MENSONGE D’ÉTAT
La commémoration
du baptême de Clovis
du baptême de Clovis
Pourquoi avoir fêté le 1 500e anniversaire du baptême de Clovis en 1996 alors que les historiens savent qu'il n'a pas eu lieu en 496 ? Retour sur un affrontement qui opposa l'église catholique à la gauche progressiste. Comment ne pas penser aux manifs du printemps dernier ?
« Si l’opération “Année Clovis” est destinée au retour de la doctrine “France fille aînée de l’Église”, elle est bien mal fondée historiquement. Clovis, c’est l’Église au garde-à-vous et au service de l’État-» écrivait Roger-Xavier Lantéri dans Libération, le 20 mai 1996, six mois avant le «-pharaonesque tralala-», selon lui, programmé pour le 1 500e anniversaire du baptême de Clovis.
Pour ce journaliste historien, le baptême du premier roi chrétien d’Occident par le futur saint Remi n’a absolument pas eu lieu en 496, mais deux ou trois ans plus tard. Jean-Paul II et Jacques Chirac ne pouvaient pas l’ignorer, ni même le très chiraquien député-maire RPR de la Cité des Sacres, Jean Falala. L’Église catholique et la Ve République se sont rejointes sur le principe de cette célébration. Le pape a tenu à se rendre à Reims en dépit de son état de santé et le président français, un an après son élection, a apporté son appui à la mise en scène de l’événement qui a très vite tourné à la polémique.
Pourquoi donc toute cette mise en scène sur une date contestable ? Inutile d’énumérer les éléments qui permettent de rejeter celle de 496. Certains auteurs font remarquer qu’en 498 Clovis est encore en négociation avec l’épiscopat et discute de sa possible conversion avec l’évêque de Tours.
Historien de l'Église, des Francs et de l'Auvergne, Grégoire de Tours, se garde bien de dater le baptême de Clovis. En 1993, un universitaire du Kentucky, Mark Spencer, publie une synthèse sur le sujet. «-Apparemment on connaît mieux l’histoire de France dans le Midwest qu’à l’Elysée-» lâche ironiquement Roger-Xavier Lantéri dans Libé. «-Même escobarderie, écrit-il, avec la fameuse réplique : “ Courbe le chef, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ”… c’était une erreur de traduction pour “ Dépose tes colliers ”… c’est-à-dire tes amulettes ».
Au cœur du tumulte suscité par l’événement en 1996, «-certains observateurs ont pu noter la résurgence de l'affrontement de deux France : l'une républicaine et laïque, l'autre monarchique et catholique, estime le politologue Sébastien Thiéry. Cet affrontement, très XIXe siècle, résulta de nombreuses ambiguïtés constitutives de la célébration. Programmée par le “Comité pour la commémoration des origines : de la Gaule à la France”, cette commémoration se voulait “nationale”.
Dés lors l'organisation de la venue du Pape constituait un premier sujet de discorde : la question de l'engagement de l'État et des fonds publics mobilisés à cette occasion devenait épineuse. Cependant, deux précisions permettent d'apaiser cette querelle. D'une part, la visite officielle du Pape, chef d'État, ne pouvait être prise en charge que par la puissance publique. D'autre part, toutes les cérémonies relatives au domaine du culte furent financées par l'Église et au moyen d'une immense récolte de fonds organisée auprès des particuliers ».
Provocation
Mais Sébastien Thiéry ne manque pas de relever une autre maladresse.
Elle réside dans le choix de la date. Si l'année exacte du baptême de Clovis
demeure inconnue, le jour est cependant indiscutable : le roi des Francs a reçu
l'onction un 25 décembre. « Dès lors,
programmer un tel événement un 22 septembre est apparu, aux yeux des
républicains, comme une évidente provocation : la France républicaine oubliait
de célébrer l'anniversaire de la Première République-». Le 22 septembre
1792 est, en effet, la date des actes de l'an I de la République française.
