Les lettres de noblesse
du francique
Élisabeth de Lorraine-Vaudémont, Française bilingue devenue comtesse de Nassau-Sarrebruck par son mariage, est peut-être la première auteure profane de la littérature allemande. Des experts en sont persuadés après avoir étudié le rôle qu’elle a joué dans la formation du roman en prose au XVe siècle. Ils révèlent qu'elle a recours au francique en usage entre Sarre et Moselle, lorsqu’elle écrit «-sich fîden…» (en français «-se fier à…») au lieu de «-sich verlassen…». Clin d’œil aux langues régionales, placées sous les feux de l'actualité.
"Pilgerfahrt des Traümenden Mönchs" - Uni-u. Landesbibliotek Darmstadt |
Le colloque tenu à Sarrebruck en 1997, année où se commémorait, avec une marge
d’erreur assumée, le 600e anniversaire de la naissance d'Élisabeth de
Lorraine-Vaudémont, comtesse de Nassau-Sarrebruck, est apparu comme une
révélation.
À l’issue des travaux, après une remise à plat de sa biographie et de ses écrits, les plus éminents spécialistes sont persuadés que cette française bilingue a traduit ou a fait traduire en allemand médiéval, le Pèlerinage de Vie humaine de Guilllaume de Digulleville, moine cistercien originaire du Cotentin, prieur de l'abbaye de Chaalis (Oise). Une œuvre volumineuse, richement enluminée, dont la première rédaction remonte à 1330-1331.
À l’issue des travaux, après une remise à plat de sa biographie et de ses écrits, les plus éminents spécialistes sont persuadés que cette française bilingue a traduit ou a fait traduire en allemand médiéval, le Pèlerinage de Vie humaine de Guilllaume de Digulleville, moine cistercien originaire du Cotentin, prieur de l'abbaye de Chaalis (Oise). Une œuvre volumineuse, richement enluminée, dont la première rédaction remonte à 1330-1331.
Inspiré par le Roman de la Rose, mais à contre-pied, Guillaume de Digulleville,
reprend le thème littéraire du songe, qu'il développe en suivant une veine
allégorique chère au Moyen Âge. Il prétend avoir reçu la vision de la Jérusalem
céleste, et de ceux qui en obtiennent l'entrée. Ses treize mille vers content, avec
beaucoup de réalisme, le cheminement du chrétien partagé entre
la séduction des vices et celle des vertus. Voué à un vif succès, le texte
connut une large diffusion.
Il en existe plusieurs traductions.
Le professeur Wolfgang Haubrichs a passé l’une d’elles à la loupe et se dit
persuadé qu’elle a été élaborée dans le ressort du palais de Sarrebruck, citant
également les abbayes de Wadgassen, en Sarre, Longeville-lès-Saint-Avold et
Villers-Brettnach, sans exclure le couvent bénédictin de Bouzonville, en
Lorraine. À l’appui de cette thèse, une proximité : l’existence, à Metz, d’un
manuscrit en français, du Pèlerinage de Vie humaine.
Vient ensuite la sonorité de certains mots qui renvoient, tant aux parlers franciques de la Lorraine germanophone qu’au "Plattdeutsch" et au "Mittelhochdeutsch". La poule ( "Huhn" en allemand ) est désignée sous le nom de "Hunckel" , sachant que "Hìnckel" est encore prononcé en Platt de l’Est mosellan.
Pareillement
pour "Duppen", le "pot" en français, plus proche de "Dìppe", en Platt,
que de l’allemand "Topf" . Ou encore "grommen" (rouspéter), dérivé du
francique "grommeln", le Platt contemporain ayant gardé "grùmmle".
L’expression "sich fîden…" (en français "se fier à …"), préférée à
l’allemand "sich verlassen (auf)…", rappelle le parler francique de Boulay, en
Moselle, d’où était originaire le chapelain de Marguerite de Rodemack, dame de lettres et parente d'Élisabeth de Nassau-Sarrebruck.
Ce florilège dessine les contours d’une aire géographique dans laquelle la traduction a puisé ses moyens linguistiques, une région présentant culturellement une certaine identité, où le francique, en quelque sorte, a obtenu ses lettres de noblesse.
D’autres expressions favorites repérées au fil des écrits de la noble dame Élisabeth invitent à resserrer la preuve par une comparaison du style utilisé, qu’elle ait pu transposer l’œuvre française du moine cistercien dans la littérature allemande précoce.
