vendredi 7 septembre 2012

CULTURE MINIÈRE

Raoul Briquet, tribun du casse-croûte


Voici la double origine du mot “briquet”, le nom donné indifféremment au casse-croûte du mineur et à la pause sur le tas. Et comment les compagnies minières ont été amenées à l’inclure dans le temps de travail effectif …


 
© Charbonnages de France/Audiovisuel




Le temps d’une pause, voilà  l’histoire du “briquet”. Je la raconte à ma manière, avec le risque d’être contredit,  car une tranche de légende s’est glissée dans le casse-croûte du mineur. Mais finalement, personne ne m’en voudra : pour le prix d’une version, en voici deux…

Sur les blogs très actifs de mes amis Ch’tis, les propos sont chaleureux à l’égard de feu Raoul Briquet, député socialiste de la deuxième circonscription d’Arras. Ils sont prompts à lui attribuer la paternité du mot briquet parce qu'il a obtenu du gouvernement que soit imposée aux compagnies minières une
pause casse-croûte payée sur le temps de travail.

La paternité du nom se discute, mais le fait d’avoir eu gain de cause a valu son heure de gloire au député Briquet. Sa victoire est venue conforter l’appellation donnée par les mineurs à ces vingt minutes de répit, qui leur permettaient de reprendre des forces ! L'épisode, en tout cas, apporte de la saveur à la tradition minière...

Car le casse-croûte du mineur a une connotation particulière, quel que soit le bassin minier. Mineur à Merlebach, mon père, au retour du poste du matin, rapportait systématiquement un bout de pain qui avait pris le goût de la mine, pas franchement désagréable. C’était un bout de pain mis de côté pour le cas où le poste subirait une prolongation. Je n’ai jamais vu mes parents jeter du pain. S’il en restait, c’était pour les lapins. Chargé de le leur apporter, je me surprenais à grignoter ce quignon en cours de chemin, l’imagination vagabonde… Comme pour entrer en communion avec la mine dont ce bout de pain sec  me transmettait le goût.
 
J’appris bien plus tard, que tous les gosses de mineurs faisaient de même, guettant chaque jour la musette du père : dans le Nord, terre de colombophilie, on appelait “pain d’alouette” ce restant de casse-croûte imprégné du mystère de la mine. En Lorraine charbonnière, c’était le “Haasebrot”, le pain des lapins, en francique rhénan, la langue du porion mosellan.
 
Le souci de l’épouse était de disposer toujours d’un pain de trois livres (le “Dreipenner” en Moselle, qui permettait de faire de belles tranches), de lard, de pâté et surtout de la très populaire saucisse de viande ficelée en rond appelée “Lyonner”  (prononcez : “Lyona”). On alternait avec les incontournables  saucisses à tartiner, “Schmeerwurcht” et  “Lewerwurcht” ou encore avec le lard grillé et les tartines de saindoux.
 
Certains préféraient les sardines, les pilchards, le thon ou les rollmops. Fromage et fruits du verger complétaient le contenu de la musette appelée “Hawersack” (littéralement : “sac d’avoine”, par analogie avec le sac fixé à l’encolure des chevaux, contenant une ration de fourrage). Il ne fallait surtout pas oublier la gourde en alu (“Kafféblech” en Moselle, “boutlot” dans le Nord), remplie de café très allongé, ou selon le cas, d’un mélange de café, de chicorée et de malt torréfié.
 
Après cette digression − qui nous aura appris au passage que “le briquet”  du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine s’appelait “le pain”  à Montceau-les-Mines et “le cabas” à La Mure, dans l’Isère − revenons à Raoul Briquet. 


Né en 1875 à Douai (Nord), tué pendant la première guerre mondiale, en 1917, lors de l’explosion d’une bombe à retardement déposée par l'ennemi dans la salle d'honneur de l'hôtel de ville de Bapaume (Pas-de-Calais), il fut député de 1910 à 1917.

Avocat, docteur en droit, juriste distingué, Raoul Briquet, inscrit très jeune au parti socialiste S.F.I.O., fut choisi comme conseiller par le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais. Spécialiste du droit ouvrier, il fut présenté par M. Raoul Jay, professeur à la Faculté de droit de Paris, au Collège libre des sciences sociales où il entra comme professeur.

