mercredi 14 mars 2012

L’ÉPREUVE ÉCRITE DU PLATT

Nùnn di Bùggel !


Querelle d’Allemand ! Je veux parler de la polémique qui sévit actuellement dans les rangs des défenseurs de la langue régionale de l’Est mosellan.





 
 

«"Le francique" ou "la langue francique" n’existe pas. Affirmer le contraire est une escroquerie intellectuelle, cautionnée par certains universitaires qui ne maîtrisent pas le sujet et publient des articles dépourvus de rigueur scientifique et de pertinence historique» proclament les uns, avec  une incroyable argumentation selon laquelle l’allemand serait l’expression écrite du Platt de la Moselle germanophone.
 
Cette péroraison, diffusée par un webzine et sur les réseaux sociaux d’Internet, n’a pas manqué de provoquer une passe d’armes avec des partisans du trilinguisme Platt-allemand-français : «L’escroquerie intellectuelle, n’est-elle pas plutôt dans cette volonté opiniâtre de faire disparaître toute notion de langue régionale vraie, c’est-à-dire le Platt francique de Moselle, en la noyant dans ce qu’ils affirment à tort être «la forme écrite du dialecte : l’allemand»?


Derrière ce duel se profile l’attachement de la population à la langue de ses aïeux ! Une réalité. Pour preuve, le succès de la 14e édition du festival de langue francique et des langues de France «Mir redde Platt»,  du 9 au 13 avril 2012, à Sarreguemines et de la 3e édition du festival «Mir schwätze Platt» de Forbach.

Pour preuve encore, les efforts déployés à l’approche d’une journée interrégionale d’action, le 31 mars 2012, dans le but d'obtenir un statut officiel et une véritable politique en faveur des langues régionales de France. Une journée qui a lieu simultanément en Bretagne, au Pays Basque, en Catalogne, en Occitanie, en Corse, en Alsace et en Lorraine.


Avec passion



Facteur de division, la polémique qui vient d’échauffer les esprits au cœur de l’hiver risque d’être contre-productive. On ne pouvait choisir pire moment pour cette «querelle d’Allemand», l’homme de la rue ne s’embarrassant guère des subtilités  de la "langue standard" et du "dialecte" dans leurs fonctions respectives.


D’autres, ils ont bien le droit, s’accommodent de ces chamailleries savantes. Il m’est arrivé de lire sous une plume experte que «l’alsacien n’est pas un dialecte du hochdeutsch, mais de l’alémanique. Le picard n’est pas un dialecte du français, mais un dialecte de la langue d’oïl, dont le français est lui aussi un dialecte. Et si on donne au mot dialecte un sens moins technique, autrement dit simplement de «variante», tout le monde sait que la limite entre dialecte et langue est une question de point de vue et de ... politique : le luxembourgeois est un dialecte du francique mosellan, mais comme il a statut de langue officielle, il est vu par les gens comme une langue».

La polémique déclenchée par l’affirmation de la non-existence de la langue francique en a consterné plus d’un. À mon tour, j’ai envie de rompre le silence car, la négation de la langue de mes ascendants me donne l’impression d’un vol à l’arraché.  Quels que soient les arguments. Mais, à défaut d’aller recueillir la thèse de chacun des protagonistes dans un souci d’équilibre, je me contente de livrer ma propre expérience.

Mon père, Georges Post, né à Roth en 1905, décédé en 1985, prit place sur les bancs de l’école sous le portrait de Guillaume II. Un rituel voulait que l’on fît l'éloge du
«Kaiser» avant chaque classe. Au moment de quitter la communale, avant le retour à la France de la Moselle redécoupée, il n’avait pour bagage que l’allemand qui s'est surajouté au Platt sans l'évincer et tout ce qu’il avait appris dans la langue de Berlin. Suffisant pour s'orienter vers la mécanique-auto, un rêve jamais réalisé, puisqu’il  ira travailler à la mine comme beaucoup d’hommes du village et des environs.

Dans sa  logique, pourtant, il obtint très tôt le permis de conduire. Ce détail aura son importance dès l’arrivée à la tête de la paroisse de Hambach, d’un nouveau curé,  l’abbé Louis Pinck, le plus connu des folkloristes mosellans.