Quasiment passé inaperçu en France, un pavé de 700 pages publié en Allemagne en 2002, sous le titre : « Zwichen Deutschland und Frankreich. Elisabeth von Lothringen, Gräfin von Nassau-Saarbrücken », fait apparaître le portrait et l’action d'Élisabeth de Nassau-Sarrebruck dans une dimension double : littéraire et politique. Un travail que l’on doit à Wolfgang Haubrichs et Hans-Walter Herrmann en coopération avec Gerhard Sauder (*).
Ce florilège dessine les contours d’une aire géographique dans laquelle la traduction a puisé ses moyens linguistiques, une région présentant culturellement une certaine identité, où le francique, en quelque sorte, a obtenu ses lettres de noblesse.
D’autres expressions favorites repérées au fil des écrits de la noble dame Élisabeth invitent à resserrer la preuve par une comparaison du style utilisé, qu’elle ait pu transposer l’œuvre française du moine cistercien dans la littérature allemande précoce.
Quasiment passé inaperçu en France, un pavé de 700 pages publié en Allemagne en 2002, sous le titre : « Zwichen Deutschland und Frankreich. Elisabeth von Lothringen, Gräfin von Nassau-Saarbrücken », fait apparaître le portrait et l’action d'Élisabeth de Nassau-Sarrebruck dans une dimension double : littéraire et politique. Un travail que l’on doit à Wolfgang Haubrichs et Hans-Walter Herrmann en coopération avec Gerhard Sauder (*).
Une Vaudémont
Pourtant connue des historiens français, l’héroïne est une Vaudémont,
d’ascendance capétienne. Le destin l’a désignée pour accomplir un parcours
difficile. Élisabeth est née entre 1393 et 1398, peut-être à Vézelise
(Meurthe-et-Moselle), plus certainement à Joinville (Haute-Marne). Elle épouse,
vers 18 ans, Philippe Ier de Nassau-Sarrebruck.
Quatrième fortune de l’espace Rhin-Meuse, après les princes électeurs de Trèves, de Mayence et les ducs de Lorraine, de Bar et de Luxembourg, Philippe a des possessions en très grand nombre, éparpillées entre Commercy, dans la Meuse,
Quatrième fortune de l’espace Rhin-Meuse, après les princes électeurs de Trèves, de Mayence et les ducs de Lorraine, de Bar et de Luxembourg, Philippe a des possessions en très grand nombre, éparpillées entre Commercy, dans la Meuse,
«en roman pays», et
Weilburg, en Allemagne, sur la rive droite du Rhin, au nord-ouest de Francfort.
D’autres se situent dans l’orbite de Sarrebruck, à Diemeringen et Niederstinzel
(Bas-Rhin), en remontant le cours de la Sarre.
Philippe de Nassau-Sarrebruck est considéré comme «vassal et sujet» du roi de France Charles VII, depuis qu’il lui a apporté son aide contre la coalition anglo-bourguignonne, en Lorraine, dans le Barrois et en Champagne. Mais il faudra bien, un jour, vivre en paix avec la Bourgogne, pense-t-il. Visionnaire, il a repéré les ressources que peut lui procurer le développement des échanges entre le Nord et le Sud. L’escorte des voyageurs sur les routes où sévissent des détrousseurs de grand chemin, lui remplit la caisse.
Philippe de Nassau-Sarrebruck a déjà deux enfants d’un premier mariage, lorsque Élisabeth lui donne deux garçons, Philippe II et Jean III, et une fille, Margareth. Toujours en déplacement, Philippe est souvent accompagné de son épouse : en 1415, au concile de Constance ; en 1421, à la rencontre du prince-électeur de Nurenberg ; en 1422, aux journées impériales de Ratisbonne et de Nurenberg.
Philippe de Nassau-Sarrebruck est considéré comme «vassal et sujet» du roi de France Charles VII, depuis qu’il lui a apporté son aide contre la coalition anglo-bourguignonne, en Lorraine, dans le Barrois et en Champagne. Mais il faudra bien, un jour, vivre en paix avec la Bourgogne, pense-t-il. Visionnaire, il a repéré les ressources que peut lui procurer le développement des échanges entre le Nord et le Sud. L’escorte des voyageurs sur les routes où sévissent des détrousseurs de grand chemin, lui remplit la caisse.