Cet avatar a eu le don d’énerver plus d’un représentant de la classe politique et de la société civile (voir ci-après la question écrite du sénateur Jean-Luc Mélenchon au gouvernement). Symboliquement, le jour de la commémoration du baptême de Clovis à Reims, des francs-maçons de cette ville ont tenu une assemblée non loin de là, au pied du moulin de Valmy. La bataille de Valmy, rappelons-le, fut la première victoire décisive de l'armée française pendant les guerres de la Révolution ayant suivi le renversement de la monarchie des Bourbons.
« France qu’as-tu fait de ton baptême ? » s’était écrié Jean-Paul II, il y a trente ans, devant les jeunes catholiques rassemblés en masse au Bourget. La Ve République a semblé répondre à la question du souverain pontife par la commémoration du baptême du roi franc.
Que le RPR et l’UMP aujourd’hui cultivent le souvenir de Clovis ne constitue pas vraiment une surprise. À la question : « Pourquoi vous référez-vous si souvent aux quinze cents années d’histoire de la France, alors que, pour la plupart des Français, elle remonte à deux mille ans ? », le général De Gaulle aurait répondu : « Pour moi, l'Histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L'élément décisif pour moi c'est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l'Histoire de France à partir de l'accession d'un roi chrétien qui porte le nom des Francs-».
Ces propos sont attribués au Général par Christian Amalvi, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul-Valéry de Montpellier-III, dans un article publié en 1989. Ces quelques phrases, selon Amalvi, résument parfaitement « ce que le XIXe siècle catholique n'a cessé de proclamer sur tous les tons et en toutes circonstances : la France n'est pas un peuple comme les autres ; elle constitue, grâce à la victoire miraculeuse de Tolbiac et au baptême de Reims, le peuple élu, prédestiné des temps modernes (par opposition à l'ère biblique), le successeur insigne du peuple hébreu.
Cette prééminence providentielle implique une triple mission sacrée : propager la révélation chrétienne dans l'univers, « extirper » l'hérésie, protéger enfin l'Église de Jésus-Christ, la papauté en particulier, en tous temps et en tous lieux ». Christian Amalvi va plus loin dans l’interprétation providentielle de l’Histoire de France qu’il prête aux catholiques du XIXe siècle : « Chaque fois que la France s'est montrée fidèle au pacte de Reims, elle a brillé d'une gloire incomparable, notamment lors du règne de saint Louis. Chaque fois, au contraire, qu'elle s'est détournée de sa mission de “Fille aînée de l'Église” (sous Philippe le Bel ou sous Louis XV par exemple), elle a été aussitôt impitoyablement châtiée. Et ce schéma, assure-t-on, n'est nullement périmé après la “tornade” révolutionnaire : il demeure plus que jamais valable pour l'époque contemporaine »…
De fait, il y a un millénaire et demi, la conversion de Clovis fut un acte essentiellement politique comme le soutient Roger-Xavier Lantéri : « L’alliance d’un conquérant pragmatique, installé seulement au nord de la Loire, avec un épiscopat français solidement implanté, principale machine administrative du pays. Cette alliance avait un objectif précis : la conquête de l’Aquitaine, c’est-à-dire de toutes les terres situées entre les Pyrénées et la Loire sur lesquelles régnaient des souverains chrétiens s’appuyant sur un épiscopat concurrent ».
Conclusion : après sa victoire “miraculeuse” de Tolbiac, près de Cologne, où il battit les Alamans en 496, après avoir senti la bataille lui échapper, Clovis triompha des Wisigoths du royaume de Toulouse à la bataille de Vouillé, en 507. Il offrit ainsi à ses alliés catholiques l’exclusivité religieuse. Roger-Xavier Lantéri de rappeler que Clovis « se fait reconnaître de facto comme chef de l’Église de France et il définit lui-même strictement les matières sur lesquelles les évêques les évêques peuvent délibérer dans leurs conciles-: les affaires internes du clergé et la politique familiale ».
Sur la question clivante de la politique familiale, comment ne pas digresser vers les vigoureuses manifs de catholiques et de la droite contre l’ouverture du mariage aux couples homosexuels … Miséricorde-!
