, ouvrait la voie à la colonne, les plus anciens ayant le privilège de marcher en tête. Il y eut 15 morts et 77 blessés chez les attaquants, 18 tués et 50 prisonniers parmi les défenseurs hessois et britanniques. Le lieutenant-colonel Lestrade du Gâtinais fut grièvement blessé et Guillaume reçut  une projection de gravier au visage.

Cette opération  amena la capitulation de Cornwallis (et donc des Anglais) et la reconnaissance de l’indépendance américaine. Ce que nos compatriotes avaient accompli était décisif et géant. Sans Forbach et le Royal Deux-Ponts, sans le Gâtinais, l’histoire des États-Unis d’Amérique aurait sans doute suivi un autre cours.

Reste cependant un petit problème. De nos jours ce sont surtout les habitants de Zweibrücken qui revendiquent cette contribution, sans doute pour effacer l’image pas très glorieuse des Hessois qui combattaient aux côtés des Britanniques. Or le régiment était français, financé et mandaté par la France, et de plus, commandé par des « Furbacher ».

Il est bienvenu d’exprimer de temps à autre notre fierté,  et sans esprit polémique, de contrer ce détournement systématique de mémoire.




Raymond Engelbreit  enseignant retraité
 propos recueillis par Sylvain Post 






Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Une quarantaine de citoyens américains, descendants
des alsaciens et mosellans ayant combattu à Yorktown
ont été accueillis à Forbach, le 25 avril 2012,
par le cercle d'histoire “Die Furbacher” .


4 commentaires:

J.Z. a dit…

Façon originale de mêler la petite histoire à la grande !

André Mudler a dit…

Président de l'Amicale Royal Deux-Ponts/99e et 299e R.I.basée à Lyon, dernière garnison de l'héritier du Royal Deux-Ponts, j'étais à Yorktown en 2006 avec le drapeau d'ordonnance que l'on voit sur la photo. J'ai effectivement constaté à cette occasion l'appropriation par nos voisins allemands du rôle du Royal Deux-Ponts à Yorktown....

Sylvain Post a dit…

Cette « appropriation » (mais il ne tient qu’à nous d’en faire autant…) trouve ses limites dans l’acte de naissance du Royal Deux-Ponts, l’ordonnance du roi de France Louis XV, datée du 19 février 1757, portant création « d’un régiment d’infanterie allemande », sous le titre de Royal Deux-Ponts . « Sa Majesté ayant jugé à propos de prendre à son service et à sa solde un corps d’infanterie dont le duc de Deux-Ponts a fait la levée dans ses états et que ce prince lui a offert pour en faire un régiment ». Le duc de Deux-Ponts percevra 80 000 florins par an aux termes d’un contrat valable 8 ans et renouvelable.
D’autres régiments « allemands » étaient déjà placés sous le drapeau à fleur de lys.
Le corps d’infanterie de Zweibrücken réunit 2034 hommes répartis en 3 bataillons soit 6 compagnies. Celle du capitaine Rühle von Lilienstern comprenait 83 alsaciens-lorrains (la moitié de l'effectif) pour 57 soldats originaires du duché de Deux-Ponts ou de la ville de Zweibrücken, 27 soldats étant venus d’horizons divers : Brandebourg, Luxembourg, Wurttemberg, Palatinat… Parmi les officiers du Royal Deux-Ponts on comptait des gradés natifs d’Abreschviller, Beblenheim, Créhange, Forbach, Hipsheim, Huningue, Insming, Longuyon, Luttange, Manderen, Metz, Mutterholz, Ribeauvillé, Saint-Avold, Sarreguemines, Schwebheim, Stotzheim, Strasbourg, Varize...
Il ne s’agit pas d’une conscription c’est-à-dire d’une réquisition par un Etat d’une partie de sa population afin de servir ses forces armées, mais d’un régiment professionnel dont Guillaume de Forbach, le héros de Yorktown, écrira : « C’est au commencement de l’année 1780 que le Roy [de France] se détermina à envoyer des troupes au secours des états unis de l’Amérique septentrionale, on n’en déclara pas le dessein, on prit au contraire toutes les précautions imaginables pour cacher l’objet auquel on destinait les troupes qui allaient recevoir l’ordre de s’embarquer (…) Le Marquis de La Fayette possédait seul à cet égard, le secret de l’Etat, c’est lui qui fut chargé de notifier notre arrivée en Amérique…
À Yorktown, La Fayette commandait l'armée américaine et Rochambeau l'armée française (dont le Royal Deux-Ponts), les deux sous le haut commandement du général George Washington "qui fut le premier généralissime interallié franco-américain", écrit Warrington Dawson dans son étude intitulée "Les 2112 Français morts aux Etats-Unis pour l'indépendance américaine". Il donne les noms des 49 sous-officiers et soldats du Royal Deux-Ponts tués aux Etats-Unis sous la bannière du roi de France et du duc de Deux-Ponts. Et sous le commandement des fils de la comtesse Marianne de Forbach.
Pour aller plus loin, consulter le site :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1936_num_28_1_1936?_Prescripts_Search_tabs1=standard&#

Sylvain Post a dit…

Je remercie le Colonel Mudler pour son commentaire. Il m'a incité à fournir des précisions supplémentaires sur le Royal Deux-Ponts, sujet déjà consulté par près de 250 personnes en vingt-quatre heures sur ce blog...