Philippe de Nassau-Sarrebruck a déjà deux enfants d’un premier mariage, lorsque Élisabeth lui donne deux garçons, Philippe II et Jean III, et une fille, Margareth. Toujours en déplacement, Philippe est souvent accompagné de son épouse : en 1415, au concile de Constance ; en 1421, à la rencontre du prince-électeur de Nurenberg ; en 1422, aux journées impériales de Ratisbonne et de Nurenberg.
C’est au cours d’un de ces déplacements que le comte de Nassau-Sarrebruck
mourra, près de Wiesbaden, à l’âge de 61 ans, alors que son épouse en a environ
35.
Sa jeune veuve ne se remariera pas. Elle s’entoure de nombreux conseillers et garde le cap : garantir l’intégrité d’un énorme patrimoine, éviter l’endettement, assurer le modèle économique qui repose essentiellement sur les privilèges féodaux, en particulier la perception de péages, en contrepartie d’une sécurité du voyage sur les axes de communications transversaux, du bassin de Paris au col du Saint-Gothard. Elle veillera à la politique de neutralité de la maison de Sarrebruck-Nassau pour éviter tout dérapage vers les conflits régionaux, nombreux à l’époque.
Sa jeune veuve ne se remariera pas. Elle s’entoure de nombreux conseillers et garde le cap : garantir l’intégrité d’un énorme patrimoine, éviter l’endettement, assurer le modèle économique qui repose essentiellement sur les privilèges féodaux, en particulier la perception de péages, en contrepartie d’une sécurité du voyage sur les axes de communications transversaux, du bassin de Paris au col du Saint-Gothard. Elle veillera à la politique de neutralité de la maison de Sarrebruck-Nassau pour éviter tout dérapage vers les conflits régionaux, nombreux à l’époque.
Les châteaux du Warndt
Dans le Warndt mosellan, la comtesse de Sarrebruck possède en copropriété la
petite Varsberg (ban de Varsberg, aujourd’hui), forteresse sur laquelle doit
veiller Jean de Kerpen. Une forte tête. Philippe de Nassau-Sarrebruck est mort
deux ans avant Jean de Varsberg, auquel il avait racheté, en 1427, ses droits
d’héritage de la grande Varsberg (ban de Ham-sous-Varsberg, aujourd’hui). Au
décès de son époux, Élisabeth est investie de ces droits, alors qu’elle commande
déjà le premier château, situé sur le promontoire d’en face.
Depuis la rive gauche de la Sarre – à l’endroit où siège aujourd’hui l’exécutif de la capitale du Land – Élisabeth voit monter la tension provoquée par la difficile succession du duché de Lorraine.
La maison de Lorraine est alors représentée par deux vieillards : le duc de Bar, vieux cardinal, et le duc de Lorraine, Charles le Hardi. Celui-ci a l’intention de placer son gendre, René d’Anjou, à la tête du duché. Son neveu, Antoine de Vaudémont – frère d'Élisabeth – est en désaccord total sur cette option et se dit prêt à en découdre.
En 1431, au paroxysme de la lutte pour la couronne ducale, Élisabeth de Nassau-Sarrebruck a près de 38 ans. Elle côtoie le pouvoir depuis son plus jeune âge. Elle ne l’a jamais exercé vraiment et sait qu’il est impitoyable. Les rivalités atteignent tous les membres de sa famille qui, entre cousins, cousines, tiennent les rênes en Lorraine. Une famille désormais écartelée.
Élisabeth se drape dans sa neutralité. Au son des couleuvrines elle préfère la mélopée des romans épiques, les chansons de geste françaises qui ont bercé son adolescence et qu’elle traduit grâce à sa maîtrise des dialectes germaniques. Quatre œuvres sont particulièrement associées à son nom : «Herzog Herpin», «Loher und Maller», «Huge Scheppel», «Königin Sibille». On oublie habituellement que le duché de Lorraine était une région bilingue traversée par la frontière linguistique et que des liens étroits existaient avec l’espace rhénan et le Saint Empire.