Cet avatar a eu le don d’énerver plus d’un représentant de la classe politique et de la société civile (voir ci-après la question écrite du sénateur Jean-Luc Mélenchon au gouvernement). Symboliquement, le jour de la commémoration du baptême de Clovis à Reims, des francs-maçons de cette ville ont tenu une assemblée non loin de là, au pied du moulin de Valmy. La bataille de Valmy, rappelons-le, fut la première victoire décisive de l'armée française pendant les guerres de la Révolution ayant suivi le renversement de la monarchie des Bourbons.
« France qu’as-tu fait de ton baptême ? » s’était écrié Jean-Paul II, il y a trente ans, devant les jeunes catholiques rassemblés en masse au Bourget. La Ve République a semblé répondre à la question du souverain pontife par la commémoration du baptême du roi franc.
Que le RPR et l’UMP aujourd’hui cultivent le souvenir de Clovis ne constitue pas vraiment une surprise. À la question : « Pourquoi vous référez-vous si souvent aux quinze cents années d’histoire de la France, alors que, pour la plupart des Français, elle remonte à deux mille ans ? », le général De Gaulle aurait répondu : « Pour moi, l'Histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L'élément décisif pour moi c'est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l'Histoire de France à partir de l'accession d'un roi chrétien qui porte le nom des Francs-».
Ces propos sont attribués au Général par Christian Amalvi, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul-Valéry de Montpellier-III, dans un article publié en 1989. Ces quelques phrases, selon Amalvi, résument parfaitement « ce que le XIXe siècle catholique n'a cessé de proclamer sur tous les tons et en toutes circonstances : la France n'est pas un peuple comme les autres ; elle constitue, grâce à la victoire miraculeuse de Tolbiac et au baptême de Reims, le peuple élu, prédestiné des temps modernes (par opposition à l'ère biblique), le successeur insigne du peuple hébreu.
Cette prééminence providentielle implique une triple mission sacrée : propager la révélation chrétienne dans l'univers, « extirper » l'hérésie, protéger enfin l'Église de Jésus-Christ, la papauté en particulier, en tous temps et en tous lieux ». Christian Amalvi va plus loin dans l’interprétation providentielle de l’Histoire de France qu’il prête aux catholiques du XIXe siècle : « Chaque fois que la France s'est montrée fidèle au pacte de Reims, elle a brillé d'une gloire incomparable, notamment lors du règne de saint Louis. Chaque fois, au contraire, qu'elle s'est détournée de sa mission de “Fille aînée de l'Église” (sous Philippe le Bel ou sous Louis XV par exemple), elle a été aussitôt impitoyablement châtiée. Et ce schéma, assure-t-on, n'est nullement périmé après la “tornade” révolutionnaire : il demeure plus que jamais valable pour l'époque contemporaine »…
De fait, il y a un millénaire et demi, la conversion de Clovis fut un acte essentiellement politique comme le soutient Roger-Xavier Lantéri : « L’alliance d’un conquérant pragmatique, installé seulement au nord de la Loire, avec un épiscopat français solidement implanté, principale machine administrative du pays. Cette alliance avait un objectif précis : la conquête de l’Aquitaine, c’est-à-dire de toutes les terres situées entre les Pyrénées et la Loire sur lesquelles régnaient des souverains chrétiens s’appuyant sur un épiscopat concurrent ».
Conclusion : après sa victoire “miraculeuse” de Tolbiac, près de Cologne, où il battit les Alamans en 496, après avoir senti la bataille lui échapper, Clovis triompha des Wisigoths du royaume de Toulouse à la bataille de Vouillé, en 507. Il offrit ainsi à ses alliés catholiques l’exclusivité religieuse. Roger-Xavier Lantéri de rappeler que Clovis « se fait reconnaître de facto comme chef de l’Église de France et il définit lui-même strictement les matières sur lesquelles les évêques les évêques peuvent délibérer dans leurs conciles-: les affaires internes du clergé et la politique familiale ».
Sur la question clivante de la politique familiale, comment ne pas digresser vers les vigoureuses manifs de catholiques et de la droite contre l’ouverture du mariage aux couples homosexuels … Miséricorde-!
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
Photo en tête d'article : le futur saint Remi baptisant Clovis,
sculpture située près de la basilique Saint-Remi, à Reims.
