jeudi 28 juin 2012

IGUANODONS DE BERNISSART

Une affaire de queue


L’exposition qui vient de s’ouvrir au muséum-aquarium de Nancy
sous le titre « Parce queue » - où le public découvre la diversité des queues
du monde animal ainsi que leurs nombreuses fonctions, parfois insoupçonnées : chasse-mouche, pelle, béquille, fouet, propulseur, outil servant à la séduction, gouvernail… - m’a donné l’idée de repiquer l'article que j’avais publié en 1986
sur la queue (maltraitée) des iguanodons de Bernissart





 

S’il y a une chose dans l’univers de la paléontologie que la terre entière envie à la Belgique, c’est le groupe de 29 iguanodons trouvés ensemble à Bernissart en 1878, dans l’argile traversée par une galerie de prospection des charbonnages. Un exemple unique en Europe. L’ennui, c’est qu’il faudrait rectifier tous les livres écrits à leur sujet. Car selon une nouvelle théorie [ndla : en 1986], l’Iguanodon Bernissartensis 
a marché à quatre pattes : le paléontologue belge Louis Dollo (1857-1931), principal artisan de sa reconstitution, aurait eu tort de le classer parmi les bipèdes…


Pitié pour Louis Dollo ! Le découvreur des plus célèbres iguanodons d’Europe doit se retourner dans sa tombe après le pavé que deux naturalistes belges viennent de jeter dans la mare aux dinosaures. Dans leur Nouvelle approche des iguanodons de Bernissart publiée à Bruxelles, G.-Cobut et M.-B. Libbrecht, collaborateurs de l’Institut royal des Sciences de Belgique disent en gros que ces dinosaures de cinq mètres de haut, à bassin et pattes d’oiseaux, sont montés de travers. 
 
Louis Dollo, affirment-ils, leur a cassé la queue et brisé la nuque ! Il n’y avait sans doute personne pour lui rappeler que c’étaient des choses à ne pas faire, en 1878, l’année où le percement d’une galerie de recherches des charbonnages de Bernissart, à 322 mètres de profondeur, fit rencontrer fortuitement une accumulation d’ossements d’iguanodons parfaitement fossilisés. Ceux-ci se logeaient dans un puits naturel comblé par de l’argile d’âge géologique nettement plus jeune que le terrain houiller. On estime que ces reptiles avaient vécu au Crétacé inférieur (Wealdien), il y a 125 à 120 millions d’années.
 
Vingt-neuf bêtes furent remontées à la surface. Un travail de dégagement mené avec un soin méticuleux, remarquable pour l’époque. La reconstitution des dinosaures elle-même représenta une somme de travail qui force l’admiration. Quand Dollo la fit entreprendre en 1880 (un an après la naissance d’Einstein), il n’avait pas d’excédent de certitudes. L’ennui est qu’il postula que les iguanodons avaient été bipèdes. Et puisqu’ils avaient marché sur deux pattes, c’est clair, il fallait qu’ils tiennent debout.


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Nouvelles conceptions
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En 1986, Cobut et Libbrecht mettent en doute la bipédie de l’iguanodon de Bernissart pour lui substituer des conceptions nouvelles, notamment les études récentes de David Bruce Norman qui fait marcher à quatre pattes ces grands animaux que l’homme n’a jamais connus, disposés comme à la parade le long des parois de verre qui les protègent au muséum, 29, rue Vautier, à Bruxelles.


La reconstitution en posture érigée faite par Dollo « présente des points faibles, tels que la courbure de la queue, retravaillée artificiellement pour lui donner une forme proche de celle du kangourou. Sur les squelettes en position de gisement exposés au muséum on voit au contraire une queue presque droite, voire légèrement courbée dans l’autre sens » notent les deux scientifiques belges. De même, « la courbure en col de cygne du cou est également artificielle et devrait être moins prononcée, ajoutent-ils. Quant au crâne, il était obligatoirement  tenu dans le prolongement de la colonne : son articulation sur la première vertèbre cervicale (atlas) ne permettait pas à cet endroit la flexion dorso-ventrale qu’on lui a donnée.

Il faut donc se représenter le cou et la tête dans l’axe du dos, prolongeant souplement celui-ci  vers l’avant». Si Cobut et Libbrecht observent que les jeunes iguanodons de Bernissart ont pu marcher sur deux pattes, ils indiquent que l’iguanodon adulte se place clairement parmi les quadrupèdes. Sa bipédie n’aurait été qu’occasionnelle.

La publication d’une pareille mise au point frise l’iconoclastie et défrise les pontes qui ont fait leur nid dans la littérature scientifique à la suite de Louis Dollo. Pourtant « ce n’est pas ternir sa mémoire que de constater que certaines de ses hypothèses ne sont pas sans faille » s’excusent Cobut et Libbrecht. Signe de bonne santé intellectuelle : au lieu d’accuser le célèbre paléontologue belge d’un lamarckisme de bazar, ils manient la courtoisie, gardant une distance respectueuse vis-à-vis de celui qui aurait donc si gentiment caricaturé l’iguanodon de Bernissart. Hardiesse largement compensée par les connaissances tant morphologiques qu’éthologiques sur ces reptiles que Dollo a léguées à la postérité.

Pour savoir réellement comment se tenaient ces iguanodons, il faudrait pouvoir les réintroduire. C’est évidemment impossible puisque, lors de la grande mort du Crétacé, véritable « crise de la vie » qui frappa la Terre il y a 65 millions d’années, les dinosaures se sont éteints emportant avec eux le secret de leur prodigieuse réussite, mais aussi celui de leur disparition.

Cela ne rapporte rien à personne de savoir qu’ils ont pu marcher à deux ou quatre pattes. C’est pourtant propice à la méditation sur les certitudes de la science !





Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur



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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ben cha alors !!!

Anonyme a dit…

Pour cette instructive histoire de queues, il serait bon que nos scientifiques fassent avant tout bouger leur tête... Je ne doute pas que les neurones se reconnecteront dans le bon sens.

Sylvain Post a dit…

La capacité d'apprendre de ses erreurs dépend de notre état d'esprit : la science a toujours avancé à coup d'erreurs et de bourdes.