Vaudémont (Meurthe-et-Moselle) étant dans la sphère germanique et Joinville (Haute-Marne) sous l’influence du royaume de France, Élisabeth s’était appliquée à apprendre les deux langues et ne s’offusque pas qu’on l’appelle tantôt Ysabel, tantôt Elizabeth. C’est en fait toute la question de la traduction des prénoms. Élisabeth est la version allemande (mais aussi anglaise) d’Isabelle. Isabelle est la forme de tradition latine du prénom, tandis qu'Élisabeth en est la forme celto-anglo-saxonne, et le fait que les deux formes existent en français ne change pas la question qu’au fond, c’est le même prénom.
Depuis la rive gauche de la Sarre – à l’endroit où siège aujourd’hui l’exécutif de la capitale du Land – Élisabeth voit monter la tension provoquée par la difficile succession du duché de Lorraine.
La maison de Lorraine est alors représentée par deux vieillards : le duc de Bar, vieux cardinal, et le duc de Lorraine, Charles le Hardi. Celui-ci a l’intention de placer son gendre, René d’Anjou, à la tête du duché. Son neveu, Antoine de Vaudémont – frère d'Élisabeth – est en désaccord total sur cette option et se dit prêt à en découdre.
En 1431, au paroxysme de la lutte pour la couronne ducale, Élisabeth de Nassau-Sarrebruck a près de 38 ans. Elle côtoie le pouvoir depuis son plus jeune âge. Elle ne l’a jamais exercé vraiment et sait qu’il est impitoyable. Les rivalités atteignent tous les membres de sa famille qui, entre cousins, cousines, tiennent les rênes en Lorraine. Une famille désormais écartelée.
Élisabeth se drape dans sa neutralité. Au son des couleuvrines elle préfère la mélopée des romans épiques, les chansons de geste françaises qui ont bercé son adolescence et qu’elle traduit grâce à sa maîtrise des dialectes germaniques. Quatre œuvres sont particulièrement associées à son nom : «Herzog Herpin», «Loher und Maller», «Huge Scheppel», «Königin Sibille». On oublie habituellement que le duché de Lorraine était une région bilingue traversée par la frontière linguistique et que des liens étroits existaient avec l’espace rhénan et le Saint Empire.
Vaudémont (Meurthe-et-Moselle) étant dans la sphère germanique et Joinville (Haute-Marne) sous l’influence du royaume de France, Élisabeth s’était appliquée à apprendre les deux langues et ne s’offusque pas qu’on l’appelle tantôt Ysabel, tantôt Elizabeth. C’est en fait toute la question de la traduction des prénoms. Élisabeth est la version allemande (mais aussi anglaise) d’Isabelle. Isabelle est la forme de tradition latine du prénom, tandis qu'Élisabeth en est la forme celto-anglo-saxonne, et le fait que les deux formes existent en français ne change pas la question qu’au fond, c’est le même prénom.
Au cœur du drame
Alors qu’elle est régente à Sarrebruck, les nouvelles qui lui parviennent de
Nancy l’arrachent à ses rêves. Élisabeth ne peut pas s’abstraire complètement du
contexte. Nièce de Charles II, elle est la suzeraine d’un chevalier rebelle
inféodé à son tumultueux frère de sang – ennemi déclaré de René Ier d’Anjou – la
cousine germaine de la duchesse et, surtout, la mère de deux garçons à qui la
famille ducale promet, en principe, un avenir.
En 1429, Isabelle fait part des circonstances de son veuvage à son oncle, le vieux duc, lui demandant de protéger ses possessions dans la Meuse, notamment le château-bas de Commercy, la terre de Hey et la seigneurie de Morley, près de Montiers-sur-Saulx.
Son fils aîné, Philippe II, suivra les traces de son père et veillera au rayonnement de la famille en Rhénanie et dans le pays de Bade. Le cadet Jean III a vocation à devenir le coïndivisaire de la grande Varsberg et à servir le duc de Lorraine, Charles le Hardi, puis René Ier d’Anjou. Jusqu’à sa majorité, Élisabeth représente ainsi l’autorité du duc dans la région du Warndt. Mais la guerre de succession de Lorraine se prépare et rien ne va plus.
Le frère d'Élisabeth – Antoine de Vaudémont – dispute le trône de Lorraine à René d’Anjou qui vient d’épouser la fille du vieux duc Charles et prendra le titre de duc au décès de Charles II, le 25 janvier 1431.
René d’Anjou s’aperçoit des préparatifs de guerre et dans l’éventualité de devoir se défendre, il se rend auprès du roi de France Charles VII, son beau-frère, pour solliciter son aide. Son adversaire, Antoine de Vaudémont, fait alliance avec les Bourguignons et les Anglais.