L’abbé Pinck avait une automobile mais rechignait à prendre le volant. Mon père, ancien servant de messe,  n’avait pas de voiture mais disposait du sésame qui lui permettait de rouler. Tout le désigna pour devenir  le chauffeur du curé, à l’occasion des déplacements visant à recueillir les «Verklingende Weise», 511 chansons populaires que le prêtre  publia en cinq volumes.

Pour sauver ce fragile héritage culturel transmis de génération en génération depuis des siècles, l’abbé Pinck parcourut toute la Moselle et une partie de l’Alsace. Il recensa les mélodies de ces chants populaires, ainsi que l’historique des morceaux avec leurs variantes d’un village à l’autre. L’abbé Pinck mourut  en 1940. Ses voyages dans le tréfonds de l’identité régionale eurent une résonance particulière au sein de ma famille.


Le Plattdèitsch à l’armée



Survint la guerre. En 1939, mon père fut incorporé par l’armée française dans un régiment d’artillerie. «Bon pointeur» peut-on lire dans son livret militaire, à côté d’une mention moins flatteuse : «Ne sait ni lire, ni écrire». J’ai souffert de cette humiliation avant de comprendre qu’il nous fallait assumer les conséquences de la politique de Napoléon III et du zèle de Bismarck.

Après la guerre, à la maison, nous continuions de parler Dèitsch. Mes parents découvraient l’actualité française en allemand, grâce à «France Journal», un quotidien créé pour les germanophones de Moselle par Victor Demange, fondateur du «Républicain Lorrain».

Ma mère, née à Grosbliederstroff en 1913, n’avait pas de soucis vis-à-vis de la langue. Bonne élève à  l’école française. Elle guettait l'hebdomadaire «La Vie», sa préférence allant tout de même aux magazines d’Outre-Rhin «Heim und Welt», «Neue Post», «Burda», disponibles à la papeterie locale. Au même kiosque, j’achetais  «Paris-Match» et «Salut les Copains». Dans une parfaite harmonie, nous parlions Dèitsch, nous lisions le Hochdeutsch –  sans faire l’amalgame entre Plattdèitsch et Hochdeutsch – nous écoutions Radio Sarrebruck et Europe 1. L’école de la République se chargerait du reste... y compris de censurer le Dèitsch dans la cour du lycée. 

L’ostracisme à l’égard du Platt lâcha prise, me semble-t-il, durant les années soixante, alors que les locuteurs  l’avaient mis en sourdine. En apparence.  Car le parler est-mosellan revint en pleine lumière, en même temps que le succès d’Alan Stivel, héraut de la musique bretonne. J’eus la confirmation par la suite, que le Platt n’était pas de l’allemand dégénéré – ce que je savais déjà – mais du francique rhénan. Que l'on pouvait écrire.

Quelle joie de découvrir qu’une de mes brillantes camarades du lycée d’Etat mixte de Sarreguemines (Jean-de-Pange, aujourd’hui), Marianne Haas-Heckel, devenue enseignante, était une passionnée capable de rendre le Platt à la fois intelligible et attrayant !

Au fil des années, son talent vint s’exprimer à travers des livres, des conférences, des chroniques hebdomadaires à la radio, des plateaux de télé, des « ateliers du Platt ». Preuve que toutes les émotions que l’on croyait jusque-là intraduisibles, pouvaient bénéficier d’un guide de prononciation et de graphie harmonisée pour  tous les parlers franciques de la Moselle germanophone.


Pas trop tard



N’est-il pas trop tard ? La génération des très jeunes ne court-elle pas le risque de passer à côté de ce patrimoine immatériel ? «Tout n’est pas perdu. Car tant qu’il subsiste des braises, nous nous emploierons à souffler dessus afin de raviver le feu». Pour Marianne, «le francique n’est pas mort, sa flamme vacille, mais il ne tient qu’à nous –plattophones – qu’il reprenne de plus belle et réchauffe les conversations». 


Souffler sur les braises… Il n’était sans doute pas prévu  que le feu sacré dégénère en flambée de violences verbales entre différents courants de la vie littéraire régionaliste. Incompréhensible pour moi, qui suis un novice dans ce domaine. Cela me scandalise, alors que je croyais qu’on avait énormément avancé sur le sujet. La distinction entre le francique rhénan écrit et le Hochdeutsch m’avait tout juste guéri de ma «germanitude» qui resta longtemps tapie comme une  anomalie génétique dans mon ADN. 