En 1902-1903, il y traita “La formation du droit ouvrier” et en 1911-1912, développa “La crise et les tendances du droit ouvrier”: le code du travail; sources et conflits du droit ouvrier; la lutte contre le paternalisme; le syndicalisme et l'ordre public; la protection et l'organisation du travail; l'assurance sociale ; l'actionnariat ouvrier et le pacifisme social ; producteurs et consommateurs, la coopération ; conceptions juridiques nouvelles; l'avenir du droit ouvrier et le socialisme.
 
Comme député, il se fit entendre à différentes reprises à la tribune, sur les sujets qui étaient de sa compétence ou intimement liés à ses convictions.
 
L’histoire voudrait donc que l’on donnât son nom au “briquet”. Seul ennui : Emile Zola avait déjà utilisé ce terme dans « Germinal » en 1885, dans le passage suivant :
« Devant le buffet ouvert, Catherine réfléchissait. Il ne restait qu’un bout de pain, du fromage blanc en suffisance, mais à peine une lichette de beurre ; et il s’agissait de faire les tartines pour eux quatre. Enfin, elle se décida, coupa les tranches, en prit une qu’elle couvrit de fromage, en frotta une autre de beurre, puis les colla ensemble: c’était le « briquet », la double tartine emportée chaque matin à la fosse. Bientôt, les quatre briquets furent en rang sur la table, répartis avec une sévère justice, depuis le gros du père jusqu’au petit de Jeanlin ».

Il faut donc admettre, sans faire injure à l’honorable parlementaire, que le nom donné au casse-croûte du mineur pût avoir une autre origine. Pour certains, le mot “briquet” remonterait aux années 1800 et proviendrait d'un surnom de boulanger : briquet serait un pain court en forme de brique.  Cette version expliquerait l’emploi qu’en fit Zola, alors que Raoul Briquet avait à peine 10 ans !
 
L’auteure Marianne Haas-Heckel, dans un recensement systématique des mots français d’origine francique relevés en 2007 dans le Dictionnaire Robert de la langue française et dans le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, note que les termes  “briche” et “brike” en vieux français, qui avaient cours avant le XVIe siècle : «manger des briques (des miettes), n’avoir rien à manger»,  sont à rapprocher de l’ancien francique “brëchen” (en allemand “(zer)brechen”  ).
À Sarreguemines, “brèsche” s’emploie encore pour “briser”, “casser en morceaux”.

La spécialiste du francique rhénan considère que l’allemand “Brocken” (morceau, bouchée, fragment…) est un substantif proche de briquet. Pour d’autres, le mot “brique” provient du néerlandais et signifie “morceau”… « Un briquet, c’est donc "un petit morceau", disent les tenants de cette définition. D’où les sens dérivés : “briquet” qui désigne aussi un chien de chasse de petite taille ou encore un sabre à lame courte utilisé dans l'infanterie napoléonienne, le sabre briquet ».

Comme Marianne Heckel-Haas, les mêmes nous renvoient à l’anglais “to break” et  à l’allemand “brechen”, qui signifie rompre ou briser.
 
Sans être iconoclaste, “briser” me va très bien comme  synonyme de “faire briquet”. Car la pause dans certaines branches d’activité professionnelle se nomme “la brisure”.
 
«La qualification juridique de la brisure, ai-je lu dans une convention collective à propos de la pause, dépend des modalités de prise de celle-ci. Ainsi, lorsque cette brisure est incluse dans l'amplitude journalière de travail, elle constitue du temps de travail effectif. A l'inverse, cette brisure incluse dans l'amplitude journalière de travail est exclue du temps de travail effectif lorsque les salariés peuvent quitter le lieu d'exercice du pouvoir hiérarchique de l'employeur, pendant cette brisure».
 
Certes, le briquet existait avant le député Briquet. Mais comment le parlementaire aurait-il pu défendre le casse-croûte du mineur, sinon sous son patronyme : où est le problème ? Et si, à présent, on faisait “un break ”… 


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur








2 commentaires:

J de P. a dit…

J'ai fait ma pause en lisant votre dernière livraison de Post Scriptum sur le "briquet". Un régal, Sylvain !

B.P. a dit…

Magnifique.