Dans la région de Sarrebruck, le ciel s’obscurcit, car le soulèvement nécessite que chacun choisisse son camp. Georges de Raville, copropriétaire de la grande Varsberg avec Élisabeth de Nassau-Sarrebruck, reste fidèle à René d’Anjou, tandis que Jean de Kerpen, du château fort d’en face, rejoint le camp adverse, celui de Vaudémont. C’est la fracture.
Élisabeth s’éloigne de son frère. Elle sera soupçonnée, pourtant, d’avoir participé à la dissidence et la plupart des historiens laissèrent filer l’idée que les deux châteaux de Varsberg avaient fait, en 1431, cause commune contre René d’Anjou. Ce qui paraît inexact.
Le 2 juillet 1431, la bataille de Bulgnéville (Meurthe-et-Moselle), fera 2 000 morts. René d’Anjou sera capturé et incarcéré à Dijon. À Nancy, son épouse parvient à tenir la situation en main. Peut-on dire qu’Antoine de Vaudémont soit vraiment sorti vainqueur de la bataille de Bulgnéville ? Il ne peut pas bomber le torse et s’en féliciter, la bataille pour la couronne n’ayant pas décapité le régime en place.
Ce n’est qu’en 1434, que l’empereur germanique, en accord avec le roi de France, mettra un terme aux rivalités. Mais dans l’intervalle, l’insurrection des forteresses de Varsberg remet le feu aux poudres. Élisabeth de Nassau-Sarrebruck assiste catastrophée à la mainmise opérée par son frère sur les deux châteaux du Warndt. C’est le rebondissement de la guerre de succession de Lorraine. La comtesse de Nassau-Sarrebruck a toutes les apparences contre elle et va devoir sortir de l’étouffante neutralité qu’elle s’est imposée jusque-là. Sa seule arme : sa plume…
En 1429, Isabelle fait part des circonstances de son veuvage à son oncle, le vieux duc, lui demandant de protéger ses possessions dans la Meuse, notamment le château-bas de Commercy, la terre de Hey et la seigneurie de Morley, près de Montiers-sur-Saulx.
Son fils aîné, Philippe II, suivra les traces de son père et veillera au rayonnement de la famille en Rhénanie et dans le pays de Bade. Le cadet Jean III a vocation à devenir le coïndivisaire de la grande Varsberg et à servir le duc de Lorraine, Charles le Hardi, puis René Ier d’Anjou. Jusqu’à sa majorité, Élisabeth représente ainsi l’autorité du duc dans la région du Warndt. Mais la guerre de succession de Lorraine se prépare et rien ne va plus.
Le frère d'Élisabeth – Antoine de Vaudémont – dispute le trône de Lorraine à René d’Anjou qui vient d’épouser la fille du vieux duc Charles et prendra le titre de duc au décès de Charles II, le 25 janvier 1431.
René d’Anjou s’aperçoit des préparatifs de guerre et dans l’éventualité de devoir se défendre, il se rend auprès du roi de France Charles VII, son beau-frère, pour solliciter son aide. Son adversaire, Antoine de Vaudémont, fait alliance avec les Bourguignons et les Anglais.
Dans la région de Sarrebruck, le ciel s’obscurcit, car le soulèvement nécessite que chacun choisisse son camp. Georges de Raville, copropriétaire de la grande Varsberg avec Élisabeth de Nassau-Sarrebruck, reste fidèle à René d’Anjou, tandis que Jean de Kerpen, du château fort d’en face, rejoint le camp adverse, celui de Vaudémont. C’est la fracture.
Élisabeth s’éloigne de son frère. Elle sera soupçonnée, pourtant, d’avoir participé à la dissidence et la plupart des historiens laissèrent filer l’idée que les deux châteaux de Varsberg avaient fait, en 1431, cause commune contre René d’Anjou. Ce qui paraît inexact.
Le 2 juillet 1431, la bataille de Bulgnéville (Meurthe-et-Moselle), fera 2 000 morts. René d’Anjou sera capturé et incarcéré à Dijon. À Nancy, son épouse parvient à tenir la situation en main. Peut-on dire qu’Antoine de Vaudémont soit vraiment sorti vainqueur de la bataille de Bulgnéville ? Il ne peut pas bomber le torse et s’en féliciter, la bataille pour la couronne n’ayant pas décapité le régime en place.