Et si je disais « zut ! » à ceux qui s’en prennent à l’histoire de mon père…


Sylvain Post  journaliste honoraire & auteur
(*) Nùnn di Bùggel : nom de bleu !

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Schéén geschrieb !
E schééner Grùùs uss Saargemìnn...

Anonyme a dit…

Efta so schwätze
Bùb, das hachte gùt gesaht, mier misse efta so schwätze sonscht wâsst kenna mé davon.

Mach so wayda ùn bis ball. SLK

Anonyme a dit…

Wie de Schnawel gewaxst iss
E scheener Gruss von de Furbacher
do musse na mohl in die Furbacher maiestub kumme donn hehre na noch platt
dort waert geschwaetzt wie die Schnawel gewaxst iss
die letscht war om Donnersdaamidda

es Raymonde

Sylvain Post a dit…

« Nos langues, nos cultures : un droit, une loi ! »
La Lorraine germanophone et la Lorraine romane participent au mouvement national du samedi 31 mars 2012, pour obtenir un statut légal en faveur des langues régionales.
Des associations et organisations engagées dans la promotion des langues régionales se sont donné rendez-vous le samedi 31 mars, à 14h30, sur le parvis de la gare, à Metz.
"A la veille d’élections importantes, nous exigeons des engagements des candidats aux élections présidentielle et législatives" déclarent les organisateurs de ce rassemblement qui s'adressent aux associations, groupements, artistes, militants, entreprises, organisations professionnelles, familles, parents scolarisant leurs enfants dans les écoles bilingues ou biculturelles, particuliers, "tous ceux et celles convaincus que nos langues régionales sont une richesse à sauvegarder et à promouvoir".

Sylvain Post a dit…

Le Platt bien vivant
Le francique rhénan est en bonne position parmi les langues régionales à en croire Alan Stivel. Le héraut de la chanson bretonne était venu, il y a quelques années, au Festival « Mir redde Platt », à Sarreguemines. Filant au kiosque pour acheter des journaux, il eut la surprise d’entendre l’homme de la rue parler naturellement le Platt. Plus vivant que le breton, semble-t-il, mais assurément moins présent sur le plan médiatique !

Sylvain Post a dit…

La « Spitzschrift »…
Quiconque se penche sur des textes anciens en Moselle germanophone ou en Alsace doit, tôt ou tard, faire face à la «Spitzschrift», graphie dite gothique utilisée couramment avant le XXème siècle. Si sa lecture est relativement facile en caractères d'imprimerie, son écriture manuscrite est plus délicate à déchiffrer. À tel point que l’on trouve sur le Net, l’adresse d’officines proposant la transcription des anciennes écritures allemandes en écriture moderne et des sites d'entraînement au déchiffrage...
Les polices gothiques sont connues sous le nom de Fraktur, en Allemagne. On donne parfois le nom de Sütterlin à toutes les formes cursives (manuscrites) de l'écriture gothique. C'est pourtant inexact, car la cursive allemande existait bien avant Ludwig Sütterlin.
La "Sütterlin", introduite en Prusse en 1915, se répandit en Allemagne dans les années 1920 et y fut utilisée jusqu'en 1941. Hitler abolit son usage, estimant qu'elle avait "des origines juives" et il imposa l'écriture "romane" qu'il voyait comme symbole de la "Nouvelle Europe". Ironie de l'Histoire ! La méconnaissance de cet épisode amena les vainqueurs de 1945 à prohiber l’usage de la «Spitzschrift» dans l'Allemagne occupée...

Anonyme a dit…

J'ai lu votre article concernant les langues franciques.
Je travaille pour le centre "Le Lierre", à Thionville. J'aide notamment au développement d'une plateforme collaborative "wikithionville" sur laquelle il est possible de mettre en ligne des articles reliés au Pays des Trois Frontières (il suffit de s'inscrire !), selon le modèle du site wikipédia.

Il y a un mois, j'ai commencé un travail sur les langues franciques, avec l'aide de M. Gérard Nousse.

Ayant un point de vue intéressant sur notre langue régionale, je vous invite bien sûr à consulter les articles y faisant référence sur le site géré par "Le Lierre".

Il vous est également possible de mettre en ligne vos connaissances ou si vous souhaitez approfondir la question, vous pouvez me contacter au 03 82 82 11 70.

Karima.

Sylvain Post a dit…

Merci, Karima.
Je reviens vers vous dès que possible. Soyez assurée de mon intérêt pour votre action.