DU CHARBON AU SOLAIRE
Saint Nicolas, brillez pour nous !
En ciblant les énergies renouvelables, un opérateur privé a transformé
en parc solaire les friches d'un puits de mine des HBL sur le territoire de la commune frontalière de Sankt-Nikolaus, en Sarre.
Une telle volonté est apparue dans le bassin houiller lorrain,
sans traduction sur le terrain à ce jour
Le puits "Merlebach-Nord" en territoire allemand, au milieu d'un parc solaire de 2,7 MW |
Tandis qu’on en est encore au stade des études et des discussions dans le
bassin houiller lorrain, la Sarre a franchi le pas : les abords d'un puits de mine qui battait pavillon français en territoire sarrois jusqu'à l’arrêt de l’exploitation du charbon à Merlebach, en 2003,
et vacant depuis cette date, ont été requalifiés en parc solaire. Son raccordement au réseau allemand est effectif depuis deux ans. D'autres effets d'annonce témoignent de la volonté de l'Allemagne d'accroître sa production solaire, notamment sur les friches de ses houillères.
La part des énergies renouvelables dans la consommation allemande a atteint
25%, au cours du premier semestre 2012, selon la fédération des entreprises du
secteur de l’industrie énergétique (BDEW). Dans le mix énergétique allemand, le photovoltaïque représente 5,3% et connaît une forte progression, de 47% par rapport à l’année précédente, grâce aux mesures de l’État garantissant un prix avantageux d’achat de
l’électricité aux producteurs. Si la part du nucléaire est tombée à 18,2 % en 2011, celle des combustibles fossiles reste la plus élevée, à 62,8% selon l'ENTSOE (European Network of Transmission System
Operators for Electricity). L'abandon de l'uranium passe par le charbon.
La Sarre a fermé sa dernière mine de houille le 30 juin 2012 et avant même de tourner cette page, l'exploitant de référence RAG a fait part de son intention d'investir, à travers une filiale dédiée, de 300 à 320 millions d'euros dans l'implantation de centrales photovoltaïques réparties sur 310 hectares. Leur puissance cumulée, à terme, pourrait atteindre 180 mégawatts.
Pour l'immédiat, l’établissement public sarrois en charge des espaces naturels a affermé les friches jouxtant l’ancien puits “Merlebach-Nord” exploité par la France à Sankt-Nikolaus / Sarre, à un opérateur privé du Bade-Wurtemberg qui a mis en œuvre quelque 25 000 modules solaires photovoltaïques reliés entre eux. Ils représentent une puissance installée de 2,7 mégawatts. Le contrat assure aux collectivités locales des retombées financières pour plus de 20 ans.
Le site transformé en centrale solaire constitue l'environnement d’un ancien puits de service et d’aérage des houillères de Lorraine… débouchant en Allemagne, qui avait été foncé à partir de décembre 1948 pour atteindre une profondeur d’environ 1.070 mètres. Sa situation géographique résulte de l'accord franco-allemand sur les conditions d’exploitation de la poche du Warndt à partir de la France : l’ “amodiation du Warndt” de 1924, reconduite après le plébiscite de 1935 et le retour de la Sarre à l'Allemagne. Cette disposition a permis aux sièges de Merlebach, Cuvelette et Sainte-Fontaine, de prolonger leurs galeries sous le territoire sarrois.
Désaffecté depuis l’arrêt de Merlebach et conservé au titre du patrimoine classé, le chevalement de Sankt-Nikolaus marque de sa silhouette le nouveau paysage du parc photovoltaïque. Si le puits a été sécurisé selon les règles, les dispositions prises n'ont pas soustrait les bâtiments aux dégradations. Celles imputables aux voleurs de métaux sont stoppées depuis que les pillards ont été mis sous tension par l’entrée en service des nouvelles installations.
Ce n’est pas, loin s’en faut, le plus grand des parcs photovoltaïques allemands, le tenant du titre étant celui de Finsterwalde, dans le Brandebourg, avec 80,7 mégawatts, en service depuis octobre 2010 sur une friche d’une exploitation à ciel ouvert de lignite. Celui de Lieberose, inauguré en août 2009 sur un ancien terrain militaire de l'ex-Allemagne de l'Est, au sud de Berlin, a une surface équivalant à 210 terrains de football. Sa puissance installée de 52,8 mégawatts représente la consommation annuelle de quelque 15 000 foyers.