Ce n’est qu’en 1434, que l’empereur germanique, en accord avec le roi de France, mettra un terme aux rivalités. Mais dans l’intervalle, l’insurrection des forteresses de Varsberg remet le feu aux poudres. Élisabeth de Nassau-Sarrebruck assiste catastrophée à la mainmise opérée par son frère sur les deux châteaux du Warndt. C’est le rebondissement de la guerre de succession de Lorraine. La comtesse de Nassau-Sarrebruck a toutes les apparences contre elle et va devoir sortir de l’étouffante neutralité qu’elle s’est imposée jusque-là. Sa seule arme : sa plume…
La « Correspondance de Varsberg »
Le château Varsberg (dessin du XIXe). Coll. Amaury de Liniers |
Elle clame son innocence et réclame l’arbitrage du duc de Lorraine dans des
lettres écrites en francique et certaines en français, connues sous la
dénomination de «Correspondance de Varsberg». Il paraît improbable qu'Élisabeth les ait écrites elle-même. Sous sa dictée, cette tâche relevait
d’un entourage chevronné, un des signes de qualité de la chancellerie de
Sarrebruck.
Qu’est-ce qui vaut à ces correspondances d’échapper aux
oubliettes de l’Histoire ? D’abord le travail d’un groupe pluridisciplinaire de
l’université de Mayence : le «Germanistisch-Historicher Arbeitskreis», avec Karl-Heinz Spiess, Albrecht Greule, Nina Janich,
Jürgen Herold, Michaela Küper et Christine Maillet. D’autres chercheurs ont
progressivement renforcé le projet qui a fait l’objet d’une œuvre collective
publiée en Allemagne en 2002, par Wolfgang Haubrichs et Hans-Walter Herrmann en
coopération avec Gerhard Sauder («Zwichen Deutschland und Frankreich. Elisabeth
von Lothringen, Gräfin von Nassau-Saarbrücken»).
La manifestation de la vérité, à propos du conflit de Varsberg, jaillit du décryptage méthodique de 84 manuscrits, dont une cinquantaine dictés par Élisabeth de Nassau-Sarrebruck, entre 1431 et 1434.
Affaire de ténacité et de compétences, la transcription des lettres – surtout la méticuleuse contribution de Jürgen Herold – permet de mettre en cohérence les éléments d’un puzzle complexe. L’étude sémantique et stylistique livrée par le docteur Nina Janich, des université de Ratisbonne et de Duisburg, n’est pas moins éblouissante.
D’ordinaire réglé par des formules prêtes à l’emploi, le courrier était bâti, jusque-là, sur des modèles en latin, hérités des Carolingiens pour diverses circonstances de la vie : litterae patentes, litterae clausae… Systématiquement les auteurs suivaient le même schéma : salutatio, exordium, narratio, petitio, conclusio.
Jamais le formalisme n’a autant compté qu’au Moyen Age. Le «vous» s’impose d’une manière générale au XIVe siècle, dès qu’on s’adresse à un interlocuteur plus haut placé et, dans ce cas, l’auteur répond par «je» et «moi», jamais par «nous». Élisabeth agit dans les formes et respecte parfaitement ces règles. Exagérées, immuables, contraignantes, elles visent à empêcher tout écart. Les modèles en usage à l’époque prévoient un ton impersonnel et d’ailleurs personne ne s’attend à trouver une coloration particulière dans ces courriers. Et là, Élisabeth défriche. Elle fait une entorse aux principes en vigueur.
Prise entre le bois et l’écorce, au centre d’un scénario dramatique où elle incarne à elle seule plusieurs rôles, tiraillée entre la victime et son rival, entre son frère et son oncle, sa cousine et le nouveau duc de Lorraine, qui est le souverain de ses fils, elle aborde le problème de face et se forge son propre style. Pour mieux convaincre.
La manifestation de la vérité, à propos du conflit de Varsberg, jaillit du décryptage méthodique de 84 manuscrits, dont une cinquantaine dictés par Élisabeth de Nassau-Sarrebruck, entre 1431 et 1434.
Affaire de ténacité et de compétences, la transcription des lettres – surtout la méticuleuse contribution de Jürgen Herold – permet de mettre en cohérence les éléments d’un puzzle complexe. L’étude sémantique et stylistique livrée par le docteur Nina Janich, des université de Ratisbonne et de Duisburg, n’est pas moins éblouissante.