Elle est l’œuvre de Daphné du Barry, présentée comme la meilleure
représentante féminine du style figuratif classique en Europe.
représentante féminine du style figuratif classique en Europe.
Liens externes :
- Année Clovis : tout faux ! L’article de Roger-Xavier Lantéri dans Libé
- Le baptême de Clovis : heurs et malheurs d'un mythe. Par l’historien Christian Amalvi
- La commémoration de 1996 commentée par le politologue Sébastien Thiéry
- Les relations entre l'Eglise et l'Etat en Alsace-Moselle
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La protestation du sénateur Jean-Luc Mélenchon (gauche)...
Voici la question écrite adressée au gouvernement par Jean-Luc Mélenchon alors sénateur de l’Essonne (CRC-SPG, communistes et parti de gauche), publiée dans le JO du Sénat le 4 avril 1996 : « M. Jean-Luc Mélenchon attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'organisation des cérémonies en vue de la commémoration du baptême de Clovis. Le soutien apporté par les plus hautes autorités à cette manifestation et en particulier par le chef de l’État qui coprésidera les cérémonies, bien que garant de la République, de ses valeurs et de ses institutions, est particulièrement choquant. La République ne doit rien à Clovis et l’État, régi par les principes de laïcité, n'a pas à relayer l'idée selon laquelle la France serait le produit de la religion chrétienne. La France se caractérise par ses valeurs, par le pacte fondateur de 1789 auquel adhèrent les citoyens de la République et non pas l'appartenance au catholicisme. En cautionnant cette mystification, le Gouvernement véhicule implicitement un discours qui substitue les communautés aux individus et qui ne peut qu'exacerber les tensions et les rivalités entre les groupes. La référence à Clovis est une référence aux messages de haine et d'exclusion. C'est pourquoi il lui demande que le Gouvernement ne s'associe en aucune manière à cet événement ».
... et la réponse d'Alain Juppé, Premier ministre,
président du RPR
président du RPR
Réponse
d’Alain Juppé, alors Premier ministre (RPR), publiée dans le JO du Sénat le 25
avril 1996 : « L’État envisage la commémoration du baptême de Clovis dans l'esprit suivant. Il
s'agit, en premier lieu, de marquer notre attachement au substrat historique
sur lequel repose notre conscience nationale. Les grandes figures qui peuplent
notre mémoire forment un patrimoine commun à tous les Français et sont l'une
des composantes du lien social. Clovis est indiscutablement l'un des "
grands noms de notre histoire " qui, comme en conviendra l'honorable
parlementaire, ne commence pas en 1789. La commémoration, telle qu'elle est
envisagée, ne manquera pas de relever la distance, parfois importante, qui
sépare la réalité historique de l'image, plus ou moins mythique, qui s'est
forgée ultérieurement. Ce sera l'un des intérêts des colloques et expositions
scientifiques qui seront organisés autour de cet événement. Cet anniversaire
est abordé, d'autre part, dans un esprit d'ouverture aux autres et non de repli
sur soi : la figure de Clovis appartient aussi à la mémoire historique de nos
voisins belges et allemands et le baptême de Clovis symbolise l'alliance
heureuse qui s'est nouée sous son impulsion entre les tribus franques et la
civilisation gallo-romaine. Il est bon de le rappeler, au moment où certains
s'efforcent d'interpréter le souvenir de Clovis à des fins partisanes et dans
un esprit d'exclusion. Enfin, le respect de la laïcité n'implique pas que l’État doive occulter la dimension authentiquement religieuse du baptême de
Clovis. L’État laïc doit être impartial, il ne saurait être sectaire. Cet
événement peut ainsi donner à nos concitoyens l'occasion de réfléchir, dans un
contexte apaisé, au rôle des phénomènes religieux dans notre histoire et notre
évolution sociale. Tel est l'esprit, objectif et serein, dans lequel le
Gouvernement a décidé de constituer un comité chargé notamment de coordonner
les manifestations organisées ou soutenues par les collectivités publiques à
l'occasion du quinzième centenaire du baptême de Clovis. Enfin, le Président de
la République ne présidera ni ne coprésidera de manifestation religieuse
organisée à l'occasion de cet anniversaire ».