Si les Sarrois paraissent satisfaits de la reconversion de l’ancien secteur minier de Sankt-Nikolaus, ils ne manquent pas de souligner que la Lorraine réalise la plus grande centrale solaire d’Europe sur les 415 hectares de la base aérienne désaffectée de l’OTAN de Toul-Rosière. EDF-Energies Nouvelles loue le terrain à l'État, propriétaire, dans le cadre d'un bail immobilier de 22 ans, pour un loyer annuel estimé à environ 1 million d'euros.
L'installation d'une puissance de 143 mégawatts en Meurthe-et-Moselle, soit l’équivalent de la consommation d’une ville de 62 000 habitants, doit se dérouler en deux temps : en 2012, puis en 2013. L’énergie produite sera revendue à EDF. « Les retombées pour les collectivités locales doivent être d'environ 1,3 million d'euros par an » a déclaré le porte-parole d’EDF-EN.
La localisation en Lorraine de ce projet de 434 millions d’euros a de quoi
surprendre. Pourquoi construire une telle centrale dans cette région et non dans
le sud de la France, plus ensoleillé ?
Pour deux raisons, a expliqué le chargé de mission auprès du président
d'EDF-Energies Nouvelles. Tout d’abord, « il est rare de trouver des friches
d'une telle surface et nous avons immédiatement saisi l'opportunité ». Ensuite,
le manque d’ensoleillement est compensé par les nouveaux tarifs définis par le
gouvernement. « Le manque d'ensoleillement en Meurthe-et-Moselle ne devrait pas poser de souci
important, puisque le département bénéficie d'un bonus de 18% par
rapport au département de base ». Le parc lorrain sera financièrement rentable
grâce au taux majoré appliqué au tarif de rachat de l'électricité dans les
départements peu ensoleillés par rapport à ceux où le soleil est plus
généreux.
C’est, au contraire, le nouveau tarif de rachat de l’électricité solaire fixé à la baisse en 2010, par le gouvernement Fillon, qui aurait fait capoter le dossier phare du photovoltaïque dans le bassin houiller lorrain. L’équation financière et le mode opératoire ont fait échec l’ébauche de ferme solaire de Freyming-Merlebach, qu’une régie intercommunale aurait été appelée à gérer. Mis en veilleuse mais pas abandonné, le projet pourrait réapparaître sur d’autres bases. Ainsi, l’ancienne carrière des HBL, sans préjudice pour la beauté du site, verra-t-elle peut-être un jour fleurir les panneaux bleu ciel.
Aurait-il fallu, comme à Toul, l’énergie à revendre d’une Nadine Morano
pour brancher les investisseurs sur les terrils que l’industrie minière a
laissés derrière elle en Moselle ?
D’autres friches des HBL, notamment le terril Wendel qui domine le musée de
la mine de Petite-Rosselle, seraient candidates pour entrer dans la boucle du
photovoltaïque. Une production qui peut s’appuyer sur un consensus, mais
resterait infinitésimale à côté des 5 200 mégawatts de puissance installée de
la centrale nucléaire de Cattenom. Celle-ci permet d’économiser 12 millions de
tonnes de charbon par an, soit l’équivalent de ce fut la production annuelle des
HBL au début de la décennie 1970. La comparaison rend compte de la stratégie
française du passage de la houille au nucléaire pour satisfaire ses besoins en
électricité.
Du charbon au solaire, les miroirs renvoient pour l’instant, l’exemple de
Sankt-Nikolaus, un îlot du réseau européen interconnecté, sous l’œil ironique du
saint patron de la Lorraine. Saint Nicolas, brillez pour nous !