D’ordinaire réglé par des formules prêtes à l’emploi, le courrier était bâti, jusque-là, sur des modèles en latin, hérités des Carolingiens pour diverses circonstances de la vie : litterae patentes, litterae clausae… Systématiquement les auteurs suivaient le même schéma : salutatio, exordium, narratio, petitio, conclusio.
Jamais le formalisme n’a autant compté qu’au Moyen Age. Le «vous» s’impose d’une manière générale au XIVe siècle, dès qu’on s’adresse à un interlocuteur plus haut placé et, dans ce cas, l’auteur répond par «je» et «moi», jamais par «nous». Élisabeth agit dans les formes et respecte parfaitement ces règles. Exagérées, immuables, contraignantes, elles visent à empêcher tout écart. Les modèles en usage à l’époque prévoient un ton impersonnel et d’ailleurs personne ne s’attend à trouver une coloration particulière dans ces courriers. Et là, Élisabeth défriche. Elle fait une entorse aux principes en vigueur.
Prise entre le bois et l’écorce, au centre d’un scénario dramatique où elle incarne à elle seule plusieurs rôles, tiraillée entre la victime et son rival, entre son frère et son oncle, sa cousine et le nouveau duc de Lorraine, qui est le souverain de ses fils, elle aborde le problème de face et se forge son propre style. Pour mieux convaincre.
Exordium et
salutatio ne font plus qu’un, afin d’aller plus vite à l’essentiel. Selon
qu’elle écrit à un supérieur, à un subordonné ou à un interlocuteur du même
rang, Élisabeth introduit des variations. Vouvoiement, tutoiement, révérences ou,
au contraire, formules cinglantes, rien ne manque. Élisabeth se projette
activement dans ses lettres au point d’y apparaître en filigrane. Il est normal
aujourd’hui de découvrir la femme sous le tracé de la plume. Mais il y a quatre
siècles et demi cette implication était inédite.
Peine perdue. Dans une
relation forcément inégalitaire Élisabeth de Nassau-Sarrebruck va devoir
assister, impuissante, à une conclusion dont elle fera les frais. Ses échanges
épistolaires ont fini par impliquer l’évêque de Metz, membre du conseil de
régence institué pour administrer le duché de Lorraine en l’absence de René Ier.
Décision sera prise à Nancy et Metz, de raser les forteresses de Varsberg.
Pour
la première auteure bilingue du roman en prose en Allemagne, seul le verbe se
fit victoire.
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
(*) Röhrig Universitätsverlag,
Veröffentlichungen der Kommission für
Saarländische Landesgeschichte und Volksforschung.
Un livre : "LA VRAIE SAGA DES BARONS DE WARSBERG" d'Angèle Schwartz-Post, 2002
Pour se le procurer, cliquer ici
Tombe d’Élisabeth de Nassau-Sarrebruck (morte en 1456), collégiale de Sankt-Arnual, Sarrebruck © Sylvain Post |
9 commentaires:
Au lieu de "grummle" j'étais plutôt ravie que cet article démontre bien que le platt existe...
La visite de la collégiale de Sankt Arnual vaut le détour.
Bravo cher ami.
MB
Qui a dit ?
"Je considère que les questions de langue, ou en général les questions culturelles, ne peuvent échapper aux enjeux plus profonds des sociétés et que l’on peut être à la fois pour une unification du monde et pour le droit à s’exprimer dans la langue de son choix. Et ce droit devrait s’accompagner de moyens réels pour ne pas être simplement un mot creux, comme bien des droits qui aujourd’hui n’existent que sur le papier".
Qui a dit ?(2)
"Nous avons une langue française dont nous sommes fiers et redevables, et des langues régionales issues de l’histoire et de la géographie de notre pays. Les caricaturer, c’est stigmatiser les peuples alsaciens, corses ou bretons. Nous ne sommes ni folkloriques, ni ennemis de la République."
Qui a dit ?(3)
"Quand on aime la France, on ne propose pas de ratifier la charte des langues régionales et minoritaires."
Proclamatoire
En 2008, lorsque la Constitution a été modifiée (loi constitutionnelle n° 2008-724), un ajout a été introduit dans l’article 75 afin de déclarer que «les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France». On aurait pu penser qu’avec cette mention dans la Constitution, les langues régionales recevaient une forme de reconnaissance et que, en conséquence, leurs locuteurs pourraient s’appuyer sur cette nouvelle disposition pour les défendre. Hélas, ce n'est pas le cas. Il y a bientôt un an le Conseil constitutionnel, dans une décision relative à l’interprétation du nouvel article 75-1 (décision n° 2011-130, du 11/05/2011), a privilégié une lecture très restrictive, indiquant explicitement que ledit article “n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit”. Ainsi, la modification constitutionnelle se révèle être sans aucune portée pratique
Sauver les langues régionales
Dans une interview à L'Express du 28 mars, en réponse à la question : "N'est-il pas contradictoire de vouloir promouvoir le français à l'international et de laisser mourir les langues régionales ?" le grand linguiste Claude Hagège a apporté la réponse suivante :
- Vous avez raison.On ne peut pas défendre la diversité dans le monde et l'uniformité en France ! Depuis peu, notre pays a commencé d'accorder aux langues régionales la reconnaissance qu'elles méritent. Mais il aura fallu attendre qu'elles soient moribondes et ne représentent plus aucun danger pour l'unité nationale.
(...) Il est bien tard, mais il n'est pas trop tard. Il faut augmenter les moyens qui sont consacrés à ces langues, les sauver, avant que l'on ne s'aperçoive que nous avons laissé sombrer l'une des grandes richesses culturelles de la France.
____
Claude Hagège vient de publier Contre la pensée unique (Odile Jacob).
Réponses "Qui a dit ?"
1. Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière)
2. Armand Jung, (député PS de Strasbourg)
3. Nicolas Sarkozy (Président sortant, UMP)
« SIBILLE » en son-et-lumière
Amie des lettres, Elisabeth de Lorraine-Vaudémont épouse de Philippe de Nassau-Sarrebruck, fit traduire, du français en allemand médiéval, quatre romans courtois ou chansons de geste: "Herpin", "Sibille", "Loher und Maller" et "Huge Scheppel".
L’une de ces œuvres, « Sibille », sera interprétée en public, sous la forme d’un son-et-lumière sur le parvis de la collégiale Sankt-Arnual (Stiftskirche) de Sarrebruck, samedi 16 et dimanche 17 juin, à 21 h 30. Entrée payante : 10 euros.
Une chanson de geste est un récit versifié (un long poème) en décasyllabes ou, plus tardivement, en alexandrins, assonancés regroupés en laisses (longues strophes de taille variable), relatant des épopées légendaires héroïques mettant en scène les exploits guerriers de rois ou de chevaliers, remontant aux siècles antérieurs.
Ce type de récit apparaît à l'aube de la littérature française, vers la fin du XIe siècle (elles sont chantées entre 1050 et 1150). Les dernières ont été produites au cours du XVe siècle, l’époque où vécut Elisabeth von Nassau-Saarbrücken, l'une des pionnières du roman en prose en allemand médiéval, décédée à Sarrebruck en 1456. Son gisant est visible en la collégiale de Sankt-Arnual.
« SIBILLE » en librairie
Note de lecture de « SIBILLE », édité en 2007, à Sarrebruck par les éditions "Bücher bauen Brücken" :
Bien que condamnée à mort par son mari, Charlemagne, pour un prétendu adultère, la reine Sibille est finalement exilée après intervention de la noblesse.
Débute alors pour elle une longue odyssée avec des dangers incroyables, pendant laquelle elle bénéficie de la protection d’un paysan et d’un voleur repentant.
Finalement, le roi reconnaîtra sa faute et fera revenir la reine et son fils Ludwig, né en exil, dans son château.
L’histoire de la reine, reniée et chassée à tort, peut aujourd’hui encore être lue avec beaucoup de plaisir grâce à la simplicité de son style.
A ce jour, il s’agit du seul ouvrage d’Elisabeth disponible en haut-allemand moderne et est présenté pour la première fois traduit et illustré.
En incluant dans ses œuvres des éléments connus et familiers de ses contemporains, Elisabeth tend un miroir littéraire à son public. Pour le lecteur moderne l’œuvre transmet d’une façon divertissante un aperçu de la réalité du monde des femmes au Moyen-Âge.
Le texte d’Elisabeth de Lorraine a été adapté librement par Yvonne Rech.
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