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
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Données RTE, filiale d’EDF, extraites du rapport sur "le bilan électrique français 2010". |
Contractuellement la France exporte moins d’électricité vers l’Allemagne qu’elle n’en importe
Les chiffres de RTE, filiale d’EDF, portant sur les échanges
contractuels entre la France et l’Allemagne bousculent les idées reçues. Selon
ces données, la France exporte moins d’électricité vers l’Allemagne qu’elle n’en
importe. Ce qui donne des arguments aux partisans de la sortie progressive du
nucléaire en France, d’autant plus que le ministère allemand de l'Environnement
– qui a choisi cette voie dès 2002 – s’est réjoui que le pays ait pu exporter de
l'électricité l’hiver dernier, alors que huit de ses dix-sept réacteurs
nucléaires sont arrêtés depuis la catastrophe de Fukushima.
Cependant, la situation est plus complexe qu'il n'y paraît : sous l'angle des “échanges
contractuels” d'électricité, le solde entre la France et l'Allemagne est bien
importateur en 2010 (comme l'indique notre tableau). Mais sous l'angle des
“échanges physiques”, le solde est exportateur.
C'est ce que disent les spécialistes, en expliquant qu'«un flux physique entre la France et l’Allemagne correspond aux électrons qui passent sur les lignes dont les extrémités sont dans ces deux pays. Un flux contractuel correspond à un contrat passé entre un acteur situé en Allemagne et un acteur situé en France, l’énergie correspondant à ce contrat ne passant pas forcément par les lignes d’interconnexions entre la France et l’Allemagne».
En raison de la forte interconnexion des réseaux de transport européens à la frontière Est de la France, cette énergie peut, par exemple, être en partie acheminée par la Belgique, la Suisse ou l’Italie en fonction des contraintes techniques du moment. Selon des experts, «la comparaison frontière par frontière des échanges contractuels et physiques ne signifie donc pas grand chose».
Pour aller plus loin, la question est de savoir si l’électricité importée “contractuellement” d’Allemagne est réellement produite en Allemagne… Elle peut très bien venir de la Suisse, qui importe autant d'électricité qu'elle en exporte et produit autant d'électricité qu'elle en consomme.
Il est donc judicieux de regarder de plus près le “ménage à trois” du couple franco-allemand avec la Suisse et de rappeler au passage qu'en Lorraine, «l'Allemagne a participé pour 5% au coût de construction des tranches 1 et 2 de Cattenom [ndla : la réalisation des quatre tranches a coûté 26 milliards de francs], tandis que la Suisse a signé avec EDF deux contrats de fourniture de courant d'un montant de 4,7 milliards de francs» (Le Républicain Lorrain, 23.05.1986, S. Post).
La Confédération helvétique importe de
l'électricité de France et d'Allemagne au meilleur coût (aux heures creuses), grâce à
son réseau dense de lignes haute-tension. Dans ces moments-là, elle arrête sa
production hydraulique de lac et elle “vit” sur l'électricité importée. Puis,
lorsque la demande augmente le matin et le soir, elle cesse les importations et
rouvre ses centrales d'accumulation pour revendre au prix fort son électricité
de lac qu'elle n'a pas utilisée la nuit... un peu aux Français, aux Allemands,
aux Autrichiens et surtout aux Italiens.
Ce “poumon électrique”, comme disent les initiés, joue un rôle déterminant
au sein du réseau des pays interconnectés. Et dans ce cas, la distinction entre
“échanges physiques” et “échanges contractuels” a du sens.
Mais les deux lectures s'opposent... Pour jauger les capacités de production et les choix stratégiques de la France et de l'Allemagne, les uns n'hésiteront pas à brandir les données “physiques”, dans le but, par exemple, de faire valoir l'efficacité du parc nucléaire français. Les autres soutiendront que les chiffres “contractuels” traduisent les volumes d’énergie achetés/vendus entre les deux pays. Et là, d'aucuns disent que l'Allemagne tire son épingle du jeu malgré sa sortie progressive du nucléaire...
Mais les deux lectures s'opposent... Pour jauger les capacités de production et les choix stratégiques de la France et de l'Allemagne, les uns n'hésiteront pas à brandir les données “physiques”, dans le but, par exemple, de faire valoir l'efficacité du parc nucléaire français. Les autres soutiendront que les chiffres “contractuels” traduisent les volumes d’énergie achetés/vendus entre les deux pays. Et là, d'aucuns disent que l'Allemagne tire son épingle du jeu malgré sa sortie progressive du nucléaire...